Histoire. Les prodromes de la Révolution allemande (1917-1918) et Richard Müller

Ouverture du Congrès des Conseils ouvriers et de soldats, en novembre 1918, avec allocution introductive de Richard Müller (1880-1943)

Ecrits de Richard Müller et
de la police politique de Berlin. Introduction au dossier par Charles-André Udry

Au milieu de l’année 1916, Richard Müller, dirigeant syndical des métallos de Berlin, se trouvait – dans une conjoncture socio-politique dont les difficultés importantes s’étaient manifestées lors de la Conférence des militants syndicalistes d’entreprises en avril 1915 – sur une orientation qu’il résumait ainsi: «Nous ne voulons pas et nous ne pouvons pas discuter de ce qui se passe à l’extérieur [la guerre, la politique militaire du pouvoir, les mesures répressives]», il faut mettre l’accent sur ce qui se passe dans les entreprises. A cette occasion, Richard Müller traduisait, sous cette forme, la division «classique» entre «l’action économique» réservée aux syndicats et celle «politique» qui devait être le fait de la social-démocratie.

Toutefois, R. Müller – une figure emblématique de ces «hommes de confiance» (Obleute) syndicaux dans les entreprises – se prononça contre l’interdiction du droit de grève et en faveur d’une opposition à «l’Union sacrée»: la célèbre Burgfrieden qui imposa, dès le 2 août 1914, le slogan «il n’y a plus de partis, il n’y a que des Allemands», une position très majoritairement partagée parmi les députés sociaux-démocrates au Reichstag.

Cette position de 1915 et 1916, très diffusée dans un court opuscule, n’abordait la question de la guerre que sous l’angle de ses répercussions économiques (salaires, organisation du travail dans le cadre de la production pour la guerre). Il pensait, comme beaucoup d’autres militants combatifs, que la guerre serait passagère.

Richard Müller disposait d’une audience notable parmi les travailleurs de la métallurgie de Berlin, ce qui traduisait, dès le début 1916, une opposition effective, dans de larges secteurs, à la Burgfrieden, à l’interdiction du droit de grève et aussi aux méthodes de production de type tayloriste (liées à la production de guerre). Lors du Congrès de mars 1916 du DMV (Deutscher Metallarbeiter-Verband), de la région de Berlin, il fut invité à prendre la direction à la place d’Adolf Cohen. C’était le résultat de son activité militante et de ses interventions qui entraient en syntonie avec un sentiment analogue parmi les métallurgistes. Pourtant, il refusa cette charge, non seulement car il pensait que ce poste (avec ses positions) en ferait une cible plus aisée pour la répression étatique et militaire, mais aussi car il maintenait une certaine confiance, y compris à ce moment, dans les dirigeants des appareils syndicaux. En 1919, dans un de ses articles, il indique qu’il pensait alors (en 1916) que ces appareils continuaient à jouer un «rôle favorable pour la défense du prolétariat». Il reconnut, a posteriori, que ce fut une erreur de permettre la réélection d’Adolf Cohen. En effet, ce dernier ne fut réélu que par un tiers de délégués, avec une abstention des deux tiers.

Sur ce tournant politique, il est possible de se référer à son ouvrage datant de 1924: Vom Kaiserreich zur Republik: en Beitrag zur Geschichte der revolutionaren Arbeiterbewegung während des Weltkrieges (réédité en 1979). En effet, cette erreur aboutit à la nécessité d’une structuration de l’opposition très en marge du DMV, alors qu’il eût été possible, en mars 1916, d’en prendre la direction avec une base solide, ce qui aurait pu changer la situation syndicale et politique en 1917-1918.

Il faut aussi avoir à l’esprit que le mouvement ouvrier allemand, depuis 1905, avait débattu de la grève de masse active, suite à la révolution russe de 1905. L’écrit de Rosa Luxemburg sur la Grève de masse, le parti et les syndicats en est l’expression la plus claire (Massenstreik, Partei und Gewerschaften, Verlag von Erdman Dubber in Hamburg, 1906, in Rosa Luxemburg Gesammelte Werke, Band II, pp.91-170). Y compris, alors, Eduard Bernstein n’y était pas opposé, mais la concevait comme «moyen de défense» face à «une attaque brutale».

Or, c’est dans un contexte où la rudesse des effets socio-économiques de la guerre explosa que, dès juin 1916, avril 1917 et janvier 1918, des grèves combatives éclatèrent. Il est utile d’en saisir la «nouveauté» portant sur des thèmes qui ne répètent pas ceux du passé, du moins dans des traits forts. Il ne s’agit plus de grève pour obtenir le suffrage universel, comme en 1906 en Belgique. Ces grèves indiquent de manière embryonnaire qu’elles débouchent sur le problème du pouvoir politique et de la place des «conseils ouvriers» (Räte) dans ce processus. C’est ce qui ressort de l’écrit de Richard Müller publié ci-dessous: «La deuxième grève politique de masse». Richard Müller a analysé ce processus dans son ouvrage Eine Geschichte der Novemberrevolution, publié en 1924/1925. Le texte publié ici fait partie du chapitre 14 de cet écrit. Ne pas prendre en compte de tels évènements et leur élaboration, leur synchronie avec les bouleversements dans la Russie tsariste et la réflexion suscitée parmi des militants ouvriers, dans l’Allemagne du Kaiser Wilhelm II, et vouloir traiter de «notre révolution russe» traduit un léger strabisme politique et historique. (Udry Charles-André)

*****

Allemagne. La deuxième grève politique de masse

Par Richard Müller

En janvier 1917, dans plusieurs villes, la ration de pommes de terre de dix livres dut être réduite à trois livres. (…)

L’amertume dans les entreprises était énorme. L’action que la faim n’avait pu réaliser, les patrons la favorisèrent par leurs mesures brutales concernant les salaires et les conditions de travail, d’autant plus que la nouvelle loi sur le service auxiliaire du travail leur assurait mains libres et protection. [Une première grève politique avait eu lieu en juin 1916 pour protester contre l’arrestation de Karl Liebknecht le 1er mai 1916, suite à un discours enflammé contre la guerre. Une grève qui avait pour thème la revendication de la paix. Réd. A l’Encontre»]

Le 15 février, le gouvernement dut annoncer par voie de presse un nouvel abaissement d’un quart de la ration de pain à compter du 16 avril.

(…) Les masses ouvrières étaient si tendues, qu’il suffisait de la moindre étincelle pour déclencher l’action. Déjà, ici ou là dans les quartiers ouvriers de Berlin, des boulangeries et des boucheries aient été pillées.

A la situation économique s’ajoutaient les évènements politiques, qui eurent un puissant effet sur les masses ouvrières. Le Reichstag avait approuvé la guerre sous-marine. (…) Les ouvriers voulaient la paix. Ils pensaient que cette façon de mener la guerre ne ferait qu’augmenter le nombre des ennemis de l’Allemagne et prolonger la guerre.

Les nouvelles de Russie étaient également suivies très attentivement. Lorsqu’en mars parvinrent les premiers récits des combats de rue à Saint-Pétersbourg, et que peu après on annonça la chute du tsar de Russie, les ouvriers furent remplis d’un nouvel espoir. Dans de très larges cercles on prit conscience que cela était également la seule issue en Allemagne pour la classe ouvrière.

La direction berlinoise des délégués d’usines révolutionnaires observait avec une grande tension le mouvement dans les entreprises. La direction était assaillie de demandes pour qu’elle donne le signal de la grève. Mais elle avait conscience que dans les conditions actuelles, on ne pourrait pas se contenter d’une grève de protestation d’une journée, que la grève allait aussi déchaîner toutes les forces hostiles, qu’elle ne se terminerait pas par une victoire, mais ne pouvait être qu’une étape vers d’autres combats plus importants.(…)

Dans ce combat, il fallait aussi neutraliser le contre-feu de la direction syndicale. Celle-ci avait certes perdu en influence sur les masses et les cadres syndicaux, mais des années de pratique de combats syndicaux de masse lui avaient également enseigné comment venir à bout de situations critiques.(…)

Les dirigeants syndicaux voyaient bien qu’on ne pouvait plus longtemps entraver le mouvement. Il fallait offrir une soupape à cette tension inouïe. Ils décidèrent d’appeler à des conférences et des assemblées, au cours desquelles les ouvriers pourraient laisser libre cours à leur colère. Mais ce moyen qui leur avait souvent réussi dans le passé ne suffisait plus. Ils n’ignoraient pas non plus l’activité des délégués révolutionnaires dan les usines et durent faire contre mauvaise fortune bon cœur.

La direction des délégués révolutionnaires avait bien compris les intentions des dirigeants syndicaux. Si l’on voulait faire prendre au mouvement une dimension politique et réduire à néant le jeu de la direction syndicale, il fallait, avant même la grève, contraindre les dirigeants syndicaux à s’expliquer dans un débat ouvert, afin que les masses voient clairement quel devait être le but de la grève.

Une occasion très favorable s’ouvrit lors de l’assemblée générale des métallurgistes de Berlin, qui tombait le 15 avril. Toutes les entreprises étaient représentées.

Il y avait bien, à l’origine, d’autres points à l’ordre du jour, mais il fut aisé d’obtenir une modification. Il s’agissait de replacer la situation économique dans son contexte politique, d’émettre certaines revendications politiques et de parvenir à une décision de grève. Une grève politique de masse, décidée par la plus haute instance du plus important syndicat de la région, ne pouvait manquer de prendre une dimension considérable, produisant un effet très important, non seulement sur le gouvernement et la bourgeoisie, mais aussi sur tout le mouvement ouvrier.

Deux jours avant l’assemblée générale, Richard Müller fut arrêté et emmené dans le camp militaire de Jütterborg.

Les dirigeants syndicaux savaient que Richard Müller dirigeait le mouvement et ils craignaient son influence. Maintenant qu’il était neutralisé, Adolf Cohen, le dirigeant syndical régional, put pousser tout le mouvement vers le seul aspect «économique». Il ne put empêcher le déclenchement de la grève, car cela avait déjà été décidé auparavant par les délégués révolutionnaires. Mais il manquait à la grève le contenu politique, et c’est ce qui pesa le plus. Les grévistes ne comprenaient pas bien l’arrière-plan politique de leur action, et ne posèrent pas de revendications politiques. Ils acceptèrent les propositions de Cohen, notamment l’élection d’une conférence de délégués, chargée de négocier avec les autorités un meilleur ravitaillement des ouvriers.

Lorsque l’assemblée générale apprit l’arrestation de Richard Müller, elle exigea sa libération et voulut poursuivre la grève jusqu’à l’obtention de cette revendication. C’est en vain que Cohen tenta d’émousser cette revendication. Mais il parvint à détourner le danger en utilisant tous les rouages de sa longue expérience pour faire voter à la fin de l’assemblée une résolution par laquelle l’assemblée générale se dessaisissait de la direction de la grève et transmettait ses pouvoirs de décisions à une commission de délégués proposée par Cohen. Adolf Cohen avait gagné la partie.

Passeport au nom de E. Barth,pour les Conseils d’ouvriers et soldats signé par Richard Müller

La grève prit une ampleur inattendue. D’après le syndicat de la métallurgie, 300 entreprises y participèrent, et plus de 200 000 grévistes furent recensés. Mais l’expérience enseigne qu’une partie des grévistes ne se fait pas recenser, il n’est donc pas exagéré de parler de 300 000 grévistes. Des manifestations de rue se formèrent, et la police se comporta avec beaucoup de retenue, de sorte qu’il n’y eut pas d’incidents sérieux.

L’après-midi du premier jour de grève, la commission de délégués fit le compte rendu des négociations avec le commissaire au ravitaillement du gouvernement. Le commissaire avait déclaré que le ravitaillement était assuré, et que dans les prochaines semaines, il y aurait à nouveau plus de viande, de pain et de pommes de terre. Il se déclara également d’accord pour que la commission de délégués désigne une commission permanente chargée d’assister le maire de Berlin, qui lui-même se déclarait prêt à l’écouter et à la tenir informée.

La commission des délégués fut tout d’abord indignée des maigres résultats de la négociation, mais Cohen parvint à les présenter sous un meilleur jour, et la commission finit par donner son accord. Comme le réclamait Cohen, il aurait alors fallu mettre fin à la grève, mais l’assemblée générale avait exigé la libération de Richard Müller. La commission des délégués ne pouvait ignorer cette revendication; malgré tous les efforts de Cohen, elle décida donc la poursuite de la grève.

Le lendemain, la commission rendit compte des négociations avec le quartier général. Il lui avait été indiqué que l’incorporation de Müller était réexaminée, et si « du point de vue des intérêts de l’armée, sa libération pouvait apparaître possible », elle aurait lieu pour peu qu’une entreprise travaillant pour la guerre le réclame. Le quartier général avait par ailleurs ajouté que s’il était mis fin immédiatement à la grève, personne ne serait appelé sous les drapeaux pour fait de grève.

La commission présenta le résultat des négociations avec le quartier général sous un jour beaucoup plus favorable qu’il ne l’était en réalité. Malgré tout, une forte opposition s’éleva au sein de la commission pour réclamer la poursuite de la grève.

Dans les entreprises, le rapport concernant les promesses de ravitaillement avait déclenché une forte indignation. En outre, des dirigeants de l’USPD et de la ligue Spartakus avaient fait connaître dans toute une série d’entreprises les revendications politiques des ouvriers de Leipzig (1). Malgré tout, Cohen parvint à faire voter à une courte majorité une décision d’interruption de la grève.

Dans la plupart des entreprises, le travail reprit le lendemain. Plusieurs grandes usines, dont celles de la Deutsche Waffen-und-Munitionsfabrik, poursuivirent la grève, voulant imposer les revendications politiques des ouvriers de Leipzig. Le mouvement y prit un caractère révolutionnaire, et engloba environ 50 000 ouvriers. Même dans les entreprises qui avaient accepté la décision de la commission des délégués, le nombre des grévistes mécontents de l’arrêt de la grève était considérable. Si le mouvement s’arrêta à mi-chemin, c’est seulement parce qu’Adolf Cohen avait réussi à dessaisir l’assemblée générale de la direction du mouvement, et parce qu’il était parvenu à neutraliser l’assemblée générale. La colère des ouvriers se tourna donc également contre les dirigeants syndicaux, ce qui s’exprima très fermement dans les réunions et dans les tracts (2). Quelques jours plus tard, les entreprises encore en grève durent reprendre le travail. Les usines de la Deutsche Waffen-und-Munitionsfabrik furent placées sous direction militaire.

_____

(1) Les revendications des grévistes de Leipzig avaient pris un tour nettement plus politique. Richard Müller les cite:
« 1- Ravitaillement suffisant de la population en subsistances bon marché et en charbon.
2- Déclaration du gouvernement affirmant sa disponibilité immédiate à la paix, sans annexions ouvertes ou dissimulées.
3- Levée de l’état de siège et de la censure.
4- Levée immédiate de toutes les limitations aux droits de coalition, de réunion et d’organisation
5- Abrogation immédiate de la honteuse loi sur le travail forcé.
6- Libération immédiate des condamnés et emprisonnés politiques. Arrêt de toutes les poursuites pour raisons politiques.
7.- Liberté politique totale, suffrage universel, égalitaire secret et direct pour toutes les élections aux niveaux national, régional et communal. 
»

(2) Richard Müller cite le tract suivant :

«Nous avons été trahis !

Camarades,

Les dirigeants syndicaux nous ont joué un tour criminel. Les Cohen et Siering ont depuis le début mené les choses de façon telle qu’ils se sont approprié notre mouvement pour le pousser sur une voie de garage. Le camarade Müller, dont les magouilleurs craignaient l’influence, a été dénoncé à l’autorité militaire, afin qu’elle le neutralise en l’incorporant à l’armée. C’est ainsi qu’il a été possible d’étouffer notre imposant mouvement de grève. Que nous ont-ils rapporté de ces négociations, qui n’étaient qu’une comédie préparée d’avance ? Rien que de vaines promesses concernant le ravitaillement, et au lieu de la libération du camarade Müller, la promesse tout aussi vaine d’examiner son cas. C’est quand notre puissance a commencé à se faire sentir qu’ils sont parvenus à briser notre force.

Honte aux traîtres ! Camarades, tirons-en les leçons ! ne nous laissons plus imposer des dirigeants qui en prennent si honteusement à leur aise avec nous et nos intérêts. Il nous faut des camarades qui s’engagent pour nous sans crainte. C’est alors seulement que nous serons en mesure d’imposer nos revendications, comme y sont parvenus nos frères ouvriers de Brunswick, de Kiel et d’ailleurs.

Maintenons fermement nos revendications.
Nous voulons le pain, la liberté, la paix. 
»

(Texte français publié dans la Revue trimestrielle du cahier du mouvement ouvrier par le CERMTRI (pp. 117-122)

*****

Courrier du 23 février 1917 du préfet de police de Berlin au quartier général et au ministère de la Guerre sur les grèves dans les usines d’armement de Berlin

Le préfet de police de Berlin

Au commandement général de la région.
Au ministère de la Guerre,

Berlin, le 23 février 1917

Veuillez trouver ci-joint un rapport de mes services extérieurs sur les raisons des arrêts de travail de plus en plus nombreux ces derniers temps dans les entreprises travaillant pour l’armée ainsi que l’expertise à ce sujet du conseiller Schmidt, de mes services. Si celui-ci attribue le mécontentement réellement existant des travailleurs aux conditions de vie actuelles, des constatations récentes amènent à penser que cela n’explique pas totalement ces arrêts de travail. Il semble que des raisons politiques aient joué un rôle non négligeable dans ce mouvement. Les ouvriers du Grand Berlin se situent politiquement aux côtés de la social-démocratie radicale. Ils sont pour une bonne part adhérents du groupe Spartakus, dont le guide idéologique est Karl Liebknecht. Ce groupe tend de toutes ses forces à mettre fin à la guerre par des troubles intérieurs, et particulièrement par la grève générale. Son influence est particulièrement sensible au soin des ouvriers métallurgistes, et il est donc permis de penser que les mouvements actuels des ouvriers sont aussi dus à ce travail d’agitation. Compte tenu des bons résultats obtenus par l’appel sous les drapeaux des ouvriers fauteurs de trouble avant la promulgation de la loi sur le service patriotique d’entraide, je me demande si, pour étouffer ces mouvements hautement nuisibles au bien public, il ne faudrait pas avoir recours aujourd’hui au même procédé.

Von Oppen

_____

Section VII services extérieurs
5e Bureau

Berlin, le 19 février 1917

Travail de sape dans les usines de munitions du Grand Berlin

Dans le cours de la guerre, en raison du travail de sape intensif de certains éléments sans conscience, l’état d’esprit des ouvriers métallurgistes organisés syndicalement dans les usines de munitions du Grand Berlin a connu une radicalisation dangereuse. Etant donné les nombreux arrêts de travail intervenus ces derniers temps, et étant donné également que dans presque toutes les grandes entreprises le personnel, majoritairement radical, s’est fixé pour but la réduction de plus en plus grande du temps de travail, il existe le danger qu’à l’avenir, les usines de munitions locales ne puissent plus assurer les livraisons du matériel de guerre indispensable en quantité suffisante et dans les délais.

A la suite de contacts confidentiels avec différents ouvriers syndicalistes des usines d’armement, et de contacts officiels avec plusieurs chefs des grandes entreprises locales, le soussigné a pu établir ce qui suit :

A l’heure actuelle, presque tous les responsables du syndicat allemand des métallurgistes (délégués du personnel et délégués d’atelier), qui ont l’oreille de l’ensemble du personnel des usines, sont des partisans politiques de l’opposition et, pour une grande part, sont membres du groupe appelé Spartakus, dont le mot d’ordre est de mettre fin à la guerre en refusant de travailler. Au cours de l’année dernière, à l’initiative de ces syndicalistes, un grand nombre d’assemblées d’usine ont eu lieu dans le Grand Berlin, au cours desquelles ont été formulées des revendications les plus éhontées les unes que les autres, et ces revendications ont été en partie obtenues par les grèves. Ce mode d’action a fait grimper les salaires à l’infini. Les ouvriers qualifiés, ajusteurs, tourneurs, mouleurs, servants de machines, etc., parviennent déjà à un salaire journalier de 15 à 22 marks pour une journée de travail de neuf heures en moyenne. Malgré tout, les revendications continuent. C’est ainsi que dans l’usine Berliner Maschinenbau-Aktiengesellschaft (ex-L. Schwarzkopf), située au 13-28 Scheringstrasse, environ 700 ajusteurs et tourneurs avancent une nouvelle revendication salariale. Ils exigent une augmentation du salaire horaire allant jusqu’à 30 pfennigs, alors qu’ils touchent déjà 18 à 22 marks par jour pour neuf heures de travail. Comme l’entreprise a rejeté cette revendication insensée, les 700 ouvriers sont en grève depuis samedi le 10 de ce mois, de sorte que la fabrication des torpilles dans cette usine importante est paralysée depuis cette date. Dans cette même entreprise, le 3 de ce mois, à l’initiative des éléments radicaux, environ 2900 ouvriers ont mené une grève, soi-disant en raison des difficultés d’approvisionnement, avec manifestation en direction des instances de l’Etat, de sorte que la production de torpilles a été réduite de trois unités. Cette même agitation radicale a mené à une situation semblable dans les usines Deutsche Waffen-und-Munitionsfabrik Charlottenburg et Wittmann. Ces mêmes actions sont également suivies dans d’autres grandes usines de matériel de guerre.

L’ajusteur Max Janick, demeurant Pankstrasse 44, est membre depuis quinze ans du syndicat de la métallurgie et membre de longue date du Parti social-démocrate. Il a osé, lors d’une assemblée d’usine, s’opposer publiquement, par une résolution qu’il avait lui-même rédigée, aux menées des éléments radicaux, ce qui lui a valu des représailles de ces derniers.

Je joins, pour information, une copie de son courrier de justification adressé à la direction berlinoise du syndicat de la métallurgie.

Devant la puissance dont font preuve ces « syndicalistes radicaux » – même les dirigeants syndicalistes berlinois Cohen et Siering sont impuissants et doivent se soumettre à ce pouvoir, car ils doivent leur mandat à ces cadres syndicaux, et il y va donc de leur réélection. De sorte que le secrétaire adjoint Siering agit maintenant tout à fait dans l’esprit de ces militants radicaux, et dans les différentes assemblées d’usine, il se prononce également pour la réduction du temps de travail et l’augmentation des salaires, gagnant ainsi la sympathie des éléments radicaux. Il est hors de doute que l’industrie de guerre est entravée par ces agissements inconsidérés, et que l’ordre ne reviendra pas dans les usines d’armement tant que les éléments radicaux n’auront pas été empêchés de nuire, tout d’abord peut-être par l’incorporation des meneurs dans l’armée. Avec la collaboration des directions d’entreprise et en faisant appel à des aides confidentiels, il sera possible de mettre fin peu à peu à cette agitation. Une dernière remarque : lorsqu’à l’époque des manifestations en faveur de Liebknecht, nous avons eu affaire à une campagne incessante de tracts haineux, les agitateurs ont été en partie incorporés dans l’armée, en partie arrêtés ; nous avons procédé à une action préventive dans les usines, et ces mesures ont fait l’effet d’un choc électrique sur les ouvriers, de sorte qu’une longue période de calme s’ensuivit dans les entreprises. Mais dès que ces mesures ont été levées et que notre action fut oubliée, le travail de sape a repris jusqu’à atteindre aujourd’hui un dangereux point culminant.

Meier, brigade criminelle

Reproduit dans Dokumente und Materialen zur Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung.
Band 1, pp.554-557.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*