Etat espagnol. Une lutte pour un système de soins public à Vigo (Galice)

Hôpital VIgo
L’Hôpital Vigo

Par Manuel Alonso

La manifestation que nous avons vécue à Vigo le jeudi 3 septembre, en défense de la santé publique, est l’une des plus importantes des dernières années. Elle peut être parfaitement comparée, en termes de participation, aux dernières grèves générales [journées de lutte, dont celle du 29 septembre 2012] ou les mobilisations du 15M [mouvement des indigné·e·s].

Au moment où le gouvernement du PP (Parti Populaire) semblait être parvenu à désactiver les luttes contre les coupes budgétaires et l’austérité, une participation massive de la population dans les rues peut surprendre. Car, jusqu’ici, et malgré le fait que l’on disposait déjà d’une information abondante sur les processus clientélaires et le démantèlement de la santé publique à Vigo, la question hospitalière n’avait pas réveillé de grandes passions. Les efforts des activistes pour faire apparaître ce problème en première ligne ne semblaient pas recevoir un écho suffisant.

Subventionner le privé

Il en a été ainsi jusqu’à ce que l’hôpital ouvre, ce qui a mis en évidence de la façon la plus crue ce que signifiait réellement la gestion publique-privée des centres de soins: une augmentation des coûts pour les gens dans tous les domaines imaginables (déplacements, parking à paiement, etc.), une diminution du nombre de lits et une dégradation de la qualité du service de santé. Les informations multiples sur les erreurs de gestion les plus grotesques mirent à nu l’empereur: le privé ne gère pas mieux, et c’est plus cher.

Si cela ne devait pas être suffisant, ainsi que l’a dénoncé l’Association galicienne pour la défense de la santé publique [1], la Xunta [le gouvernement de la Communauté autonome de Galice, créée en 1981; depuis 2009 la Xunta est dirigée par le Parti populaire de Galice] nous a fait grâce d’une démonstration d’audace dès lors qu’il a été question de choisir la formule légale, optant pour la Concession de travaux publics [autrement dit la réalisation par le titulaire du contrat – le concessionnaire – de la réalisation des prestations incluses dans le contrat], au lieu de celle de la Collaboration public-privé.

Cette décision a pour objectif d’éviter d’avoir à justifier la nécessité de recourir au financement privé. et afin que rien ne fasse obstacle au gouvernement galicien dans son objectif de nous arracher notre système de soins, afin qu’il puisse abonder de la sorte les comptes courants de ses amis et clients du moment. Toute «l’intelligence» de nos dirigeants mise au service d’intérêts qui ne sont pas ceux de la majorité populaire. Après tout, il est totalement impossible de développer des politiques qui bénéficient au 100%; lorsqu’il s’agit de choisir entre ceux qui vivent de leur travail (lorsqu’ils le peuvent, étant donné le chômage) et ceux qui vivent du travail des autres (le petit nombre qui se situe au sommet de la pyramide), nos gouvernements s’inclinent toujours devant ceux d’en haut.

Ensuite, la concession de la redevance annuelle, à raison de près de 60 millions d’euros pendant 20 ans, de la part de la Xunta, apparaît comme une épée de Damoclès pour ce qui a trait à la qualité du service, prédisant de nouvelles coupes, dans le cas où elles seraient «nécessaires», pour payer la dette contractée. Plus encore, telle qu’indiqué par la plainte de la FASDSP [Fédération des associations pour la défense de la santé publique], les coupes dans les services qui ont été réalisées par l’entreprise concessionnaire par rapport au projet original ne se traduirait pas par une baisse de la redevance qu’elle recevra annuellement. La précarisation des soins menace de continuer comme conséquence de cette dynamique de privatisation-dette-coupes budgétaires dont les principaux bénéficiaires sont les sociétés d’assurance privées, seule branche qui a crû dans ce secteur depuis le début de la crise, ainsi que les entreprises qui ont obtenu les concessions.

Enfin, mais ce n’est pas le moins important, la concession de la redevance place en mains du capital privé la gestion de ce qui est le plus rentable (en termes exclusivement économiques), mais laisse à la charge de l’administration ce qui est le plus coûteux: le personnel et l’équipe soignante. Soit une nouvelle expression du transfert des profits vers l’entreprise privée et des pertes pour l’ensemble de la population. Une aubaine pour l’entreprise privée, qui coûte cependant 5 fois plus au Trésor public que si l’hôpital avait été construit et géré intégralement par l’Etat. Une escroquerie perpétrée en toute connaissance de cause par ceux qui se disent les représentants de «l’intérêt général».

Le processus de destruction de la santé publique est entamé depuis plusieurs décennies déjà, il n’a fait que s’accélérer au prétexte de la dernière crise, et nous devons comprendre que ce qui se passe à Vigo n’est pas un travail improvisé de la part de la Conselleira del Gobierno [Rocío Mosquera, en charge de la santé] d’ Alberto Nunes Feijio [président de la Junte de Galice]: ils nous y préparaient depuis un moment.

Privatisation et «triade néolibérale»

Les nombreux processus de privatisations entamés constituent le pas logique qui découle de la nécessité du capitalisme transnational, qui n’est plus de conquérir de nouveaux marchés, mais de marchandiser tous les espaces encore étrangers à la recherche du profit. Ce virus de privatisation s’alimente des conquêtes du mouvement ouvrier, des espaces précieux que nous avons pu conserver où règnent encore la solidarité et les soins mutuels, l’avantage collectif sur le profit privé ou, pour le dire en des termes plus théoriques, la valeur d’usage sur la valeur d’échange.

Au final, le message que l’on prétend faire passer est que nous ne pouvons pas vivre aux dessus de nos capacités. En dernière instance, que nous ne pouvons vivre, que nous vivons trop – comme l’a déjà exprimé le FMI [2] – et que la farce de prestation de soins sur la base de critères de proportionnalité et de redistribution n’a que trop duré.

Le processus de privatisation du Système national de santé s’est étendu progressivement et avec succès au cours des dernières années par différents moyens qui ont amorti l’effet du «processus macroprivatiseur» pour les patients et, dans une moindre mesure, pour les travailleuses et travailleurs par le biais d’une privatisation par phases: les cas flagrants ont consisté en la cession complète de la gestion des centres de soin à des entreprises privées, mais, de manière plus subreptice, des analyses de laboratoire ou des dépistages spécifiques ont été attribués à des centres privés.

Ainsi que le mentionnait la Fédération des associations pour la défense de la santé publique en avril dernier [3], «l’application des stratégies néolibérales dans les services de soins est orientée par ce que l’on appelle la “Triade néolibérale”, c’est-à-dire: diminution des attributions de l’Etat et introduction d’une part payée par le patient [copago]; l’extension du secteur privé dans les systèmes de soin (privatisation des services de soins); et la dérégulation du secteur public de soins (fragmentation, compétence et marché interne).»  

Le processus est aussi simple que source de profits: transférer en mains privées ce qui est le fruit de l’effort public. Les hôpitaux, édifiés à la charge du budget public, finissent par engrosser les bénéfices des entreprises privées qui, dans le cas du capitalisme familial espagnol, sont profondément liés à cette élite politique que nous avons fini par appeler «caste».

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Manifestation du 3 septembre
Manifestation du 3 septembre

Si l’on garde toujours à l’esprit cette perspective d’accumulation des profits au moyen de la dépossession des conquêtes sociales telles que la santé, le nouvel hôpital nous montre un exemple précieux de ce qu’est le mantra de l’efficacité public face à la gestion publique: la santé publique ressemble toujours plus à une entreprise. Nous devrions en être satisfaits. Les différents gouvernements, autant centraux que des communautés autonomes, du Parti populaire au PSOE, ont transféré progressivement notre système de santé publique aux mains d’entreprises privées et le résultat ne peut être que la transformation des patients en clients, l’abandon de ceux qui ne sont pas «rentables», que cela soit parce que leurs maladies ne génèrent pas d’argent pour les actionnaires ou parce qu’ils vivent dans des localités peu intéressantes pour leur chiffre d’affaires

Une autre conséquence est celui de l’abandon de la prévention (quel sens aurait pour les entreprises pharmaceutiques ou pour les nouveaux complexes publics-privés un pays sans malades à extorquer?) et le démantèlement des soins de santé primaires, un tel service, qui devrait être l’axe d’un système de soins, est abandonné parce qu’il ne génère pas de profits ou fait obstacle aux «secteurs» assurant un profit supérieur.

En ce qui concerne les conditions de travail – avec l’objectif de rendre, du point de vue capitaliste, les hôpitaux plus rentables – les effectifs du personnel ont été réduits, surchargeant de travail les salarié·e·s et, par conséquent, portant préjudice autant à la population qui se voit offrir un service péjoré qu’aux professionnels qui sont débordés.

Leur objectif est de nous amener à un modèle de prestations de base pour la majorité de la population, c’est-à-dire un système de charité pouvant accueillir les personnes qui ne peuvent se permettre le paiement d’une opération, d’un médicament ou, comme nous le constatons en ce moment, même le parking.

Tout cela a pu se réaliser au moyen de deux idées répétées constamment: que le secteur public provoque des gaspillages alors que le privé gère mieux les ressources; et qu’il suscite, en outre, une concurrence entre entreprises qui amélioreront les services. L’austérité n’est rien d’autre que le transfert des parties «utiles» du système de soins public en direction des entreprises privées ainsi que l’abandon de tout le reste.

Descendre dans la rue ne fera évidemment pas reculer le gouvernement galicien, ni aucun gouvernement, quant à sa feuille de route de spoliation du «bien commun». Il ne reculera pas plus si la majorité d’entre nous continuons d’assumer comme étant logique le discours néolibéral des bénéfices de la concurrence et du «gaspillage» du public.

Pour arrêter les politiques de privatisation, pour mettre un terme à l’austérité, la réponse doit aller au-delà d’une manifestation. L’importance de la manifestation de Vigo dépendra de ce qui se passera ensuite, de savoir si elle sera le point de départ d’un nouveau processus de résistance contre la marchandisation de la santé, ou si elle n’en restera qu’à un gigantesque cirque. Pour les arrêter, pour récupérer la santé publique, il est nécessaire, en premier lieu, de développer un large mouvement qui, ainsi que nous l’a enseigné la lutte de la marea blanca de Madrid [voir également cet article de synthèse publié sur notre site], doit impliquer autant les professionnels que les usagers de tous les secteurs affectés.

La défense du public, du commun, occupe un rôle central dans le cycle actuel de résistances aux politiques austéritaires d’expropriation. Elle a la force d’impliquer un large secteur de la population et de promouvoir de nouvelles formes d’organisation et de participation au-delà d’une mobilisation sectorielle.

Mais nous ne pouvons confondre son caractère transversal avec une absence de contenu politico-idéologique. Dans le contexte actuel d’offensive néolibérale, lever le drapeau du public signifie qu’il faut ouvrir des brèches dans le discours hégémonique, miser sur un autre modèle, un autre horizon. Nous devons avoir à l’esprit que nous pouvons nous doter d’un système universel dont la gestion serait soumise à un contrôle de la population. C’est-à-dire que nous devons lutter, non seulement pour un arrêt du processus de privatisations ou, y compris, pour récupérer le terrain perdu; mais aussi que la lutte doit avoir comme horizon un système sanitaire plus amplement public, autant dans l’extension de la couverture des soins que dans le contrôle de la gestion par toutes et tous (Article publié le 23 septembre sur le site Vientosur.info. Manuel Alonso est militant d’Anticapitalistas-Galice et membre du Conseil citoyen de Podemos à Vigo. Traduction A L’Encontre)

___

[1] www.fadsp.org/index.php/sample-sites/manifiestos/1110-la-agdsp-presenta-una-denuncia-ante-la-ue-de-la-adjudicacion-del-hospital-de-vigo

[2] http://economia.elpais.com/economia/2012/04/11/actualidad/1334133453_457282.html

[3] http://www.vientosur.info/spip.php?article9975

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