Inde. Modi rêve d’une race supérieure

Narendra Modi

Par Lina Sankari

Les nationalistes au pouvoir ont lancé un programme de naissances «d’enfants aryens» basé sur la «pureté de la race». Ce projet dangereux est inspiré du «Lebensborn» nazi.

Il est des mythologies identitaires dont le présent a du mal à se défaire. Qu’importe finalement la pertinence de certaines théories, les nationalistes conçoivent l’histoire comme une continuité qui relierait la nation actuelle à sa forme antique idéalisée. Il en est ainsi dans l’Inde actuelle, où le Parti du peuple indien (BJP), au pouvoir, utilise depuis de longues années la civilisation de l’Indus-Sarasvati, décrite par le Veda ancien, pour affirmer l’origine autochtone des Aryens. Aujourd’hui, les nationalistes souhaitent faire revivre ce mythe en aidant les couples à concevoir des enfants «parfaits, grands et à la peau claire». Cette idée est en vogue parmi l’Arogya Bharati, la branche médicale de l’organisation paramilitaire hindoue Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), dont est issu l’actuel premier ministre [1], Narendra Modi. «L’ayurvéda (la médecine traditionnelle et spirituelle du sud-est de l’Inde – NDLR) détient les clés de l’apparence physique et des qualités mentales du bébé. Si la mère suit un régime spécifique, l’enfant aura le QI désiré», explique doctement le docteur Karishma Mohandas Narwani, responsable du programme.

Trois mois de «purification» avant de partager le même lit…

Selon eux, les futurs parents doivent observer trois mois de «purification» avant de partager le même lit, en accord avec l’alignement des planètes et de leurs horoscopes respectifs. Après la conception, les médecins recommandent l’abstinence complète et un régime alimentaire particulier à base de calcium pour les os, de ghee, le beurre indien clarifié, pour le cerveau, et de vitamine A pour les yeux, aux différents stades de développements du fœtus. En outre, la mère est conviée à chanter des shlokas, ces strophes religieuses, et des mantras afin d’assurer une bonne croissance au cerveau du futur bébé. Au-delà des questions qui subsistent sur la pertinence scientifique de la méthode, ce sont surtout les velléités eugénistes des nationalistes indiens qui se précisent. «Notre premier objectif est de construire une Inde forte. Nous voulons des milliers de bébés d’ici à 2020», précise le médecin dans le quotidien Indian Express. 450 «prototypes» de cette prétendue race supérieure auraient déjà vu le jour. Un autre de ces sombres idéologues du RSS assure quant à lui que même les parents à la peau foncée et de petite taille peuvent espérer corriger le tir en suivant ces préconisations. La théorie d’une race supérieure est directement empruntée à l’Allemagne nazie. En Inde, le Mein Kampf d’Adolf Hitler, déjà disponible sur nombre de marchés ou en tant que banal livre de gare, connaît depuis l’accession de Narendra Modi au pouvoir, en 2014, un succès non démenti. Le projet actuel du RSS s’inspire d’ailleurs du programme nazi Lebensborn, censé créer une génération de purs Aryens.

Guru Golwalkar

Les nationalistes indiens restent obsédés par «l’invasion étrangère» – comprendre les musulmans indiens que d’aucuns souhaiteraient «renvoyer» au Pakistan, selon leur propre terminologie. Ironique, alors que nombre d’historiens ont prouvé que les Aryens étaient eux-mêmes des envahisseurs. Peuple nomade de pasteurs cavaliers, ils auraient pénétré le nord-ouest de l’Inde depuis l’Asie centrale au cours du IIe millénaire avant notre ère, avant de se mélanger aux peuples autochtones et d’aryaniser le sous-continent. À la fin du XIXe siècle, les nationalistes indiens voyaient dans cette théorie historique une représentation coloniale. Pour eux, le peuple à l’origine de la langue sanskrite est résolument issu du sous-continent. Il aurait en revanche conquis le Moyen-Orient et l’Europe, faisant de l’Inde le berceau de nos civilisations. A l’origine de la recherche d’une «race pure», l’idéologue du RSS, Guru Golwalkar. Ce dernier soutient que «les Hindous sont venus dans ce pays de nulle part, mais sont les fils indigènes de ce sol depuis des temps immémoriaux et sont les maîtres naturels de ce pays». En 1960, il appelait un parterre d’étudiants de l’école des sciences sociales du Gujarat à s’inspirer des brahmanes nambutiris du nord de l’Inde, envoyés au Kerala méridional pour «purifier la race». Autant de théories qui tendent à la fois à perpétuer un racisme social, à travers le maintien du système de castes, que l’idée d’une supériorité hindoue sur les autres communautés indiennes.

La gauche soutient désormais que le BJP, à défaut de pouvoir se targuer d’un bon bilan économique, tente de pousser plus avant les conflits communautaires en affirmant le caractère exclusivement hindou de la société indienne. Le Kashmir Monitor s’inquiète pour sa part de voir bientôt apparaître «la seconde partie du projet, à savoir l’élimination de tous les Indiens “non aryens”». On ne compte déjà plus les scènes de lynchage de musulmans. Dans différents États, les hindouistes refusent de leur louer des maisons ou d’accepter leur présence en certains lieux publics. Tout cela dans l’indifférence la plus totale. Narendra Modi continue d’être reçu avec tous les égards et fut même l’un des premiers responsables conviés par le président Macron. Qui se souvient que le premier ministre indien était, jusqu’à son élection, interdit de séjour aux États-Unis pour son rôle présumé dans le pogrom anti-musulmans de 2002, qui fit près de 2000 morts au Gujarat qu’il dirigeait alors? (Lina Sankari, journaliste auprès de L’Humanité, article publié le 30 juin)

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Modi vénère le Guru Golwalkar

[1] Sur le site straithg.com, Gupreet Singh, en date du 5 mars 2017, écrivait un article consacré au racisme, au RSS et à Narendra Modi. Nous en publions ici le début:

«Peu nombreux sont les gens qui sont au courant que le parti au pouvoir en Inde – le prétendu plus grand parti démocratique séculier dans le monde – est une sorte de sous-produit d’une organisation nationaliste hindoue de droite qui voit des personnages aussi controversés qu’Hitler et Mussolini comme ayant une fonction de modèles.
Et le parti Bhartiya Janata (BJP) est une aile politique du Rashtriya Swayamsewak Sangh (RSS), dont les fondateurs ont idéalisé le fascisme et le nazisme.

Alors que nous nous préparons à célébrer la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, le 21 mars 2017, il est nécessaire d’avoir une discussion franche sur l’agenda politique du RSS et du gouvernement BJP. Sous sa domination, les attaques contre les minorités religieuses, en particulier les musulmans et les chrétiens, ont augmenté.

Le RSS a été fondé en 1925 avec le mandat d’établir une nation hindoue exclusive. Il a commencé comme une groupe à prétention culturelle qui se consacre à la cause de l’établissement d’une théocratie hindoue.

Les bénévoles ont été encouragés à suivre une formation physique. Il est intéressant de noter que le groupe a été formé sous l’Inde occupée par les Britanniques, mais est resté à l’écart de la lutte pour la libération qui était plus inclusive et laïque.

Depuis le moment de sa fondation, le RSS a toujours vu l’Inde comme la terre des hindous, tout en considérant le christianisme et l’islam comme des religions étrangères. D’autres groupes religieux minoritaires, comme le sikhisme et le bouddhisme, ont toujours été considérés par le RSS comme de fait intégrés au giron hindou.

Le BJP est apparu plus tard comme un bras politique du RSS avec le mandat de transformer l’Inde en un Etat hindou au travers d’instruments électoraux. De nombreux leaders BJP sont des membres du RSS. Parmi eux se trouve le premier ministre indien Narendra Modi.

Il a été le ministre en chef de l’Etat indien de Gujarat quand un pogrom anti-musulman y a éclaté en 2002. Ce pogrom a éclaté après qu’un train transportant des pèlerins hindous a pris feu, tuant plus de 50 passagers.

Le gouvernement Modi a accusé des fondamentalistes musulmans d’être à l’origine de l’accident. A l’époque, il aurait demandé à la police de regarder «ailleurs» et de laisser les hindous exprimer leur colère si des protestations occupaient les rues. Bien que Modi n’ait jamais été condamné pour des actes de violence, les groupes de défense des droits humains et les survivants de ces attaques continuent de souligner sa complicité. C’est pour cette raison qu’il a été privé de visa par de nombreux pays jusqu’à ce qu’il soit élu premier ministre en 2014.

Bien avant, en 2002, le gouvernement du BJP au Gujarat a également été accusé d’incitation à la violence anti-chrétienne. Les colons sikhs issus du Punjab dans l’Etat sont également devenus des cibles d’attentats vers 2014. Au cours des derniers mois, les dits intouchables au sein de la société hindoue ont subi des attaques vicieuses de la part des extrémistes hindous dans le Gujarat.»

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Un «identitarisme» – en plus du business militaire – qui rapproche Modi et Nétanyahou

Githa Hariharan, une femme écrivain connue en Inde, a souligné à l’occasion de la visite de Modi en Israël: «L’Inde, au cours des dernières années, a été de plus en plus impliquée dans la machine de guerre israélienne qui occupe, tue et mène des politiques d’apartheid contre les Palestiniens dans les territoires occupés de la Cisjordanie et Gaza, ainsi que contre ses propres citoyens arabes.» Githa Hariharan a également mis en lumière «les parallèles frappants entre sionisme et Hindutva» [cette notion d’hindouité développée depuis 1923 par Vinayak Damodar Savarkar nourrit le nationalisme exclusif, la suprématie des Hindous par rapport à d’autres composantes des populations de l’Inde, entre autres les musulmans]. Elle a déclaré: «A l’heure actuelle, ce lien est net: le sionisme et l’Hindutva pratiquent la politique d’exclusion, ils croient et aspirent aux Etats basés sur l’identité religieuse.»

Nétanyayou et Modi… en gros plan

Quant à La Tribune Juive, en date du 5 juillet 2017, elle consacrait un article à l’arrivée de Narendra Modi en Israël. En voici quelques extraits:

«Historique: le mot est répété en boucle par les autorités israéliennes. Vingt-cinq ans après l’établissement des relations diplomatiques avec l’Inde, Narendra Modi est le premier chef de gouvernement de son pays à se rendre en Israël, du 4 au 6 juillet. Peu de visites d’un dignitaire étranger suscitent un aussi grand écho dans l’Etat hébreu. Il traduit à la fois une ouverture du pays vers un marché en plein essor et une volonté de diversifier les alliances diplomatiques. […]

«M. Modi en a pris l’habitude au cours de ses déplacements à l’étranger: il va également prendre la parole devant plusieurs milliers de ses compatriotes, réunis à Tel-Aviv. Environ 10’000 Indiens vivent et travaillent en Israël. Près de 80’000 juifs israéliens ont une ascendance indienne. Narendra Modi, rappelle la presse israélienne, cherche toujours à consolider les liens entre l’Inde et ses expatriés, sur le modèle de la diaspora juive

«Israël note avec satisfaction l’absence de toute étape palestinienne dans le voyage du responsable indien. Le président Mahmoud Abbas avait été accueilli à New Delhi à la mi-mai, une visite pendant laquelle l’Inde avait réaffirmé son soutien traditionnel à la cause palestinienne et à la solution à deux Etats.

«Néanmoins, comme le confirme l’ancien porte-parole du ministère indien des affaires étrangères Gopalaswami Parthasarathy, M. Modi «n’a aucune appréhension à exprimer ouvertement son admiration pour la réussite d’Israël, alors que ses prédécesseurs se montraient plus timides». Une allusion au fait que l’Inde, acteur majeur du mouvement des non-alignés pendant la guerre froide, a soutenu les aspirations palestiniennes dès 1947, puis a été le premier pays non musulman à reconnaître la Palestine, en 1988.»

«Sur le plan idéologique, il existe une proximité claire entre M. Modi et M. Nétanyahou, qui dirigent tous deux un pays avec une forte minorité musulmane et se font les chantres de l’identité majoritaire, hindoue et juive. «Modi est un nationaliste à outrance, qui partage avec Nétanyahou, outre une bonne relation personnelle, une même vision du monde et du développement économique», note un diplomate israélien.»

«Il existe trois domaines dans lesquels la coopération entre les deux pays se révèle très prometteuse: l’eau, l’agriculture et la défense. New Delhi veut s’inspirer des avancées technologiques majeures réalisées par Israël dans le traitement de l’eau (désalanisation, traitement des eaux usées) ou l’irrigation pour la culture intensive. Mais c’est surtout la défense qui fait de l’Inde un client essentiel. Ce secteur est le premier moteur du rapprochement entre les deux pays depuis la normalisation de leurs relations diplomatiques. «Israël n’est pas en mesure de concurrencer Paris et Washington sur les grands contrats d’armements tels que les avions de combat Rafale, analyse Nicolas Blarel, enseignant chercheur à l’université de Leyde (Pays-Bas) et expert des relations entre les deux pays. En revanche, les Indiens aiment traiter avec les Israéliens, car ces derniers posent moins de difficultés pour transférer leurs technologies et fabriquer une partie importante des commandes sur place, en Inde.»

«Cette logique de coproduction sied à M. Modi, qui a fait du «Make in India» le fil rouge de sa politique industrielle. Exemple le plus récent: en mai, Israel Aerospace Industries a annoncé qu’il avait obtenu un contrat de 630 millions de dollars pour la fourniture de systèmes de défense sur quatre navires de la flotte indienne, composés de missiles sol-air Barak-8. Pour la première fois, ce contrat sera réalisé avec la compagnie indienne Bharat Electronics.»

«Israël, de son côté, ne mise pas que sur l’exportation de son savoir-faire militaire. Benyamin Nétanyahou s’enorgueillit des relations diplomatiques inédites qu’il a développées en Afrique, en Asie centrale, avec l’Inde ou la Chine. Il s’efforce, pays par pays, de casser les alignements systématiques en faveur de la cause palestinienne dans les enceintes multilatérales, comme les Nations unies ou l’Unesco.» (Rédaction A l’Encontre)

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