Autriche. Kurz «entre la droite traditionnelle et l’extrême droite»

Sebastian Kurz

Par Antoine Malo

A 31 ans, Sebastien Kurz, candidat conservateur chrétien aux législatives de dimanche prochain, incarne le jeunisme politique européen et une ambition sans limites.

A côté de Sebastien Kurz, Emmanuel Macron, 39 ans, passerait presque pour un ancien. Sebastien Kurz, c’est d’abord l’histoire d’un garçon pressé, très pressé. Secrétaire d’Etat à 24 ans, ministre des Affaires étrangères à 27. Chancelier à 31? Les sondages, depuis plusieurs semaines, le donnent invariablement en tête (34% des voix).

Ne pas se fier à son look de président de BDE (assosciation d’étudiants) d’une école de commerce, ne pas se limiter à cette voix encore habitée par quelques accents d’adolescence. Le Wunderwuzzi («enfant prodige», son surnom), fils d’un ingénieur et d’une institutrice viennois, est déjà un vieux briscard. «C’est un killer, brillant et très ambitieux», résume Patrick Moreau, spécialiste de l’Autriche au CNRS. «Kurz, c’est aussi une longue entreprise pour accéder au pouvoi », ajoute l’historien Jérôme Segal, familier des arcanes politiques viennois.

Y songe-t-il déjà quand il adhère à 16 ans aux Jeunesse de l’ÖVP (Parti populaire autrichien)? Cinq ans plus tard, il prend le contrôle du mouvement. L’étoile montante de l’ÖVP, Michael Spindelegger, le prend sous son aile. La carrière de Kurz, qui arrêtera ses études de droit sans obtenir aucun diplôme, prend son envol et en 2011: il se voit offrir le poste de secrétaire d’Etat à l’Intégration. A l’époque, il offre un discours plutôt bienveillant à l’égard des étrangers.

Las, le modèle Kurz 2017 a bien changé. Certes,«il garde l’image de gendre idéal, ne commet aucun dérapage, se montre mesuré et habile», souligne Jérôme Segal. Sur le plan économique, il est toujours libéral. Sur celui des valeurs, c’est un «tradi», défenseur de la famille, lui qui n’a quitté le domicile parental que récemment mais pour s’installer dans le même quartier de Vienne. Sauf qu’il a intégré une dimension ultraconservatrice et nationaliste à son discours, qui correspond d’ailleurs assez bien à ses idées.

Il a ainsi siphonné bon nombre de thèmes du FPÖ, le parti d’extrême droite avec qui il envisage de former une coalition. Une grande partie de son programme, qui reste malgré tout assez flou, prône une politique migratoire très restrictive, un message porteur en Autriche, surtout depuis la «crise des réfugiés syriens« de 2015. En parallèle, il exige la fin des discussions entre l’Union européenne (UE) et la Turquie pour une éventuelle adhésion. «Il s’est frayé un chemin entre la droite traditionnelle et l’extrême droite», poursuit Jérôme Segal. «Il ressemble un peu au Sarkozy époque ministère de l’Identité nationale.»

C’est pourtant davantage à Emmanuel Macron qu’il est associé, et pas seulement à cause de son âge. Lui aussi met en avant la société civile, lui aussi brandit l’étendard de la parité. Il s’est également entouré d’une jeune garde sortie de nulle part qui le vénère et le protège. «Il a construit un mouvement centralisé autour de sa personne, affirme Patrick Moreau. Les gens vont voter non pas pour ce qu’il dit, puisqu’il ne dit rien, mais parce qu’ils pressentent qu’il va donner un grand coup de pied dans la fourmilière politique.» En fait, Kurz a anticipé la déliquescence des vieux partis européens et l’essoufflement de la social-démocratie. L’élection présidentielle de l’année 2016, au cours de laquelle l’ÖVP et le SPÖ (sociaux-démocrates), ces deux grands partis historiques, ont été balayés, l’a convaincu de creuser ce sillon.

Reste que la comparaison avec le président français s’arrête là car Kurz a dû composer avec l’appareil de l’ÖVP, encore très puissant. C’est d’ailleurs là le principal tour de force du jeune leader, investi candidat lors d’un congrès du parti avec 98,7% des voix. «Il a pactisé avec les barons régionaux: il leur laissait leurs prébendes, et eux, en échange, lui donnaient le parti», assure Patrick Moreau. Ils pourraient s’en mordre les doigts. Car Kurz a immédiatement fait campagne en dehors du parti, refusé d’en utiliser le nom, lui préférant, en toute modestie, «la liste Kurz».

S’il l’emporte, il pourrait dynamiter totalement l’ÖVP pour reconstruire un mouvement à sa botte.

A la chancellerie, le chef de la diplomatie ne devrait pas limiter ce jeu de chamboule-tout à la seule Autriche. Ses partenaires européens devraient très vite entendre parler de lui. «Ça va être une horreur», prédit déjà Patrick Moreau. «Il a un discours très violemment antieuropéen, il s’en prend régulièrement à la banque centrale européenne.» Il pourrait notamment se rapprocher du groupe de Visegrad, ces pays d’Europe centrale eurosceptiques. Il affronterait alors frontalement le président français, celui à qui il peut ravir le statut de plus jeune dirigeant d’Europe. (Article paru dans le JDD du 8 octobre 2017)

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