Etat espagnol-dossier. «Pour un Pacte de Saint Sébastien du XXIe siècle»

Par collectif de revues

Le 14 avril 1931, la Seconde République fut proclamée, après des élections municipales qui démontrèrent la volonté des peuples de l’État espagnol d’entreprendre un processus de démocratisation de celui-ci tout en intégrant pleinement les classes populaires à la vie civile et politique afin de promouvoir les changements sociaux. L’universalisation véritable du suffrage universel, le début de la reconnaissance d’une nationalité plurielle ou une Grande Charte qui, malgré ses limites, inspira le constitutionnalisme de l’entre-deux-guerres, sont quelques-uns des éléments les plus marquants de la nouvelle période ouverte à laquelle le Pacte de Saint-Sébastien contribua en tant qu’important précédent.

Le Pacte de Saint-Sébastien signifiait un programme commun de la plupart des forces républicaines qui s’opposaient au régime monarchique et à la dictature, unissant dans ce processus une partie de la gauche, des organisations sociales et des syndicats en opposition à un régime élitiste, profondément inégalitaire et ennemi de toutes les revendications nationales et sociales. Cette alliance réussit à établir un bloc social et politique qui, tout en exigeant les droits civils des prisonniers politiques et des exilés, offrait un programme de réformes qui, entre autres, comprenait des ouvertures et des solutions à la question nationale au sein de l’État espagnol. Ainsi, à la crise économique et politique du régime répondait l’espoir d’un changement de cap ibérique alternatif à l’effondrement du capitalisme et à l’autoritarisme de la monarchie. Nous pensons cependant qu’un nouveau pacte de Saint-Sébastien devrait aller au-delà du précédent et offrir un programme social contre la crise et contre l’autoritarisme de l’État.

Vers un nouveau programme républicain et populaire

C’est pourquoi, 90 ans après la proclamation de la Deuxième République, il vaut la peine de reprendre ce désir d’unir différents secteurs sociaux et politiques qui partagent des diagnostics face aux grandes crises du moment. La crise climatique, la crise du centralisme, la crise économique et sociale, sont quelques-uns des apex d’un régime et d’une forme d’État en net déclin moral. La fraude fiscale de la monarchie et la fuite du roi émérite [Juan Carlos Ier] exposent à un niveau encore plus profond la faiblesse du régime. S’il y a dix ans commençait l’effondrement du système bipartite, que la corruption du PP (Parti populaire) et du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) avait fait exploser, aujourd’hui les fraudes du chef de l’État lui-même concentrent la corruption de l’oligarchie dans son ensemble.

Malgré cela, il n’existe pas à l’heure actuelle d’alliance permettant de faire face à la décadence du régime, même s’il existe des tentatives prometteuses dans ce sens. Cependant, il est nécessaire d’unir toutes les forces qui s’opposent au régime, du centre et des périphéries. Cette alliance, en plus d’intégrer toutes les forces politiques, nécessite, pour avoir une force populaire, une confluence en termes sociaux et syndicaux. Incluant dans ce sens tous les désirs de pleine autonomie et de pleine autodétermination; depuis les nations périphériques jusqu’à l’Espagne [démographiquement] désertifiée, «vidée». L’amnistie, l’autodétermination, le revenu de base et un Green New Deal, pensé comme une transition éco-sociale et féministe, incompatible avec le fétichisme de la croissance économique, sont quelques-uns des axes pour une feuille de route commune de lutte qui devrait construire une stratégie pour un bloc républicain. Il s’agit de construire une stratégie partagée entre différents secteurs et mouvements afin d’unir les luttes écologiques, féministes, nationales et sociales dans une nouvelle alternative.

Une stratégie confédérale et démocratique

Le centralisme comporte des aspects économiques, politiques, culturels et écologiques, et c’est pour ces raisons qu’il constitue un problème pour l’ensemble de la population espagnole. Le centralisme constitue une source d’humiliation pour les nations périphériques, pour les territoires désertifiés, «vidés» et pour les municipalités qui veulent davantage d’autogouvernement. Le centralisme est si problématique parce qu’il consiste en une accumulation de pouvoir et de richesse qui empêche que le peuple prenne en main ses propres affaires de manière souveraine. La judiciarisation de la politique et l’autoritarisme de l’État n’ont fait qu’aggraver cette structure centraliste.

C’est pourquoi un nouveau Pacte de Saint-Sébastien doit inclure une alternative complète au centralisme. Cela signifie qu’il faut à la fois aborder le droit à la participation populaire par le biais de référendums et d’initiatives législatives populaires, et le contrôle des fonctions politiques révocables. Outre une proposition pour la démocratisation du pouvoir judiciaire qui propose une réforme du système d’élection du pouvoir judiciaire, afin de garantir qu’il ne devienne pas un pouvoir isolé de tout contrôle populaire qui s’octroie une intervention continue dans le processus politique.

Le référendum sur le droit à décider ou sur une loi régissant l’ensemble du territoire sur le logement représente quelques-uns des exemples qui permettent d’exprimer les volontés populaires, en sorte qu’elles rendent possible un nouveau pacte entre nos peuples. Un pacte démocratique qui modifie la structure de l’État et rende possible sa transformation sociale. C’est-à-dire vers une formulation confédérale et démocratique qui reconnaisse tous les droits et libertés.

En outre, il est vital de dépasser les logiques de participation politique caractéristiques du système représentatif capitaliste et que celle-ci ne se réduise pas à la participation électorale ou même à des référendums spécifiques. Les citoyens doivent pouvoir s’impliquer activement dans les décisions sociopolitiques de leur vie quotidienne et mettre en pratique le mot république avec tout son sens, en tant que chose publique.

Un nouveau contrat social contre la crise du covid

Un an après le début d’une crise économique brutale – avec une baisse de 4,9% du PIB mondial, 250 millions de personnes dans les pays en développement tombant dans la pauvreté tandis que les 651 milliardaires américains ont augmenté leur fortune nette de 30% – il est devenu évident que nos sociétés, telles que nous les connaissons, ne pourront pas continuer à exister dans des conditions capitalistes. Il est nécessaire d’affronter cet effondrement social systémique qui produit des inégalités, une marchandisation et un sous-financement de tout ce qui est public. Et la pandémie, avec toute sa dureté, a été, en outre, une excuse pour quelques-uns d’accumuler davantage encore en dépossédant les majorités, en particulier les femmes qui travaillent. Le processus de démantèlement néolibéral de l’État-providence vise à privatiser de nombreux aspects de la reproduction sociale assumés par le service public. Si, dans cette nouvelle crise, l’offre publique de services de soins est réduite, les femmes seront encore plus contraintes de s’occuper des personnes âgées, des enfants et des malades, ce qui renforcera la domesticité et la féminisation de la pauvreté.

La situation est particulièrement grave dans l’État espagnol, où, même avant la pandémie, nous étions déjà conscients du pouvoir croissant de l’oligarchie. Déjà en 2019, avec le début d’une crise économique qui perdure, 11 000 nouveaux millionnaires ont engraissé ce domaine privilégié, en effet, les 23 personnes les plus riches de ce domaine sélect ont vu leur fortune augmenter de 16%, uniquement au cours du premier confinement, selon le magazine Forbes.

La concentration spectaculaire de la richesse au cours des dernières années contraste avec l’augmentation du coût de la vie, et plus particulièrement du coût de la location d’un logement. De telle sorte que la garantie du droit au logement exige un programme minimum qui, entre autres, comprenne une loi étatique réglementant les loyers. Il faut garantir les droits et en même temps penser la collecte de l’impôt de manière politique et surtout républicaine. C’est-à-dire réfléchir à l’imposition des grandes fortunes, pour mettre fin à la fraude fiscale promue par certains territoires, familles et entreprises. Le syndicat des techniciens du Trésor a déjà dénoncé la réduction de 76% des enquêtes sur les délits de fraude fiscale, un délit financier qui représente chaque année un vol de 91,6. milliards d’euros pour l’ensemble du Trésor et de 31,8 milliards d’euros pour la Sécurité sociale.

Une politique républicaine consiste à construire un bloc politique et social pour faire payer aux grandes familles leur fraude fiscale; de la monarchie à l’IBEX35. Aucun individu ne peut être au-dessus des autres. «La royauté doit céder à la réalité», disait à l’époque José Sánchez Guerra [député aux Cortes républicaines de juillet 1931 à octobre 1933] lui-même.

Un nouveau Pacte de Saint-Sébastien exige donc la participation active de toutes les forces sociales et politiques actives qui voudront une rupture avec le régime dans un sens démocratique et populaire. C’est pour cela que les revues suivantes promeuvent cette déclaration afin de formuler un nouveau pacte stratégique pour le changement qui mette en avant le rôle prépondérant de l’ensemble des classes populaires. (Traduction par Francis Pallares)

Médias qui ont signé ce manifeste: A Xanela, Nortes, Sin Permiso, Sobiranies, Debats pel Demà, Agón, la Realitat, Maig, Viento Sur et Arada

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Du républicanisme d’hier à celui d’aujourd’hui

Par Jaime Pastor et Miguel Urban

Ce 14 avril, nous célébrons le 90e anniversaire de la chute de la monarchie des Bourbons d’Alphonse XIII [1886-14 avril 1931] et de la proclamation de la Seconde République. Un processus qui, comme on le sait, a été le résultat de la victoire des candidats républicains-socialistes dans les principales villes lors des élections municipales tenues deux jours avant et, surtout, de l’irruption du peuple pour célébrer son triomphe dans la rue à Eibar (Pays Basque), à Barcelone (Catalogne) et, plus tard, à Madrid et d’autres villes, aboutissant ainsi à la proclamation officielle de la République espagnole dans la capitale de l’État, à 20 heures.

On a beaucoup écrit sur les énormes espoirs qu’a suscités la Seconde République, sur les conquêtes qui ont été obtenues, sur les divergences entre les différentes forces de gauche, mais aussi sur les obstacles que les droites réactionnaires ont mis en place les années suivantes, jusqu’à aboutir au soulèvement militaire [juillet 1936] et à la guerre civile et à la victoire du franquisme, soutenu par le nazisme allemand et le fascisme italien.

Nous n’avons pas l’intention dans cet article de passer en revue ces événements, mais de revendiquer le fil qui a uni ce jour-là au meilleur de la tradition républicaine qui tout au long du XIXe siècle s’est répandue sur nos terres et qui a fusionné avec d’autres idéaux tels que l’idéal fédéraliste, socialiste, libertaire ou municipaliste. L’expérience de la Première République a été courte, en raison du coup d’État militaire qui a mis fin à celle-ci pour mettre en place la Restauration des Bourbons mais, face à la diabolisation qu’elle a subie par les droites et l’historiographie officielle, elle aussi était pleine d’enseignements.

Aujourd’hui, le républicanisme retrouve tout son sens face à une monarchie corrompue et héritière du franquisme et d’un régime rempli de fissures de tous côtés. Des enquêtes comme celle promue par la Plateforme de médias indépendants il y a quelques mois [voir article ci-dessus] ont confirmé que le rejet de la monarchie continue de se propager, non seulement en Catalogne et au Pays Basque, mais aussi parmi les personnes de moins de 45 ans et les personnes de gauche en général. Au sein du parlement espagnol, les forces politiques qui se déclarent ouvertement républicaines et ne renoncent pas à continuer d’exiger un procès équitable du monarque en fuite, Juan Carlos Ier, et la convocation d’un référendum sur la forme d’État, sont également importantes, bien qu’elles soient minoritaires. Nous connaissons cependant la peur de l’establishment et des partis du régime, y compris le PSOE, de soumettre la monarchie à la justice et au débat public, conscients qu’après la fin du juan-carlismo, l’ouverture de ces processus pourrait mettre à nu tout ce dont ce régime a hérité du franquisme et qu’on a voulu cacher et, surtout, faire oublier avec la Transition [1978].

Face à la phobie de la démocratie de la part du régime, comme nous l’avons écrit dans notre chapitre du livre que nous avons coordonné, A bas la monarchie! Républiques [voir sur ce site l’article publié le 17 novembre 2020 http://alencontre.org/debats/etat-espagnol-debat-un-horizon-republicain-a-propos-de-louvrage-abajo-el-rey-republicas.html], nous devons reconstruire aujourd’hui un nouveau républicanisme qui ne soit pas une simple réaffirmation nostalgique des expériences républicaines passées, mais qui regarde vers l’avenir: il faut revendiquer un républicanisme anti-oligarchique, basé sur une démocratie délibérative et participative, sur la pluri-nationalité et le droit de décider de nos peuples, laïque, confédéral, municipaliste, écosocialiste et féministe. Car, face à la crise civilisationnelle globale à laquelle nous assistons, nous ne pouvons nous limiter à défendre une république qui se borne à substituer la monarchie par l’élection au suffrage universel d’un chef d’État pour installer un modèle présidentialiste qui maintienne intacts les piliers de ce régime et l’oligarchie qui le soutient.

Malgré l’épuisement du cycle ouvert par le 15M (mouvement d’occupation des places commencé à Madrid le 15 mai 2011) il y a près de dix ans, et l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement souverainiste catalan, à travers les expériences vécues par des millions de personnes dans ces mobilisations et autres de la dernière décennie, ce nouveau républicanisme s’est manifesté dans de nombreux forums et d’autres espaces de débat et s’est reflété dans des propositions qui pourraient se concrétiser dans des processus constituants démocratiques.

L’expérience du Pacte de Saint-Sébastien qui a précédé la proclamation de la Seconde République est également réapparue comme référence. Sans l’idéaliser, car elle avait de fortes limites, en raison du poids plus important des forces étrangères à la gauche, nous pensons, comme le postulent différentes revues alternatives, qu’il serait nécessaire de créer les conditions d’un pacte confédéral entre les forces politiques et sociales républicaines qui permettent d’articuler les luttes à venir.

Nous savons également que nous ne pouvons avancer sur cette voie que si nous consacrons tous les efforts nécessaires à la reconstruction d’un tissu associatif de différentes organisations sociales, culturelles et politiques porteuses d’un nouveau républicanisme dans lequel, comme l’écrit David Fernández dans le livre A bas le roi! Républiques, le mot République ne soit pas seulement une forme d’État, mais «surtout une culture politique démocratique, une défense de l’intérêt public et des biens communs et une manière de garantir et de partager l’égalité entre toutes et tous». Par ailleurs, nous sommes convaincus que, si nous voulons éviter le risque de fragmentation des luttes que, par en bas, nous devons promouvoir et soutenir contre l’aggravation des inégalités de toutes sortes et faire face à la menace posée par la montée du bloc des extrêmes droites, tout pas en avant vers cette confluence contribuerait à générer de nouveaux espoirs pour un changement qui sera sans aucun doute républicain.

Sur ce chemin, notre pire ennemi n’est pas l’incertitude du changement, mais la résignation du «on ne peut pas» qui assure la survie de l’ancien régime, qui semble ne jamais finir de mourir. Le moment républicain doit être compris comme une fenêtre d’opportunités non seulement pour arrêter l’hémorragie de la perte de droits, mais aussi comme un tournant historico-politique pour garantir de nouveaux droits et inventer de nouvelles formes de démocratie. Ainsi, face à ceux qui contemplent avec terreur, d’en haut, la crise sociopolitique comme une époque de décadence et s’efforcent de crier «Vive le roi!», nous, celles et ceux d’en bas, devrions contempler la scène, aussi dans tout son aspect dramatique, comme un moment urgent pour une recréation démocratique, pour la redéfinition des logiques de la représentation et pour la subversion de toutes les règles du système social qui nous ont conduits à un tel désastre, nous regroupant toutes et tous sous le slogan «A bas le roi! Républiques».  (Article publié sur le site Viento Sur, le 14 avril 2021; traduction par Jean Puyade)

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