Porto Rico. Les enseignants se battant pour l’école publique ont joué un rôle clé dans le soulèvement

Piquet de la Federación de Maestros de Puerto Rico

Par Mercedes Martinez
et Monique Dols

Dans les deux mois qui ont précédé le soulèvement qui a évincé le gouverneur portoricain Ricardo Roselló [voir nos articles publiés sur ce site en date du 23 juillet et du 8 août 2019], les enseignant ont obtenu des victoires, durement disputées, contre la privatisation de leur système éducatif. Les luttes menées par les enseignants et les familles contre les fermetures d’écoles et les écoles à charte [écoles «pour-le-profit»] ont ouvert la voie à une vague de protestation sans précédent en juillet.

A la fin de l’année scolaire, en juin 2019, il est devenu évident que la lutte pour mettre fin à la privatisation [charterization] avait largement gagné. Il n’y a qu’une seule école à charte qui fonctionne activement.

Puis, en juillet, les enseignants et les familles qui s’étaient battus contre la fermeture de 442 écoles publiques par l’ex-secrétaire à l’éducation Julia Keleher ont été récompensés lorsque Julia Keleher a été arrêtée pour corruption.

Alors que la nouvelle année scolaire commence en août, les éducateurs se battent encore pour financer et doter en personnel les écoles, rouvrir celles qui ont été fermées sous Keleher et mettre de côté les écoles privées. Dans les semaines et les mois à venir, attendez-vous à ce que les éducateurs continuent à jouer un rôle crucial dans la lutte pour la démocratie, contre l’austérité et pour la dignité de la classe ouvrière à Porto Rico.

Sauver les retraites des enseignants

L’une des luttes les moins connues mais les plus critiques à mener dans les mois à venir est celle visant sauver les retraites des enseignant·e·s.

Les travailleurs et travailleuses du secteur public subissent d’énormes pressions pour se serrer la ceinture afin d’assurer le remboursement de la dette illégitime de 74 milliards de dollars que le gouvernement doit aux détenteurs d’obligations.

La crise de la dette a été provoquée par un ralentissement économique qui dure depuis 2006, ce qui a amené le gouvernement à contracter des emprunts pour fonctionner. Ces prêts ont été rachetés par des fonds spéculatifs dont l’objectif est de réaliser d’énormes profits tout en forçant le gouvernement à réduire les services aux travailleurs de Porto Rico.

Mais comme l’ouragan Maria [septembre-octobre 2017 avec des milliers de morts] et le soulèvement de cet été l’ont révélé au monde entier, les travailleurs portoricains ne peuvent plus supporter de souffrir pour les riches.

En juin, les enseignants du primaire de Porto Rico se sont réunis dans un incroyable mouvement de solidarité et d’auto-organisation pour rejeter une proposition qui aurait réduit à néant les retraites des milliers d’éducateurs.

La dernière semaine de mai, l’Asociación de Maestros de Puerto Rico (AMPR), affiliée à l’American Federation of Teachers (AFT), a dévoilé un accord négocié directement avec le Conseil de surveillance et de gestion financières [dépendant du pouvoir de Washington]. Ce conseil d’administration imposé par le gouvernement fédéral, connu localement sous le nom de la Junta, agit comme une dictature puisqu’il supervise le processus qui consiste à faire payer aux travailleurs et travailleuses la dette odieuse de Porto Rico.

L’AFT a dépensé 3 millions de dollars dans une négociation à huis clos d’une durée d’un an, en passant par-dessus le gouvernement élu et surtout dans le dos des enseignant·e·s. Sa proposition aurait annulé les retraites de milliers d’enseignants actuels et les aurait remplacées par des régimes de retraite 401(k) [système par capitalisation], réduit les pensions des retraité·e·s actuels de 8,5 % et porté l’âge de la retraite de 55 à 63 ans. L’accord envisageait également d’éliminer les primes de Noël et aurait obligé les enseignant·e·s à travailler les jours fériés reconnus à l’échelle nationale.

Mais la Federación de Maestros de Puerto Rico (FMPR), un syndicat rival d’enseignants ayant une longue histoire de lutte de classe, ainsi que des alliés dans la lutte pour sauver l’éducation publique, ont mené avec succès une campagne pour le Vote Non qui a rejeté l’accord et arrêté de manière imprévue la Junta et l’AMPR/AFT dans leur opération.

La campagne Votez non a été une bataille difficile. AMPR/AFT a dépensé des centaines de milliers de dollars en publicités trompeuses à la télévision et à la radio, présentant l’entente comme un compromis nécessaire pour préserver les retraites. Au lieu d’installer des bureaux de vote dans les écoles ou dans tout autre espace public, le syndicat a loué des locaux privés pour permettre à son personnel de les occuper, d’y diffuser sa propagande et d’en éloigner l’opposition. L’AMPR/AFT a même appelé la police pour empêcher des observateurs neutres d’entrer dans les bureaux de vote.

Malgré ces mesures répressives, le FMPR a mobilisé les équipes pour qu’elles soient présentes à l’extérieur de 96% des bureaux de vote. Avec les sondages de sortie des urnes, les militants du Vote Non ont tout fait pour s’assurer que le vote était valable et que le résultat ne pouvait pas être détourné.

La lutte pour un apparent «impossible»

Ce fut un été glorieux, où des centaines de milliers de Portoricains ont participé à la plus grande grève générale jamais organisée sur l’île. Les grèves et les manifestations qui ont fait tomber le régime de Roselló ont été largement spontanées et démocratiques, mais les germes de l’insurrection ont été plantés par des décennies de lutte.

Ces luttes ont été menées par des féministes qui ont lutté contre la violence sexiste et l’homophobie, des journalistes qui ont mis au jour l’ampleur de la corruption gouvernementale, des militants qui se sont organisés pour que la dette soit annulée, des habitants des quartiers qui ont construit des centres autonomes d’auto-organisation, des environnementalistes qui ont arrêté un pipeline, des étudiants en grève pour garder leurs universités publiques, des artistes qui ont protégé et créé la culture, des syndicalistes qui refusent de compromettre l’avenir des salarié·e·s.

Aucun parti, aucune organisation ni aucun syndicat n’ont appelé à la grève et aux manifestations. De nombreux groupes ont contribué à leur apparition et à leur caractère politique.

Si nous pouvons tirer une leçon de ce moment victorieux, c’est que la voie à suivre consiste à se battre pour l’avenir et à refuser tout compromis.

Dans le mouvement ouvrier, des syndicats comme l’AMPR à Porto Rico et l’AFT aux Etats-Unis ont négocié nos droits à maintes reprises, sous le couvert d’obtenir le possible et ainsi d’éviter le pire. Cette approche permet à nos opposants de miner peu à peu nos positions, jusqu’à ce que nous trouvions notre système d’éducation publique dans un état déplorable, les écoles du quartier fermées, la vie des élèves bouleversée, et l’avenir des enseignant·e·s bouché.

Notre avenir dépend de la lutte pour «l’impossible», contre toute la logique d’un système qui fera payer les travailleurs de leur vie.

Le vent dans nos voiles

Aujourd’hui, les combattants de l’avenir de l’éducation à Porto Rico ont d’énormes victoires à leur actif et le vent dans les voiles. Nous avons fait tomber deux gouverneurs corrompus et nous faisons face à notre troisième. Les manifestations, les rassemblements, les marches, les performances artistiques et les batailles dans les rues contre la brutalité policière se complétaient les uns les autres. C’était un triomphe pour le peuple portoricain.

Tandis que le gouvernement continue d’être en crise, la population organise des assemblées régionales qui ne cessent de se multiplier. Nous espérons voir une nouvelle vague de revendications émerger de ces assemblées.

Le FMPR demandera un audit de la dette, la réouverture de nos écoles, l’abrogation des lois anti-travailleurs, la révocation de la privatisation des organismes publics, l’ajout d’un programme antisexiste dans les écoles et l’édification d’un système éducatif public de qualité que le peuple portoricain mérite.

L’insurrection populaire à Porto Rico a prouvé une fois de plus que «quand on se bat, on peut gagner». (Article publié sur le site de Labor Notes, en date du 15 août 2019; traduction rédaction A l’Encontre)

Mercedes Martinez est présidente du FMPR. Monique Dols est une éducatrice de la petite enfance basée à New York.

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