Etat espagnol. Les débats au sein de Podemos

Raul Carmargo, porte-parole de Anticapitalistas
Raul Carmargo, porte-parole de Anticapitalistas

Par Raul Camargo

La convocation de son Assemblée citoyenne marque l’ouverture des débats au sein de Podemos de la Communauté autonome de Madrid. Cette assemblée aura pour but de résoudre des questions quant à l’avenir de notre espace dans la région, mais, il n’y a aucune raison de nous bercer d’illusions, il s’agit aussi d’un débat sur les différentes propositions en présence sur Podemos en tant que projet politique. Bien que la presse et certains veulent vendre cela comme relevant de disputes de famille, je dirais plutôt qu’il s’agit d’un débat entre courants politiques, chacun avec ses perspectives et propositions différentes. Je tenterai d’expliquer cette idée.

L’idée de «famille» réduit les regroupements à des questions simplement bureaucratiques, sans différences politiques perceptibles. C’est une chose que Gramsci explique très bien en se référant à la séparation entre l’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique [le schisme de 1054]: ils cherchent des différences politiques pour justifier leurs différences d’intérêts. Je ne nierai pas qu’une chose semblable existe au sein de Podemos, résultat du modèle néfaste adopté [en octobre 2014] à Vistalegre [création de Podemos], qui donnait plus de poids à la loyauté envers la direction qu’à la discussion politique et qui nie, de «droit», une pluralité consubstantielle à un projet qui regroupe des milliers de personnes et des millions d’électeurs. Cette structure a produit une culture politique où, pour être quelqu’un au sein de Podemos, il convient de se construire une image de notable accumulant les responsabilités, sortant dans les médias et présent lors de différents événements, Alors que, «malheureusement», le travail quotidien de base, anonyme et volontaire a été systématiquement sous-estimé, souvent dans une atmosphère difficile où la compétition a pris le dessus sur la coopération. Malgré (et non grâce) à cela, Podemos dispose aujourd’hui de 5 millions d’électeurs et reste la référence pour des dizaines de milliers de personnes. Ce qui, outre des succès et vertus indéniables d’une politique qui, sur le plan électoral, s’est révélée gagnante, montre qu’il existe toujours une vaste base sociale qui souhaite un changement politique et la fin des politiques d’austérité.

Néanmoins, cette Assemblée de Podemos de la Communauté de Madrid peut être une opportunité pour lancer un débat politique sérieux consistant à mettre sur la table différentes perspectives et tenir une discussion honnête et clarificatrice à laquelle les gens puissent participer et y prendre des décisions. Pour cela, nous devons définir la phase politique et sociale dans laquelle nous entrons, sans nostalgie du passé, assumant qu’une situation nouvelle ne peut être abordée par un retour à ce qui existait avant, évitant de tomber dans le «transformisme» interne, c’est-à-dire ce truc qui consiste à prendre en compte certaines critiques et erreurs sans endosser la nécessité d’une régénération radicale ainsi qu’une réorientation stratégique.

Des dizaines de milliers de personnes sont passées par Podemos et ses cercles, la majorité desquels, malgré le fait d’avoir voté Podemos, ne sont pas restés pour y participer régulièrement. Podemos a été à même de fonder une politique de «l’exceptionnel», mobilisant des millions de personnes ponctuellement, mais incapable de proposer une politique du «quotidien», susceptible de créer une communauté, des solidarités et des réseaux de soutien mutuel. Il est évident que Podemos ne pourra le faire seul. Nous devons être humbles et commencer par dire la vérité aux gens qui n’ont pas poursuivi leur participation au projet ainsi qu’à ceux qui ne sont pas dans Podemos et qui construisent des luttes, des mouvements, à partir d’en bas, chaque jour, dans leurs quartiers et sur leurs lieux de travail, dans les centres et les mouvements sociaux.

Retrouver cette confiance sera une tâche ardue et de longue haleine, où nous devrons apprendre à voir comme des égaux les membres de ce tissu complexe et dense, évitant les attitudes arrogantes et favorisant d’autres propres à un espace qui aspire à retisser une relation entre politique et classes subalternes. C’est là une question stratégie fondamentale que la «machine de guerre électorale» [option organisationnelle retenue par le noyau dirigeant autour d’Iglesias et d’Errejon – noyau aujourd’hui en «crise», en débat public] n’a pas voulu aborder: pour gagner, pour conquérir des positions, il faut bâtir des contre-pouvoirs forts, fondés sur une auto-organisation stable, capable de défendre les droits sociaux, démocratiques et du travail ainsi que sur la société civile, face à un Etat au service des puissants.

A mon avis, les représentant·e·s élus et les ressources de Podemos doivent contribuer activement à cette tâche. Construire un mouvement populaire ne signifie pas tisser un réseau de soutien pour les campagnes électorales ou des groupes de parlementaires, mais bien plutôt tester des pratiques et des espaces de lutte et d’organisation à même de se diriger vers la construction d’une institutionnalité alternative à celle du régime de 1978. A la différence des stratégies populistes [le représentant le plus en vue de cette option est Inigo Errejon, lecteur – parmi d’autres – de feu Ernesto Laclau] ou dites néo-eurcommunistes [1] – [prêtées à Pablo Iglesias] – , je suis convaincu que nous ne devons pas voir le mouvement populaire comme un accessoire de la «politique représentative», mais comme un facteur stratégique fondamental pour la transformation profonde de la société. Je pense que cette vision du rôle des mouvements sociaux différencie Reinicia Podemos [trois options principales sont présentes au débat de l’assemblée de Madrid, cette dernière est celle de l’auteur de ce texte] des autres projets mis en avant jusqu’à maintenant, en dépit du fait que nous parlions tous de «mouvement populaire».

Nous entrons dans un cycle long où nous devons poursuivre la construction d’une majorité sociale capable de se transformer en alternative de société crédible. Une question se pose: où se trouve cette majorité sociale et comment l’articuler? Ces discussions devraient figurer au centre du débat sur le Podemos à venir. Face à la politique hégémonisée par les fils des classes moyennes et leurs problèmes existentiels (qui, bien entendu, doivent disposer d’un espace au sein du bloc historique des classes populaires), nous proposons une politique de classe qui inclut tout ce précariat urbains diffus, fortement féminisé, qui souffre d’une d’un taux de précarité élevé et d’un turn-over dans l’emploi. Cette classe laborieuse qui est passée de sujet à la conquête de l’Histoire à celui d’être comme telle rendue invisible et qui (soyons attentifs!) forme une partie de la base sociale de phénomènes populistes d’extrême droite. Comme on le voit en Grande-Bretagne, en France ou aux Etats-Unis. Notre devoir est de commencer à placer au centre des mesures fortes pour répondre à cette dictature prétendument naturelle propre du travail et aux conséquences qu’il y a d’en avoir ou de ne pas en avoir un emploi.

En ce sens, l’option sur laquelle mise Reinicia Podemos possède différents pieds, appuis, fortement articulés entre eux. Territorialiser la politique signifie s’impliquer dans la création de communautés, tisser des mouvements dans tous les espaces de la vie sociale, œuvrer avec d’autres acteurs pour créer des institutions de classe autonomes. Le municipalisme, le 15M, les mareas en défense du secteur public, les luttes de travailleuses et travailleurs, l’écologisme sont des sources d’inspiration et d’apprentissage indispensables. Le féminisme doit être un axe fondamental de notre projet, il doit imprégner et être transversal à toute notre théorie et pratique, sur la forme comme sur le fond.

Le point fondamental serait de commencer par changer les logiques de compétition extrême par d’autres, fondées sur la coopération. Nous sommes, malheureusement, encore loin de cela. D’un autre côté, il convient de lancer une solide rénovation démocratique et anti-bureaucratique au sein de Podemos, qui commence par limiter le nombre de charges publiques dans les organes, qui interdise la tenue de deux mandats internes (c’est-à-dire, que personne ne puisse être dans deux Conseils citoyens), qui répartisse les pouvoirs des secrétaires généraux (pour se diriger vers une disparition de cette figure anachronique) et qui oblige les différents secteurs à compter sur des gens qui ne soient pas «libérés» ni responsables publics. En définitive, faire de Podemos Madrid un reflet de la société, des gens qui, par leur travail, permettent à la société de fonctionner. Car, malheureusement, il est actuellement très difficile d’imaginer qu’une «kelly» [une nettoyeuse d’hôtel] puisse diriger Podemos. Dépasser toute cette culture de nouvelle élite est l’un des défis fondamentaux des débats en cours. La dernier pied consiste à prendre au sérieux notre proposition de gouvernement, au contraire des louvoiements des derniers mois, et miser sur un programme qui reprenne [propositions figurant dans le programme de mai 2014 pour les élections européennes] la rente de base, la socialisation du système financier, l’audit de la dette, ainsi que des mesures d’urgence sociale contre les expulsions de logement ou encore qui garantissent des droits fondamentaux tels que les soins, l’accès à l’électricité et à l’eau.

Tout cela sans devoir renoncer à ce qui a été conquis et sans nous installer dans des définitions obsolètes et en crise comme celle de «social-démocratie» [utilisée par Iglesias lors des dernières élections]. De fait, la volonté collective que nous bâtissons devrait résider en une synthèse entre les leçons de l’histoire et l’innovation permanente, ainsi que sur l’ouverture devant toute nouvelle forme visant à organiser le conflit. En ce sens, il convient de récupérer le discours d’une critique forte au bipartisme [PP-PSOE] et de nous présenter comme force politique différente et opposée autant au PP qu’au PSOE. Cela constitue, pour moi, un aspect fondamental. L’assimilation au social-libéralisme de Sánchez [dirigeant du PSOE], nous fera toujours perdre.

Ce ne seront pas des temps faciles. «Gagner» n’a pas été aussi rapide et aussi simple que nous le pensions et le moment de débattre avec calme est venu, sans transposer au sein de Podemos les routines des campagnes électorales. C’est le moment pour que les gens participent, décident, que chacun·e puisse exposer avec clarté ses idées. De façon à ce que nous sortions de ces processus prêts pour l’époque qui vient, réarmés et préparés à faire face à ce qui arrivera. (Article publié le 21 septembre 2016 sur le site ctxt.es Contexto y Accion; Raúl Camargo est militant d’Anticapitalistas et élu pour Podemos au législatif de la Communauté autonome de Madrid, traduction A l’Encontre)

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[1] Selon le qualificatif utilisé pour caractériser l’initiative et l’orientation politiques prises initialement par le PCI d’Enrico Berlinguer et le PCE de Santagio Carillo. Ce dernier, en 1977, publiera l’ouvrage intitulé Eucomunismo y Estado. Ces deux partis et le PCF, sous le règne de Georges Marchais, officialiseront cette qualification en mars 1977. C’est en fait le résultat d’un processus bien antérieur, avec des différences de rythmes et de formes entre ces trois partis, que l’on ne peut résumer ici. Alors, la déclaration de 1977 est apparue dans les grands médias, avant tout, comme prise de «distance» affirmée face à l’URSS de Leonid Brejnev (1964-1982) et à son «modèle socialiste». Cela en dehors de «débats» factices sur la «dictature du prolétariat». (Rédaction A l’Encontre)

 

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