La mobilisation s’est maintenue dans la capitale Alger, hier vendredi 9 avril 2021, à l’occasion du 112e vendredi du hirak, du moins par rapport aux précédentes semaines depuis le retour du mouvement populaire le 22 février dernier, après un arrêt volontaire de près de huit mois pour cause de Covid-19.
Des milliers de manifestants ont sillonné les parcours habituels scandant les slogans relatifs à l’Etat de droit et à la démocratie, entre autres, mais aussi pour réclamer la libération des hirakistes détenus. C’était aussi une occasion pour les manifestants de dénoncer la visite du Premier ministre français, Jean Castex, qui était prévue le dimanche 11 avril et qui a été annulée à la dernière minute. Beaucoup de manifestants ont, à cet effet, brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire, notamment: «Où la France met les pieds, la désolation advient». D’ailleurs, certains d’entre eux ont estimé que si la visite a été annulée par les autorités, comme ils le disent, c’est au vu du sentiment de «rejet» déjà perceptible.
Appelé par beaucoup de militants et activistes «vendredi de l’unité», des hommes politiques et défenseurs des droits de l’homme ont tenu à marcher ensemble. Parmi eux, on retrouve par exemple l’avocat Mustapha Bouchachi, le président de l’association RAJ (Rassemblement actions jeunesse), Abdelouahab Fersaoui, l’ancien secrétaire national du Front des forces socialistes (FFS), Ali Laskri, et le sociologue Nacer Djabi. Sur place, Me Bouchachi s’est exprimé sur le retour des interpellations, ces derniers temps, en signalant que «le régime politique procède de cette manière à la veille de chaque rendez-vous électoral. Cela s’est passé à l’occasion de l’élection présidentielle du 12 décembre, du référendum sur la Constitution du 1er novembre, et aujourd’hui à quelques semaines des législatives du 12 juin», a-t-il rappelé, tout en précisant que «l’objectif étant de faire peur aux Algériens». D’ailleurs, les manifestants ont scandé, hier, des slogans réclamant la libération de détenus. «Libérez nos enfants», «Prenez-nous tous en prison, le peuple ne s’arrêtera pas» ou «Détenus, on ne s’arrêtera pas», ont-ils crié plus d’une fois. Les portraits des derniers activistes arrêtés, tels que le poète du hirak, Mohamed Tadjadit, mais des autres aussi, ont été brandis par plus d’un.
L’enfant de 15 ans S. C. [arrêté lors de la manifestation du 4 avril à Alger, il a été victime d’agressions sexuelles dans les locaux de la police] n’a pas été oublié, puisque son nom a retenti dans les rues d’Alger, les hirakistes lui ayant exprimé leur solidarité. «Pacifique, pacifique. Nos revendications sont légitimes», a été, d’autre part, scandé plusieurs fois. «Ces arrestations qui se multiplient sont une provocation afin de pousser le hirak à sortir de son cadre pacifique», nous dira un manifestant. Bien entendu, les slogans habituels, «Etat civil, non militaire», «Algérie libre et démocratique», entre autres, ont été scandés.
Les manifestants ont également réaffirmé leur position sur le rejet des législatives du 12 juin prochain. «Les élections sont une farce. Le problème est dans la légitimité», ont-ils crié à cet effet. A noter, par ailleurs, qu’en plus du retour en force des pancartes sur lesquelles sont mentionnées les revendications du mouvement populaire, à l’image de l’indépendance de la justice, des médias, de la démocratie, du droit de manifester ou de la dénonciation de la répression, les regroupements de personnes pour débattre de différentes questions liées aux affaires politiques du pays se font également de plus en plus récurrents.
C’est notamment le cas au niveau de rue Khattabi, entre la Fac centrale et la Grande-Poste, où de petits cercles se constituent sur place. Outre la nécessité de «poursuivre la mobilisation», comme l’ont exprimé quelques-uns, la prochaine élection ou les dernières interpellations faisaient partie des problématiques discutées par les présents.
A noter également que le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Mohcine Belabbas, accompagné de plusieurs cadres de son parti, ou Karim Tabbou, responsable de la formation non agréée Union démocratique et sociale (UDS), ont aussi pris part à ce 112e vendredi.
C’est vers 16h que les manifestants ont commencé à quitter les lieux. Comme d’habitude, certains d’entre eux s’affairaient à nettoyer les lieux. (Article publié sur le site d’El Watan, le 10 avril 2021)
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A l’Est, le hirak est parti pour ne plus s’arrêter
Par S. Arslan, M.-F. Gaïdi, K. Ouhab et S. Fodil
Depuis la reprise des marches, lundi 22 février 2021, journée de son deuxième anniversaire, le hirak à l’Est est désormais parti pour ne plus s’arrêter.
Hier encore à Constantine et juste après la fin de la prière du vendredi, le mouvement s’est ébranlé à partir de la place des Martyrs, face à un dispositif sécuritaire maintenu dans les lieux habituels, comme c’était le cas lors des précédents vendredis et qui n’a pas connu un quelconque renforcement.
La marche d’hier est survenue aussi dans un climat de tension et d’appréhension. Beaucoup de rumeurs ont circulé sur d’éventuelles arrestations ou l’interdiction de la marche. Il y a eu surtout beaucoup d’interprétations après les mises en garde du Haut Conseil de sécurité, réuni, mardi dernier, sous la présidence de Abdelmadjid Tebboune.
Finalement, les choses se sont déroulées globalement dans le calme, malgré quelques escarmouches entre des manifestants et des automobilistes énervés à la rue Abane Ramdane, où des sages sont intervenus pour calmer les esprits.
Ce qui a poussé certains à lancer des appels à la vigilance contre les tentatives de division du hirak. «Depuis plus de deux ans, notre mouvement a toujours été pacifique. Il ne faut pas céder aux rumeurs et aux provocations, car il y aura toujours des tentatives pour diviser le hirak en jouant sur certaines sensibilités. Chacun doit respecter les idées de l’autre, mais le hirak doit rester uni pour atteindre ses objectifs», a averti un vieil homme habitué des marches du vendredi à Constantine. C’était d’ailleurs le même souffle qui a animé les habitants de la wilaya de Annaba [ville portuaire au nord-est] en ce 112e vendredi, durant lequel ils ont persisté et signé pour le départ immédiat et sans aucune condition du système en place.
Par centaines, ils sont venus des quatre coins de la wilaya pour être à ce rendez-vous dont le point de chute est le Cours de la Révolution et ses alentours. Sur fond de bruit des sirènes d’une ambulance dont les manifestants lui ont cédé le passage, ils ont manifesté, pacifiquement, en scandant différents slogans dont le dénominateur commun est: «Hey la bande, nous sommes toujours debout pour restituer les droits des martyrs, sans arrêter notre mouvement». D’autres insistent sur: «Pas d’élections avec la bande».
Des appels pour la libération des détenus
Sur les pancartes, des protestataires ont brandi des messages appelant à la libération des détenus. L’ambiance était comme d’habitude festive. Aucun engin de police n’a stationné sur le Cours de la Révolution. En majorité en tenue civile, les services de sécurité étaient en retrait. Aucun incident n’est à déplorer. A Skikda, les manifestants ont scandé hier «Wallah mana habsine» (Nous n’abdiquerons jamais). Ils étaient en effet quelques centaines à battre le pavé pour maintenir la pression sur le pouvoir et réitérer leur soif d’un pouvoir «civil et non militaire».
Menée par des figures locales du hirak, la marche entamée à Bab Kcentina s’est poursuivie jusqu’à la place du 1er Novembre près de l’hôtel de ville avant de revenir vers le point de départ et de se poursuivre jusqu’aux Allées du 20 Août 1955. Des refrains conjoncturels ont également été fredonnés, comme «Les élections ne sont qu’une pièce théâtrale, le problème est dans la légitimité».
Des manifestants ont exprimé de nouveau leur courroux par rapport à la presse, considérée comme «la source de nos problèmes» ont-ils laissé comprendre avant de clamer leur amour à la chaîne «El Magharibia» [chaîne de tendance islamiste proche du FIS, qui s’adapte au climat du hirak], «la chaîne du peuple» scandait une partie des marcheurs. D’autres revendications à caractère local ont été brandies pour demander l’emprisonnement d’anciens responsables vivant dans la wilaya de Skikda [située à 470 km d’Alger, à l’est sur le bord de la Mérditerranée].
Par ailleurs à Jijel [ville de Petite Kabylie], les derniers événements, notamment l’affaire Chetouane [le jeune de 15 ans abusé par la police] et la sortie de mardi 6 avril considérée comme des «menaces» [Tebboune dénonce le hirak accusé «d’entraver le processus démocratique» et «d’activités non innocentes»] ont ravivé des slogans dénonçant les services de sécurité, qualifiés une fois encore de terroristes et de «haggarine» [détenteurs méprisants du pouvoir], et le pouvoir. Le président Abdelmadjid Tebboune sera particulièrement ciblé par les slogans qui lui dénient toute légitimité et qui le présentent comme la façade du pouvoir militaire. Des appels ont été lancés pour libérer les détenus d’opinion.
La visite du Premier ministre français (annulée) a été aussi l’occasion pour les marcheurs de qualifier les tenants du pouvoir d’enfants «de Bigeard» [un des militaires qui a joué un rôle important en Indochine, puis en Algérie contre le mouvement de libération]. Plusieurs manifestants hissaient d’ailleurs bien haut les photos des dernières personnes arrêtées suite à l’affaire Chetouane.
Arrivés devant le siège de l’ANIE (Autorité nationale indépendante des élections), les marcheurs ont scandé «Pas d’élection avec la bande», alors que sur les écriteaux arborés par certains manifestants, on pouvait lire «Non au 12/12 bis» [en référence à la tentative d’élection de Bouteflika le 12 décembre 2019] et «Macron casse-toi». (Article publié sur le site d’El Watan, le 10 avril 2021)
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