Ukraine-Russie-OTAN-débat. «Ce que dira Poutine le 9 mai donnera probablement une idée de la durée de la guerre»

Par Paul Rogers

Pourquoi Vladimir Poutine semble-t-il faire preuve de retenue? Les discours et les déclarations télévisées du président russe ne manquent pas de grandiloquence, mais il aurait pu, s’il le souhaitait, intensifier rapidement et intensément la guerre en Ukraine.

Pourtant, le Kremlin semble avoir évité de détruire les principales infrastructures ukrainiennes et les zones à forte valeur économique ou militaire.

En fait, il semble que l’OTAN affiche sa puissance – les prochains jours [du 9 au 20 mai] verront le début de vastes exercices militaires s’étendant de l’Arctique à la Méditerranée – tandis que Poutine freine la guerre, au lieu de l’accélérer.

Il y a de nombreuses explications à cela, mais deux se détachent.

• La première est que le Kremlin reconnaît désormais que la guerre ne peut être gagnée. Si tel est le cas, le 9 mai – Jour de la Victoire tant célébré en Russie, qui marque la défaite de l’Allemagne nazie en 1945 – Poutine pourrait crier victoire à Marioupol et victoire imminente dans le Donbass, quelles que soient les données factuelles sur le terrain. Dans ce scénario, il est probable que la Russie poursuive mais n’étende pas la guerre, tout en étant en réalité préparée à des négociations.

• L’autre possibilité est que Poutine utilisera le 9 mai pour alors annoncer une mobilisation militaire à l’échelle de la Russie et intensifier la guerre, en recherchant une victoire beaucoup plus large. Il argumentera que l’OTAN est désormais entrée en guerre contre la Russie et que l’avenir du pays est en jeu, ce qui ne lui laisse aucune alternative.

L’orientation qu’il adoptera le Jour de la Victoire nous donnera une idée claire de la question suivante: cette guerre prendra-t-elle fin dans quelques semaines ou entrera-t-elle dans sa phase la plus dangereuse.

Un plan de guerre révisé

L’intention initiale de Poutine de mettre fin au gouvernement de Volodymyr Zelenski a échoué depuis longtemps. Mais son objectif d’ensemble – étendre l’influence russe vers l’Ouest dans le but de créer une nouvelle superpuissance «Eurasie» – est toujours d’actualité.

Loin de son plan de guerre original perturbé, le président russe s’est désormais engagé sur la voie rationnelle de l’occupation de l’Ukraine orientale et de l’extension du contrôle de la côte de la mer Noire jusqu’à la Transnistrie.

Le plan révisé comporte deux éléments, qui semblent simples mais posent problème.

• Le premier consiste à renforcer les forces terrestres à l’est en fusionnant les unités affaiblies et en les renforçant avec des troupes fraîches, y compris des mercenaires.

L’expérience de l’armée russe au cours des dix semaines de guerre a été marquée par des résultats très médiocres face à des unités de l’armée ukrainienne ayant un moral élevé, de mieux en mieux équipées en armes et munitions par l’OTAN. Même si les forces russes sont jusqu’à trois fois plus nombreuses que les défenseurs ukrainiens dans le Donbass, l’avantage est toujours du côté des défenseurs et beaucoup d’Ukrainiens sont des vétérans qui ont combattu pendant des années dans la région.

De plus, alors que la guerre se poursuit, les Etats de l’OTAN, en particulier les Etats-Unis, ont clairement fait savoir que l’Ukraine ne perdrait pas, ce qui signifie que les armes, le matériel et les renseignements continueront d’affluer dans le pays. L’élément de partage du renseignement est particulièrement précieux, car il permet souvent aux militaires ukrainiens d’agir rapidement et avec précision, notamment en ciblant des généraux russes et en coulant le Moskva, le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire.

L’armée de l’air ukrainienne a également été récemment en mesure d’accroître le nombre d’avions disponibles, non pas en acquérant de nouveaux appareils, mais en remettant en état les appareils existants non opérationnels grâce aux livraisons de pièces détachées et à l’aide des Etats-Unis.

Qui plus est, les liens antérieurs au conflit entre le Pentagone et l’Ukraine sont bien plus étendus qu’on ne le pense généralement. Un rapport récent indique qu’au cours des sept dernières années (The Hill, 4 mai 2022), le Pentagone a dépensé 126 millions de dollars pour former quelque 23 000 soldats ukrainiens en Ukraine même. Des centaines d’entre eux participent actuellement à des programmes de formation rapide sur les nouveaux systèmes d’armes dans les pays de l’OTAN.

• Le deuxième élément du plan révisé du Kremlin consiste à accroître l’utilisation de missiles de croisière et balistiques pour mener des attaques aériennes sur l’ensemble de l’Ukraine – ce qui est nécessaire si le Kremlin veut que les Ukrainiens ressentent une pression continuelle.

Le problème est que, n’ayant pas réussi à obtenir la suprématie aérienne sur l’Ukraine, l’armée de l’air russe est prudente dans l’utilisation d’avions d’attaque pour survoler le pays. Elle se fie beaucoup plus aux missiles de croisière tirés depuis des avions dans l’espace aérien russe ou biélorusse ou depuis des navires de surface et des sous-marins.

Jusqu’à présent, la plupart des attaques russes ont visé les grandes villes ou les proximités de celles-ci, et en particulier les usines d’armement ou les infrastructures de transport, en mettant l’accent sur les lignes d’approvisionnement [chemins de fer, par exemple] et les dépôts utilisés pour obtenir un soutien accru de l’OTAN.

Ces attaques sont peut-être importantes pour la Russie, mais elles ont mis en évidence deux problèmes récents qui pourraient désormais avoir une répercussion sur l’ensemble du déroulement de la guerre.

Le premier est le taux d’échec des missiles de croisière lancés par voie aérienne, qui, selon des sources étatsuniennes, est anormalement haut. Selon un haut responsable du Pentagone [Douglas Barrie, International Institute for Strategic Studiers-ISSS, 1er avril 2022], «soit ils ne parviennent pas à décoller, soit ils ne parviennent pas à atteindre leur cible, soit ils n’explosent pas au contact». Bien que ce responsable du Pentagone ait déclaré que l’armée de l’air russe dispose encore de plus de la moitié de ses stocks, le taux d’utilisation à ce stade de la guerre devrait augmenter.

Cela nous amène au deuxième problème de la Russie: elle ne peut pas produire suffisamment de missiles.

En 2002, lorsque les forces des Etats-Unis se préparaient à mettre fin au régime de Saddam Hussein, le début de la guerre en Irak a été retardé de plusieurs mois en raison de l’utilisation accentuée de bombes et de missiles guidés avec précision pour attaquer les talibans et Al-Qaida en Afghanistan. Les sociétés d’armement américaines ont dû travailler 24 heures sur 24 pour reconstituer leurs stocks.

Le Kremlin est aujourd’hui face à un problème similaire, notamment avec son missile de croisière Kalibr 3M-54 lancé depuis la mer, les stocks devant être acheminés depuis des régions éloignées de la Russie. Le problème fondamental découle de la qualité de la base industrielle, qui a été détériorée par l’impact des sanctions, notamment les sanctions ciblées visant spécifiquement les sous-composants importés.

Compte tenu de tous les problèmes qui se sont posés, il est probable que le discours du 9 mai de Vladimir Poutine comportera deux volets: l’affirmation que le Donbass est désormais entre les mains des Russes et la décision de mobiliser l’ensemble du pays afin de garantir la disponibilité des forces nécessaires pour gagner la guerre. (Article publié dans openDemocracy, le 7 mai 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

Paul Rogers est professeur émérite d’études sur la paix au département des études sur la paix et des relations internationales de l’université de Bradford, dans le nord de l’Angleterre. Il est membre honoraire du Joint Service Command and Staff College. Son dernier livre: Losing Control: Global Security in the 21st Century, London: Pluto Press, 4e ed. 2021).

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