Les syndicats allemands s’éveillent face au désastre climatique et à l’échéance du 20 septembre

Luisa Neubauer et le mouvement en Allemagne du Vendredi pour le climat

Par Mark Bergfeld

L’appel à l’arrêt de la production de charbon et de voitures ressemble souvent à une menace pour l’emploi. Mais les syndicats allemands ont compris que la transition verte doit avoir lieu. Et ils se battent pour s’assurer que ce sont les patrons, et non les travailleurs, qui paient pour la justice climatique.

Si les vacances d’été ont interrompu les débrayages scolaires, le mouvement Vendredi pour le climat, dirigé par des adolescents, n’a pas abandonné son combat pour sauver la planète. Depuis le début du mouvement, des leaders comme la Suédoise Greta Thunberg et l’Allemande Luisa Neubauer ont travaillé à construire des liens sociaux plus larges que les générations précédentes de militants environnementaux, y compris avec les syndicats. Dans cet esprit, le 20 septembre verra le début de la «Grève pour le climat», une grève générale d’une semaine prévue dans le monde entier pour arrêter la production et attirer l’attention politique sur l’urgence climatique.

La nécessité de «sauver des emplois» a toujours été opposée à l’appel à la fermeture d’industries nuisibles. Pourtant, l’ampleur de la catastrophe à laquelle nous sommes confrontés a focalisé les esprits sur la nécessité de combler le fossé entre le militantisme vert et le militantisme ouvrier. En particulier, l’intégration de la revendication pour une «justice climatique» – soutenant que ce ne sont pas les pauvres, les vulnérables et les exploité·e·s qui devraient payer la transition vers une économie verte neutre en carbone – a montré que sauver la planète et la justice sociale peuvent vraiment aller de pair. L’appel d’Alexandria Ocasio-Cortez en faveur d’un New Deal vert en est une illustration parfaite.

L’Allemagne a une histoire particulièrement profonde de mobilisation écologique, avec même des campagnes radicales bénéficiant d’un large soutien populaire. Historiquement, son mouvement écologiste a été caractérisé par un fort courant anti-autoritaire. En effet, dans les années 1970 et 1980, le mouvement pour mettre fin aux transports de déchets nucléaires a utilisé des formes de désobéissance civile analogues à la lutte pour les droits civils aux Etats-Unis.

Contrairement à beaucoup d’autres pays, ces mouvements ne sont pas en marge de la politique mais sont profondément enracinés dans les quartiers et les communautés. Pourtant, quelle que soit la force de l’activisme climatique, les syndicats sont traditionnellement restés à l’écart des luttes environnementales. Mais maintenant, sur la vague du mouvement Vendredi pour le climat, le mouvement syndical commence à adopter l’appel à la transition verte comme le sien.

L’emploi d’abord?

Il y a beaucoup d’obstacles à une telle conversion. Ces dernières années, les militants de la désobéissance civile pour climat ont concentré leur attention sur la fermeture de deux mines de lignite à ciel ouvert, l’une en Rhénanie et l’autre à Lausitz dans l’ancienne Allemagne de l’Est. Le lignite est l’une des sources d’énergie les moins efficaces et les plus polluantes, mais une source d’emplois clé dans les deux régions. Cela a déclenché des affrontements répétés entre les membres du syndicat de la chimie et des mineurs – l’IG BCE (Industriegewerkschaft Bergbau, Chemie, Energie, fruit d’une fusion en 1997) – et les militants qui sont venus en Rhénanie pour occuper la forêt de Hambach et la mine à ciel ouvert. Le secrétaire général de l’IG BCE, Michael Vassiliades, a insisté sur la nécessité de donner la priorité à l’emploi et de penser aux questions environnementales comme secondaires, garantissant ainsi le conflit entre les militants syndicaux et climatiques.

Cette position correspondait à une participation importante du syndicat IG BCE à la commission du gouvernement allemand pour l’élimination progressive du lignite, un processus lent qui met le pays en contradiction avec l’Accord de Paris sur le climat (décembre 2015). Pour l’instant, tous les intervenants, y compris les syndicats, s’entendent pour dire que la production de charbon devrait cesser d’ici à 2038, mais l’accent mis par IG BCE uniquement sur les emplois l’a isolé de toute notion de «justice climatique». Certes, il y a des raisons de s’inquiéter – le secteur des énergies renouvelables (éolien et solaire) est notoirement antisyndical, contrairement au «dialogue social» et au «partenariat» existant dans les anciennes branches industrielles. Pourtant, le risque est précisément que cet aveuglement à l’égard des questions écologiques permette aux employeurs d’assumer seuls la responsabilité de diriger la «transition écologique».

Frank Bsirske de ver.di appelle les membres à se mobiliser «pour le climat»

Pas tout le mouvement ouvrier organisé reste embourbé dans une telle position purement défensive. Suite à la demande du Vendredi pour le climat d’arrêter la production de charbon d’ici à 2030, le secrétaire général du syndicat ver.di services, Frank Bsirske, a déclaré que l’élimination progressive devrait être accélérée autant que possible. Cet appel a déclenché une mobilisation de l’Alternative für Deutschland (AfD), une organisation d’extrême droite qui a attaqué de manière opportuniste Bsirske comme «anti-industrie» et voulant nuire aux travailleurs allemands. Les commentaires de Bsirske n’ont pas été appréciés de tous les syndicats. Pendant le camp climatique «Ende Gelände» (Mettre fin à cette zone) des militants, l’aile jeunesse de l’IG BCE a campé pour exiger la sécurité de l’emploi et la continuation de la mine à ciel ouvert.

Sortir de l’ornière

Comme nous le constatons, la conscience écologique de l’Allemagne, qui fait la fortune politique croissante du Parti Vert et l’essor des magasins bio (Bioläden) qui vendent des aliments respectueux de l’environnement, ne se traduit pas nécessairement par des positions plus progressistes des syndicats sur les questions climatiques. Au contraire, le radicalisme du milieu militant pour le climat, ainsi que le corporatisme du syndicalisme de «l’emploi d’abord» ont créé un fossé plus profond entre des secteurs ouvriers et des milieux liés aux batailles environnementales que dans d’autres pays.

Cependant, la grève climatique du 20 septembre ouvre la possibilité de commencer à surmonter la méfiance entre les syndicats et les groupes environnementaux. Alors que le droit du travail allemand n’autorise aucun type de grève politique, les grèves climatiques de Vendredi pour le climat ont déjà touché la corde sensible des syndicats dans les industries manufacturières et de services. Et ils commencent à se mobiliser.

En juin, le plus grand syndicat allemand, l’IG Metall, a organisé une manifestation pour exiger une transition équitable et écologique. La crise plus générale de l’industrie automobile allemande, concentrée dans le scandale des données truquées d’émissions de Volkswagen (Dieselgate), a mis en évidence les maux particuliers du secteur automobile. Compte tenu des relations étroites qui existent entre les syndicats de l’industrie manufacturière, les entreprises allemandes cotées en Bourse sur le DAX et l’Etat allemand, cette manifestation pourrait représenter un pas en avant vers une convergence entre syndicats et groupes environnementaux. Cette alliance «ouvrier-vert» est d’autant plus nécessaire que le changement climatique, ainsi que les nouveaux développements technologiques vont forcer les usines automobiles allemandes à passer à la production de voitures électriques [qui se rechargeant grâce à une électricité produite par le charbon représentent un leurre – réd.] ou de véhicules différents.

Pour organiser cette manifestation, IG Metall a affrété dix trains et huit cents bus pour remplir les rues de Berlin de dizaines de milliers de métallurgistes. Il s’agit d’une étape importante pour le syndicat et son engagement dans la transition verte. Bien qu’aucun représentant de Vendredi pour le climat ne se soit adressé à la manifestation, il est impensable qu’elle aurait pu avoir lieu sans ces mobilisations en cours. Au moment d’écrire ces lignes, l’IG Metall n’a pas encore décidé d’appuyer la grève climatique du 20 septembre.

Plus prometteuses sont les évolutions dans le secteur des transports, où le syndicat des cheminots EVG (Eisenbahn- und Verkehrsgewerkschaft) a annoncé la présence de ses propres membres lors des manifestations du Vendredi pour le climat ainsi que son soutien aux objectifs du mouvement. Cela ne devrait pas être une surprise, étant donné les demandes du mouvement en faveur de transports publics de meilleure qualité et plus accessibles. L’étape suivante consiste à ce que cette solidarité intéressée se traduise aussi par des chefs de train et d’autres membres du personnel qui arrêtent les trains pour la Grève du climat le 20 septembre.

Mais ce sont les syndicats du secteur des services qui ont adhéré le plus rapidement et avec le plus de force à l’objectif du mouvement de grève climatique en plein essor et sur l’appel à la grève. Ici, la relation entre les employeurs, l’Etat et les syndicats n’est pas définie comme telle par une pratique corporatiste, et les travailleurs n’ont pas à craindre de perdre leur emploi dans la même mesure.

La semaine dernière, Frank Bsirske a soutenu que les membres de ver.di devraient suivre l’appel de Greta Thunberg et se joindre à la grève du 20 septembre. Le compte Twitter de Ver.di montre Bsirske en train de dire : «Celui qui peut le faire doit partir et sortir dans la rue. J’irai, c’est sûr». Luisa Neubauer, l’une des jeunes grévistes du climat les plus en vue d’Allemagne, a qualifié l’appel de Bsirske de «pas en avant infiniment important», montrant que les grévistes du climat prennent conscience de la puissance du mouvement syndical.

Ver.di n’appelle pas directement ses membres à la grève. Mais le syndicat encourage ses membres à prendre collectivement une journée de congé pour soutenir le mouvement ou organiser une «pause déjeuner active»: une réunion à l’heure du déjeuner en dehors de leur lieu de travail. Cela pourrait être un moyen utile d’engager les membres du syndicat et d’autres travailleurs/travailleuses dans la lutte pour la planète tout en rehaussant le profil de la Grève pour le climat. Etant donné qu’une récente pétition sur les changements climatiques, lancée par des membres de la base, a recueilli plus de 46’000 signatures, il semble que les travailleurs/travailleuses des services des secteurs public et privé pourraient commencer à passer à l’action.

Manifestation d’étudiants, photo publiée sur le site du GEW

Contrairement aux Etats-Unis, où les enseignants ont été à l’avant-garde de la construction du syndicalisme social et de la grève dans les Etats dominés par les républicains, les enseignants allemands sont des fonctionnaires et n’ont donc pas le droit de grève. Bien qu’ils ne puissent pas quitter leur poste, le syndicat de l’éducation GEW (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft) a, cependant, soutenu les étudiant·e·s dans cette démarche. Ilka Hoffmann, membre de l’exécutif du syndicat pour les écoles, a publiquement soutenu la grève mais l’a aussi critiquée pour ne pas avoir fait assez afin de mettre l’accent sur les questions d’exploitation du travail et de justice sociale qui concernent les salarié·e·s. La section Rhénanie-du-Nord-Westphalie du GEW a également plaidé de manière décisive en faveur de l’arrêt des représailles contre les étudiant·e·s qui font grève, bien que l’on ne sache toujours pas quelles formes d’action les enseignants prendront eux-mêmes pendant la semaine de la Grève pour le climat.

La grève devrait également toucher le secteur de la construction. Le plus grand syndicat allemand de la construction et de l’immobilier, l’IG BAU (IG Bauen-Agrar-Umwelt) – dont le nom contient le mot «Umwelt» (environnement) – a appelé ses membres sur les chantiers de construction à se joindre à la grève du climat. Il exige que l’Allemagne réduise ses émissions de CO2 de 40% d’ici à 2020.

Le droit du travail allemand interdit aux travailleurs d’entreprendre une grève politique. L’IG BAU fait donc pression sur les employeurs pour qu’ils donnent à leurs employés l’occasion de participer aux manifestations des Vendredi pour le climat. Ce geste intelligent ramène la balle dans le camp des employeurs, les obligeant à montrer jusqu’où va réellement leur fière identification avec les initiatives qualifiées de «responsabilité sociale de l’entreprise» et de «lieu de travail vert». Une telle décision de faire pression sur les employeurs pour qu’ils ferment leurs portes pourrait donner à la Grève pour le climat une tout autre dimension.

Réaliser la transition

Si les syndicats veulent marier la transition verte à la défense des intérêts des travailleurs, ils doivent réfléchir sérieusement à la façon dont ils peuvent utiliser leur pouvoir institutionnel et organisationnel sur le lieu de travail et au niveau des secteurs économiques. Après tout, 53 % des travailleurs et des employés sont toujours couverts par des conventions collectives, ce qui donne à de nombreux syndicats une grande influence sur l’évolution du marché du travail.

Ceux qui jouissent d’une telle position stratégique pourraient s’en servir pour exiger une amélioration des compétences des travailleurs des industries clés qui n’ont pas d’avenir dans une économie neutre en carbone, et établir de nouvelles règles de santé ainsi que de sécurité qui pourraient contribuer à réduire les émissions de carbone, et forcer les employeurs à modifier la façon dont les biens sont produits et les services fournis. Entre autres, les syndicats pourraient utiliser leurs conventions collectives pour passer à une semaine de quatre jours, ce qui réduirait également les émissions de CO2.

Malgré tous ces développements positifs au sein du mouvement syndical, les médias grand public allemands continuent de présenter de manière binaire le dialogue naissant entre les Vendredi pour le climat et le mouvement syndical, comme si la défense de l’emploi allait inévitablement agir contre les intérêts plus larges de la planète. C’est exactement le récit que les syndicats doivent faire éclater.

Jusqu’à présent, le soutien des syndicats allemands au mouvement Vendredi pour le climat est encore symbolique. Les syndicats pourraient certainement faire beaucoup plus pour remettre en question l’économie allemande du carbone (le capitalisme fossile). Cependant, leur participation le 20 septembre pourrait commencer à combler l’écart entre les syndicats et les mouvements environnementaux déjà forts de l’Allemagne. Cela est plus nécessaire que jamais si l’on veut que les travailleurs/travailleuses ne paient pas le prix d’une transition vers une économie verte. (Article publié sur le site Jacobin en date du 16 août 2019; traduction rédaction A l’Encontre)

Mark Bergfeld est directeur des services immobiliers auprès de la confédération UNICARE, rattachée au Global Union-Europa.

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