Russie-Ukraine. Une invasion de plus en plus destructrice. Des réactions désespérées, paranoïaques du Kremlin. Le danger nucléaire ne peut être exclu

Par Patrick Cockburn

Le risque d’une guerre nucléaire devient plus grand qu’il ne l’était pendant la première guerre froide parce que la Russie du président Vladimir Poutine est beaucoup plus faible – et donc plus susceptible d’utiliser des armes nucléaires – que l’Union soviétique au sommet de sa puissance sous Nikita Khrouchtchev et Leonid Brejnev. Ce n’est qu’en tant que superpuissance nucléaire que Moscou conserve la parité avec les Etats-Unis dans leur capacité de destruction massive.

Au début de sa guerre en Ukraine, Poutine a procédé à des manœuvres d’intimidation en plaçant ses forces nucléaires à un niveau d’alerte plus élevé, affirmant qu’il était déterminé à dissuader toute interférence étrangère dans sa campagne militaire. A ce moment-là, beaucoup ont considéré sa menace comme rhétorique, mais depuis lors, son invasion mal planifiée a continué à échouer, montrant que les forces militaires conventionnelles de Moscou sont plus faibles que quiconque ne l’avait supposé.

Des leaders politiques occidentaux parlent maintenant avec insouciance de soutenir un changement de régime en Russie ou d’imposer une zone d’exclusion aérienne en Ukraine, ce qui impliquerait d’abattre des avions russes et d’attaquer des batteries de missiles anti-aériens à l’intérieur de la Russie. Ces menaces ne sont peut-être pas toujours sérieuses, mais elles sont susceptibles d’être prises au sérieux dans un Kremlin paranoïaque. Une grande partie de l’armée russe étant immobilisée en Ukraine dans un avenir prévisible, Poutine se tournera de plus en plus vers ses 1000 à 2000 armes nucléaires tactiques pour rééquilibrer les rapports de force face à l’OTAN en Europe orientale.

Etrangement, l’Occident était probablement plus préoccupé par le fait que Saddam Hussein utilise ses armes de destruction massive inexistantes en 2003 que par le fait que Poutine utilise aujourd’hui son vaste et trop réel arsenal nucléaire. Le risque est non seulement réel, mais il s’accroît à mesure que l’aventure militaire de Poutine en Ukraine apparaît comme l’une des plus grandes erreurs d’appréciation de ces cent dernières années. Il devient évident que la Russie n’a tout simplement pas la force de conquérir et de pacifier une nation de 44 millions d’habitants soutenue par la plupart des autres pays du monde.

Mais ce qui rend la crise doublement dangereuse, c’est que le désastre russe en Ukraine était tout à fait prévisible, voire inévitable. Et si le même manque de discernement était à l’œuvre lorsqu’il s’agit de déployer et d’utiliser des armes nucléaires?

La deuxième guerre froide contre la Russie s’avère bien plus dangereuse que la première, qui s’est déroulée entre la fin des années 1940 et 1989. Pendant plus de 40 ans, la menace d’une guerre nucléaire – destruction mutuelle assurée – a plané sur le monde et a été une préoccupation constante. Des bunkers nucléaires ont été construits pour protéger les élites gouvernementales et militaires. Les écoles américaines organisaient des exercices pour indiquer aux enseignants, aux élèves et aux parents ce qu’ils devaient faire en cas d’attaque nucléaire. L’intrigue du film Dr Folamour, qui tourne autour d’un général américain dérangé ordonnant une attaque nucléaire contre l’Union soviétique, semblait bien trop réaliste.

Pourtant, depuis la fin de la première guerre froide, la menace d’un anéantissement nucléaire a été largement oubliée, bien que les moyens de la mettre en œuvre soient toujours les mêmes. Personne n’a prêté attention au fait que des traités négociés de longue date et réglementant le déploiement des armes nucléaires et d’autres dispositions militaires ont été abandonnés ou laissés à l’abandon. Le Traité sur les missiles antibalistiques [Traité ABM signé en 1972 et complété en 1974] a été abrogé par les Etats-Unis en 2002, le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe [signé en novembre 1990] a été suspendu par la Russie en 2007. Il y a trois ans, le président Donald Trump a abrogé le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire [signé en décembre 1987], tandis que les contacts entre militaires visant à prévenir une confrontation accidentelle entre les Etats-Unis et la Russie sont devenus rares.

Cette indifférence à l’égard de la disparition des mesures destinées à prévenir une apocalypse nucléaire s’explique par le fait que la plupart des gens supposaient que la menace de guerre entre les Etats-Unis et la Russie, qui possèdent ensemble 93% des armes nucléaires dans le monde, avait disparu.

Rétrospectivement, cette confiance semble étrange, car les frictions entre les deux grandes puissances nucléaires n’avaient cessé d’augmenter en Ukraine depuis au moins 2014, tandis qu’en Syrie des avions des Etats-Unis avaient tué des soldats russes. Les Russes demandaient à quoi servait l’OTAN, si elle n’était pas dirigée contre eux.

Poutine a mis en danger sa propre existence et celle de son régime en lançant une invasion qui n’aurait pu réussir que si les Ukrainiens avaient aspiré à des libérateurs russes. Presque toutes les unités russes qui se trouvaient autour de l’Ukraine il y a deux semaines ont maintenant été déployées, mais la Russie est encore loin d’avoir remporté une victoire.

Elle peut réussir à prendre Kiev, Kharkiv et d’autres villes, mais seulement par l’utilisation massive de l’artillerie, et même ce résultat est incertain. Et pendant que ces sièges se poursuivent, les gens du monde entier regarderont les images de civils morts et blessés surpris par les bombardements russes alors qu’ils tentent de fuir leurs maisons.

Supposons que l’armée russe finisse par prendre les villes. Elle devra y établir des garnisons et combattre les guérillas dans les campagnes. Comme les Russes ne disposent pas du nombre de troupes nécessaires pour réprimer une insurrection populaire et qu’ils n’ont pas d’alliés locaux, ils auront vraisemblablement recours à la terreur, en bombardant les villes et les villages par voie terrestre et aérienne et en transformant leurs habitants en réfugiés. Les atrocités alimenteront les demandes populaires en Occident pour des sanctions plus sévères contre la Russie et une aide accrue à la résistance ukrainienne. En Russie, Poutine cherchera à jouer la carte du patriotisme et prétendra que la Russie est attaquée par des ennemis invétérés déterminés à la détruire.

Et comme la guerre en Ukraine entraîne de plus en plus d’autres puissances et que Poutine devient plus désespéré, la probabilité d’un échange nucléaire augmentera. (Article publié sur le site iNews, le 7 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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