Chine. Un documentaire sort du smog

Pékin en 2013
Pékin en 2013

Par Simon Leplâtre

Un documentaire peut-il pousser les autorités chinoises à renforcer la lutte contre la pollution? Diffusé samedi 28 février sur Internet, Sous le dôme,

d’une ancienne journaliste de la télévision nationale chinoise (CCTV- China Central Television), a déjà été vu plus de 155 millions de fois, soit l’équivalent d’un dixième de la population chinoise.

Ce film tente, en 1h43 minutes,de répondre à trois questions: qu’est-ce que le smog? D’où vient-il? Que pouvons-nous faire?

Utilisez: purificateur et humidificateur

Le sujet concerne particulièrement les Chinois qui étouffent régulièrement sous d’épais nuages de pollution. À Pékin, il est conseillé d’utiliser à la fois un purificateur et un humidificateur d’air. On a vite fait de s’imaginer sur la planète Mars, vivant sous une atmosphère artificielle. C’est d’ailleurs en référence à un roman de science-fiction de Stephen King, Dôme, que l’ancienne vedette de CCTV a nommé son documentaire.

D’emblée la journaliste se met en scène.  Avant je ne faisais pas attention à la pollution, je ne portais jamais de masque», raconte-t-elle lors d’une conférence intégrée au documentaire. Mais quand sa fille naît avec une tumeur bénigne au poumon, attribuée à la pollution, elle voit les choses différemment.

Chai Jing sait raconter une histoire. Elle n’est pas devenue par hasard l’une des journalistes les plus célèbres du pays, grâce à sa couverture de la crise du Sras en 2003. L’an dernier, ses Mémoires de terrain sont devenus un best-seller. C’est avec les droits de ce livre qu’elle a financé ce documentaire, pour un million de yuans (142 000 €), raconte-t-elle dans une interview au Quotidien du peuple.

L’accueil sur les réseaux sociaux

Au-delà du ton, le documentaire est très bien informé. Devant un cadre du ministère de l’environnement, la journaliste s’étonne que malgré d’évidents manquements, une usine d’acier qu’elle a visitée ne soit pas inquiétée. «Plus de 60 % des entreprises n’ont pas les autorisations nécessaires, lui répond sans ciller le responsable. Mais on ne peut pas toutes les contrôler. Et quand la vie de 100 000 salariés est en jeu… »

Parfois, le reportage laisse place à du dessin animé pour expliquer les effets néfastes des microparticules sur la santé, depuis les PM 10, dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres, qui obstruent les poumons, jusqu’aux PM 0,5, qui se faufilent jusque dans le sang.

Sur les réseaux sociaux chinois, l’accueil est globalement enthousiaste. «Je le trouve très convaincant, estime Hou Jinshi, jeune enseignante à Pékin. Tous mes contacts en parlent », témoigne-t-elle. Les quelques critiques visent surtout le style du documentaire, que certains jugent sensationnaliste, quand d’autres reprochent à la journaliste de trop se mettre en scène. D’autres encore rappellent que des militants, plus virulents qu’elle, sont emprisonnés. 

Eloge ou censure?

Bien qu’il pointe les manquements des autorités à plusieurs reprises, le documentaire a reçu les félicitations, dimanche 1er mars, du nouveau ministre de l’environnement. Chen Jining, qui vient de prendre ses fonctions dans un ministère miné par la corruption, a même comparé ce travail au livre de Rachel Carson, Printemps silencieux, publié en 1962 aux États-Unis, qui a contribué à lancer le mouvement écologiste.

Le département de la propagande ne partage pas son enthousiasme. D’après le site China Digital Times, qui diffuse les instructions données aux journaux chinois, ceux-ci ont d’abord reçu l’ordre de «s’abstenir de promouvoir davantage le documentaire Sous le dôme». Puis l’agence de presse officielle Xinhua a carrément envoyé une note demandant aux rédactions de s’abstenir de publier plusieurs de ses dépêches sur le sujet.

Le documentaire lui-même reste disponible et vu par de plus en plus de Chinois. L’histoire ne dit pas combien ont regardé l’intégralité du sujet, mais on retiendra qu’au panthéon des vidéos les plus visionnées de l’histoire du Web, un documentaire d’une heure et demie sur un problème majeur de ce début de siècle vient concurrencer un clip de pop coréenne et des vidéos de chats. (in La Croix, 4 mars 2015)

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