Débat-Histoire. «Nous nous sommes battus pour une Allemagne de l’Est plus libre et plus verte»

Par Dieter Segert

En politique et dans la société, il ne suffit pas de vouloir ce qui est juste, il faut aussi avoir la force de le mener à bien. C’est une chose que les forces de gauche peuvent apprendre de leur propre histoire.

Entre 1987 et 1990, il y a eu un projet de recherche à l’université Humboldt de Berlin-Est. J’en étais membre. Mené par un groupe de jeunes chercheurs en sciences sociales âgés de vingt à trente-cinq ans pour la plupart, il a eu un impact très concret. Le projet a été connu sous le nom de «Projet pour un socialisme moderne» à l’automne 1989. Mais depuis lors il a été oublié.

La mémoire sociétale est un processus culturel et politique, qui est régi par les rapports de forces des dominants. Depuis trois décennies, la mémoire de la «Révolution pacifique» [friedliche Revolution] qui a conduit au renversement de l’ordre établi en République démocratique allemande (RDA) est déterminée par la sphère publique hégémonique et les rituels commémoratifs de l’État allemand. Mais plusieurs faits importants de ce processus ont été perdus de vue.

Je l’ai constaté lorsque j’ai récemment demandé à une habitante de Leipzig âgée de vingt-six ans en 1989 qui étaient les «Six de Leipzig». Au début de la révolution pacifique, le 9 octobre 1989, ce groupe avait diffusé sur la radio locale un appel à l’État ainsi qu’aux manifestants à rester non-violents. «Eh bien, c’était Kurt Masur [chef d’orchestre du Gewandhaus depuis 1979]», fut sa réponse. Après y avoir réfléchi une seconde, elle a ajouté: «Un artiste de cabaret, Bernd-Lutz Lange [chansonnier et militant pour les droits des citoyens], et un pasteur, Peter Zimmermann [théologien à l’université Karl Marx], étaient également présents.» Les trois autres avaient disparu de sa mémoire. Ils étaient tous secrétaires de la direction du district de Leipzig du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED: Sozialistische Einheitspartei Deutschlands) au pouvoir. [Il s’agissait de Roland Wötzel, secrétaire pour la Science, Kurt Meyer à la Culture et Jochen Pommert, chargé de la propagande – réd.]

Ces personnalités avaient agi contre la volonté d’Erich Honecker, secrétaire général du SED et président du Conseil d’Etat de la RDA. Celui-ci avait fait en sorte que des unités de l’armée [Armée populaire nationale-Nationale Volksarmee], de la police [Volkspolizei] et des groupes de combat [Kampfgruppen, 8 unités de 100 hommes] soient réunis pour un affrontement violent avec les manifestants. Le successeur de Honecker, Egon Krenz [18 octobre], s’est finalement abstenu d’utiliser la force – probablement parce que trop de Leipzigois s’étaient réunis sur le Ring, donnant accès au centre-ville. Mais la présence des trois principaux responsables du SED de Leipzig a certainement aussi joué son rôle. En effet, les événements de 1989 ont également été une fissure au sein de l’appareil du SED.

Vagues d’opposition

Le fait que l’apparition critique de ces membres du SED à l’automne 1989 ait été oubliée n’est pas un hasard. C’est plutôt le résultat d’une politique de mémoire, des rituels commémoratifs mis en scène dans l’Allemagne réunifiée. Pourtant, si vous voulez vraiment comprendre ce qui s’est passé à l’époque, vous devez regarder l’ensemble du tableau des acteurs de la révolution.

La révolution pacifique a été rendue possible parce que la dictature du SED avait commencé à se déliter. À la fin des années 1980, de nombreux citoyens et citoyennes ne croyaient plus aux promesses de la direction du parti. Ses objectifs économiques et sociaux, toujours soutenus par une majorité de la société, semblaient menacés. Le capitalisme de consommation occidental semblait plus convaincant que les garanties sociales prônées par la politique de la RDA. Les restrictions de voyage imposées par l’État sont rejetées par un grand nombre de citoyens. L’explosion des demandes de sortie du territoire et l’exode massif de réfugiés qui a commencé en mai 1989 en sont la preuve éclatante.

Les manifestations de Leipzig ont d’abord été caractérisées par deux groupes distincts: ceux qui voulaient enfin sortir et ceux qui voulaient rester et changer l’État pour «l’améliorer». Cet automne-là, il y avait en RDA des groupes de défense des droits civils, petits mais très actifs, comme le Nouveau Forum [Neues Forum, présent dans les villes les plus importantes de la RDA], fondé le 10 septembre 1989 par le peintre Bärbel Bohley, le groupe Demokratie Jetzt autour du théologien Wolfgang Ullmann [depuis 1978, il est actif dans l’Eglise évangélique Berlin-Brandebourg-Haute Lusace silésienne, ce qui le protège], ou les sociaux-démocrates [nouvellement remis sur pied, ils avaient été phagocytés lors de la création du SED en 1946]. Nombre de ces opposants étaient issus du mouvement de paix indépendant de la RDA, tel que le Cercle de paix de Pankow.

Mais tout cela n’aurait sans doute pas suffi à briser l’armure de l’État. La résistance devait également venir de l’intérieur de la forteresse. À l’automne 1989, les critiques sporadiques des membres du SED se sont transformées en une tempête. Des artistes, des scientifiques et des travailleurs, les personnes de toutes les professions en avaient assez de leurs dirigeants. Ils représentaient une minorité, mais ils s’exprimaient clairement, sortant de l’isolement qu’ils s’étaient imposé et se frayant un chemin sur la scène publique indépendante émergente.

L’Association des écrivains de Berlin, les musiciens de rock ainsi que les universitaires de l’université Humboldt ont critiqué sévèrement la politique de la direction du SED sans disposer de la protection des organisations de leur parti. Fin novembre 1989, ce mouvement s’est transformé en un mouvement de base au sein du SED qui a forcé l’abdication de la direction et la tenue d’un congrès extraordinaire du SED les 8-9 décembre [date à laquelle Gregor Gysi devient secrétaire général et le SED devient SED-PDS].

Les quatre groupes susmentionnés représentaient les acteurs importants de la Révolution pacifique. Toutefois, la contribution de ces derniers a été à plusieurs reprises omise lors des commémorations publiques. De plus, les objectifs des critiques du SED ont été déformés, un peu plus chaque année, jusqu’à ce que la conception qui prévaut aujourd’hui finisse par supplanter tous les autres souvenirs.

De l’automne 1989, aujourd’hui, la majorité ne se souvient ni du 9 octobre à Leipzig, ni de la grande manifestation du 4 novembre à Berlin-Est, mais seulement de la chute du Mur. Parmi les objectifs de l’époque, l’appel à l’unité allemande noie tout le reste dans cette mémoire mise en scène: «Nous sommes un seul peuple!» et «Si le Deutschmark ne vient pas ici, nous irons à lui!»

En avance sur son temps

Le Projet de socialisme moderne de l’université Humboldt visait à transformer en profondeur le modèle social en vigueur – une modernisation du socialisme de style soviétique, un dépassement de ses déformations historiquement enracinées.

Ce faisant, les participants étaient conscients que le socialisme d’État – c’est-à-dire les États qui avaient émergé avec la révolution russe en 1917 et après la victoire de la Seconde Guerre mondiale en 1945 en tant qu’alliance mondiale alignée autour de l’Union soviétique – devait changer fondamentalement. Mais il devait en aller de même pour son concurrent, le monde capitaliste. Ils étaient convaincus qu’un ordre social et écologique juste ne pouvait émerger qu’à travers un processus de transformation de l’ensemble de l’humanité.

Ses partisans parlaient d’une «mondialisation des conditions de reproduction de l’humanité», qui étaient déjà en crise à cette époque. Sans pouvoir me référer ici à l’ensemble du texte du Projet de socialisme moderne, je voudrais évoquer certains des objectifs programmatiques qui y sont liés, afin de clarifier sa pertinence actuelle.

De notre point de vue, la crise ne pouvait être surmontée qu’en mettant en œuvre des changements dans les domaines suivants :

  • Les objectifs de la politique de sécurité menés par les Etats devraient être fondamentalement modifiés. Au lieu de se défendre les uns contre les autres, un système global de sécurité commune devrait voir le jour.
  • Une réorganisation écologique de l’ensemble du développement technologique, économique et de la consommation est nécessaire.
  • La lutte contre la pauvreté dans le «tiers monde» doit être menée par le biais d’un système économique mondial démocratique. L’objectif n’est pas de détruire les économies traditionnelles de ces sociétés par la domination du marché mondial, mais de les intégrer.
  • Grâce à un nouveau système économique, les gains de productivité devaient être obtenus non pas en remplaçant mais en spécialisant et en affinant davantage le travail humain.
  • L’objectif était également de réaliser un progrès social qui ne visait pas une expansion quantitative de la masse des biens de consommation et de l’ingestion de processus de vie préfabriqués, mais le développement de l’individualité, de la collectivité et de la solidarité. Loin de la «production de la richesse matérielle comme une fin en soi», comme l’aurait dit Marx, et vers la mise en forme conjointe du développement technologique et économique comme moyen de développement socialement progressiste pour tous les sujets de l’humanité.

Du point de vue actuel, le langage peut sembler un peu vieilli, marqué par la terminologie de la pensée marxiste, mais les objectifs que nous avons proposés sont tout à fait contemporains. La seule chose qui manque, en fait, c’est une prise de conscience de la crise climatique mondiale. Ce problème n’était pas encore au centre de la pensée critique à l’époque.

Quant aux exigences de développement-changement de notre propre société et du socialisme de type soviétique, nous considérions que les processus suivants étaient décisifs: la modernisation de la société exigeait de surmonter le système de gestion économique bureaucratisé. En outre, nous devions passer à une pluralité de formes de propriété et d’appropriation. La nationalisation complète devait être transformée en une propriété où toutes les parties prenantes ont leur pouvoir de décision.

À cet égard, les propriétaires coopératifs, étatiques, municipaux, mais aussi privés devraient travailler ensemble. Notre objectif était essentiellement de démanteler la centralisation excessive du pouvoir politique en RDA. À sa place devait émerger une politique qui serait soutenue par une contestation politique publique et une vie scientifique publique, et surtout par une mise à nu des intérêts conflictuels et une large discussion des alternatives.

Grâce à ce genre d’organisation politique différente, le socialisme devait être fondamentalement renouvelé. L’ancien type d’homme politique, dont les actions étaient basées sur l’utilisation excessive de moyens administratifs coercitifs, devait être surmonté par une société politique plus active, qui à son tour devait limiter et contrôler l’appareil d’État coercitif. C’est du moins le point auquel était parvenu le débat sur le Projet de socialisme moderne à la fin de l’année 1988.

Au cours de l’été et de l’automne 1989, de nouveaux textes ont été rédigés et des propositions ont été présentées à un public plus large. Celles-ci visaient une autre politique en RDA, une économie différente ainsi qu’un élargissement complet des débats publics sur la politique de l’État, et finalement aussi le développement d’un État fondé sur l’État de droit. Des mesures immédiates ont également été revendiquées, comme la reconnaissance officielle du souhait généralisé de voyages privés à l’étranger ou la reconnaissance par l’État de nouveaux groupements politiques formés par des représentants de mouvements civiques, ainsi que la levée de la censure dans les médias.

Les documents du Projet de socialisme moderne de l’université Humboldt ont renforcé la confiance en soi des membres critiques du SED et ont conforté leur exigence de redéfinition de la fonction du parti au pouvoir au sein de l’État est-allemand, y compris la demande d’élections parlementaires.

Ces propositions visaient principalement à stimuler une démocratisation interne de leur propre parti, dont les structures rigides et centralisatrices étaient considérées comme le principal obstacle à une démocratisation de la RDA. Les grandes lignes de la réforme de l’économie de l’État, attendue depuis longtemps, ont été tirées des tentatives envisagées dans d’autres pays du bloc de l’Est. Elles ont finalement été intégrées au processus de renouvellement du SED, dont sont issus le Parti pour le socialisme démocratique (PDS) et finalement Die Linke.

Tirer les leçons des échecs

Bien que nous ayons correctement compris les changements politiques nécessaires, le Projet de socialisme moderne a échoué. Les efforts visant à créer un socialisme renouvelé et à rassembler les divers efforts de réforme des différents systèmes, comme la politique de réforme sous Mikhaïl Gorbatchev a également cherché à le faire, n’ont pas porté leurs fruits.

Mais, plus important que de se souvenir de ces textes oubliés et des interventions des groupes critiques au sein du SED – qui restent invisibles dans le discours hégémonique malgré le fait que le nombre de participants n’était en aucun cas négligeable – il convient de réfléchir aux raisons pour lesquelles la contribution du projet a eu si peu d’impact durable.

Pire encore, au lieu d’un socialisme renouvelé en RDA, on a assisté à une résurgence du pouvoir des politiques conservatrices dans toute l’Allemagne. Le progrès social qui avait été réalisé en RDA malgré les déformations du système politique et économique a été inversé. Il en va de même dans toute l’Europe de l’Est. L’élimination des dictatures de ces partis communistes a entraîné une plus grande dépendance de l’Europe de l’Est vis-à-vis des principales puissances occidentales.

Ceux qui ont rêvé et lutté pour une société plus démocratique, écologique et socialement plus juste à l’époque portent-ils la responsabilité de cette transformation néolibérale? J’ai été un jour accusé de cela dans une conversation avec un militant de gauche anglais. Non, je pense qu’il n’était pas mauvais de s’opposer aux politiques de survie des dirigeants des partis staliniens. La résistance a peut-être commencé trop tard, mais la direction était correcte. Quelles leçons peut-on tirer pour les luttes d’aujourd’hui de l’échec de ces membres critiques du SED?

Je vais essayer de répondre à cette question en me fondant sur mes intuitions en tant que politologue qui a étudié intensivement l’Europe de l’Est moderne: formuler des objectifs corrects en politique est un premier pas, mais c’est de loin insuffisant. Les intuitions ne s’affirment pas d’elles-mêmes. Elles nécessitent un certain pouvoir d’action, dont nous devons discuter aussi intensément que des objectifs corrects.

Le Projet de socialisme moderne de l’université Humboldt a eu une influence sur une partie des membres du SED à l’époque – et tant que le SED est resté au pouvoir, cela a été important. Par contre, nos efforts de coopération avec d’autres forces politiques dans le pays se sont avérés infructueux.

Pour établir ces relations avec d’autres groupes, il aurait fallu prendre au sérieux leur politique et leurs expériences. Nous n’avons pas ignoré ces mouvements civiques, mais il y avait une méfiance et une distance envers les groupes de l’autre côté, qui provenaient d’un certain isolement, dû à une certaine croyance en notre «statut d’avant-garde» dans les années précédentes. La tentative de surmonter ce clivage a été trop faible et trop tardive, bien que certains, comme l’économiste Rainer Land [enseignant à l’université Humboldt, membre du SED, membre du SPD dès 2018], aient agi plus tôt que les autres.

Une telle conscience d’avant-garde obstructionniste existait chez tous les marxistes révolutionnaires de différentes générations, à commencer par Marx et, bien sûr, les bolcheviks russes autour de Lénine. Cette arrogance, née de la conviction de sa propre capacité scientifique, était un obstacle si l’on voulait rencontrer les autres sur un pied d’égalité. Et cela aurait été nécessaire.

Mais ce qui nous manquait vraiment, c’était une analyse plus précise de ce qui préoccupait la majorité de la population est-allemande dans sa vie quotidienne. Comment aurait-il été possible, malgré l’attrait qu’exerçait la société de consommation ouest-allemande – comme c’est naturellement le cas dans une société [RDA] définie par la rareté –, de susciter une réflexion critique de la population sur la consommation, et de se concentrer sur l’équilibre écologique de la société dans son ensemble ainsi que de chaque individu? Cela aurait-il été possible? Comment la réalité de la vie et les expériences de la population auraient-elles pu se conjuguer avec le besoin fondamental de changer des comportements de consommation?

Les dommages que les politiques de transformation ouest-allemandes ont causés à l’économie de la RDA et donc à la vie des Allemands de l’Est ont commencé avec l’union monétaire en juillet 1990 – l’introduction immédiate du Deutschmark comme seule monnaie en vigueur. Bien que la majorité de la population ait exigé et combattu pour cette unité, ce fut une politique qui a porté un coup fatal à de nombreuses entreprises de la RDA.

De plus, elle a fait passer des Allemands de l’Est, qui, en tant que participants d’une révolution, voulaient décider librement de leur sort à un statut de bénéficiaires dépendants des transferts sociaux. Le groupe du Socialisme moderne était généralement conscient de la nature contradictoire des intérêts au sein de la population, mais la façon de traiter cette question dans la pratique n’a été apprise que plus tard dans le contexte d’une politique démocratique concrète. La politique radicale doit avoir à l’esprit les citoyens «normaux».

De même, nous avons négligé de construire des alliances internationales. Bien sûr, nous souffrions aussi des conséquences de la politique internationale sectaire des partis communistes des décennies précédentes, dans laquelle la «pureté programmatique» de leur propre position était valorisée par-dessus tout, même aux dépens de larges coalitions. Nous voulions nous libérer de cette situation, mais il nous manquait la force organisationnelle et l’imagination institutionnelle.

La politique mondiale aurait nécessité des alliances mondiales avec des acteurs très différents. Pourtant, nous n’avons même pas réussi à former une large alliance Est-Ouest au sein même de l’Allemagne, avec la séparation du Parti social-démocrate par rapport aux membres du SED et du PDS qui, selon nous, relevait de son échec plutôt que du nôtre. La majorité des Verts ouest-allemands, qui avaient des positions similaires aux nôtres en matière de politique environnementale, ont tourné le dos à l’Est.

Après tout, la majorité d’entre eux avait depuis longtemps abandonné le socialisme comme objectif. Ils ne comprenaient pas les opportunités et les dangers de la transformation néolibérale imminente à l’Est – et nous ne savions pas comment les persuader de repenser.

Faire revivre le socialisme

Un triste héritage de 1989 est la perte des utopies. Avec la fin du socialisme de style soviétique, les vainqueurs temporaires ont propagé la fin des idéologies et de l’histoire. Mais seuls ceux qui se contentent du statu quo et de leur propre pouvoir peuvent se passer de la force mouvante des utopies. Seuls les «établis» n’ont pas besoin d’alternatives. À une époque caractérisée par une crise profonde, il est essentiel d’avoir des visions convaincantes d’un avenir meilleur.

La social-démocratie classique d’August Bebel et Rosa Luxemburg était attrayante parce qu’elle n’a jamais abandonné la promesse d’une vie fondamentalement différente au profit des objectifs de l’époque. Il en était de même avec les socialistes libertaires, les anarchistes. Les utopies motivent les gens à changer leur vie. Cependant, elles ne peuvent être ni décrétées ni inventées. Les utopies doivent naître des conflits du présent. Et elles n’existent qu’au pluriel – pas comme la seule et toujours correcte vision du monde.

Le changement naît du besoin quotidien du plus grand nombre. Il est alimenté par les protestations, par les initiatives sociales, par l’analyse scientifique des conflits en question. Les partis sont nécessaires tant que le pouvoir dans les démocraties n’est pas encore limité aux mains d’élites détachées. Le courage d’agir et de changer de cap, en revanche, doit venir d’en bas, de chaque individu.

Il est parfois utile de se souvenir des moments où un tournant était devenu possible – comme il y a trois décennies, à l’automne 1989 en RDA et en Europe de l’Est, lorsqu’un projet scientifique s’est donné pour mission de soutenir les changements nécessaires et urgents. Nous n’étions pas arrivés trop tôt, nous n’avions tout simplement pas la capacité et force suffisante pour agir. Cela représente le minimum que l’on puisse apprendre de notre lutte et de celle des autres. (Article publié sur le site Jacobin, le 31 décembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

(Cette contribution ouvre un débat. Tout en soulignant les différenciations effectives existant au sein du SED – au même titre où cela est apparu dans divers moments dans les partis au pouvoir comme en Tchécoslovaquie (1967-69) –, la place du parti comme consubstantiel avec l’appareil d’Etat coercitif et policier est reléguée, en partie, au second plan par l’auteur et ne permet pas, dès lors, de saisir les limites intrinsèques aux courants à l’intérieur de ces partis et à leurs potentielles réflexions critiques, bornées par la place et la fonction même de l’Etat-parti, place et fonction appréhendées en tant que telles par les mouvements sociaux indépendants que la crise sociétale suscite. – Réd. A l’Encontre)

Dieter Segert a enseigné la philosophie à l’université Humboldt de Berlin-Est de 1978 à 1992 et est actuellement professeur de sciences politiques à l’université de Vienne.

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