Chine. L’éclatement de la bulle immobilière

Par Martin Farrer

Il y a un peu plus d’un an, un promoteur immobilier chinois, peu connu du monde extérieur, déclarait que ses flux de trésorerie (cashflow) subissaient une «pression énorme» et qu’il pourrait ne pas être en mesure de rembourser certaines de ses dettes vertigineuses de 300 milliards de dollars.

Aujourd’hui, cette société, China Evergrande Group, n’est que trop connue pour être la figure emblématique des difficultés économiques du pays. Les prix de l’immobilier en Chine ont chuté au cours de chacun des 12 mois qui ont suivi l’avertissement désormais prophétique d’Evergrande [en septembre 2021, Evergrande reconnaissait sa crise d’endettement, au moment où les protestations des acheteurs-locataires se multipliaient devant son siège de Shenzen]. Le gouvernement de Xi Jinping s’apprête à injecter des milliards de dollars dans un marché immobilier qui, selon les experts, ressemble de plus en plus à une pyramide géante de Ponzi.

Selon les chiffres officiels, les prix des logements neufs dans 70 villes chinoises ont baissé de 1,3% en glissement annuel au mois d’août, ce qui est pire que prévu. Cette baisse est le reflet d’une année mouvementée au cours de laquelle le secteur immobilier chinois [ainsi que les infrastructures] est passé du statut de moteur imbattable de la croissance et de la prospérité à celui de principale menace pour la puissance économique mondiale.

Près d’un tiers de l’ensemble des prêts immobiliers sont désormais considérés comme des créances douteuses – 29,1%, contre 24,3% à la fin de l’année dernière, selon une étude réalisée par Citigroup cette semaine [citée par Bloomberg le 19 septembre] –, les promoteurs immobiliers publics, autrefois sûrs, étant à l’origine de cette augmentation.

Les prix de l’immobilier en Chine ont chuté suite au boycott des prêts hypothécaires et de la crise des liquidités qui frappe les promoteurs immobiliers
Variation en pourcentage, d’une année sur l’autre, du prix des logements neufs à vendre en Chine

La crise d’Evergrande, qui était alors le deuxième plus grand promoteur immobilier de Chine, s’est propagée à l’ensemble du secteur au point que les analystes ont jugé que la promesse faite cette semaine par le gouvernement de débloquer 200 milliards de yuans (28,33 milliards de dollars) pour relancer les investissements était bien en deçà des besoins.

L’agence de notation Standard&Poor’s (S&P) a déclaré qu’il faudrait au moins 800 milliards de yuans [111,85 milliards de dollars] – y compris voire dix fois plus dans le pire des cas – pour sauver un marché immobilier dans lequel les prix ont chuté, les ventes ont baissé, les promoteurs ont fait faillite et les acheteurs ont organisé un boycott des paiements hypothécaires sans précédent et de plus en plus large pour protester contre le fait qu’ils ont payé d’avance des maisons qui n’ont pas été achevées.

Selon les analystes, le marché connaît un effondrement total de la confiance. Seule l’intervention du gouvernement peut sauver la situation.

Selon une estimation approximative de S&P, environ 2 millions de logements, existant sur des plans, ne sont toujours pas achevés. Ce chiffre augmentera si les ventes continuent de chuter et si les promoteurs continuent de manquer d’argent pour achever les projets en cours.

«La crise de l’immobilier en Chine s’est transformée en une crise de confiance que seul le gouvernement peut résoudre», indique S&P. «Si la chute des ventes fait basculer davantage de promoteurs en zone de difficulté, les choses vont empirer. Les entreprises en détresse arrêteront la construction d’un plus grand nombre de maisons pré-vendues, ce qui affectera encore plus la confiance des acheteurs. Notre estimation approximative est qu’environ 2 millions de maisons inachevées pré-vendues par des promoteurs chinois sont maintenant dans les limbes. Cela a ébranlé la confiance dans ce marché.»

Pendant des années, la prévente de logements – principalement des appartements dans de grands blocs et dans des quartiers urbains planifiés de style nouveau – a permis aux promoteurs d’avoir des liquidités abondantes. Et, avec des emprunts à une hauteur faramineuse, d’acheter plus de terrains et de continuer à construire. En 2021, environ 90% des logements ont été vendus sur plan en Chine.

Mais la décision de Xi Jinping, il y a deux ans, de réprimer les prêts «inconsidérés» a coupé les promoteurs de leur financement. Lorsque la musique s’est arrêtée, il est apparu qu’ils ne pouvaient pas terminer les blocs de maisons pour lesquelles ils avaient déjà touché de l’argent parce qu’ils l’avaient dépensé pour acheter la parcelle de terrain ou lancer le projet immobilier suivant.

En bref, cela ressemble à une pyramide de Ponzi où l’argent pris aux nouveaux investisseurs est utilisé pour rembourser les clients existants, ceci dans une spirale toujours décroissante allant vers l’effondrement. C’est même ainsi que les pages sobres de The Economist (12 septembre 2022) voient les choses.

George Magnus, chercheur au China Centre de l’Université d’Oxford, a déclaré que le marché chinois n’était pas tout à fait une pyramide de Ponzi classique dans le style de l’escroquerie notoire de Bernie Madoff [arrêté et inculpé en 2008 – l’année de la crise financière – pour une escroquerie de type système de Ponzi portant sur quelque 65 milliards de dollars, 1938-2021], révélée après la crise financière mondiale, mais qu’il y ressemblait beaucoup.

«Les promoteurs immobiliers collectent d’énormes sommes d’argent auprès des clients pour financer l’achat des prochains projets de construction. Cela continue encore et encore avant d’atteindre la taille qu’il a atteinte», a déclaré George Magnus. «Ce n’est pas strictement une pyramide de Ponzi dans le sens de la gestion d’actifs, du style Madoff, mais ils utilisent essentiellement l’argent des clients pour financer le prochain projet, donc oui, c’est la définition standard de ce que cela signifie.»

Le marché immobilier représente entre 20 et 30 % du produit intérieur brut (PIB) de la Chine. C’est une proportion énorme par rapport à d’autres grandes économies, qui s’explique en partie par le modèle économique du pays, fondé sur l’investissement, qui a donné la priorité à la construction. Il en résulte une confiance aveugle dans les valeurs immobilières [un important nombre d’épargnants des dites classes moyennes ont investi dans l’immobilier, considéré l’épargne la plus sûre et la plus rentable – réd.], qui ont augmenté de manière plus ou moins uniforme au cours des deux dernières décennies ou plus.

Mais avec les blocages répétés qui dépriment également le marché, la croyance de longue date selon laquelle les prix ne peuvent qu’augmenter commence à s’estomper. Selon le groupe de courtage et d’investissement CLSA, a rapporté la semaine dernière Bloomberg  [article de Lisa Du du 19 septembre] que les ménages chinois pourraient retirer 127 milliards de yuans de l’immobilier au cours des neuf prochaines années pour les investir dans d’autres placements tels que les actions, les obligations et les produits de gestion de patrimoine.

«Les gens perdent confiance dans le modèle de prévente», a déclaré George Magnus. «C’est une nouvelle étape pour le marché hypothécaire chinois… l’actif sacré de la propriété. En l’occurrence, la légendaire classe moyenne montante de la Chine n’est pas en grande forme, au même titre que face aux confinements.»

La situation représente un défi majeur pour le gouvernement de Xi, surtout à l’approche du congrès du parti [le 20e], très important, qui se tiendra en octobre et au cours duquel le président Xi cherchera à assurer son pouvoir gouvernemental aussi longtemps qu’il le souhaite.

Mais bien que son gouvernement fasse pression pour la restructuration des promoteurs immobiliers en faillite tels qu’Evergrande et espère répartir le fardeau de la dette entre les entreprises d’Etat, les banques et les gouvernements locaux, la facture risque de retomber sur les Chinois ordinaires – tout comme sur les investisseurs ordinaires lorsqu’une pyramide de Ponzi finit par s’effondrer.

Anne Stevenson Yang, cofondatrice de la société états-unienne J Capital Research et experte de la Chine, a déclaré que le régime de Pékin était plus intéressé par la protection des entreprises d’Etat, des institutions et des propriétaires milliardaires d’entreprises que par celle des propriétaires de logements, et que cela influencerait sa réponse à la crise.

«Il y a ce qu’ils peuvent faire et il y a ce qu’ils feront», a-t-elle dit. «Ce qu’ils peuvent faire, c’est transférer de l’argent aux ménages, par exemple en donnant des appartements, en permettant aux gens de vivre dans des endroits où les hypothèques ne sont pas payées, et en augmentant les retraites pour que les gens aient confiance et dépensent à nouveau.

Mais ce n’est évidemment pas ce qui va se passer. Le système politique chinois n’est pas construit autour des individus, il est construit autour des firmes, ce sont elles qui constituent “le corps électoral”. Le système politique fonctionne à travers elles. Le marché de l’immobilier n’a pas été conçu pour être un système de Ponzi – un système de Ponzi doit être conçu. Or, c’est une bulle d’investissement [crise massive de surproduction]. Et la bulle est en train d’éclater.» (Article publié dans The Guardian, le 25 septembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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