Au moment où un certain désarroi se manifeste dans de larges secteurs populaires du Brésil, face à la vigueur des contre-réformes placées sous l’égide du gouvernement de Michel Temer, une gigantesque occupation d’un terrain urbain est en cours dans la ville São Bernardo do Campo. Quelque 6000 personnes, des sans-toit, occupent des terrains qui constituent les ressources d’une vaste spéculation immobilière. Cette méga-occupation démontre l’actualité d’une réforme conjointe agraire et urbaine. Nous publions ci-dessous la traduction de l’entretien avec Aldo Santos conduit par les rédacteurs du Correio da Cidadania. (Rédaction A l’Encontre)
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Correio da Cidadania: Comment la méga-occupation du MTST (Mouvement des travailleurs sans toit) a-t-elle commencé à São Bernardo do Campo?
Aldo Santos : Le MTST a une logique propre pour rendre ses occupations visibles, qui passe par le choix du terrain adéquat, la préparation de la logistique et l’efficacité dans l’occupation, qui se fait toujours en accord avec les intérêts et stratégies du mouvement. Au sein de cette dynamique, seul un groupe de dirigeants – pour éviter la répression immédiate et «préventive» – a le contrôle sur les pas qui doivent être faits. En réalité, São Bernardo do Campo est une grande ville qui possède de grandes «poches» de terre qui ne sont en général qu’en attente de l’action de la spéculation immobilière.
Correio da Cidadania: Avez-vous participé à la vie quotidienne sur place? Comment les journées de ces familles se passent-elles?
Aldo Santos: J’ai accompagné partiellement le mouvement, mais il y a une forte répression exercée par l’appareil policier et la garde civile municipale. On nous empêche notamment de stationner près du lieu, et les voitures sont amendées illégalement, mises à la fourrière, cela afin de tenter de décourager l’accès au lieu par les habitants de l’occupation. Mais, étonnamment, le mouvement n’a fait que croître et sera certainement victorieux dans un contexte de manque de logements populaires dans la ville, de chômage croissant et de nécessaire socialisation des terres improductives qui, même en milieu urbain, restent aux mains de très peu de propriétaires.
En réalité, il existe une demande, mais elle est comme réprimée par un pouvoir public qui en vient à renoncer à agir et même «désirer» d’agir, alors que sous les gouvernements passés, même le peuple avait pu accéder partiellement à un logement décent. Toutefois, quand les plus démunis essayaient d’occuper un terrain laissé en friche, c’était la troupe de choc de la Garde municipale elle-même qui tirait sans pitié sur le peuple, même en violation de la loi.
Correio da Cidadania: Qu’en est-il de l’épisode du tir qui serait venu d’un habitant d’un immeuble voisin du terrain occupé et qui a blessé une personne. Peut-on voir dans cet épisode un problème de fond?
Aldo Santos : Il y a des politiciens traditionnels dans la ville qui visent à monter la population des immeubles contre l’occupation, en attribuant toute sorte de qualificatifs aux occupants. Les habitants des immeubles ne sont pas des bourgeois, ils ne détiennent pas les moyens de production. Ce sont des ouvriers qualifiés, des enseignants et des métallos qui sont également exploités et dont l’écrasante majorité vit dans un appartement à vendre, et qui n’ont à perdre qu’un petit carnet d’épargne, au plus. Avec l’économie en lambeaux, il y a bien des chances qu’ils se trouvent eux-mêmes bientôt au chômage et également sans alternative.
C’est donc une fausse polémique que de montrer les habitants des immeubles contre les sans-toit, puisque nous constatons que même dans ces appartements nous avons des centaines de personnes solidaires avec les occupants, et qui les aident même par des dons. Ce sont des informations qui doivent être prises en compte par la police dans son travail d’éclaircissement rapide des faits puisque, officieusement et selon des habitants, le tir serait parti de l’un des appartements.
La police ne peut se faire complice de pratiques criminelles, ni faire de distinction sociale, en principe! Ces manifestations de rage irréfléchies ne font qu’augmenter le nombre de participants, preuve en sont les milliers de personnes qui ont participé à la manifestation politique du dimanche 24 septembre. La toile de fond est toujours la même, il s’agit de « typifier » la lutte sociale et de la traiter comme une affaire policière. En réalité, les occupations suivent la croissance du chômage (qui touche près de 14 millions de personnes dans notre pays) et mettent le doigt sur la nécessité urgente d’effectuer les réformes agraire et urbaine.
La croissance d’une ville doit prendre en compte une planification de l’habitat, surtout quand il s’agit d’une ville riche comme São Bernardo, qui a un budget de près de 6 milliards de reais et devrait déjà avoir résolu depuis longtemps ce type de demande «humanitaire».
Correo da Cidadania : Comment décririez-vous le profil de ces familles, afin de nous permettre de comprendre un peu mieux comment on en est venu à une telle occupation?
Aldo Santos : Ce sont des personnes qui habitent dans la rue, qui sont au chômage, qui ne parviennent pas à payer un loyer et que le chômage pousse désespérément vers des solutions tracées par la classe ouvrière elle-même. C’est le contraste qu’il y a entre une ville riche et une ville appauvrie par le système en vigueur, un système qui exclut et qui essaie de pousser le peuple vers la marginalité. Heureusement, quand le pouvoir public ne répond pas aux aspirations effectives de la classe, la classe elle-même montre le chemin de la lutte et de la résistance, celui qui consiste à organiser, occuper, résister et habiter.
Correio da Cidadania : Que représente la massivité de l’occupation par rapport au moment socio-économique dans lequel se trouve le pays?
Aldo Santos: Cette occupation est emblématique des conditions économiques et politiques dans lesquelles vit un pays plongé dans la boue de la corruption et de la séquestration des droits. Dans les villes comme dans les campagnes, la tendance est à l’augmentation de la lutte contre les détenteurs du capital. Ces occupations dénoncent l’état de pénurie dans lequel vivent des millions de travailleurs abandonnés à leur propre sort.
Le nom lui-même de l’occupation, «Peuple sans peur», est important dans un contexte de confrontation avec le gang politique qui a pris possession du pays [dont le président Michel Temer est l’emblème] et qui doit être balayé le plus rapidement possible. Le rôle du MTST, du MST (Mouvement des sans-terre), des organisations de gauche, des partis politiques de gauche et de ceux qui dans la société sont conscients des attaques menées par le gouvernement (gel des salaires, chômage, démantèlement des droits liés au travail, réforme de la prévoyance sociale et autres misères que nous font Temer et ses copains) consiste à barrer au plus vite la route à tout cela. Nous mettons tout notre espoir dans la lutte organisée.
Correio da Cidadania: Le pouvoir public a-t-il dialogué avec les familles de l’occupation? Si cette relation existe, où en est-elle ?
Aldo Santos : Le préfet (le maire) de la ville a affirmé qu’il ne négociait pas avec des «envahisseurs», oubliant ainsi son rôle de gouvernant et faisant preuve de lâcheté face à la «masse humaine» qui est en train de s’organiser autour de cette lutte et d’autres luttes dans la ville. Il est urgent que le préfet, le conseil municipal et les organisations humanitaires cherchent ensemble un chemin permettant d’apporter une solution à une impasse provoquée par la misère sociale.
Quand j’étais conseiller municipal, j’ai participé à d’innombrables occupations et, à l’époque, les maires dans leur grande majorité participaient aux mouvements, accueillant et traitant ceux-ci avec respect et dignité. Nous espérons que l’actuel préfet fera un geste d’agent politique responsable, qu’il ouvrira le dialogue et qu’il présentera une perspective pour le mouvement.
Un appui n’intéresse pas les gouvernants, puisqu’il s’agit d’habitants de la ville et de contribuables qui se trouvent à un moment d’agonie sociale et sont dans l’attente d’une réponse rapide et satisfaisante de la part du pouvoir public.
Correio da Cidadania: Vous êtes un militant qui vit au quotidien dans la ville de São Bernardo et dans ses luttes. Quelle a été l’attitude de la municipalité sous la nouvelle gestion d’Orlando Morando, du PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne), lui dont les discours rappellent ceux de João Dória (maire de São Paulo, membre du PSDB), une figure connue maintenant sur le plan national ?
Aldo Santos: Le profil du maire Orlando Morando est semblable à celui de la capitale João Dória, qui pense plus à renverser Geraldo José Rodrigues Alckmin (l’actuel gouverneur de l’Etat de São Paulo, du même parti) qu’à s’occuper de la campagne nationale et à administrer la ville de São Paulo. A São Bernardo, il suffirait au préfet de se déguiser en sans-toit, de dormir dans le campement sous une bâche de plastique noir lorsqu’il fait froid comme lorsqu’il fait chaud pour sentir effectivement l’agonie de ses semblables. Depuis quarante ans, ce terrain occupé ne fait que remplir une fonction spéculative et non sociale.
Le préfet vient maintenant criminaliser les habitants de zones non-occupés qui sont comme ceux de la zone des quartiers Pos Balsa, occupés dès le XVIe, et qui sont intégrés à la zone de Riacho Grande. Il limite le droit d’aller et de venir, ce qui démontre l’absence de projet en direction d’une population si importante. Ainsi, la ville voit les choses se dégrader chaque jour en ce qui concerne l’accès aux soins, l’éducation, le logement, la mobilité urbaine, sans mentionner le fait que la préfecture a repris le terrain où se trouvait le bâtiment presque terminé de l’IMASF (Institut municipal d’assistance à la santé des fonctionnaires) prévu pour devenir un hôpital destiné aux employés municipaux.
Correio da Cidadania: De façon plus générale, que voyez-vous pour le Brésil dans les temps à venir, en termes de tensions sociales et politiques?
Aldo Santos: Face à tous ces coups qui vont jusqu’à la menace d’intervention militaire par un certain général, l’histoire de notre peuple a toujours été une histoire de luttes et de résistance. Il n’en ira cette fois pas autrement. Je pense que nous devons opérer un grand nettoyage dans ce pays, en chassant les corrompus du pouvoir, en empêchant les voleurs du pouvoir public de sévir dans leurs relations autant publiques que privées, en organisant le peuple pour la confrontation nécessaire et en avançant définitivement vers la construction d’une nouvelle société libre, démocratique, égalitaire et socialiste. Et surtout révolutionnaire! (Entretien publié sur le site Correio da Cidadania en date du 21 septembre 2017; traduction A l’Encontre)
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Aldo Santos est professeur, militant et ex-conseiller municipal dans ce pôle industriel brésilien historique qu’est São Bernardo do Campo qui compte environ un million d’habitants.
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