Par Rachel Lerman, Lori Aratani et Ian Duncan
SEATTLE – Les travailleurs de Boeing ont dressé un piquet de grève devant les usines de la société Boeing dans l’Etat de Washington, tôt ce vendredi matin (13 septembre), après avoir voté massivement en faveur de la grève.
Des dizaines de milliers de machinistes [94,6%] ont voté jeudi pour rejeter une proposition d’accord entre l’entreprise et le syndicat qui aurait augmenté de manière significative les salaires et les avantages sociaux, même s’il n’a pas répondu aux autres demandes du syndicat.
Quelque 96% des membres de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (International Association of Machinists and Aerospace Workers District 751- IAM) ont voté en faveur de la grève, soit bien plus que les deux tiers nécessaires pour déclencher l’arrêt de travail.
«Boeing doit cesser d’enfreindre la loi, doit négocier de bonne foi et nous reviendrons à la table des négociations chaque fois que nous pourrons nous y rendre pour faire avancer les dossiers que nos membres jugent importants», a déclaré Jon Holden, président du district 751 de l’IAM, devant une salle de machinistes réunis dans le local syndical de Seattle.
Il a été accueilli par des applaudissements nourris et un chant aux accents de «grève, grève, grève», dont beaucoup portaient des pancartes exigeant d’arrêter le travail.
Le débrayage est une rebuffade cinglante pour Boeing et pourrait représenter le défi le plus perturbant à ce jour pour une entreprise qui a passé la majeure partie de l’année à limiter les dégâts alors qu’elle passait d’une crise à l’autre.
La grève risque de faire échouer le redressement du géant de l’aérospatiale qui foit faire face aux défis financiers et aux problèmes de sécurité [de ses avions, entre autres]. Elle pourrait coûter à l’entreprise à court d’argent environ 1 milliard de dollars par semaine, selon les analystes. Les travailleurs syndiqués jouent un rôle clé dans l’assemblage de certains des avions les plus vendus de la société.
L’impact le plus direct concerne les usines d’assemblage de Boeing dans l’Etat de Washington, en particulier à Everett et à Renton. Un arrêt de travail prolongé pourrait également avoir un impact sur les fournisseurs de Boeing et éventuellement réduire sa part du marché dans l’aérospatiale.
Les machinistes de Seattle ont déclaré que la grève était envisagée depuis longtemps. «Nous voulons simplement être traités correctement et ils ne le font pas», a déclaré le mécanicien Charles Fromong, qui travaille pour Boeing depuis plus de 37 ans. «Alors je suppose que nous allons obtenir gain de cause».
La direction deBoeing a déclaré tôt vendredi (13 septembre) qu’elle retournerait à la table des négociations. «Le message était clair: l’accord de principe conclu avec les dirigeants de l’IAM n’était pas acceptable pour les membres», a déclaré l’entreprise dans un communiqué. «Nous restons déterminés à rétablir nos relations avec nos employés et le syndicat, et nous sommes prêts à retourner à la table des négociations pour parvenir à un nouvel accord.»
Après une série de négociations tendues et marathoniennes au cours des dernières semaines, l’IAM et Boeing aient annoncé dimanche (8 septembre) qu’ils étaient parvenus à un accord de principe pour quatre ans, comprenant une augmentation de salaire de 25% sur quatre ans et une amélioration des prestations de santé et de retraite. Autre point important: si les travailleurs avaient voté en faveur de l’accord avant le contrat actuel, Boeing se serait engagé à construire ses prochains avions dans l’Etat de Washington, une revendication clé des syndicats. Les deux parties et les investisseurs avaient salué l’accord [1].
L’optimisme s’est toutefois avéré de courte durée. Lundi 9 septembre, Jon Holden de la direction de l’IAM a déclaré au Seattle Times que les membres rejetteraient probablement l’accord. L’opposition s’est accrue au fur et à mesure que les travailleurs et travailleuses organisaient des rassemblements et se retrouvaient sur les réseaux sociaux pour exprimer leurs frustrations face à la proposition de Boeing. Une copie d’un tract recueilli par le Washington Post invitait les membres à «VOTER POUR REJETER LE MAUVAIS ACCORD DE BOEING». Il fut distribué dans de nombreuses usines de l’entreprise. Les machinistes ont également été irrités par la suppression de leur système de primes annuelles.
«Nous avons beaucoup d’influence, pourquoi la gâcher?», a déclaré Joe Philbin, un mécanicien intervenant sur les structures des avions, devant la salle de vote à Renton, jeudi 12 septembre. Il travaille pour l’entreprise depuis six mois et souhaite que les règles relatives aux heures supplémentaires obligatoires soient modifiées.
Plusieurs membres du syndicat, transportés en bus depuis l’usine voisine de Renton, ont déclaré qu’ils votaient pour le rejet de l’accord parce qu’ils souhaitaient des augmentations de salaire plus importantes. «Quatre ans [avec 25%] ne suffisent pas à compenser les 16 dernières années», a déclaré Roger Ligrano, un ouvrier de Boeing, avant de voter. Il a ajouté qu’il votait pour la grève, en partie, pour donner aux membres du syndicat plus de temps pour aboutir à un accord.
Harold Ruffalo, qui travaille chez Boeing depuis 28 ans, a déclaré après l’annonce des résultats du vote que l’entreprise était trop cupide et que les travailleurs avaient besoin de plus d’argent pour vivre au moment où l’inflation [particulièrement sur l’alimentation, le logement…] affecte les salaires. «Ils doivent prendre soin de nous», a-t-il déclaré.
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L’administration Biden surveille la situation. La secrétaire d’Etat au Travail par intérim [depuis le 11 mars 2023, sous-secrétaire depuis le 17 juillet 2021], Julie Su, est en contact avec les deux parties.
Les dirigeants de Boeing ont passé une bonne partie de la semaine à essayer de sauver l’accord, en exhortant les membres de l’IAM à mettre les plaintes passées derrière eux. «J’espère que vous choisirez l’avenir radieux qui s’offre à vous», a déclaré Robert Kelly Ortberg, PDG de Boeing [depuis août 2024; auparavant à la direction de Rockwell Collins, firme spécialisée dans l’avionique, les systèmes de pilotes automatiques et d’équipements] dans un message adressé aux employés mercredi.
«En travaillant ensemble, je sais que nous pouvons nous remettre sur de bons rails», a-t-il poursuivi. «Mais une grève mettrait en péril notre redressement conjoint, éroderait davantage la confiance de nos clients et nuirait à notre capacité à déterminer notre avenir ensemble.»
Mais les travailleurs ont rejeté son appel à la coopération.
«Je veux que l’entreprise soit juste avec nous», a déclaré T. E. Sue, qui travaille chez Boeing depuis plus de 35 ans et qui a déclaré qu’il s’agissait du «pire contrat» de son époque. «Nous sommes le pain et le beurre de la firme.»
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A l’approche de la date limite de la grève, les «analystes» ont déclaré qu’ils s’inquiétaient de la durée de la grève. Selon eux, de nombreux travailleurs n’ont pas oublié les précédents cycles de négociations au cours desquels Boeing a obtenu des concessions – notamment la fin du programme de retraite traditionnel – afin de maintenir la production d’avions dans l’Etat de Washington.
Michael Bruno, rédacteur en chef du réseau Aviation Week, a déclaré que lors des précédents cycles de négociations, Boeing avait menacé de délocaliser la production d’avions dans d’autres Etats [où la présence syndicale est faible ou nulle] pour obtenir des concessions de la part du syndicat, ce qui avait envenimé les relations.
La dernière grève des membres de l’IAM remonte à 2008, avec un débrayage de 57 jours qui, selon Moody’s [«gestion des risques» et analyse financière] a coûté à Boeing environ 1,5 milliard de dollars par mois. Boeing a rouvert les négociations sur ce contrat à deux reprises, en 2011 et en 2013, et a obtenu d’importantes concessions de la part des syndicats.
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Boeing s’est efforcé de se remettre d’importants revers en matière de sécurité, de finances et de contentieux, qui ont commencé en janvier lorsqu’un panneau de porte d’un 737 Max s’est détaché du fuselage en plein vol, laissant un trou béant. Les multiples enquêtes menées sur cette catastrophe ont mis au jour de graves lacunes dans les systèmes de fabrication et de contrôle de la sécurité de l’entreprise. Elles ont conduit l’administration fédérale de l’aviation à limiter le nombre de jets 737 Max que Boeing pourrait construire jusqu’à ce qu’il atteigne certains objectifs de qualité et de sécurité.
En mai 2024, le ministère de la Justice a annoncé que Boeing n’avait pas respecté les conditions d’un accord qui le mettait à l’abri de poursuites pénales dans le cadre de l’accident d’un Boeing Max survenu en 2018 en Indonésie et d’un second en 2019 en Ethiopie, qui ont fait 346 morts. Boeing a accepté de plaider coupable face à une accusation de fraude criminelle [dans le processus de certification du 737 MAX] dans le cadre de cette affaire [ce qui doit lui permettre éviter un procès pénal]. Un règlement doit encore être approuvé par un juge fédéral.
L’entreprise a également connu d’importants revers dans le cadre de son programme spatial Starliner, qui a été marqué par des retards et des dépassements de coûts. La capsule spatiale est revenue sur Terre au début du mois, mais sans les deux astronautes qu’elle avait transportés jusqu’à la Station spatiale internationale, la NASA ayant décidé qu’il était trop risqué d’utiliser l’engin de Boeing.
Or, Robert Kelly Ortberg a pris ses fonctions le mois dernier, promettant un nouveau départ! (Article publié par le Washington Post, le 13 septembre 2014, à 12h32 am; traduction par la rédaction A l’Encontre)
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[1] Le dirigeant, Jon Holden, du District 751 du syndicat IAM avait écrit aux syndiqué·e·s qu’il fallait accepter l’accord «car on ne pouvait pas obtenir plus avec une grève». Selon la radio NPR du 13 septembre: «L’accord aurait permis d’augmenter les salaires de 25%, de réduire la part des salari·é·es dans les coûts des soins de santé et d’augmenter les cotisations de retraite de l’entreprise. En outre, Boeing avait promis que le prochain avion de la société serait construit dans ses installations du nord-ouest du Pacifique – plutôt que dans l’usine non syndiquée de Boeing en Caroline du Sud. Mais de nombreux syndiqué·e·s de la base n’étaient pas satisfaits par cette proposition. Elle n’atteignait pas les 40% d’augmentation salariale et la réforme des pensions que le syndicat réclamait». (Réd.)
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