Les conditions météorologiques extrêmes deviennent de plus en plus normales

Par Jonathan Watts

Les conséquences des inondations sont dévastatrices: au moins 133 [156 en Allemagne, en date du 18 juillet] personnes ont été tuées, de nombreuses autres sont encore portées disparues, des dizaines de milliers de maisons ont été inondées et l’approvisionnement en électricité a été interrompu. La gravité et l’étendue des inondations qui ont frappé l’Allemagne cette semaine ont choqué même les climatologues. En outre, ils ne s’attendaient pas à ce que les précédents records d’inondation soient battus à cette échelle, sur une zone aussi vaste et aussi rapidement.

Après la vague de chaleur meurtrière aux Etats-Unis et au Canada, où les températures ont dépassé 49,6 degrés il y a quinze jours, les inondations en Europe centrale font craindre que le changement climatique dû à l’activité humaine ne rende les conditions météorologiques extrêmes encore pires que ce qui avait été prévu.

Des records de précipitations ont été battus dans une grande partie de la région rhénane mercredi 14 juillet. Certaines parties de la Rhénanie-Palatinat et de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie ont été inondées par 148 litres de pluie par mètre carré en 48 heures. Il s’agit d’une région d’Allemagne où il ne tombe normalement que 80 litres de pluie par mètre carré pendant tout le mois de juillet. La station météorologique de Cologne-Stammheim a même mesuré 154 litres de pluie par mètre carré en 24 heures. Le précédent pic journalier était de 95 litres par mètre carré.

La ville de Hagen a déclaré l’état d’urgence après que la Volme a débordé de son lit et atteint un niveau qui ne se produit que quatre fois en cent ans.

Prévisions dépassées

Les climatologues prévoient depuis longtemps que les émissions d’origine humaine provoqueront davantage d’inondations, de vagues de chaleur, de sécheresses, de tempêtes et d’autres formes de conditions météorologiques extrêmes. Néanmoins, les récents sommets ont dépassé de nombreux pronostics.

«Je suis surpris de voir à quel point il dépasse le précédent record», déclare Dieter Gerten. Il est professeur, à l’université Humboldt de Berlin, auprès du département du système climatique et du bilan hydrique dans le cadre du changement climatique d’ensemble. Il coordonne l’analyse du système terrestre à l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique. «Il semble que nous soyons non seulement au-dessus de la normale, mais aussi dans des zones qui – si l’on considère l’étendue spatiale et la vitesse de développement – n’étaient pas prévues comme cela.»

Dieter Gerten lui-même a grandi dans un village de la zone aujourd’hui touchée. Il dit qu’il y a des inondations occasionnelles, mais pas comme cette semaine. Les pluies de l’été précédent ont été tout aussi abondantes, dit-il, mais elles ont touché une zone plus restreinte. Il affirme également que les tempêtes hivernales n’ont pas fait monter les rivières à des niveaux aussi dangereux par le passé. «Ce qui s’est passé cette semaine est tout à fait inhabituel pour la région. Cela a duré longtemps et a touché une importante surface», explique Dieter Gerten.

Les scientifiques auront besoin de plus de temps pour évaluer dans quelle mesure les émissions d’origine humaine ont contribué à cette tempête. Mais les précipitations records s’inscrivent dans l’évolution générale de la situation mondiale.

«Les phénomènes météorologiques extrêmes seront plus violents»

«Avec le changement climatique, nous nous attendons à ce que tous les extrêmes hydro-météorologiques deviennent plus sévères. Ce que nous avons observé en Allemagne s’inscrit globalement dans cette tendance», déclare Carlo Buontempo, directeur du service Copernicus sur le changement climatique au Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme.

Les sept années les plus chaudes jamais enregistrées se sont produites depuis 2014 – en grande partie en raison du réchauffement climatique causé par les gaz d’échappement, la combustion des forêts et d’autres impacts humains. Les modèles informatiques prévoient que cela entraînera une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, ce qui signifie que les records météorologiques seront battus plus souvent et dans davantage d’endroits.

Les inondations en Allemagne ne sont que le dernier exemple en date. Ces dernières semaines, l’Amérique du Nord a encore été sous les feux de la rampe. Il y a quinze jours, le précédent record de chaleur du Canada a été dépassé de plus de cinq degrés pendant une journée. Il en a été de même pour plusieurs records de température en Oregon et dans l’Etat de Washington. Les scientifiques affirment que de tels extrêmes à ces latitudes seraient pratiquement impossibles sans le réchauffement climatique provoqué par l’homme. Le week-end dernier, la station de surveillance de la Vallée de la Mort en Californie a enregistré une température de 54,4 degrés, ce qui pourrait s’avérer être la température la plus élevée jamais enregistrée de manière fiable.

Daniel Swain, climatologue à l’université de Californie à Los Angeles, affirme qu’un nombre si grand de records a été établi aux Etats-Unis cet été qu’ils ne font même plus la une de la presse : «Les extrêmes qui auraient été dignes d’intérêt il y a quelques années ne le sont plus aujourd’hui, parce qu’ils font pâle figure en comparaison des incroyables hausses de température d’il y a quelques semaines.» Ce phénomène se produit également dans d’autres pays, a-t-il déclaré, bien qu’il soit moins médiatisé. «Les Etats-Unis sont souvent sous les feux de la rampe, mais nous avons également assisté à des épisodes de chaleur exceptionnels en Europe du Nord et en Sibérie. Il ne s’agit pas d’un phénomène exceptionnel limité à un seul endroit. C’est sans aucun doute une partie d’un modèle global cohérent.»

D’une fois dans le siècle, ces événements deviennent monnaie courante

En fait, l’extrême nord de l’Europe a également connu une chaleur record en juin, et des villes d’Inde, du Pakistan et de Libye ont souffert de températures exceptionnellement élevées ces dernières semaines. Les banlieues de Tokyo ont été frappées par les plus fortes précipitations depuis le début des mesures. Londres a reçu autant de pluie en un jour que ce qu’elle reçoit normalement pendant tout le mois de juillet. Des événements qui ne se produisaient qu’une fois par siècle deviennent monnaie courante, les phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus normaux.

Certains experts craignent que les chocs récents indiquent que le système climatique a peut-être franchi un seuil dangereux. Au lieu d’une hausse uniforme des températures et d’une augmentation constante du nombre d’événements extrêmes, ils cherchent à savoir si la tendance pourrait être de plus en plus «non linéaire» ou erratique. Cela pourrait être le résultat d’effets d’aubaine dus à la sécheresse ou à la fonte des glaces dans l’Arctique. Cette théorie est controversée, mais des événements récents ont conduit à une discussion accrue sur cette possibilité et sur la fiabilité des modèles basés sur des observations antérieures.

«Nous devons mieux modéliser les événements non linéaires», déclare Dieter Gerten, chercheur en climatologie. «Nous, scientifiques, avons été surpris ces dernières années par certains événements qui se sont produits plus tôt et ont été plus fréquents et plus intenses que prévu.» (Article paru dans l’hebdomadaire Der Freitag, le 17 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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