Par Colette Braeckman
«L’indépendance dans trente ans»… Ecrivant ces lignes en 1955, depuis son bureau de l’institut universitaire d’Anvers, Jef Van Bilsen, ne pouvait pas prévoir le séisme qu’il allait provoquer [voir la chronologie en fin de cet article].
La porte ouverte vers l’indépendance
Séisme en Belgique, où le professeur fut traité de fou pour avoir osé imaginer que dans un délai aussi bref ces «grands enfants» de Congolais pourraient jamais être prêts. Séisme au Congo où une brèche s’est soudain ouverte, laissant entrevoir que l’indépendance est désormais possible. En juillet 1956, un petit groupe d’intellectuels congolais, «Conscience africaine» parmi lesquels Joseph Iléo, futur Premier Ministre, et l’abbé Malula, futur cardinal, publie, en termes prudents, un Manifeste réclamant l’«émancipation progressive» et rejetant la politique d’«assimilation» des Noirs, c’est-à-dire l’échelle sociale qu’étaient censés gravir les «évolués».
Un mois plus tard, l’association culturelle et ethnique des Bakongo (Abako : Alliance des Bakongo pour pour l’unification, la conservation et l’expansion de la langue kikongo) publie à son tour un document signé par son président Joseph Kasa Vubu, et réclamant, lui, l’indépendance au plus tôt… Dans la foulée des élections communales de 1957 qui élisent les premiers bourgmestres [maires], les partis politiques apparaissent: l’Abako mise sur la solidarité ethnique tandis que le Mouvement national congolais (MNC), créé en 1958, se veut «supra-ethnique» et rassemble des personnalités de poids: Iléo, Adoula, Makoso, et surtout Patrice Lumumba.
Lorsqu’il rentre de la conférence d’Accra en décembre 1958, où il a rencontré N’Krumah [Premier ministre du Ghana colonisé de mars 1957 à juillet 1960, puis président de la République du Ghana juillet 1960 à février 1966, renversé par un coup d’Etat lors de son voyage en Chine] et Sekou Touré [Président de la République de Guinée depuis l’indépendance«obtenue» de la France en 1958 jusqu’en 1984, date de son décès], Lumumba est transformé [voir article qui suit sur Lumumba] qui: il inscrit la revendication de l’indépendance dans la ligne du combat panafricain, de la solidarité continentale. La même année, à Brazzaville [capitale de la République du Congo dont l’indépendance face à la France est établie en 1960], l’apostrophe du général de Gaulle a été entendue de l’autre côté du fleuve: «ceux qui veulent l’indépendance, qu’ils la prennent».
A Bruxelles, l’Expo universelle de 1958 a représenté l’apogée d’une certaine «Belgique joyeuse» et les pavillons congolais ont été l’illustration de la colonie modèle (même si la police a dû intervenir pour empêcher les visiteurs de jeter des bananes aux indigènes du «village congolais» qui finit par être fermé). Les Congolais, eux, ont retenu qu’en Belgique, les Européens ne sont pas tous des demi-dieux, qu’ils peuvent être pauvres, travailler de leurs mains et se montrer hospitaliers.
C’est le 4 janvier 1959 que Léopoldville explose: à la surprise générale, des émeutes éclatent, les Congolais marchent sur la ville des Blancs, la Force publique ouvre le feu, le soulèvement fait plus de 250 morts. Désormais, entre Blancs et Noirs, un fossé s’est creusé.
Le 13 janvier, le roi Baudouin [1951-1993 prononce la formule qui passera à l’histoire: conduire les Congolais à l’indépendance, «sans atermoiements funestes et sans précipitation inconsidérée».
En réalité, on aura les deux.
Durant toute l’année 1959, tandis que Bruxelles tergiverse, hésite, le Congo se radicalise, de vastes régions échappent à l’autorité, refusent impôts et corvées: l’indépendance, on la veut désormais au plus vite.
Le 20 janvier 1960, convoquée par le ministre des Colonies De Schrijver, s’ouvre la Table Ronde politique. Les Congolais surprennent: arrivés en ordre dispersé, encadrés par des conseillers belges en fonction des affinités politiques de chacun, ils dépassent leurs divisions pour remporter une première victoire, faire libérer Patrice Lumumba alors détenu à Stanleyville [depuis 1966, porte le nom de Kisangani]. Le futur Premier ministre a quitté le Congo menotté, il arrive à Bruxelles en héros et exhibe ses poignets encore bandés.
Le front commun congolais exaucé
Les Congolais, qui constituent désormais un Front commun, poussent l’avantage. Réclamant l’indépendance immédiate – ce qui n’est encore qu’une base de négociations –, ils sont eux-mêmes surpris d’être aussitôt exaucés: ce sera le 30 juin. François Perin, conseiller à l’époque [professeur de droit constitutionnel à l’Université de Liège, puis acteur politique en Wallonie], se souvient: «le socialiste Henri Rolin rêvait du Prix Nobel de la Paix, et, soutenant les Congolais il déclarera “il faudra le 30 juin, remettre toutes les clés au Congo”.»
Les avis du gouvernement belge de coalition (social chrétien-socialiste) sont divisés, les uns parlent de «lâchage», les autres de «pari congolais», l’opinion publique belge – en cette année de remous sociaux [qui se terminera avec la grève générale de décembre 1960-janvier 1961] – est indifférente. Elle ne veut surtout pas se battre pour le Congo.
Par la suite, Justin Bomboko, le futur ministre des Affaires étrangères, comme Albert Kalonji, le leader du Kasaï, se souviendront de leurs doutes: «nous étions inquiets, tout allait trop vite. Même Kasa Vubu flairait le piège. Par la suite, certains d’entre nous demandèrent aux Belges d’y aller progressivement, de commencer par nous associer au pouvoir durant deux ou trois ans, de mettre en place un gouvernement provisoire… Mais il était trop tard, les dés étaient jetés.»
Après avoir écarté l’idée selon laquelle le roi Baudouin pourrait rester à la fois roi des Belges et roi du Congo, ou que son frère Albert pourrait le remplacer là, à l’image de Lord Mountbatten «vice-roi des Indes», les délégués s’inspirent du modèle belge de l’époque: un Etat unitaire, avec des provinces disposant de pouvoirs importants, un régime parlementaire où le Premier ministre est responsable devant un Parlement à deux Chambres. Un président qui, à l’instar du roi, règne mais ne gouverne pas, tout en pouvant révoquer le Premier ministre. Bref, un partage du pouvoir qui satisfait toutes les ambitions, mais préfigure de futurs conflits.
«Indépendance cha cha»
Lorsque la date du 30 juin 1960 est fixée, le chanteur Joseph Kabasele et le guitariste Armando Brazos créent, au club de l’hôtel Plaza à Bruxelles, une chanson qui fera le tour de l’Afrique, «Indépendance cha cha»: «nous avons gagné, c’est l’indépendance que nous venons d’obtenir.» Les délégués à la Table ronde dansent toute la nuit, sur les rythmes de l’African Jazz et lorsqu’il rentre au pays, l’orchestre est porté en triomphe.
Mais les Belges n’ont pas dit leur dernier mot: ils organisent avec soin la Table ronde économique, qui se tiendra de 26 avril au 26 mai. Albert Kalondji se souvient… de son absence: «tous les grands leaders étaient en campagne, nous préparions les élections du mois de mai et avions laissé des jeunes, universitaires encore aux études, discuter des questions économiques. Ce que nous voulions, c’était surtout faire une sorte d’inventaire.»
Les jeunes Congolais sont éblouis par l’accueil: un costume neuf, une voiture avec chauffeur, des égards inhabituels… Un jeune militaire, que son mentor, le colonel Marlière [numéro un des services secrets belge à Léopoldville], a envoyé faire un stage de journalisme à Bruxelles, est désigné pour représenter le MNC: Joseph Désiré Mobutu. Personne ne sait que le jeune homme, qui a la confiance de Lumumba, a été présenté aux Américains par le colonel Marlière en 1958 et qu’il travaille pour la Sûreté belge.
Habiles, les Belges obtiennent la dissolution des «compagnies à charte», les sociétés commerciales, devenues de droit belge, peuvent rapatrier leurs avoirs en métropole, la fuite des capitaux s’accélère, le futur Etat congolais perd sa majorité au sein de l’Union minière du Haut-Katanga. «Lorsque Lumumba devient Premier ministre, les caisses sont vides», assure le politologue Jean Omasombo.
A la veille de l’indépendance et à la suite des élections remportées par le MNC de Lumumba, un «compromis à la belge» prévaut: Lumumba et Kasa Vubu, l’un destiné à être Premier ministre, l’autre à occuper la fonction de président, se partagent les rôles d’«informateur », de «formateur». Il n’y a pas encore de «démineur» à l’époque et Lumumba est finalement investi dans ses fonctions de Premier ministre le 23 juin, in extremis.
Le roi et Lumumba: les discours du 30 juin
Ce jeudi-là, tous les Congolais collent l’oreille à la radio. Le roi Baudouin, au Palais de la Nation [à Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa], prononce les mots attendus depuis si longtemps: «Mon pays et moi-même nous reconnaissons avec joie et émotion que le Congo accède ce 30 juin 1960 à l’indépendance et à la souveraineté nationale.» Auparavant, le roi, évoquant l’œuvre civilisatrice des Belges, met en garde: «c’est à vous, Messieurs, qu’il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance. […] Ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique tant que vous n’êtes pas certain de pouvoir faire mieux.»
A la surprise générale, Patrice Lumumba, dont le discours n’était pas prévu, prend alors le micro et prononce, à l’intention du peuple congolais qui l’écoute d’un bout à l’autre du pays, ces phrases inoubliables: «Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un Noir on disait “tu”, non certes comme à un ami, mais parce que le “vous” honorable était réservé aux seuls Blancs? Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître la loi du plus fort.»
Le roi Baudouin, qui à ce moment s’entretient avec ses conseillers et n’écoute que d’une oreille, pâlit sous ce qu’il considère comme une insulte. Il veut se lever, quitter le Congo, et accepte d’attendre quelques heures… Il ne relève pas que l’après-midi même, Lumumba, à l’intention exclusive des Belges cette fois, prononce un discours dit de réparation. Un discours apaisant, de main tendue, que nul n’écoute et qui n’aura aucun écho. Les Belges n’arrivent pas à croire que ce texte fondateur prononcé par Lumumba, qui solde les comptes de l’ère coloniale et permet de tourner la page, ait pu être écrit par un Congolais. Jean Van Lierde, le fondateur du Crisp [Centre de recherche et d’information socio-politiques], se souvient que le matin même il a apostrophé le Premier ministre à propos du discours de Baudouin: «Patrice, tu ne vas quand même pas laisser passer cela…» Lumumba s’était alors isolé et avait rédigé, entièrement de sa main, le discours qu’il entendait prononcer. Alors que Joseph Kasa Vubu [président de la République du Congo-Léopoldville, de juin 1960 à novembre 1965, évincé par le coup d’Etat de Mobutu, il fut placé en résidence surveillée et décéda, faute de soins, en 1969] parlait, il raturait encore sa copie…
Deux lectures de l’histoire se font face, le sort de Lumumba est scellé: déjà suspect, limité par le partage du pouvoir organisé afin de le contenir, il devient l’homme à écarter. Le soir du 30 juin, les Congolais dansent, les Belges ressassent leur indignation et le général Janssens, qui commande la Force Publique n’a toujours rien compris. D’une grande écriture rageuse, il griffonne sur un tableau noir, à l’intention des soldats congolais «avant l’indépendance=après l’indépendance». Autrement dit: si les ministres ont reçu voitures et maisons, pour vous rien ne changera.
Après la fête, le chaos
Les soldats ne réalisent pas que Lumumba n’est ministre de la Défense que depuis quatre jours et n’a pas de moyens. Ils mettent en cause officiers blancs et nouveaux leaders, se saisissent des armes et attaquent des officiers réunis au mess. Le 6 juillet, les mutins se répandent dans la ville, s’en prennent aux Blancs et à leurs femmes, il y a dans l’air des odeurs de poudre et de chanvre. Radio Trottoir fait le reste, grossissant à l’infini les actes de violence, encore limités, tandis que les Européens, paniqués, se précipitent pour tenter de gagner Brazzaville, de l’autre côté du fleuve.
Patrice Lumumba tente de limiter les dégâts: il décide d’africaniser les cadres, d’augmenter les salaires, charge son ami Joseph Mobutu de calmer les mutins et de prendre la tête de l’état-major, il congédie le général Janssens le 6 juillet et, le 8 juillet, l’Armée nationale congolaise remplace la Force publique. Janssens, le malhabile qui a provoqué le désastre, fuit via Brazzaville et, arrivé à Bruxelles, il s’incline devant la statue de Léopold II et lance: «sire, ils vous l’ont cochonné.» Cet avis est partagé par la plupart des Belges. Court-circuitant la reprise en mains de Lumumba, l’armée métropolitaine, le 10 juillet, intervient en force à Elisabethville où le gouvernement provincial a sollicité une «action préventive».
Aujourd’hui si frileuse lorsqu’il s’agit d’envoyer des militaires au Congo, la Belgique d’alors ne lésine pas: sans que l’avis de Lumumba ait été sollicité, 10’000 hommes au total débarquent au Katanga puis à Luluabourg [aujourd’hui Kananga, chef-lieu du Kasaï-Central], où des Blancs sont évacués et, le 11 juillet, les soldats belges arrivent à Matadi [dans la province du Bas-Congo] et se déploient dans une vingtaine de villes. Quatre navires et des avions de l’armée belge bombardent le camp de la Force Publique à Matadi, faisant plusieurs dizaines de morts.
L’intervention, musclée, est considérée par les autorités congolaises comme un acte de guerre, elle torpille leurs efforts de pacification et, surtout, elle relance l’escalade: d’un bout à l’autre du pays, la violence s’étend, les Belges sont menacés. Dès le 6 et le 7 juillet, la Sabena organise un pont aérien massif, à l’intention de la centaine de milliers d’Européens qui se trouvent encore au Congo. Le 11 juillet, le Katanga se proclame en sécession. Lumumba et Kasa-Vubu se voient interdire de débarquer à Elisabethville [actuellement Lubumbashi, province du Hau-Katanga] alors que, d’une ville à l’autre, ils tentent de rétablir le calme.
Soutenus par deux officiers belges – le commandant Weber arrivé à la tête des parachutistes et le général Cumont –, Moïse Tshombe [président de l’Etat du Katanga du 11 juillet 1960 au 15 janvier 1963, contraint à l’exil], alors le leader du Katanga et son ministre de l’Intérieur Godefroid Munongo croient que l’heure est enfin venue de réaliser un rêve d’indépendance longtemps caressé.
Les tentations séparatistes ne sont pas nouvelles, elles ont depuis toujours été encouragées par les colons locaux et par l’Union minière qui s’empressera de payer ses impôts aux nouvelles autorités. Des officiers belges s’emploient immédiatement à former la «gendarmerie» de Tshombe.
La rupture et les sécessions
A Léopoldville, la réaction ne tarde pas: le 14 juillet, exactement deux semaines après la proclamation de l’indépendance et les serments d’amitié, le Congo rompt ses relations diplomatiques avec la Belgique, demande l’aide militaire de l’Union soviétique et fait appel à l’ONU, afin qu’elle chasse les Belges. Les premiers Casques bleus débarquent deux jours plus tard et adoptent un comportement ambigu.
Auparavant, le gouvernement belge a décrété que les agents territoriaux opérant au Congo pourront être réintégrés au sein de l’administration métropolitaine, ce qui accentue la fuite des cadres et, parallèlement, l’effondrement de l’administration congolaise.
Alors que les autorités congolaises s’efforcent de reprendre le contrôle de la situation, la Belgique garde deux fers au feu: au Katanga, Tshombe présenté comme un ami par le roi Baudouin, est encadré par des conseillers et des militaires belges, mais à Léopolville le colonel Marlière, mentor de Mobutu, ne quitte pas d’une semelle le commandant en chef de l’armée congolaise. En outre, Bruxelles réussit à circonvenir l’ONU, dont le secrétaire général Dag Hammarskjöld [suédois, secrétaire général de l’ONU de 1953 à 1961] refuse d’aider les autorités de Léopolville à reprendre le contrôle du Katanga.
Patrice Lumumba crie à la trahison, appelle l’Union Soviétique à l’aide, ce qui renforce l’obsession d’un «débarquement des Russes» et déchaîne contre lui la presse belge. Sans trop s’encombrer de nuances, la presse belge présente le Premier ministre comme un extrémiste, un dangereux communiste et réclame à son égard «un geste viril».
Début août, le Sud-Kasaï fait sécession, sur un schéma identique à celui du Katanga: la société Forminière, qui exploite le diamant de Bakwanga, «encourage» fortement Albert Kalonji [ce dernier se proclame «empereur des Lubas» et chef d’Etat du Sud-Kasaï en août 1960, puis «roi du Sud-Kasaï», sous le nom d’Albert 1er, sera renversé en 1962, après une période d’exil, rejoindra Mobutu]. Il est déjà en rupture avec Lumumba et a refusé de participer au gouvernement. L’armée congolaise, dirigée par le colonel Mobutu, se lance dans une répression sauvage, qui fera des milliers de morts et aiguisera la haine à l’encontre du Premier ministre qui avait fait confiance au commandant de l’armée.
Fin août, vilipendé par les Occidentaux, trahi par l’Onu, épuisé, sans ressources, ayant déjà échappé à plusieurs tentatives d’élimination dont un empoisonnement organisé par un médecin américain, Lumumba est de plus en plus seul, ses ennemis se sont coalisés pour organiser sa disparition. En septembre, le piège tendu par la Constitution proposée par les Belges lors de la Table ronde se referme: le président Kasa Vubu révoque son Premier ministre et ce dernier, appuyé sur sa majorité parlementaire, destitue le chef de l’Etat.
Appuyé par le colonel Marlière, encouragé par Larry Devlin, l’homme de la CIA, le colonel Mobutu décide que son heure est venue: le 14 septembre, il met les politiques en congé et, rappelant des universitaires encore étudiants en Belgique, qui formeront le «groupe de Binza», il crée le «Collège des commissaires» et ferme les ambassades d’URSS et de Tchécoslovaquie. Les institutions démocratiques ont duré deux mois et demi.
A cette époque, la Belgique n’est pas avare: vingt millions de francs belges ont été mis à la disposition du colonel Marlière par le major Loos, conseiller du ministre des Affaires africaines, afin de payer les militaires et… de neutraliser définitivement Lumumba.
La traque de Lumumba
Le Premier Ministre, qui bénéficie de la légitimité du suffrage universel, est abandonné de tous: alors que ses partisans, sous la houlette d’Antoine Gizenga [après avoir été vice-premier ministre en 1960-1961, crée son gouvernement à Stanleyville sera arrêté, puis en exil, pour devenir entre 2006-2008 Premier ministe du Président Joseph Kabila ], s’organisent et fuient vers Stanleyville (Kisangani), il se réfugie dans sa résidence de Léopolville, d’où il demande la protection des Nations Unies. En réalité, Lumumba est cerné par un double cordon hostile: les Commissaires généraux ont décidé son arrestation et des militaires congolais entourent la maison. A quelques mètres, des Casques bleus, soi-disant neutres, veulent à la fois prévenir l’élimination du Premier ministre et empêcher ses partisans de se réorganiser.
Immobilisé, deux fois prisonnier, Lumumba n’a rien perdu de ses talents. Ayant réussi à convaincre à sa cause les militaires qui l’entourent, il décide de rejoindre ses partisans qui se sont regroupés à Stanleyville et dans la nuit du 27 au 28 novembre 1960, recroquevillé dans le coffre d’une voiture, il réussit à tromper la vigilance des Casques bleus et des troupes de Mobutu.
Au lieu de foncer en direction du Haut-Congo, de déjouer au plus vite les soldats qui le traquent et les hélicoptères que la CIA met à la disposition de Mobutu pour repérer son convoi, Lumumba, qui est resté un homme politique, un tribun, traîne en chemin. Il harangue les paysans qui le reconnaissent et l’ovationnent, il rencontre un colon belge et prend le temps de lui expliquer son combat et, alors qu’il a franchi la rivière Sankuru à Lodja, il n’hésite pas à retraverser le cours d’eau pour attendre son épouse Pauline qui a pris du retard.
C’est l’erreur fatale: le 2 décembre, l’armée congolaise le rattrape, le ramène à Léopoldville d’où il est envoyé au camp militaire de Thysville (aujourd’hui Mbanza Ngungu), gardé par les militaires congolais. A Léopoldville, les commissaires généraux s’inquiètent de l’ascendant du détenu, qui pourrait bien inciter les soldats à se mutiner et convaincre l’ONU de le remettre en liberté. A Bruxelles le ministre des Affaires africaines Harold Charles d’Aspremont Lynden souhaiterait une solution plus définitive. A toutes fins utiles, la Banque centrale pour le Congo belge et le Rwanda Urundi [dès 1925, territoires rattachés au Congo belge] a versé un crédit spécial de 500 millions de francs belges à l’intention des Commissaires généraux, qui ne resteront pas longtemps des étudiants désargentés.
Le dernier voyage
Depuis Bakwanga au Sud Kasaï, Albert Kalonji, malgré la haine qu’il éprouve envers son ancien allié, refuse qu’on lui envoie l’encombrant «paquet». C’est le 17 janvier 1961 que Patrice Lumumba, ses deux ministres Mpolo et Okito, entament leur dernier voyage, en direction du Katanga.
Les pilotes belges du DC4 ferment la porte de communication avec la carlingue et se bouchent les oreilles pour ne pas entendre les cris des suppliciés. Lumumba et ses compagnons sont mourants lorsqu’ils sont jetés de l’avion, emmenés et achevés dans un coin de brousse. Plus tard, un policier belge, Gerard Soete, avouera avoir dissous les corps dans l’acide et conservé deux dents en guise de souvenir.
Le 10 février, le ministre katangais de l’Intérieur Godefroid Munongo annonce officiellement la mort de Lumumba. «L’année 60» est bien terminée, le Congo, qui sera réunifié par la suite, est alors divisé, et compte trois centres d’autorité: Léopolville (Kinshasa), Elizabethville (Lubumbashi) et Stanleyville (Kisangani).
La Belgique a perdu son pari congolais, le Congo, en 1965, sera repris en mains par Mobutu. La dictature durera trente-deux ans. (Article publié dans l’édition des 26-27 juin 2010 du quotidien belge Le Soir. Colette Braeckman, journaliste à ce quotidien, est également l’auteure, entre autres, de Rwanda. Histoire d’un génocide et de L’enjeu congolais. L’Afrique centrale après Mobutu, aux éditions Fayard, ainsi que d’une enquête sur l’assassinat de Lumumba: Lumumba, un crime d’Etat: une lecture critique de la commission parlementaire belge, Aden, 2009).
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Chronologie [établie par Le Soir]
Septembre 1876 Organisation à Bruxelles de la Conférence internationale de géographie, patronnée par Léopold II, qui aboutit sur la mise en place de l’Association internationale pour l’exploration et la civilisation de l’Afrique.
Novembre 1878 Création du Comité d’études du haut Congo. Objectif: la mise en valeur du bassin du Congo.
Novembre 1884 à février 1885 Conférence de Berlin, sous la tutelle du chancelier Bismarck, qui débouche sur l’Acte général de Berlin. Celui-ci garantit la liberté du commerce et de la navigation ainsi que la neutralité du bassin du Congo.
Août 1885 Naissance officielle de l’Etat indépendant du Congo.
[Sur les premières décennies du colonialisme au Congo, Etat propriété personnelle du roi de Belgique Léopold II, le rôle de «l’explorateur» Henry Morton Stanley, l’exploitation brutale de l’ivoire puis du caoutchouc ainsi que la campagne internationale contre ce régime, voir le livre «d’histoire populaire» d’Adam Hochschild, Les Fantômes du roi Lépold, éd. de poche, Tallandier, coll. Texto, 2007 ainsi que le livre de David van Reybrouck, Congo. Une histoire, Actes Sud, 2010]
1887 Création du franc congolais.
1889 Création du premier hôpital du Congo à Boma.
1906 Création de l’union minière du Haut Katanga et de la Forminière.
1908 L’Etat indépendant du Congo est repris par la Belgique, le Congo devient une colonie, dont le sort est décidé à Bruxelles.
1909 Disparition du roi Léopold II
1919 Paul Panda Farnana crée à Bruxelles l’Union congolaise.
1948 Institutionnalisation de la carte du mérite civique
1954 Auguste Buisseret introduit au Congos l’école laïque.
1955 Premier voyage au Congo du roi Baudouin.
1956 Publication du manifeste de Conscience Africaine et traduction en français du plan Van Bilsen, qui prévoit l’indépendance dans un délai de trente ans…
1958 Alors que des Congolais sont invités à l’Expo universelle de Bruxelles, Lumumba, Ngalula et Diomi participent à la Conférence des peuples noirs à Accra (Ghana).
1959 Déclaration royale promettant l’indépendance «sans précipitation inconsidérée et sans atermoiements funestes».
1960 Table ronde politique et économique.
30 juin Proclamation de l’indépendance
11 juillet Sécession katangaise.
8 août Autonomie du Sud Kasaï.
17 janvier 1961 Assassinat de Lumumba au Katanga.
1965 Coup d’Etat de Mobutu, arrivée au Congo de Che Guevara.
1967 Instauration par Mobutu du parti unique, le Mouvement populaire de la révolution, et nationalisation des mines.
1971 Le Congo devient le Zaïre.
1973 La nationalisation s’appelle «zaïrianisation».
1977 Guerre dite «des 80 jours» lorsque des rebelles, anciens gendarmes katangais, attaquent le Katanga depuis la frontière angolaise.
1982 Création du parti d’opposition UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social).
1983-1986 Crise de la dette extérieure et début des programmes d’ajustement structurels.
9-10 mai 1990 Massacre d’étudiants à l’université Lubumbashi et rupture avec la communauté internationale.
24 avril Promulgation du multipartisme et fin du parti unique.
1991-1992 Organisation de la Conférence nationale souveraine, qui élit comme Premier ministre Etienne Tshisekedi, écarté autoritairement par Mobutu.
1994 Chute de Kigali aux mains du Front patriotique rwandais et fuite de deux millions de Rwandais hutus vers Goma et Bukavu.
1996 Début de la première guerre du Congo, lancée par l’AFDL (Alliance des Forces démocratiques pour la libération) soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Retour au Rwanda de 1,5 million de réfugiés rwandais.
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Comment Lumumba est devenu un leader
Par Colette Braeckman
Isaïe Tasumbu Tawosa s’est rebaptisé seul «Patrice Lumumba». Sans diplôme mais curieux de tout, il lutte pour l’indépendance du Congo. Il devient le Premier ministre, avant de connaître une fin tragique… Voici le récit de sa mue en dirigeant.
Isaïe Tasumbu Tawosa, deuxième fils de François Tolenga et Julienne Amatu, a traversé telle une étoile filante le ciel congolais. Lors de sa naissance, probablement en 1925, le village d’Onalua, au Kasaï occidental, est partagé entre deux influences, celle des missionnaires méthodistes de Wembo-Nyama et celle de la mission catholique de Tshumbe Sainte-Marie. Comme ses parents, des villageois très pauvres, accablés par la culture obligatoire du coton et la cueillette du caoutchouc, se disputent souvent, le jeune garçon prend ses distances et se choisit de nouveaux patronymes: Isaïe lui paraissant trop biblique, il remplace son prénom par Patrice. Plus tard, en route vers Stanleyville, il adopte le nom que lui avait donné un cousin de sa mère : Lumumba. Et, admirant un jeune Noir réputé pour son élégance, Hemery Pene Sanga, il choisit ensuite d’ajouter ce patronyme au sien: Patrice Emery Lumumba est né. Reste à se faire connaître.
L’élève rebelle
Dans l’histoire que raconte Jean Omasomobo [1], des milliers de jeunes Congolais de l’époque pourraient se retrouver: un milieu familial presque illettré, des enfants tiraillés entre catholiques et méthodistes, une scolarité difficile, une discipline stricte. C’est ainsi qu’en 5e primaire, l’élève Tasumbu se dispute avec le directeur de l’école méthodiste, car ce dernier n’hésite pas à fouetter ses élèves et à les accabler de corvées. Le jeune garçon préfère lire, plaisanter et corrige ses enseignants lorsqu’au tableau noir il décèle une faute d’orthographe! Chassé de l’école méthodiste, l’élève brillant, mais contestataire, se retrouve sans diplôme. Il quitte son milieu d’origine pour le Maniéma, fin 1943. Avec quelques amis, il prend la direction de Kalima [dans la province de Maniéma] en espérant être engagé par les sociétés minières Symetain ou Cobelmin qui attirent de jeunes paysans, au grand dam des autorités territoriales soucieuses d’éviter le dépeuplement des campagnes. Le jeune homme qui se fait désormais appeler Patrice manque de tout, sauf d’ambition. A Kalima il fait bonne impression et réussit haut la main le concours d’entrée à la Symetain qui l’engage comme vendeur à la cantine de l’entreprise. Il peut enfin s’acheter des chaussures à sa taille et des vêtements neufs.
Après trois mois cependant, le jeune homme est congédié et s’enfuit en direction de Stanleyville, où il adopte définitivement le nom de Lumumba. Il a presque vingt ans et est accueilli chez un parent, Paul Kimbulu, qui l’hébergera durant plus de six ans. Infirmier diplômé, très respecté, Kimbulu habite un quartier appelé «le Belge-I», où se retrouvent la plupart des «évolués».
Une soif de savoir
Le jeune neveu trouve rapidement du travail: coupeur d’herbes, agent aux chemins de fer et enfin employé de première catégorie. En novembre 1944, son premier salaire est de 150 francs, plus une allocation de 75 francs pour le logement. Son oncle n’habitant pas loin des centres scolaires, le jeune employé peut enfin assouvir sa boulimie de savoir: il suit des cours du soir, assure les permanences de la bibliothèque destinée aux «évolués» et dévore des livres. Considéré comme un agent correct, discipliné, Lumumba rattrape à marche forcée son retard en français et remporte haut la main un concours en principe réservé aux diplômés: il est admis à l’Ecole postale de Léopoldville. Durant neuf mois, il suit des cours et, le 20 mars 1948, se classe 3e sur 34 élèves, avec 91,4%. Il retourne alors à Stanleyville et sera mis à la disposition du chef de service provincial des postes.
Cette relative stabilité lui permet enfin de songer à acheter une maison à crédit et de prendre femme. Mais cet homme ambitieux, soucieux de s’élever dans l’échelle sociale, ne trouve pas d’épouse à sa hauteur. Il divorce très vite d’Henriette Maletaua.
Amours tumultueuses
Il s’engage ensuite avec Hortense Sombosia qui ne lui donne pas d’enfant, rencontre Pauline Kie pour laquelle il éprouve bolingo makasi, un amour fort.
Mais la jeune femme ne comprend pas qu’il passe ses nuits à lire et écrire. Malgré la naissance de son fils François, elle cède la place à Paule Opango Onosamba, une très jeune femme venue tout droit du village que Lumumba n’a jamais rencontrée et qui doit tout apprendre. Les disputes sont fréquentes, mais les naissances se succèdent et trois enfants se suivent. Même si, en 1960, Lumumba se rapproche d’une femme plus éduquée, Alphonsine Masuba, il aime Pauline, qui l’accompagnera jusqu’au bout de sa fuite, même si le 30 juin 1960, elle avait refusé d’assister à sa prestation de serment comme Premier ministre car «ses cheveux n’étaient pas en ordre»…
A Stanleyville, s’il se bat pour vivre décemment, pour étudier, pour être en tous points conforme à la définition que les Belges donnent de «l’évolué», Patrice Lumumba veut surtout percer comme intellectuel: il collabore à tous les journaux de la place. Il adhère aussi à l’Association des évolués de Stanleyville (AES) et lors d’une assemblée, en 1951, il glisse ces mots: «Courage et persévérance pour le Congo de demain.» Membre de plusieurs associations, dont l’Apic (Association du personnel indigène de la colonie), il se fait connaître par des écrits et des discours brillants.
Un homme engagé
Il réclame pour les Noirs l’accès à l’enseignement supérieur, prône l’amitié avec les Belges qui, à part le sociologue Pierre Clément [qui s’était vu refuser par l’administration coloniale une étude par sondage sur les «évolués»] avec lequel il se lie d’amitié, se montrent peu réceptifs… Le 5 août 1954, Lumumba, devenu président de l’Amicale des postiers, vit une sorte de consécration: la cour d’appel de Léopoldville lui accorde l’immatriculation ainsi qu’à son épouse et ses enfants. Mais celui qui ne savait pas qu’un jour il serait Premier ministre déclare déjà: «Qu’on soit immatriculé ou non, blanc ou noir, jaune ou rouge, nous avons tous la même valeur et la même dignité humaine: rien ne doit nous séparer en tant que créatures humaines parce que, par essence, nous sommes sociales et descendant d’un même ancêtre commun.»
Alors que la presse belge lui fera la réputation d’un communiste, animé par la haine des Européens, Lumumba se distingue par ses éloges de l’œuvre coloniale. Il décrit Stanley [Henry Morton Stanley 1841-194 «explorateur», aventurier qui reçoit l’appui de Léopold II, roi des Belges] comme un libérateur, couvre d’éloges le nouveau ministre des Colonies, le libéral Auguste Buisseret [ministre des colonies de 1954-1958, considéré comme «réformateur»], qu’il désigne comme «le continuateur de la grande œuvre de Léopold II».
Il rencontre Baudouin
Cependant, à la tête de l’AES, il revendique le droit des «évolués» à être consultés par le pouvoir colonial. Les Belges font la sourde oreille à ces revendications qu’ils jugent «prématurées». Mais en juin 1955, c’est le ministre Buisseret lui-même qui présente Lumumba au roi Baudouin. Les photos de l’époque montrent un souverain courtois, qui écoute attentivement un interlocuteur éloquent, qui a réussi à capter son attention, au point que le gouverneur doit intervenir pour interrompre une conversation qui se prolonge… Cet entretien renforcera le prestige de Lumumba, mais suscitera aussi jalousies et suspicions. Peu après, Lumumba organise chez lui une réception en l’honneur de Buisseret et ce dernier l’invite en Belgique.
Choc frontal
Avoir pris parti pour un ministre libéral, franc-maçon [Buisseret], qui ouvre au Congo un réseau officiel d’écoles non confessionnelles aussitôt appelées les «écoles des enfants du Diable», attire sur Lumubma les foudres des missionnaires. Dès lors, ces derniers ne cesseront de dénigrer l’ancien élève des Frères Maristes.
Sous l’influence de l’Eglise, Lumumba perd la présidence de l’Association des évolués, son caractère vif est décrit comme «emporté»… Lumumba n’a plus aucun crédit sur le plan local: il devient suspect aux yeux des autorités belges et, en mai 1956, le parquet ouvre contre lui une instruction à la suite d’une «plainte pour détournement» dans les caisses de la poste. Jean Omasombo nous dira plus tard que «les évolués qui voulaient répondre aux conditions posées par les Belges (maison, meubles, style de vie) n’avaient aucune chance d’y arriver avec leur maigre salaire. Comment imaginer qu’ils n’aient pas, lorsque c’était possible, essayé de détourner un peu?»
Le 6 juillet 1956, Patrice Lumumba est mis en détention. Il y restera quinze mois. Lorsqu’il en sort, il n’est plus le même homme.
C’est que l’histoire s’accélère: Anton Arnold Jozef Van Bilsen [qui en 1956, dans son plan, demandait une préparation à la décolonisation] a publié son plan de trente ans, le Manifeste de Conscience africaine, l’Abako, une amicale des Bakongo, s’est constituée en parti politique. Lumumba se lance dans la bataille politique et rejoint le Mouvement national congolais qui se crée à Léopoldville le 10 octobre 1958. Lui qui a retrouvé du travail à Léopoldville où il est attaché commercial pour la brasserie Bralima (ce qui lui permet lors de ses meetings de payer des tournées générales…) défend pour le Congo une vision unitaire, qui dépasse les appartenances ethniques.
Libérer le continent…
En outre, son voyage en Belgique à l’occasion de l’Expo 58 lui a ouvert l’esprit, permis de rencontrer des intellectuels comme Jean Van Lierde et le groupe de Présence africaine [qui publie une revue du même nom] qui le branche sur les milieux panafricains. Invité à Accra [capitale du Ghana] avec d’autres «évolués», Patrice Lumumba en revient transformé: son combat pour l’indépendance du Congo se situe désormais dans la perspective de la libération du continent. La conférence évoque déjà les Etats-Unis d’Afrique et la révision des frontières héritées du colonialisme.
A Accra, le jeune tribun a noué de nombreux contacts: les présidents N’Krumah (Ghana) et Sékou Touré (Guinée), Kenneth Kaunda (Rhodésie du Nord), Julius Nyerere (Tanzanie, alors Tanganyika), Holden Roberto (Angola) et deux autres leaders que la mort attendait eux aussi, Roland Moumié (Cameroun) et le syndicaliste Tom Mboya (Kénya). Etaient présents aussi l’écrivain Frantz Fanon et George Padmore [de la Trinité-Tobago, 1903-1959], le père du panafricanisme.
Un droit naturel
Le Kasaïen Albert Kalonji, qui a fondé avec lui le MNC deux mois plus tôt, s’en souviendra toujours: «A son retour, Patrice était métamorphosé, il était devenu beaucoup plus radical et entendait libérer le Congo au plus tôt.» Devant une foule nombreuse à Kinshasa, Lumumba rejette l’autonomie que les Belges préparaient lentement et assure que «l’indépendance, loin d’être un cadeau, est un droit fondamental, naturel et sacré».
Les émeutes du 4 janvier 1959 vont précipiter les choses et amener le roi Baudouin à annoncer que l’indépendance du Congo sera accordée. Dès ce moment, Lumumba se bat pour l’indépendance, fait face, au sein de son parti, à des rivalités personnelles et des dissidences: en juillet 1959, la formation se scinde en MNC [Mouvement national congolais] Kalonji et MNC Lumumba. Lumumba agace ses pairs par son assurance, ses talents oratoires, les relations internationales dont il se prévaut.
A l’issue d’un congrès extraordinaire du MNC, à Stanleyville, en octobre 1959, Lumumba est arrêté. Les Belges espèrent que le remuant tribun tombera dans les oubliettes, mais ils sous-estiment la volonté d’union des Congolais. Lorsque la Table ronde s’ouvre en janvier 1960, ils ont constitué un Front commun. «Nous avions placé à la tête de ce front le syndicaliste Jean Bolikango, le plus modéré de tous, afin de ne pas effrayer les Belges, se souvient Albert Kalonji, et à la grande surprise de ces derniers, nous avons posé comme préalable la libération de Patrice Lumumba.»
Sorti de sa prison de Stanleyville, Lumumba est accueilli en héros et la date de l’indépendance est fixée au 30 juin.
Cinquante ans plus tard, évoquant la mort tragique de Lumumba, assassiné au Katanga avec l’approbation des Belges et des Américains, Jean Omasombo se veut serein: «L’essentiel de son combat avait été mené, il avait dit ce qu’il avait à dire. La mort l’a fait entrer dans la légende…» (Article publié dans le quotidien belge Le Soir, édition du 26-27 juin 2010)
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[1] Jean Omasombo Tshonda et Benoît Verhaeghen, Patrice Lumumba, Jeunesse et apprentissage politique, 1925-1956, Cahiers africains, nos 33-34, Institut africain-Cedaf.
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