Inde. Reportage. «Quand Modi retirera les lois, alors seulement nous retournerons chez nous»

Par T.K. Rajalakshmi

«Pourquoi ne pas rejoindre le langar [repas communautaire]? Ne partez pas sans avoir pris votre repas. Ladai saari khaney ki hee to hai (Toute la question est une question de nourriture et de survie)», a fait remarquer un agriculteur septuagénaire sur le lieu de protestation de Ghazipur, à la frontière entre Delhi et l’Etat d’Uttar Pradesh, alors qu’il pressait ce correspondant de manger. Alors qu’il attendait son tour pour participer au repas communautaire, ou langar, qui était en train d’être organisé.

Originaire de Michaelganj, dans le district de Lakhimpur Kheri, en Uttarakhand, il reste, comme beaucoup d’autres qui protestent depuis plus de 40 jours contre les trois lois agricoles qui, selon eux, pousseraient les agriculteurs au bord de la misère. Surender Kaur et Harpal Kaur se tenaient à proximité pour aider à la cuisine. Les deux femmes sont résidentes de Delhi. «Nous avons entendu que des agriculteurs manifestent ici et nous avons pensé que nous devrions leur donner un coup de main. C’est pour une bonne cause et nous allons recevoir les bénédictions et la récompense du Gourou [une récompense divine]», ont-elles déclaré à l’unisson, terminant leur travail de la journée vers 20 heures.

Contrairement aux attentes du gouvernement de l’Union, qui s’attendait à ce que la protestation des agriculteurs s’essouffle en raison du froid glacial, de nouveaux renforts sont arrivés chaque jour pour rejoindre les tracteurs sur les sites de protestation – Singhu, Palwal et Tikri à la frontière entre l’Etat d’Haryana et Delhi; Shahjahanpur à la frontière entre le Rajasthan et l’Haryana; et Ghazipur et Chilla à la frontière entre Delhi et l’Uttar Pradesh. Le 8 janvier, un septième site de protestation a vu le jour à Rewari dans l’Etat d’Haryana.

Plus unis que jamais

Il est significatif que si les sept cycles de négociations entre les représentants des agriculteurs et le gouvernement n’ont pas donné grand-chose, l’enthousiasme des manifestants n’a pas faibli. Le 8 janvier 2021, le huitième cycle de négociations s’est une fois de plus révélé peu concluant, le gouvernement refusant d’abroger les lois agricoles – principale revendication des agriculteurs – et mettant plutôt la balle dans le camp des agriculteurs. Le gouvernement leur a demandé de trouver une alternative. Comme on pouvait s’y attendre, les agriculteurs ont rejeté la proposition. Et une fois de plus, toutes les organisations paysannes [les divers syndicats] ont fait preuve d’une plus grande unité et ont parlé d’une seule voix. [En date du 15 janvier une nouvelle négociation n’a pas abouti.]

Comme auparavant, ils se sont procuré leur propre nourriture et se sont assis sur les sols froids et brillants de Vigyan Bhavan [centre de conférence à Dehli], le lieu de la réunion, mangeant leur déjeuner dans des assiettes jetables, avec une dignité remarquable. En fait, certaines organisations – telles que le Kisan Mazdoor Sangharsh Samiti [MKSS, organisation de masse créée en 1981 dans l’Etat du Bihar, nord-est, et composée majoritairement de Dalits: de la «caste la plus basse», dite des «intouchables»] qui s’étaient tenues à l’écart des discussions officielles – se sont jointes aux septième et huitième cycles de négociations, de peur que le gouvernement ou quiconque n’ait le temps de souligner que les agriculteurs étaient divisés.

Si les principaux dirigeants du mouvement ont pu avoir quelques divergences dans le passé, ils se sont tous rassemblés et sont restés soudés les uns aux autres pendant toute la mobilisation. Certains d’entre eux s’étaient rassemblés depuis que le gouvernement avait promulgué les ordonnances en juin et avaient participé aux manifestations de blocage de la circulation et des transports au Pendjab en septembre-octobre 2020. Il est significatif que nombre de ces dirigeants soient des septuagénaires: Balbir Singh Rajewal, 77 ans (Bharatiya Kisan Union, ou BKU Rajewal); Dr Darshan Pal, 70 ans (Kisan Krantikaari Union); Gurnam Singh Chaduni, 70 ans (BKU Haryana); Jagmohan Singh, 65 ans (BKU Dakaunda); Satnam Singh Pannu, 65 ans (Kisan Mazdoor Sangharsh Committee); Joginder Singh Ugrahan, 75 ans (BKU Ekta-Ugrahan); Jagjit Singh Dallewal, 65 ans (BKU Dallewal); et Hannan Mollah, 75 ans (All India Kisan Sabha).

Parmi les plus jeunes se trouvaient Yogendra Yadav de Swaraj India, Kavitha Kuruganti de l’Alliance for Sustainable & Holistic Agriculture (ASHA) et Rajinder Singh de la Kirti Kisan Union, qui ont déclaré lors d’une conférence de presse: «Pas de pourvoi en cassation, pas de daleel [discussion], seulement l’abrogation.»

«Les Arhatiyas ne sont pas nos ennemis»

La plupart des agriculteurs semblaient irrités par la suggestion des ministres selon laquelle ils étaient incapables de penser par eux-mêmes et pouvaient être induits en erreur par des intérêts politiques particuliers, par des militants de gauche et même par les agents intermédiaires ou Arhatiyas [ces agents prennent une commission pour l’organisation de la vente sur les marchés organisés, avec des prix minimums soutenus: les Mandis; certes des «abus de pouvoir» existent et le nombre de marchés est insuffisant et ils sont souvent mal localisés, surtout pour les petits paysans].

Frontline a parlé à un échantillon d’agriculteurs, jeunes et vieux, sur le site de protestation de Ghazipur où le nombre de tentes et de chariots avec tracteurs avait été multiplié depuis la dernière visite de ce correspondant.

Kanwaljit Singh qui était venu avec d’autres agriculteurs, Avtar Singh et Joginder Singh, de Bilaspur en Uttar Pradesh, nous a déclaré: «Le gouvernement essaie de nous diffamer à maintes reprises. Cela fait maintenant plus d’un an et demi que nos droits sur la canne à sucre n’ont pas été réglés. Nous avons cessé de cultiver la canne à sucre à cause de ces retards de paiement.» Ils disent que les Arhatiyas que le gouvernement prétend vouloir sauver vont réapparaître sous la forme d’«agrégateurs» [qui vont accumuler le produit de la récolte d’un plus grand nombre de paysans et entrer en négociation avec des grands acheteurs de l’agroalimentaire], comme le décrivent les nouvelles lois agricoles.

Anant Ram, du district de Shravasti, en Uttar Pradesh, a déclaré: «Partout où il y a un commerce, il y aura des intermédiaires. Si un agriculteur doit vendre sa production, il ne peut pas le faire directement à un consommateur. Il doit passer par un intermédiaire. Oui, nous devrions être protégés de l’exploitation, mais ce n’est pas quelque chose qui intéresse le gouvernement. J’ai vendu mon paddy [riz] pour 800 roupies le quintal.» Or, le gouvernement avait fixé le prix de soutien minimum (PSM) pour le paddy à 1868 roupies le quintal.

Anant Ram possède dix acres de terre fertile, mais comme la région est inondable et que les routes sont en mauvais état, il n’a guère d’autre choix que de vendre ses produits au commerçant local. Car le Mandi la plus proche se trouve à Bahraich, à 30 kilomètres de là, et il ne peut pas se permettre de payer les frais de transport.

Il a déclaré que si l’agriculture contractuelle [système de production agricole fondé sur des accords commerciaux entre les acheteurs de l’industrie agroalimentaire et les agriculteurs] était légalisée, cela nuirait le plus à la main-d’œuvre agricole, ou mazdoor. Dans le cadre du système contractuel pour la canne à sucre, les agriculteurs étaient tenus de vendre la canne à la sucrerie avec laquelle ils avaient conclu un contrat. Said Mehak Singh, secrétaire général de la BKU à Moradabad, Uttar Pradesh: «Les sucreries ne payent pas le prix de nos récoltes dans les 14 jours, comme le prévoit la loi sur la canne à sucre. Lorsque nous avons approché le magistrat du district de Moradabad et que nous lui avons demandé de bloquer les sucreries pour avoir retardé nos paiements, il nous a répondu que ce n’était pas un délit.» Mehad Singh a déclaré que les lois agricoles étaient faites dans les «salons» de la classe des entrepreneurs. Un jeune agriculteur de Bilaspur en Uttar Pradesh, interrogé répond: «Quand le nouveau système n’a pas profité aux agriculteurs du Bihar, pourquoi nous profiterait-il?»

Aucun des agriculteurs n’est d’accord pour dire que l’Arhatiya est le méchant du système comme cela est présenté par le gouvernement. Un fermier nous dit: «Ils sont des commissionnaires agréés et sont nommés en vertu de la loi APMC [Agricultural Produce Market Committee]. S’ils font quelque chose de mal, ils peuvent être arrêtés. Le système peut être modernisé si tel est le souci. Les agriculteurs peuvent au moins s’adresser aux Arhatiyas. Dans le cadre du nouveau système, ils ne pourront pas le faire. Comment pourront-ils contacter les grandes firmes en cas de problème? Même en pleine nuit, nous pouvons faire appel à l’Arhatiya car c’est une personne locale avec laquelle nous avons des liens sociaux. Nous ne pensons pas que l’Arhatiya soit l’ennemi, même si le gouvernement veut nous le faire croire. L’Arhatiya peut nous acheter pour disons 100 roupies et le vendre à 101 roupies. Il doit lui aussi survivre. Notre relation avec l’Arhatiya est comme le lien entre l’ongle et la peau qui se trouve en dessous. Il est aussi serré que ça.»

Sunil Kumar, un ancien militaire qui était présent sur le site de protestation de Ghazipur, a déclaré que le gouvernement avait l’impression que l’agriculteur actuel était aussi impuissant que les personnages décrits dans les puissants écrits de Munshi Premchand [écrivain de langue ourdou et hindi: 1880-1936] ou que ceux incarnés par Balraj Sahni [acteur: 1913-1973] dans le film classique [de 1953] de Bimal Roy, Do Bigha Zameen (Deux hectares de terre): «Ce sont des agriculteurs qui appartiennent à une tradition qui faisait partie du mouvement pour la liberté, pour l’Indépendance. Les jeunes ont hérité de cet esprit. Ils ne sont pas le lot impuissant et misérable décrit dans les livres de l’époque précédant l’Indépendance. Ils comprennent parfaitement les implications des lois agricoles parce que leurs expériences sont vécues et non imaginées», nous a-t-il déclaré. Ce n’est pas par hasard que Bhagat Singh [1907-1931: militant de l’indépendance indienne, pendu par les Anglais; il avait fondé Hindustan Socialist Republican Association] est redevenu une icône de la lutte. Les sites de protestation regorgent de l’image et des écrits légendaires du révolutionnaire.

Navdeep Singh de Jind, dans l’Etat d’Haryana, a un stand de thé sur le site de la manifestation. Des piles de bûches ont été empilées pour servir de combustible pour la cuisson des repas et la préparation du thé qui est servi tout au long de la journée. Jarnail Singh, 63 ans, qui aide au stand de thé, a ramassé une tasse de thé vide et, pointant le doigt vers l’intérieur, dit avec un sourire que les fermiers «nettoieraient le système», tout comme l’intérieur de la tasse. «C’est la première fois que je viens dans une manifestation. Nous allons faire en sorte qu’ils révoquent les lois noires», a-t-il déclaré. Les lois agricoles sont décrites de manière systématique comme des kaaley kanoon (lois noires).

Jitender Singh, un jeune agriculteur venu du district de Pilibhit en Uttarakhand [État de l’Inde du Nord traversé par l’Himalaya], est assis à l’extérieur de son chariot, le dos appuyé sur le pilier d’un pont surélevé. Les vents glacés ne semblent pas le déranger beaucoup. «Il est un peu à l’étroit dans le chariot, car nous partageons l’espace de couchage. C’est inconfortable en plein air. Mais il ne fait pas aussi froid qu’en Uttarakhand», dit-il.

Le niveau d’organisation sur chaque site de protestation ainsi que l’énorme quantité de bénévoles et de camaraderie sont palpables et ont une qualité communicative. Les sites de protestation relativement plus importants de Singhu et de Tikri ressemblent à de petites colonies autosuffisantes dont les tracteurs et leur chariot servent d’unités ménagères indépendantes. Comme des familles entières s’y sont jointes, des femmes et leurs enfants à la traîne, ainsi que des jeunes qui s’affairent à surveiller toutes les activités, les zones ressemblent donc à une sorte de zone d’habitations. Plusieurs habitants, pour la plupart des migrants, ont été vus sur les lieux de la manifestation, vendant des vêtements en laine et d’autres articles de première nécessité. Sukhjit, un jeune ingénieur de l’une des principales institutions de Delhi, s’est porté volontaire pour aider le mouvement avec les compétences qu’il a acquises. Sukhjit a déclaré: «Depuis un certain temps, les jeunes n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer. C’est devenu le moment. Il y a une frustration généralisée sur la façon dont les choses se passent et cette communauté ne peut pas être mise dans un coin. Le gouvernement doit maintenant avoir compris que les sikhs sont “sortis des combinaisons officielles” et ne font plus partie des tactiques standards utilisées contre les minorités.»

Lui et plusieurs de ses amis tiennent régulièrement un blog sur le thème de la mobilisation. «Nous avons réalisé que la propagande sur les médias sociaux et la télévision devait être contrée. Elle devenait trop vicieuse. Alors l’idée a été lancée de construire la plateforme Kisan Ekta Morch. Certains ont essayé de créer un malentendu en disant que c’était un groupe dissident opposé à la Samyukta Kisan Morcha [la coalition qui regroupe 500 organisations de fermiers à travers le pays], mais ce n’était pas le cas», a-t-il déclaré. La Kisan Ekta Morcha, la plateforme de médias sociaux, est devenue le tremplin du mouvement, relayant en direct les conférences de presse quotidiennes tenues à Singhu. «En deux semaines, nous étions partout, avec nos abonnés se chiffrant par millions. C’est un groupe de cinq volontaires qui siègent à Singhu et gèrent les médias sociaux du mouvement. Il était nécessaire de contrer les absurdités qui étaient propagées», a déclaré Sukhjit.

Le fermier s’est réveillé

Le fermier s’est réveillé, disent les volontaires, après un long sommeil et va maintenant «sauver» le pays et aussi le gouvernement de lui-même. Les agriculteurs remercient le gouvernement de leur avoir donné un «coup de pouce» sous la forme des trois lois agricoles. «Shukriya, hum kisan so rahe the jab tum desh bech rahe the. Ab hum jaag gaye hain. Ab tumko bhi bachayenge aur khud bhi bachenge» (Nous somnolions quand tu vendais le pays. Maintenant, nous sommes réveillés et nous allons nous sauver nous-mêmes, mais aussi vous).

Sukhjit a déclaré qu’aucune autre communauté n’aurait pu résister à la pression pendant autant de jours. «Si les Gujaratis sont présents partout dans le monde, les Pendjabis le sont aussi et nous sommes solidaires les uns des autres, quoi qu’il arrive. Nous avons aussi les ressources et l’esprit pour riposter. Voyons ce qui va se passer.» Il a ajouté qu’au Pendjab et dans l’Haryana, les pompes à essence donnaient du carburant gratuit aux tracteurs qui se dirigeaient vers Delhi pour se joindre à la protestation.

Mukhtar Singh, qui possède 14 acres de terre à Pilibhit [dans l’État de l’Uttar Pradesh], a déclaré que si le gouvernement n’abrogeait pas les lois et que la protestation s’éternisait, lui et d’autres personnes apporteraient aussi leurs buffles. «Nous devrons peut-être construire des maisons pucca [résistantes] et peut-être même un gurudwara [temple Sikh] et même un plan d’eau dans les jours à venir. Nous ne mourrons pas de froid. Il y a tout ici pour nous permettre de continuer. Les fermiers qui possèdent 25 acres de terre dorment déjà par terre aujourd’hui», dit-il. Mais il a ajouté qu’il était inquiet pour les membres de sa famille, les enfants en particulier.

Kultaar Singh, un jeune fermier de l’ouest de l’Uttar Pradesh, a déclaré: «Les Sardars [Sikhs] sont au-dessus du pont surélevé; nous sommes en dessous. Beaucoup d’entre nous rentrent chez eux le soir, mais les Sardars restent. Il fait beaucoup plus froid sur la passerelle.» Les Sikhs et leurs organisations ont mis en place toutes les cuisines communautaires qui sont ouvertes à tous et où le feu continue de brûler dans l’âtre toute la nuit.

Beaucoup de jeunes participent aux manifestations. Un Naujawan Kisan Sahayata Kendra (un centre d’aide médicale mis en place par des jeunes qui se font appeler «jeunes agriculteurs») et un comptoir appelé «Nanak Di Hatti» fournissent gratuitement des médicaments et d’autres produits de première nécessité comme des couvertures et des articles de toilette de base. La légende veut que Guru Nanak [maître fondateur du sikhisme et premier des dix Gurus du sikhisme: 1469-1539] ait reçu 20 roupies de son père pour lancer une entreprise, mais le jeune Nanak en a donné la moitié aux pauvres. Balbir Singh Rajewal, 77 ans, président de l’Union Bharatiya Kisan (Rajewal) nous explique: «Cet esprit de 20 roupies est encore vivant aujourd’hui. L’idée du langar [repas collectif] en découle. Itni liberal koum hai (les Sikhs sont une communauté si généreuse).»

«Les firmes ne viennent pas pour nous servir mais pour le profit»

L’un des leaders les plus respectés du mouvement, Rajewal, dirige l’une des plus grandes branches du BKU au Pendjab. L’agriculture, dit-il, n’est pas n’importe quelle autre occupation pour les habitants du Pendjab et de l’Haryana. Lui-même agriculteur, il parle aussi bien l’anglais que le panjabi et l’hindi. «Les habitants de ces deux États ne connaissent rien d’autre que l’agriculture. Jusqu’à 65% des agriculteurs et 75% des ouvriers agricoles ont étudié jusqu’à la dixième classe. Pourtant, ils comprennent ce que sont ces lois agricoles, ayant fait l’expérience directe des conséquences de l’échec des expériences de l’agriculture contractuelle au Pendjab», a-t-il déclaré à Frontline.

Cette agitation, a-t-il dit, est unique en soi car nulle part dans l’histoire récente autant de personnes ne se sont réunies de manière aussi pacifique. Rajewal affirme: «Des gens de tous les horizons nous ont soutenus. Ils comprennent que les changements apportés à la loi sur les produits essentiels affecteront tout le monde. Les entreprises ne sont pas là pour faire de l’aide, mais pour faire du profit. Aux États-Unis aussi, les firmes ont accaparé 80% des terres. Mais leur gouvernement subventionne fortement les agriculteurs. Pour l’agriculteur indien, l’agriculture n’est pas seulement un travail, c’est un mode de vie. Pourtant, la plupart d’entre eux ne savent même pas comment la Commission des coûts et des prix agricoles décide du système des prix minimums soutenus. Aujourd’hui, ce jeune qu’on a traité de drogué fait la cuisine, le ménage, monte la garde et gère même les feux de signalisation. J’ai le sentiment que même si les lois sont retirées, le genre de changements que ce mouvement a déclenchés sera irréversible.»

Rajewal se souvient qu’il a eu une idée de cette situation à venir en 2017 lors d’une réunion du Niti Aayog [groupe de réflexion politique du gouvernement indien]. Il a déclaré que lors de cette réunion, les représentants du secteur des entreprises agroalimentaires ont déclaré qu’ils avaient besoin d’énormes étendues de terre pour pouvoir investir. Rajewal nous dit: «Quand mon tour est venu de parler, j’ai dit qu’au Pendjab et dans l’Haryana, la propriété foncière était importante. Les liens sociaux sont basés sur la propriété foncière. Les gens ne donnent leurs filles en mariage qu’aux familles qui possèdent des terres. C’était une source de revenu de base. Si la terre devait être arrachée à notre peuple, j’ai dit que cela créerait un énorme problème d’ordre public. Je suis alors tombé sur un rapport de la CACP [Commission des coûts et des prix agricoles] qui disait que le gouvernement devrait se retirer des marchés publics car les coûts de stockage et d’entretien augmentaient. Puis, six mois plus tard, un autre rapport a révélé que 8,5% des taxes étaient payées au Pendjab et un montant moindre en Haryana. Le bureau du Premier ministre a alors envoyé une lettre au gouvernement du Pendjab pour lui demander si le Centre aidait l’État dans le cadre du programme Bhavantar [Les Organisations de producteurs agricoles] et renonçait dès lors à l’achat de blé et de paddy, est-ce que cela serait acceptable. Le gouvernement du Pendjab a refusé. J’ai alors organisé un séminaire à Chandigarh en février 2020 en invitant tous les partis politiques et les organisations d’agriculteurs pour les avertir des lois qui ont été promulguées en juin. J’ai dit à Dallewal Sahab [Jagjit Singh Dallewal de BKU-Dallewal] que nous devions faire quelque chose maintenant. C’est ainsi que l’élan s’est construit vers ce que vous voyez aujourd’hui.»

L’élan se renforce. Il est également unique que, malgré le fait que chaque cycle de négociations se termine selon les prévisions, le gouvernement refusant de bouger, la détermination des agriculteurs protestataires se renforce de jour en jour. Un septuagénaire de Lakhimpur Kheri a résumé ce sentiment: «Jab Modi kanoon waapis karega, uske baad hee hum yahan se lautenge» («Quand Modi retirera les lois, alors seulement nous retournerons chez nous»). (Reportage publié sur le site du magazine Frontline; traduction de la rédaction de A l’Encontre)

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