Un coup interne afin de permettre, par l’abstention [lors du vote pour l’investiture de Mariano Rajoy et du Parti Populaire], la continuité d’un gouvernement présidé par Rajoy. C’est ce qui, en définitive, a déclenché la crise contenue du PSOE suite à sa sixième défaite électorale après les élections dans les communautés autonomes du Pays basque et de Galice.
[Ces dernières se sont tenues le 25 septembre 2016. Au Pays basque, le PSE-EE obtient, avec 11,94%, la quatrième position, après le Parti nationaliste basque-PNV (37,65%), le parti de la gauche indépendantiste EH Bildu (21,23%) et Podemos Elkarrekin (14,83%). En Galice, le Parti socialiste de Galice est relégué en troisième position avec 17,88%, derrière le PP (47,53%) et En Marea (coalition dans laquelle Podemos est intégrée) qui obtient 19,07% des suffrages.]
L’instrument utilisé pour mettre un terme dans les semaines à venir au «match nul stratégique» sorti des élections générales du 20 décembre 2015 est toutefois un reflet de la profondeur de la crise du régime de 1978. Autant le PP que le PSOE se sont montrés incapables de construire une coalition de gouvernement : le premier en raison du rejet social des politiques d’austérité; le second suite aux «lignes rouges» que le parti s’est imposées en excluant autant les indépendantistes basques que catalans, mais aussi Unidos Podemos. Finalement, il a fallu recourir à des méthodes extraparlementaires pour aboutir à ce qui n’est en définitive rien d’autre qu’une Grande coalition honteuse: un gouvernement minoritaire du PP appuyé sur l’abstention d’un PSOE prêt à se sacrifier sur l’autel de la stratégie du moindre mal.
La condition nécessaire pour que se déroule ce coup interne au PSOE, une chronique annoncée depuis des mois par une succession d’éditoriaux du quotidien El Pais, a été la démobilisation progressive des gauches. Une mobilisation qui avait été visible lors du cycle de résistances sociales ouvert par le 15 mai 2011 et qui s’est poursuivie jusqu’au début 2014, avant de se manifester sur le terrain électoral lors de son irruption aux élections municipales et autonomes de 2014 jusqu’aux dernières élections de ce 25 septembre au Pays basque et en Galice, le point le plus élevé ayant été atteint lors des générales du 20 décembre 2015 avant que plus d’un million de voix en faveur d’Unidos Podemos ait été perdu le 26 juin 2016 [nouvelles élections générales suite à l’impossibilité de former un gouvernement].
Il est par conséquent fondamental d’identifier les causes de l’érosion de la capacité de mobilisation des gauches ainsi que la raison pour laquelle les classes dominantes et leurs représentants politiques du régime de 1978, malgré le coût politique évident, ont opté pour une Grande coalition honteuse au lieu d’attendre trois mois pour de nouvelles élections générales, les troisièmes, où, très probablement, les six sièges nécessaires pour une majorité absolue permettraient la formation d’un gouvernement de coalition PP-Ciudadanos [le 4 octobre, Albert Rivera, leader de Ciudadanos, «exige» que Mariano Rajoy ne soumette aucune condition au PSOE pour son abstention lors du vote pour son investiture].
«Avant tout, il faut donner un gouvernement à l’Espagne…»
Une fois que l’intervention, lundi 26 septembre, de Pedro Sanchez posait sur la table l’évolution vers de probables troisièmes élections générales, la réponse de Susana Diaz, couverte par le Comité directeur élargi du PSOE d’Andalousie, consistait à mettre un terme aux ambiguïtés et à établir clairement ses priorités politiques, avec les conséquences qui en découlent: «Avant tout, il faut donner un gouvernement à l’Espagne; ensuite, il s’agira d’ouvrir un débat en profondeur au sein du PSOE.»
Dans ce contexte, l’urgence de la constitution du gouvernement ne pouvait être qu’une Grande coalition honteuse, soit l’abstention des député·e·s socialistes [lors du vote d’investiture, l’abstention permet de diminuer le seuil nécessaire des voix et permet la formation du gouvernement], ainsi que la violation de la première partie des «lignes rouges» fixées par le Comité fédéral [du PSOE] qui s’est tenu en décembre 2015.
Les neuf mois du gouvernement en fonction de Rajoy [c’est-à-dire assurant l’intérim avant l’investiture d’un nouveau gouvernement] ont signifié une érosion importante de la légitimité du régime de 1978, ainsi qu’une aggravation de l’ensemble des facteurs qui déterminent la crise de ce dernier: le rôle de la monarchie dans la proposition d’un candidat, l’augmentation substantielle du déficit public et de la dette souveraine, les coupes et les déséquilibres budgétaires dans les finances des Communautés autonomes, avec les effets qui en découlent dans des secteurs comme la santé et l’éducation, la polarisation croissante du souverainisme catalan, etc. Toutefois et surtout, une fois de plus, la pression principale qui s’exerce sur les classes dominantes espagnoles est exercée directement, avec une main de fer, par l’Union européenne.
Depuis que la crise bancaire et du financement de la dette publique espagnole a éclaté en 2012, le maintien de la «confiance des marchés» figure comme principe directeur de la politique économique et est devenu l’objectif clé et obsessionnel des classes dominantes. Le pamphlet récent de Luis de Guindos [le ministre de l’économie et de la compétitivité de l’Espagne (sic) depuis 2011 ; son livre s’intitule Espana amenazada, Ed. Peninsula ; il fut ministre d’Aznar et a exercé ses talents auprès de Lehman Brothers pour l’Espagne et le Portugal] constitue à cet égard un résumé intéressé. Le mécanisme vise à exercer une pression double. Bien que la «confiance des marchés» [soit les taux d’intérêt «adéquats» pour émettre des emprunts obligataires] ait été remplacée dans la pratique par la politique de liquidité monétaire (assouplissement quantitatif) par le biais d’achats d’actifs par la Banque centrale européenne. Or, la condition première pour bénéficier de ces programmes réside dans le maintien du classement des agences privées de notation [Fitch Ratings, Moody’s, Standard&Poors qui évaluent les risques. Ces dernières jouent les primes de risque des dettes souveraines en lien avec l’application des politiques d’ajustement néolibéral qui garantissent le service de la dette.
Le gouvernement en fonction de Rajoy a conclu, le 8 août, un accord d’ajustement budgétaire d’une durée de trois ans avec l’Union européenne (UE). Ce dernier a les conséquences suivantes: le gel de l’allocation des crédits budgétaires pour l’année 2016 non engagés au 31 juillet. Une nouvelle réforme de l’imposition des sociétés a été annoncée – qui avait été réduite et qui est actuellement rétablie – afin de recouvrer 6 milliards d’euros. Le robinet des aides financières destinées aux communautés autonomes a été fermé, ce qui oblige ces dernières à atteindre les cibles acceptées de déficit de 0,7% (conditions que ne remplissent pas les communautés d’Estrémadure et de Cantabrique). Malgré cela, le déficit public de l’Etat s’est aggravé pendant la période du gouvernement en fonction de Rajoy: il atteint désormais 36,443 milliards d’euros (3,27% du PIB), ce qui met en danger l’accomplissement du plan d’ajustement négocié avec l’UE et, par conséquent, l’ajournement de l’amende communautaire de plus de 2 milliards d’euros pour ne pas avoir respecté les accords du Pacte budgétaire.
Si Rajoy ne parvient pas à former un gouvernement avant le 10 octobre, il sera nécessaire d’étendre le budget 2016 pour l’année 2017. Puis, il faudra réaliser les coupes et les ajustements (0,5% du PIB) pour remplir les conditions du plan d’ajustement budgétaire sur trois ans conclu avec l’UE. Ces coupes budgétaires, ainsi que l’a signalé la Commission européenne, devront prendre la forme d’un «budget complet» [qui implique, sur trois ans, des coupes à hauteur de 10 milliards]. La Commission a pris une mesure préventive en gelant la distribution des fonds structurels assignés à l’Espagne (1,2 milliard d’euros, alors même que la situation du Portugal est pire) et menace d’une amende de 5,5 milliards d’euros en cas de non-accomplissement des objectifs budgétaires, ce qui équivaut à 0,5% du PIB.
La vice-présidente du gouvernement en fonction, Soraya Saenz de Santamaria, a déjà indiqué que le groupe parlementaire du PP proposera une série de réformes législatives afin de donner une base légale aux exigences de la Commission. Celles-ci permettront de fixer un plafond des dépenses autant pour les administrations des Communautés autonomes que pour celle de l’Etat central. Toutefois, autant ces réformes que le nouveau «budget complet» [qui devra être soumis à l’exécutif européen] de 2017 qu’exige la Commission exigent une majorité parlementaire qui n’est possible qu’avec l’abstention du PSOE, si ce n’est pas sa participation active. La responsabilité d’Etat à laquelle ont fait référence Rajoy, en premier lieu, puis, ensuite, Felipe Gonzalez, et Alfredo Rubalcaba [secrétaire général du PSOE entre 2012 et 2014, il a été, entre autres, ministre de l’intérieur sous Zapatero (2006-2011) et de l’éducation sous Gonzalez (1992-1993)] – ainsi que les «critiques» du PSOE de Sanchez emmenés par Susana Diaz – oblige un soutien permanent durant trois ans, qu’il soit actif ou passif, à l’application du plan d’ajustement triennal négocié par Rajoy avec l’UE.
Une majorité alternative permettant la formation d’un gouvernement, semblable à celle que Pedro Sanchez avait indiqué vouloir explorer, au-delà des «lignes rouges» du Comité fédéral du PSOE, avait dès le début peu de chances de succès. En outre, le corollaire impliquait que le PSOE soit une alternative authentique au PP sur tous les terrains, rendant plus difficile l’indispensable soutien parlementaire du PSOE à une politique d’ajustement budgétaire suite à des nouvelles élections générales en décembre. Ou, si l’on préfère la formule de Felipe Gonzalez, «laisser gouverner si l’on ne peut gouverner». Un PSOE «alternatif» au PP comporterait le danger permanent d’une motion de censure contre Rajoy, comme résultat d’une instabilité sociale et politique, et l’horizon d’un «gouvernement des gauches» qui mette en cause le plan d’ajustement triennal.
Cela supposerait, de plus, un durcissement de la polarisation souverainiste en Catalogne. L’instrument principal qui permet au PP de maintenir sa «communauté de valeurs» constitutionnelles avec le PSOE consiste à radicaliser le conflit concernant le rejet du droit à décider [des Catalans sur l’indépendance ou sur le type de relations qui s’établiraient entre la Catalogne et l’Etat espagnol].
Avec un PSOE subordonné suite à l’abstention, Rajoy pourra récupérer une marge d’accord en matière de politique économique avec les droites catalanes [principalement le «nouveau» Partit Demòcrata Europeu Català (PDC), parti fondé en juillet 2016 et présidé par Artur Mas, président de la Generalitat de Catalogne entre 2010 et 2016, qui reprend le flambeau de Convergència Democràtica de Catalunya] et basques [essentiellement le PNV, le Parti nationaliste basque], particulièrement intéressées, pour des raisons distinctes, à faire reluire leur «européisme» au moyen de l’approbation inconditionnelle des exigences de l’UE.
Voici, à mon avis, la logique qui a fini par sous-tendre le coup au sein de la direction du PSOE: «mieux vaut un PSOE brisé que de gauche».
… puis ouvrir un débat en profondeur au sein du PSOE»
Suite à l’échec de Rajoy lors du débat d’investiture au début septembre 2016, l’alternative entre l’abstention et la recherche d’une autre formule de gouvernement a placé au second plan la possibilité de la tenue de troisièmes élections en décembre, lesquelles auraient illustré la chute de la légitimité du système des partis du régime issus de 1978. Quoi qu’il en soit, cette alternative ancrée au sein du PSOE exigeait le dépassement des «lignes rouges» du comité fédéral du PSOE de décembre 2015, ratifiées en juin 2016.
Bien que la polarisation au sein du PSOE eût débuté bien avant, suite aux élections du 20 décembre 2015 et à l’échec de Pedro Sanchez à se faire investir au cours des premiers jours de mars 2016, au travers des interventions répétées de Gonzalez, Zapatero et Rubalcaba en faveur de l’abstention, la pression est devenue intolérable après les élections basques et galiciennes le 25 septembre. Il manquait moins de deux semaines avant que ne s’épuisent les délais législatifs pour les discussions budgétaires et un mois avant que ne soient prononcées la dissolution des Cortes et la convocation de troisièmes élections. Le «non c’est non» de Sanchez à Rajoy bloquait l’abstention socialiste en même temps que la majorité de l’appareil des communautés autonomes et du Comité fédéral empêchaient la reformulation des «lignes rouges».
Lundi 26 septembre, Pedro Sanchez exigeait la tenue d’un débat politique pour résoudre cette alternative [abstention ou remise en cause des «lignes rouges» qui empêchent la formation d’un gouvernement PSOE soutenu par d’autres forces, respectivement d’entrer en discussion avec Unidos Podemos et les partis indépendantistes] par la convocation du comité fédéral du samedi 1er octobre, des élections primaires pour le secrétaire général le 23 octobre et la tenue du 39e Congrès du PSOE au cours de la première semaine de décembre.
Conscient de ne pas disposer d’une majorité au Comité fédéral, contrôlé par les appareils des communautés autonomes qui se qualifient de «critiques», le secrétaire général du PSOE faisait appel à la participation active des militants pour résoudre la situation. Les appareils des communautés autonomes ne pouvaient craindre pire menace que le vœu de l’appareil de la Calle Ferraz [siège du PSOE à Madrid] de s’appuyer directement sur «ses» militant·e·s, bien que cela soit uniquement par instinct de survie.
Ce qui a suivi est largement connu et constitue la trame du coup interne: élaboré par Susana Diaz, mis en œuvre par Felipe Gonzalez y Alfredo Rubalcaba depuis le conseil éditorial de PRISA [groupe multimédia (presse, radio et télévision) qui possède le quotidien El Pais ainsi que 15% des actions de Le Monde], légitimé par le comité directeur du PSOE d’Andalousie et déclenché finalement par la démission de 17 membres de l’exécutif permanent. Une démission étayée par l’interprétation insoutenable des statuts selon laquelle elle impliquait le renvoi immédiat du secrétaire général du parti, qui avait été élu lors de primaires et confirmé dans ses fonctions par un Congrès.
A l’exception de l’intervention dévastatrice de Josep Borrell [1] et les dénonciations d’Izquierda Socialista [tendance de gauche au sein du PSOE] et de son dirigeant, José Antonio Pérez Tapias [doyen de la faculté des lettres et de philosophie de l’Université de Grenade], le coup interne de la majorité des appareils des communautés autonomes a progressé comme un rouleau compresseur, bien qu’elle ait failli échouer en raison de son succès.
Vendredi, la réunion même du Comité fédéral, convoqué régulièrement avant la démission des 17 membres de l’exécutif permanent, était en jeu. Le débat sur les conséquences statutaires de la démission a scindé le PSOE en deux directions parallèles, provoquant des scènes grotesques comme la proclamation de Victoria Pérez [présidente du Comité fédéral, fortement liée à Susana Diaz] devant les portes du siège central de la Calle Ferraz: «la seule autorité du PSOE, c’est moi».
La réunion même du Comité fédéral, le samedi 1er octobre, n’était pas moins caricaturale jusqu’à ce que Pedro Sanchez, durant la nuit, ait accepté de démissionner si sa proposition de tenue d’un congrès extraordinaire en décembre (seule conséquence indiscutable contenue dans les statuts suite aux démissions) était défaite. Cela a été le cas par 132 voix contre 107. Au petit matin, ce qui restait du Comité fédéral a constitué une commission de gestion pour diriger le parti.
En définitive, l’appareil de la Calle Ferraz a été défait sans autre débat politique que les implications organisationnelles des différentes interprétations statutaires. Toutefois, le congrès extraordinaire, obligatoire, suite aux 17 démissions de l’exécutif permanent, a été ajourné à une date qui doit faire suite à la formation d’un gouvernement et à la décision d’abstention lors du deuxième débat sur l’investiture de Rajoy. Sa convocation est laissée aux mains de la commission de gestion.
Les pires conséquences politiques du coup interne sont encore à venir. L’abstention face à Rajoy sera justifiée par l’argument du moindre mal selon lequel de nouvelles élections impliqueraient une érosion électorale encore plus importante.
Les appareils des communautés autonomes sont tellement convaincus de leur orientation qu’ils ne doutent pas que les militant·e·s – que les sondages montrent en faveur d’une opposition à la formation d’un gouvernement présidé par Rajoy [le sondage en question indique qu’en juin 2016 58% des électeurs du PSOE interrogés étaient favorables à ce que le PSOE facilite la formation d’un gouvernement Rajoy, contre 35%; par contre, en septembre ces chiffres étaient respectivement de 50% contre et 43%] – ainsi que les électeurs socialistes puniraient électoralement le coup interne en l’absence d’autres canaux qui leur permettraient d’exprimer leur position.
En définitive, l’affrontement au sein du Comité fédéral a été entre deux secteurs de l’appareil du PSOE, des politiciens professionnels qui remplissent des responsabilités d’élus ainsi que des fonctionnaires de l’organisation. Les quelque 190’000 militant·e·s que compte le parti ont été maintenus à distance du débat concernant l’orientation gouvernementale du parti.
Au cours des prochains jours et dans les semaines à venir, ils exerceront une pression principalement au travers des réseaux sociaux. Ils n’auront toutefois pas le droit de mettre en question l’orientation imposée implicitement par l’appareil vainqueur, car toutes les instances décisives ouvertes, tels que les primaires ou le congrès, ont été ajournées. Pour cette raison, il ne faut pas non plus s’attendre à des fortes résistances provenant du groupe parlementaire, divisé jusqu’à hier pratiquement en deux fractions égales. Ainsi qu’on le verra rapidement, «coudre la déchirure du parti» signifiera coudre la bouche de toute dissidence.
Sur la légende centenaire du vieux parti majoritaire de la classe laborieuse fondé par Pablo Iglesias [1850-1925, homonyme du fondateur de Podemos], Felipe Gonzalez et Alfonso Guerra ont édifié un appareil qui a légitimé le nouveau pacte social de la Transition et l’intégration de l’Espagne à l’UE et à l’OTAN, le régime de 1978 en définitive. Lorsque la crise de ce même régime l’a exigé, l’appareil du parti héritier de celui des «félipistes» – ce n’est pas en vain que la grande majorité des protagonistes de ces derniers jours ont été formés au sein des Juventudes Socialistas de cette époque – a sacrifié, sans hésiter, la légitimité héritée au nom de la gouvernabilité de celui-ci.
Le déclin du cycle de mobilisation sociale et politique
Les conséquences politiques du coup interne au PSOE – en particulier la formation d’un gouvernement minoritaire du PP, en coalition parlementaire avec Ciudadanos, et appuyé sur l’abstention d’un PSOE divisé et humilié – contraint à un débat stratégique de fond les gauches politiques et sociales disposées à continuer à résister à l’austérité et à créer les conditions d’un processus constituant, incluant le droit à décider, face à la crise du régime de 1978.
Le point de départ de la résistance au plan d’ajustement triennal négocié entre Rajoy et l’Union européenne, qui provoquera probablement une nouvelle récession en raison des coupes budgétaires, doit résider dans les secteurs de la classe laborieuse plus stables et avec les organisations sociales les plus fortes que sont les syndicats. La défense de la négociation collective, l’extension des droits à des secteurs toujours plus ample de travailleurs sous contrats temporaires peut s’articuler autour des 20 mesures urgentes proposées par les Comisiones Obreras (CCOO) et l’Union General de Trabajadores (UGT) [2]. Avec ses contradictions, ces mesures constituent aujourd’hui le programme minimum des classes laborieuses et populaires. C’est autour de celles-ci que doit s’édifier l’unité la plus large pour la résistance sociale.
L’intervention brutale de l’Union européenne dans la crise grecque et la faillite politique de Syriza suite à la signature humiliante du troisième mémorandum ont mis à mal la crédibilité des alternatives politiques face à l’austérité néolibérale. D’un côté, l’effet social de la temporalité mine la capacité de riposte collective en l’absence de niveaux d’organisation stables. De l’autre, l’incapacité de mettre au premier plan une formule de gouvernement de gauche qui puisse articuler, face aux pressions néolibérales de l’Union européenne, les luttes de résistances défensives. Le premier a été déterminant dans le déclin du cycle de mobilisation social. Le second explique l’érosion de la poussée électorale en faveur du «changement». Il faut ajouter à cela la fatigue inévitable d’une mobilisation aussi prolongée ainsi que les conflits compétitifs entre appareils au sein des gauches pour leur représentation électorale.
La crise du PSOE et l’abstention face à un gouvernement minoritaire de droite renvoient pour l’heure l’élaboration d’une formule de gouvernement de gauche. Ce n’est toutefois pas le cas du débat sur l’accumulation unitaire de forces ni le bilan sur le manque de crédibilité et les faiblesses des différentes propositions de gouvernement de gauche mises en avant lors du cycle électoral qui semble se fermer maintenant. Reprendre l’initiative à partir de l’opposition exigera, eu égard à l’instabilité sociale et politique, une formule de gouvernement de gauche partagée et crédible, qui puisse être transversale. (Article publié le 2 octobre 2016 sur le site SinPermiso. info, traduction A L’Encontre)
_____
[1] Josep Borrell a été président du Parlement européen entre 2004 et 2007, il a été ministre des Travaux publics, des transports et de l’environnement entre 1991 et 1996 sous Felipe Gonzalez. Lors d’un entretien radiophonique sur la Cadena Ser, le 30 septembre, il a condamné les machinations des «critiques» du PSOE, affirmant notamment «le comportement d’El Pais me fait de la peine. Que je sache, le groupe PRISA ne peut révoquer le secrétaire général du PSOE» et se distanciant des propos de Gonzalez selon lesquels les 11 millions d’électeurs du PP méritent le respect, disant que les 5 millions d’électeurs de Podemos méritaient aussi le respect et qu’il était nécessaire de discuter avec Pablo Iglesias (Réd. A l’Encontre).
[2] Présentées début juin 2016, avant les élections générales du 26 du même mois, ces 20 mesures urgentes «pour le progrès et le bien-être social» ont été présentées par les deux syndicats aux partis politiques. Elles comportent, sur huit pages, des mesures figurant sous les titres suivants: 1. la lutte contre le chômage comme objectif prioritaire; 2. une dérogation des «réformes du travail» imposées, doublée d’une lutte contre la précarité du travail; 3. qu’un terme immédiat soit mis «à l’austérité compulsive imposée autant en Espagne qu’au sein de l’UE»; 4. une élévation du salaire minimum ainsi que des «augmentations de salaires réelles afin de recomposer les revenus et impulser la croissance»; 5. un renforcement «des politiques actives d’emploi et une extension du système de protection des chômeurs»; 6. un renforcement de la «politique fiscale: augmenter les revenus et faire en sorte que paient ceux qui possèdent plus»; 7. la promotion d’un «seuil de dépense sociale dans la Constitution»; 8. un renforcement du «budget social, un renversement des [contre-]réformes»; 9. un retour aux dispositions antérieures en matière de retraites et une dérogation des contre-réformes imposées depuis 2012; 10. un retour en arrière par rapport aux contre-réformes en matière d’éducation; 11. la garantie de l’égalité de traitement et le rejet des discriminations; 12. un renforcement des mesures de prévention des dangers au travail; 13. une lutte contre la pauvreté et l’établissement «d’une prestation de revenu minimal»; 14. un combat contre les nouvelles formes de pauvreté; 15. la mise en place d’un «système intégral de services sociaux»; 16. une mise en œuvre immédiate de la loi en faveur des personnes en situation de dépendance; 17. «un plan stratégique pour l’industrie»; 18. une amélioration de la «qualité de notre démocratie»; 19. la défense d’une «Union européenne sociale et respectueuse des droits humains» et, enfin, 20. que «les traités de libre commerce soient des outils de progrès, démocratiques et transparents». (Réd. A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter