Allemagne. Die Linke, parti que tant de gens craignent, et son humeur de gouverner

Par Sebastian Puschner

Susanne Hennig-Wellsow est en train de parler sur scène lorsqu’une femme dans le public répond à son téléphone portable, se couvrant l’autre oreille avec sa main contre le bruit de fond. Elle se faufile entre les rangées de spectateurs jusque dans le couloir. Elle chuchote dans le téléphone: «Ça n’a même pas encore commencé.» L’intervention de Susanne Hennig-Wellsow avec la ministre des Affaires sociales de Die Linke de Thuringe, Heike Werner, dure depuis 15 minutes.

Mercredi soir de la semaine dernière, à Weimar, Die Linke était en campagne électorale. Un parti face auquel beaucoup – d’Armin Laschet [candidat de la CDU/CSU] à Paul Ziemiak [secrétaire général de la CDU] – commenceront, le week-end, à trembler. «Nous devons mettre en œuvre ce que nous revendiquons», clame Susanne Hennig-Wellsow, réaffirmant ce qu’elle a dit en prenant la présidence fédérale de Die Linke en février 2021, à savoir qu’elle a «vraiment envie de gouverner». Elle trouve que la «campagne des chaussettes rouges» [dénonciation du danger représenté par «l’extrême gauche» – alliance du SPD et du PDS, issu lui du SED –, tactique électorale qui remonte aux élections fédérales de 1994] de la CDU/CSU est «totalement favorable pour nous» et qu’il n’y a désormais plus d’autre option de coalition que celle noir-vert (CDU, Grüne). «Nous y travaillons depuis février. Qui aurait cru que nous pourrions faire ça?»

Une prestation de Sahra Wagenknecht

Avec six ou sept pour cent dans les sondages pour Die Linke, il s’agit là d’une vision audacieuse des choses. C’est peut-être pour cela que ce silence absolu s’installe sur la place de l’Unesco de Weimar, bien remplie, lorsque la candidate directe au Bundestag local, Susanne Hennig-Wellsow, a quitté la scène. Mais probablement que le silence exprime plutôt que les 700 à 800 personnes ici présentes n’arrivent toujours pas à croire ce qui arrive et qui arrive maintenant: d’abord Sahra Wagenknecht, puis Oskar Lafontaine, le couple de la Sarre intervenant pour soutenir la campagne électorale d’une dirigeante en place de parti. Die Linke n’a pas vu cela depuis longtemps. Les gens devraient voter pour «Susi», dira plus tard Oskar Lafontaine, «cette femme se bat pour la justice sociale et la paix». Et tout cela à Weimar, où Sahra Wagenknecht [alors présente en Allemagne de l’Est] travaillait déjà à la maison Goethe en tant qu’écolière.

C’est un coup d’éclat pour Susanne Hennig-Wellsow, pour lequel la nouvelle dirigeant de Die Linke n’a pas eu à se rendre en Sarre, en juin dernier, pour s’asseoir pendant des heures autour d’une table avec le cofondateur du parti, Oskar Lafontaine, bientôt âgé de 78 ans.

De quelle manière le politicien de la gauche financière Fabio De Masi [député européen depuis 2014, puis membre du Bundestag depuis octobre 2017] a-t-il expliqué, en février, qu’il n’avait pas accepté la proposition de se présenter à la présidence du parti Die Linke? Il invoqua le manque d’«esprit collectif» et le fait qu’il ne voulait pas «dépenser son énergie dans des rituels répétés et des luttes de pouvoir». Fabio De Masi, dont la voix ne manque pas dans tous les débats sur les scandales financiers Wirecard, Cum-Ex, l’évasion fiscale, le lobbying et l’impôt sur la fortune, ne sollicite pas de nouveau mandat au Bundestag cette année. Il déclara que pendant sept ans il a «toujours travaillé à la limite de ses capacités». Il souligna aussi parce que «pendant longtemps, il y avait trop peu de collaborateurs dans notre parti et notre groupe parlementaire prêts à s’intéresser aux débats économiques de notre époque». Et cela dans le parti dont les plans financiers, selon le Centre Leibniz pour la recherche économique européenne, réduiraient le plus le coefficient de Gini, mesure de l’inégalité des revenus, et augmenteraient de 12% le revenu disponible du plus grand nombre de personnes par rapport aux autres partis – soit le revenu des ménages qui doivent aujourd’hui s’en sortir avec 20 000 euros et moins par année [voir l’article sur cette question publié sur ce site le 28 août 2021].

A Weimar, lors du meeting mentionné, il ne faut pas longtemps à Sahra Wagenknecht pour évoquer la multiplication par six du nombre d’allocataires paupérisés suite à Hartz IV parmi les indépendants, depuis le début de la crise du coronavirus – et le doublement des dividendes que Daimler verse cette année à ses actionnaires, alors que 700 millions ont été perçus par l’entreprise en aides d’Etat.

Abstention sur l’Afghanistan

Sahra Wagenknecht parle des retraites plus élevées en Autriche, avec ses soins publics, et non partiellement privatisés. Elle fustige les plans budgétaires de la CDU et de la CSU au détriment de la majorité des plus pauvres. Sahra Wagenknecht ne s’intéresse pas seulement aux «débats économiques de notre temps», elle en parle de telle manière que les personnes présentes dans le public en ont les larmes aux yeux d’émotion et hochent vigoureusement la tête en signe d’approbation. On en vient presque à s’inquiéter pour l’une ou l’autre paume, tant les applaudissements sont vigoureux.

Et les applaudissements s’avèrent être encore plus forts à propos de l’Afghanistan. Sahra Wagenknecht dénonce le fait que le gouvernement allemand a abandonné les gens sur le terrain. Elle parle de «complicité de meurtre par négligence». Elle rappelle l’échec de toutes les interventions militaires occidentales, de l’Irak à la Libye. Elle parle de la motion de son groupe parlementaire, rejetée quelques heures auparavant au Bundestag, visant à arrêter immédiatement les exportations d’armes allemandes vers le Pakistan, voisin de l’Afghanistan. A Weimar, cela a indigné la population. A Berlin, la concurrence et les médias attaqueront Die Linke suite à une autre motion dans les jours qui ont suivi.

Sahra Wagenknecht s’est abstenue lors du vote sur le «déploiement des forces armées allemandes pour l’aide à l’évacuation militaire de l’Afghanistan» [l’Allemagne avait retiré ses troupes en juin et a décidé d’en redéployer pour l’évacuation de ses représentants et de civils afghans], comme 42 autres députés de Die Linke, avec cinq voix pour. Mais sept autres ont donné à la CDU/CSU l’occasion de relancer la campagne du type «chaussettes rouges». «Avec ce déploiement militaire de la Bundeswehr, les capacités d’action militaire sont valorisées dans le public», ont écrit Sevim Dagdelen, Andrej Hunko et d’autres députés de gauche dans un communiqué sur leur vote négatif, «alors que dans le même temps, le gouvernement fédéral négocie en détail avec les talibans sur les évacuations.» Cela a fait «dresser les cheveux sur la tête» de Robert Habeck [Bündnis 90/Die Grünen] dans Welt am Sonntag [du groupe Axel Springer] car: «La responsabilité pour le pays inclut aussi la volonté de prendre des responsabilités en matière de politique étrangère et de sécurité.» Le chef du parti des Verts a également déclaré à Springer, à propos de l’Afghanistan, que «nous devons examiner de très près qui était et est assis dans les avions qui arrivent ici». Que se serait-il passé si Sahra Wagenknecht avait dit cela?

A Weimar, trois jours plus tôt, elle n’a presque rien dit des Verts et a même épargné le SPD. Oskar Lafontaine, quant à lui, reprend les attaques, mais même lui les utilise de manière bien dosée. Tout tourne autour des pauvres qui ne peuvent pas se permettre de payer «Mme Annalena Baerbock» et des prix plus élevés de l’énergie, pour que la «technique» puisse faire beaucoup plus dans la bataille pour un climat durable. Les invités de la Sarre (Lafontaine et Wagenknecht) ne veulent pas perturber la fête de la «volonté de gouverner» du parti, car ils connaissent son potentiel de mobilisation. En effet, alors que l’on met en garde contre une alliance de gauche, un sondage montre que le rose-vert-rouge est la coalition qui se situe au deuxième rang des préférences, derrière le feu tricolore (FDP, SPD, Verts) et devant toutes les constellations impliquant la CDU et la CSU.

Au Bundestag, le FDP a récemment demandé que le Triangle de Weimar [coopération France-Allemagne-Pologne présentée comme un instrument politique intelligent par l’historien Bronislaw Geremek], en tant que format de discussion germano-polonais-français, «redevienne une force motrice plus forte», notamment en tant que médiateur entre les fondateurs et les nouveaux membres de l’Union européenne. Est-ce un modèle [par analogie] pour Die Linke, confrontée à un bouleversement générationnel comme aucun autre parti? Il ne faudra pas manquer de participer à cette discussion, au-delà du jour de l’élection [26 septembre]: Sahra Wagenknecht «traîne» souvent son mari à Weimar, rapporte Oskar Lafontaine. (Article publié sur le site de l’hebdomadaire Der Freitag, le 2 septembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*