Myanmar. La violence de la junte se heurte aux refus d’une population

Par Frontier Myanmar

Selon les diverses agences, au moins 618 civils ont été tués suite à la répression militaire des manifestations. Près de 3000 personnes ont été arrêtées, selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques.

Les responsables des droits de l’homme des Nations unies ont déclaré que l’armée faisait un usage croissant d’armes lourdes (grenades propulsées par fusée, mitrailleuses lourdes…) et de tireurs d’élite.

Par ailleurs, 19 personnes ont été condamnées à mort pour le meurtre présumé de l’aide d’un capitaine de l’armée, a déclaré vendredi la chaîne de télévision Myawaddy, propriété de l’armée. Il s’agit des premières condamnations de ce type annoncées en public depuis le coup d’État.

Nous publions ci-dessous la traduction du rapport établi, chaque vendredi, par le site Frontier Myanmar sur les «évènements» de la dernière semaine. (Réd.)

Sagaing se bat contre l’armée

Alors que les protestations ont diminué dans certaines régions du pays, la région de Sagaing [située à 20 km au sud-ouest de Mandalay] reste un bastion de la résistance, de plus en plus violente. Le 1er avril, un policier en grève aurait tué cinq de ses homologues avant d’être abattu. Thang Hou Gin, qui a fait défection après le coup d’État, a dirigé un groupe qui a attaqué les forces de sécurité dans le district de Tamu [ville située dans la région de Sagaing, à sa frontière avec l’Inde], tuant cinq policiers avec trois grenades à main. Après les coups de feu, les soldats stationnés à l’avant-poste ont répondu en ouvrant le feu, apparemment avec des mitrailleuses, tuant Thang Hou Gin sur le coup. Le 4 avril, des habitants de Tamu ont déclaré à Frontier qu’il y avait des tirs continus alors que des manifestants armés auraient à nouveau combattu les forces de sécurité. Il a été difficile de confirmer ce qui s’est passé exactement en raison des restrictions imposées sur Internet, mais le média local Zalen a rapporté qu’une mine avait explosé au passage d’un convoi des forces de sécurité, incitant les soldats à tirer en représailles. Une autre attaque à la grenade a été signalée le même jour, faisant cette fois-ci quatre morts parmi les soldats. Selon The Irrawaddy, une grenade a été lancée sur un camion rempli de soldats après que ceux-ci ont tiré sur des manifestants qui érigeaient des barrages routiers, ajoutant que 14 soldats ont été tués à Tamu au cours des dix derniers jours.

Un peu plus au nord, les médias d’État ont affirmé qu’un policier avait été tué dans le district de Homalin, à Sagaing, et que deux autres personnes avaient été blessées. Selon le rapport, une foule de 20 personnes a attaqué leur voiture alors que les policiers étaient en déplacement, tirant sur l’un d’entre eux à la tête et leur volant de l’argent et des munitions. Dans le district de Kalay (région de Sagaing), les manifestants ont réussi à obtenir des forces de sécurité qu’elles acceptent un échange de prisonniers, libérant neuf civils en échange de sept policiers capturés par des résidents. Des manifestants ont également affronté le Tatmadaw (l’armée) dans le district de Yinmabin (région de Sagaing), le 2 avril, ce qui a conduit à six arrestations, dont certaines ont fait des blessés. The Irrawaddy a rapporté par la suite que deux des manifestants blessés seraient morts en détention.

Plus tard dans la semaine, les forces de sécurité auraient commencé à faire un nouvel usage de la force contre les manifestants à Sagaing. Le 7 avril, les forces du régime ont réprimé les manifestants récalcitrants en plusieurs endroits. Le média d’investigation Myanmar Now a rapporté qu’au moins 20 manifestants avaient été tués – la majorité dans la région de Sagaing – et RFA Burmese a fait état de 26 morts. Au moins 11 d’entre eux se trouvaient à Kalay, tandis qu’à Taze, également dans la région de Sagaing, les forces de sécurité ont ouvert le feu à balles réelles, tuant au moins sept manifestants et en blessant une vingtaine d’autres, dont un moine. Taze a été sous les feux de la rampe des médias ces derniers temps parce que des dizaines de milliers d’habitants ont continué à organiser des manifestations de masse tous les jours, alors que les protestations ont diminué ailleurs en raison de la brutalité de l’armée et du nombre croissant de morts.

Les utilisateurs des médias sociaux pris pour cible

Le régime a émis 140 mandats d’arrêt visant principalement des célébrités et des personnes influentes sur les médias sociaux. Il semble cibler ceux qui ont profité de leur position dominante dans la société birmane pour s’élever contre le coup d’État. Les accusations portées en vertu de l’article 505-A du Code pénal, qui est passible d’une peine de trois ans de prison et a été utilisé contre de nombreux opposants, ont été annoncées par lots quotidiens de 20 personnes depuis le 2 avril.

Certains des acteurs les plus décorés du Myanmar figurent sur la liste, notamment Phway Phway, trois fois lauréat de l’Académie du Myanmar et acteur le mieux payé du pays. Ses collègues oscarisés Eaindra Kyaw Zin, Thet Mon Myint, Paing Phyo Thu et Min Maw Kun figurent également sur la liste. D’autres membres de l’industrie cinématographique ont également été visés, comme le réalisateur et scénariste Htoo Paing Zaw Oo et l’éminent maquilleur Ma Htet.

Un certain nombre de journalistes ont également été inculpés, notamment Mratt Kyaw Thu, le chroniqueur Sithu Aung Myint et le rédacteur en chef de Sayarwon Thurein Hlaing Win, tandis que les blogueurs populaires May Zune Win et Phyo Phyo Aung ont également été inculpés. Certaines des personnes figurant sur la liste ont déjà été arrêtées, notamment l’acteur Ye Deight, qui a été emmené lors d’une descente à son domicile dans le district de Mayangone à Yangon dans la nuit du 3 avril, et le journaliste Zin Thaw Naing, qui a été arrêté à son domicile dans le district de Botahtaung (Yangon) le 5 avril.

Mais certaines personnes figurant sur la liste ne semblent pas être des célébrités, ni même être suivies sur les médias sociaux. Les listes d’arrestations décrivent diversement certaines d’entre elles comme des propriétaires de petits magasins et des employés d’hôtel, et on ne sait pas vraiment pourquoi ils ont été inclus. L’explication la plus logique est que l’armée cible des utilisateurs de Facebook moins connus afin d’inspirer la peur parmi l’ensemble de population et d’encourager l’autocensure sur les médias sociaux.

Sanctions, coup d’Etat à l’ambassade. La Chine parle au CRPH

Les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions au régime militaire, mais cette fois-ci, elles visent un bras du gouvernement plutôt qu’une entreprise ou des officiers supérieurs liés à l’armée. Le secrétaire d’État Antony Blinken a déclaré que les États-Unis visaient la Myanma Gems Enterprise, qui fait partie du ministère des Ressources naturelles et de la Conservation de l’environnement, dans le but de couper l’accès de l’armée à des fonds de financement. Ces sanctions interviennent alors que l’armée organise un comptoir commercial de jade et de pierres précieuses à Naypyidaw du 1er au 10 avril, ce qui semble être un effort pour collecter des fonds bien nécessaires. Les ventes n’ont cependant pas été aussi fructueuses que lors des comptoirs précédents, où jusqu’à 1 milliard de dollars pouvaient changer de mains. Le 6 avril, les ventes n’ont atteint que 2,5 millions de dollars, selon les médias d’État.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a également déclaré que l’Union européenne allait bientôt imposer des «sanctions économiques… contre les entités économiques liées à l’armée». Cela inclurait probablement Myanma Economic Holdings Limited et Myanmar Economic Corporation, deux importants conglomérats contrôlés par l’armée déjà sanctionnés par les États-Unis et le Royaume-Uni depuis le 1er février.

Dans le même temps, un fonctionnaire de l’ambassade de Chine à Yangon se serait entretenu avec le Comité représentant le Pyidaungsu Hluttaw [CRPH: le pouvoir alternatif, issu du parlement dissous], un événement susceptible de déplaire à Naypyidaw, qui considère le CRPH comme une organisation terroriste. Il ne semble pas qu’il y ait eu beaucoup de discussions de fond lors de cet appel, qui a apparemment eu lieu la semaine dernière. Le fonctionnaire aurait répété les points de discussion de l’ambassadeur Chen Hai lors d’un entretien en février 2021. Il a déclaré que le coup d’État n’était «absolument pas ce que la Chine veut voir». Et sans surprise, il a semblé offrir peu de réponses aux demandes du CRPH de soutenir les efforts pour restaurer la démocratie et faire tomber le régime militaire. Néanmoins, il s’agit d’un développement significatif si l’on considère que la Chine a assidûment évité tout engagement avec la LND [Ligue nationale pour la démocratie] depuis l’assignation à résidence d’Aung San Suu Kyi en 1989 jusqu’en décembre 2011, lorsque l’ambassadeur de l’époque, Li Junhua, a tenu les premiers pourparlers avec la LND en deux décennies.

A Londres, les nouvelles étaient moins positives pour le CRPH. Des scènes extraordinaires se sont déroulées lorsque l’ambassadeur du Myanmar, Kyaw Zwar Minn – qui avait demandé la libération d’Aung San Suu Kyi et de Win Myint et ignoré l’ordre de retourner à Naypyidaw –, a été enfermé à l’extérieur de l’ambassade à Mayfair le 7 avril. Puis destitué, dans ce qu’il a décrit comme une «sorte de coup d’État, en plein Londres» (comme si un coup d’État ne suffisait pas). Il a rejeté la responsabilité de la révolte sur l’attaché militaire de l’ambassade et, peu de temps après, Naypyidaw a informé le Royaume-Uni qu’il avait mis fin au poste de Kyaw Zwar Minn. Le Royaume-Uni s’est retrouvé dans une situation délicate: si le ministre des Affaires étrangères, Dominic Raab, a condamné les «actes d’intimidation» des militaires et a rendu hommage au courage de Kyaw Zwar Minn, il semble que, conformément au protocole diplomatique, le Royaume-Uni n’ait eu d’autre choix que d’accepter sa révocation en tant qu’ambassadeur et de reconnaître le chef de mission adjoint Chit Win comme chargé d’affaires. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a tenté d’expliquer la raison de cette décision en déclarant que le Royaume-Uni reconnaît «les États et non les gouvernements», puis en ajoutant: «Nous devons donc accepter la décision prise par le gouvernement du Myanmar concernant le poste de Kyaw Zwar Minn.» [Selon diverses sources d’autres ambassadeurs ont pris position contre la junte.]

Les entreprises étrangères sous pression

La compagnie pétrolière et gazière publique malaisienne Petronas a suspendu ses opérations au Myanmar après une campagne de pression, mais elle a déclaré la force majeure plutôt que de donner une quelconque justification politique. La société a déclaré qu’il y avait eu un «déclin drastique du niveau de production» de son champ gazier de Yetagun dans la mer d’Andaman, «tombant en dessous du seuil technique de l’usine de traitement du gaz offshore». Bien que la société ait déclaré avoir pris cette décision afin de minimiser les risques pour son personnel et ses actifs, cette décision sera ressentie comme une victoire par les manifestants et les militants des droits de l’homme, qui s’en prennent de plus en plus aux entreprises étrangères impliquées dans des projets de gaz naturel avec Myanmar Oil and Gas Enterprise. Elles constituent la principale source de devises du régime.

Mais la transnationale française du pétrole et du gaz Total a exclu toute demande de suspension de ses activités ou de retenue des paiements à la junte. Le directeur général Patrick Pouyanné a prévenu que le non-paiement des impôts était «un crime en vertu de la loi locale», mais il a insisté sur le fait que la société n’avait payé «absolument aucun impôt» depuis le coup d’État en raison de l’effondrement du système financier. Il a défendu la position de Total en rappelant que si l’entreprise se retirait, cela couperait l’accès à l’électricité à «des millions de personnes» et fermerait «des hôpitaux et des entreprises, bouleversant la vie quotidienne». L’entreprise sud-coréenne Posco fait également l’objet de nouvelles pressions pour se retirer d’une coentreprise sidérurgique avec le conglomérat militaire MEHL. La pression ne vient plus seulement des groupes de défense des droits, mais aussi d’investisseurs institutionnels comme le fonds de pension du gouvernement néerlandais APG.

Dans le même temps, Fitch Solutions, une division du groupe Fitch [agence de notation], a revu à la baisse ses prévisions de croissance économique pour 2020-21 pour le Myanmar et a mis en garde contre un «effondrement économique» imminent. Le groupe avait précédemment anticipé une faible croissance de 2%, mais il prévoit désormais une chute vertigineuse de 20% du PIB, car il s’attend à ce que les troubles sociaux ne fassent qu’empirer dans les mois à venir et à ce que les militaires tuent davantage de civils. Les troubles signifient que les entreprises feront tout leur possible pour suspendre leurs plans d’investissement, voire liquider leurs actifs et se retirer complètement. Fitch met en garde contre une possible inflation galopante et une chute du commerce international. Fitch termine sa mise à jour par cette déclaration inquiétante: «Il n’y a pas de scénario catastrophe pour l’économie que nous puissions exclure.» (Rapport établi par Frontier Myanmar (Frontier Fridays) le 9 avril 2021; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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