La stratégie de Trump pour réaffirmer la domination américaine (III)

Brooke Rollins, secrétaire d’Etat à l’Agriculture, propose de remplacer les travailleurs migrants expulsés par des bénéficiaires de Medicaid.

Par Ashley Smith

Des contradictions similaires sont apparues dans le traitement réservé par Trump aux alliés et vassaux de Washington. Trump augmente les taxes douanières pour contraindre tous les Etats du monde à se plier aux intérêts des Etats-Unis et à s’opposer à la Chine. Par exemple, son nouvel accord avec le Vietnam empêche ce pays d’être utilisé par la Chine comme base de transbordement de marchandises vers les Etats-Unis afin d’éviter les droits de douane (Financial Times,A. Anantha Lakshmi, 13 juillet 2025).

Les messages confus de Don TACO («Trump Always Chicken Out» – «Trump se dégonfle toujours»)

Mais une telle intimidation lui aliène les Etats dont Trump a justement besoin pour former un bloc contre la Chine. Il était peu judicieux de déclencher une guerre tarifaire avec la semi-colonie de Washington, le Mexique, et avec son partenaire impérialiste junior, le Canada, qui sont tous deux totalement intégrés à l’économie américaine.

Il était encore moins judicieux d’imposer des droits de douane généraux à des ennemis, des alliés et des îles insignifiantes (îles Heard-et-MacDonald, territoire extérieur de l’Australie situé sur la plaque antarctique) sur le plan économique, habitées uniquement par des pingouins et des phoques. Tout cela n’a fait que pousser les alliés à faire passer leurs intérêts avant ceux des Etats-Unis, perturbant ainsi la formation d’un bloc d’Etats impérialistes pour affronter et contenir la Chine.

Trump a ajouté à la confusion dans sa politique tarifaire en accordant des dérogations à des transnationales comme Apple, puis en ramenant tous les droits de douane réciproques à 10%, un niveau encore sans précédent ces dernières années, et en promettant de nouvelles réductions dans le cadre de négociations bilatérales avec des pays du monde entier.

Cela a valu au président le surnom insultant de TACO, abréviation de «Trump Always Chickens Out» («Trump se dégonfle toujours»). Sa brève guerre tarifaire avec la Chine a été tout aussi maladroite et contre-productive. Lorsque les Etats-Unis ont imposé des droits de douane de 145% sur les exportations chinoises, la Chine a riposté avec des droits de 125%, perturbant les chaînes d’approvisionnement, ralentissant les deux économies et entraînant des pénuries dans les usines et les rayons des magasins aux Etats-Unis. Une fois de plus, Don TACO a reculé, concluant à Genève le 11 mai un «accord à l’amiable» visant à réduire les droits de douane sur les produits chinois à 30%, tandis que Pékin les ramenait à 20%. La guerre tarifaire erratique menée par Trump contre la Chine a aliéné les capitalistes américains qui dépendent de la chaîne d’approvisionnement chinoise et vendent sur son marché.

La Business Roundtable, la Chambre de commerce, de grandes transnationales comme Apple et des dizaines de petites entreprises ont toutes fait pression sur Trump pour obtenir des exemptions et une réduction des taxes.

En outre, les marchés boursiers et obligataires ont manifesté leur opposition. Les actions ont chuté tandis que les investisseurs se sont débarrassés de leurs obligations, faisant grimper les rendements et, avec eux, les taux d’intérêt à long terme. Trump n’a donc eu d’autre choix que de céder, faisant passer le «Tariff Man» pour un chien qui aboie mais ne mord pas.

Sa nouvelle série d’augmentations tarifaires est empreinte de la même contradiction. D’un côté, il a adressé des lettres sévères à des pays, amis comme ennemis, les menaçant de nouvelles taxes, mais de l’autre, il a repoussé au 1er août la date limite pour la conclusion d’accords commerciaux. [A cette date, l’Union européenne (UE), le Japon ou la Corée du Sud voient ainsi leurs produits taxés à hauteur de 15%, et le Royaume-Uni de 10%, la Suisse 39%, le Canada 35% sauf pour les produits couverts par l’accord de libre-échange entre les trois pays d’Amérique du Nord, Thaïlande 19% (au lieu de 36%), Cambodge 19% (au lieu de 49). Avec la Chine, la trêve a été fixée au 12 août, puis prolongée pour 90 jours. Le Brésil, pour des raisons politiques (procès contre Bolsonaro), est frappé d’une surtaxe de 50%. Le 6 août, Trump a doublé les 25%, les portant à 50%, pour l’Inde, «en réponse à l’achat continu de pétrole russe». – Réd.]

Rendre la stagflation à nouveau importante

Le «Big Beautiful Bill» (budget) de Trump aggravera les problèmes du capitalisme états-unien et compromettra sa tentative de réaffirmer sa domination. Malgré des mesures d’austérité brutales contre la classe ouvrière, il entraînera une augmentation globale des dépenses, avec une forte hausse des mesures de contrôle aux frontières ainsi que des dépenses de défense, tout en réduisant les impôts des riches et des entreprises. Cela creusera le déficit et la dette.

La baisse plus accentuée en 2025 du salaire annuel des travailleurs constituant le 25% inférieur (quartile) de l’ensemble.

Elon Musk a dénoncé le projet de loi comme «une abomination répugnante». Il a lancé une guerre sur les réseaux sociaux contre Don TACO, puis a créé un troisième parti pour destituer les républicains qui ont voté en faveur de ce projet. L’agence de notation Moody’s a donné raison à Musk en abaissant la note de crédit de Washington, augmentant ainsi la probabilité d’une hausse des taux d’intérêt pour tous, des capitalistes aux propriétaires de petites entreprises, en passant par les professionnels et les travailleurs et travailleuses.

L’offensive de Trump contre les migrants aggravera encore les problèmes économiques des Etats-Unis. Son projet de loi prévoit une augmentation de 170 milliards de dollars du budget consacré à l’immigration, ce qui portera les dépenses annuelles de l’ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) à près de 40 milliards (37,5) de dollars, ce qui est plus élevé que le budget militaire de 15 pays. Il a déjà fermé la frontière et lancé des raids dans tout le pays, déclenchant une résistance à Los Angeles et dans tout le pays.

Trump a répondu à cette opposition en déployant 4000 soldats de la Garde nationale, ainsi que 700 marines, pour rejoindre les forces de police de Los Angeles afin de protéger le règne de terreur de l’ICE contre les migrant·e·s. Mais les travailleurs et travailleuses qu’il vise $ expulser sont essentiels à l’économie des Etats-Unis dans tous les secteurs, du conditionnement de la viande à la construction et à l’agriculture.

Toute diminution de présence de la main-d’œuvre dans ces secteurs vitaux entraînera une hausse des salaires, provoquant des pénuries, une augmentation des prix et une hausse de l’inflation. Signe de désespoir, la secrétaire à l’Agriculture Brooke Rollins a lancé une proposition sadique et absurde visant à utiliser de nouvelles exigences en matière de travail obligatoire pour forcer les bénéficiaires de Medicaid à remplacer des millions de travailleurs expulsés. [Dans Politico du 8 juillet, Brooke Rollins déclare: «Avec 34 millions de personnes, des adultes valides bénéficiant de Medicaid (qualifiées comme ayant des ressources limitées ou considérées comme handicapées), nous devrions être en mesure de le faire assez rapidement», faisant référence aux participants à Medicaid actuellement dans le programme qui ne répondent pas encore aux nouvelles exigences de travail du programme de réinsertion. – Réd.]

Face à la menace de perdre leur main-d’œuvre, l’agro-industrie, les barons de l’hôtellerie, les entreprises de construction et d’autres capitalistes ont fait pression sur Trump pour qu’il revienne sur sa décision, ce qu’il a fait, promettant de réduire les rafles sur les lieux de travail et de se concentrer sur les «criminels». Mais ensuite, sous la pression de son bras droit d’extrême droite, Stephen Miller, il a promis de poursuivre les raids, malgré le fait que la majorité de la population s’y oppose désormais et que 79% considère l’immigration comme une «bonne chose» (Washington Post, 11 juillet 2025).

Les économistes craignent que les politiques de Trump n’affaiblissent la croissance, voire ne déclenchent une récession. Au lieu de stimuler la relance de l’industrie manufacturière aux Etats-Unis, la politique tarifaire erratique et le projet de loi controversé de Trump ont entraîné une contraction des investissements et un gel des embauches, ralentissant une économie déjà stagnante dans un contexte d’inflation persistante [en juillet, l’inflation sous-jacente est à 3,1%] et potentiellement plus élevée en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement chinoises. Cela a ravivé les craintes d’un nouveau cycle de stagflation, cauchemar des années 1970, qui affaiblirait le capitalisme américain.

Les idioties du MAGA

La guerre idéologique menée par Trump contre la bureaucratie étatique, les institutions sociales et les agences de soft power impérial compromettra encore davantage la domination des Etats-Unis. Elle supprime, réduit et purge des ministères clés, du FBI à la CIA, en passant par l’armée et le département d’Etat, afin de se débarrasser de tout garde-fou qui entrave son autoritarisme.

Ce faisant, Trump rend inopérantes des parties essentielles de l’Etat qui font respecter et accepter la domination des Etats-Unis. Par exemple, il a vidé de sa substance Voice of America, un média clé que les Etats-Unis ont historiquement utilisé pour diffuser leur propagande contre leurs adversaires et séduire leurs opposants nationaux afin qu’ils considèrent à tort Washington comme un allié dans leurs luttes.

La Chine et la Russie se sont réjouies. L’ancien rédacteur en chef du Global Times chinois a déclaré que c’était «vraiment gratifiant», tandis que le rédacteur en chef de la chaîne russe RT (Russia Today) a qualifié cette décision d’«impressionnante». Pékin et Moscou injectent davantage d’argent pour combler le vide et gagner en influence mondiale.

L’assaut tous azimuts de Trump contre l’enseignement supérieur, en particulier les institutions d’élite comme Harvard, va également saper la suprématie états-uniennes. Lui et surtout J.D. Vance, qui a prononcé en novembre 2021 un discours tristement célèbre intitulé «Les universités sont l’ennemi», méprisent ces institutions parce qu’elles reproduisent l’establishment capitaliste libéral, qu’ils considèrent comme leur ennemi mortel.

Trump a justifié cette attaque en invoquant de fallacieuses accusations d’antisémitisme et une prétendue hésitation de ces institutions à écraser le mouvement de solidarité avec la Palestine. Sous ce prétexte, il a réduit leur financement, exigé qu’elles réécrivent leurs programmes et appelé à la suppression de leurs dispositifs en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion.

Cette attaque contre l’enseignement supérieur affaiblira l’impérialisme des Etats-Unis. Elle perturbera la reproduction de la classe dirigeante, de ses idéologues et de ses professionnels. Et elle empêchera la formation de secteurs de salariés qualifiés, décisifs pour que les Etats-Unis puissent dominer leurs concurrents dans le domaine des hautes technologies.

Ces institutions sont au cœur du complexe militaro-industriel, en particulier dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM). La réduction de leur financement sapera les efforts des Etats-Unis pour gagner «la guerre des puces» contre la Chine. Les répercussions ne seront pas seulement supportées par les écoles d’élite et leurs étudiants fortunés des Etats bleus (démocrates), mais aussi par les universités publiques et les étudiants issus de la classe ouvrière des Etats rouges (New York Times, 12 juin 2025)

Pire encore pour l’impérialisme états-unien, la chasse aux sorcières menée par Trump contre les étudiants étrangers, en particulier chinois, ainsi que contre les scientifiques internationaux, les poussera à quitter le pays, privant ainsi les universités et les entreprises d’une source essentielle de talents internationaux, en particulier dans les domaines des STEM (science, technology, engineering and mathematics). Déjà, les concurrents de Washington, de l’Europe à la Chine, recrutent des étudiants chinois en leur offrant des financements et des emplois lucratifs, ce qui fait paniquer la classe dirigeante qui redoute une fuite des cerveaux.

L’offensive de Trump contre la science compromettra également la suprématie des Etats-Unis. Il ne se contente pas de supprimer le financement de la recherche scientifique dans l’enseignement supérieur, mais aussi à la National Science Foundation, aux National Institutes of Health, à l’Environmental Protection Agency, à la National Oceanic and Atmospheric Administration, au National Weather Service et à la Federal Emergency Management Agency (FEMA).

Ces coupes budgétaires paralyseront la recherche essentielle non seulement aux entreprises, mais aussi à la sécurité et à la santé publiques, déstabilisant ainsi la société. Avec la FEMA et d’autres agences paralysées, les tragédies causées par le changement climatique, comme la mort par noyade de plus d’une centaine de personnes lors des récentes inondations soudaines dans le centre du Texas, qui auraient pu être évitées avec des réglementations, des précautions et des alertes appropriées, se multiplieront dans tout le pays.

La démolition de l’USAID par Trump, ainsi que le retrait de la plupart des institutions et accords multilatéraux, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les accords de Paris sur le climat et presque toutes les agences des Nations unies, compromettent fondamentalement le soft power de Washington et sa capacité à gagner des alliés et à soumettre les autres à son projet impérialiste contre la Chine. Au contraire, cela isolera et discréditera les Etats-Unis et incitera encore plus d’Etats à les considérer avec suspicion.

La politique «America First» de Trump a déjà conduit des puissances à tracer leur propre voie, en donnant la priorité à leurs intérêts économiques, politiques et militaires. Cela conduira à son tour à une intensification des conflits entre les Etats à travers le monde. Il sera également plus difficile pour les Etats-Unis de faire pression sur leurs alliés de principe, comme l’Europe et le Japon, pour qu’ils limitent leurs échanges commerciaux avec la Chine. En conséquence, le régime Trump n’aura plus que le «pouvoir dur» (par opposition au «solf power»), l’intimidation économique et militaire.

Plutôt que de restaurer la domination états-unienne, la mise en œuvre incohérente de la stratégie de hiérarchisation par le régime risque d’accélérer son déclin relatif. Fiona Hill, qui a servi dans la première administration Trump, est allée jusqu’à comparer son ancien patron à Boris Eltsine, qui a supervisé l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, déclarant: «Trump est en train de déconstruire les Etats-Unis, tout comme Eltsine a déconstruit l’Union soviétique.» (New York Times, 22 juillet 2025)

La Chine affronte Trump

Consciente de sa position de force vis-à-vis des Etats-Unis, la Chine a tenu tête à l’agressivité de Trump et a exploité les contradictions de son administration. Elle a mis en échec sa stratégie sur les droits de douante, répondant à chacune de ses augmentations par des hausses similaires, y compris celles visant les Etats républicains.

Elle a joué son atout majeur: son quasi-monopole sur le traitement des terres rares et des aimants permanents (qui font appel aux terres rares), composants essentiels de tout, des voitures aux avions de combat américains comme le F-35. Elle a suspendu ses exportations, paralysant ainsi la production civile et militaire.

La Chine a poussé Trump à conclure un «accord à l’amiable» prévoyant une pause de 90 jours afin de permettre la tenue de négociations en vue d’un accord commercial. Trump a manifesté une hésitation dans la confrontation, Xi Jinping de même. Avec une économie qui peinait déjà à maintenir sa croissance, Xi Jinping ne pouvait se permettre une cessation quasi totale des échanges commerciaux avec les Etats-Unis. Malgré une augmentation des exportations vers l’Europe et l’Asie du Sud-Est et une croissance globale modeste, la perte des marchés états-uniens a désorganisés les entreprises chinoises.

Mais leur accord a volé en éclats lorsque la Chine a limité la vente de métaux rares et que les Etats-Unis ont riposté en interdisant l’exportation de puces, de logiciels essentiels et de pièces détachées pour la construction d’avions chinois [Nvidia propose toutefois de pouvoir exporter en Chine, pas son haut de gamme mais ses produits moins sophistiqués tout en proposant une taxe de 15% de taxe sur les revenus de ces exportations à verser au gouvernement des Etats-Unis – réd.]. Leurs économies étant en péril, les deux pays ont de nouveau hésité, promettant de rétablir leur accord et de poursuivre les négociations commerciales bilatérales en vue d’un accord final [délai prolongé à nouveau de 90 jours le 11 août par l’administration Trump]. Néanmoins, la Chine a démontré la faiblesse de Trump.

Xi a exploité l’abandon par la nouvelle administration de la supervision de l’ordre néolibéral de la mondialisation du libre-échange en se posant comme son défenseur. Il s’est engagé à être, contrairement à Washington, un partenaire commercial fiable pour le reste du monde.

Bien sûr, cette attitude n’était guère désintéressée, car la Chine a été l’un des principaux bénéficiaires de cet ordre et a désespérément besoin d’accéder aux marchés internationaux pour exporter son capital et ses produits. En effet, la Chine a compensé la perte des marchés américains en réorientant ses exportations vers le reste du monde, atteignant un excédent commercial record de 586 milliards de dollars.

Xi a également profité de la décision stupide de Trump de lancer sa guerre commerciale contre tous les pays à la fois en proposant des accords diplomatiques et commerciaux aux Etats d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique et d’Europe. Mais la réponse des Etats à travers le monde a été contradictoire. Ils ont à la fois salué les offres de la Chine et exprimé leur inquiétude quant au fait qu’elle les utilise pour exporter ses excédents vers leurs marchés, ce qui nuirait à leurs entreprises.

Le Brésil s’est récemment rallié à la Chine dans une défense commune du libre-échange, mais l’année dernière encore, il enquêtait sur Pékin pour cause de dumping, tandis que ses entreprises sidérurgiques réclamaient une augmentation des droits de douane afin de protéger leur industrie et leur part de marché.

Enfin, Xi a répondu au militarisme accru de Trump par des affirmations agressives de la puissance militaire de la Chine. La Chine a intensifié ses exercices militaires autour de Taïwan, envoyé des navires en Australie dans le cadre d’un exercice naval sans précédent, exacerbé ses conflits avec les Philippines et d’autres Etats de la mer de Chine méridionale au sujet d’îles contestées, et même déployé deux porte-avions dans les eaux économiques japonaises. (Suite de l’article publié sur le site Tempest le 24 juillet 2025;  traduction rédaction A l’Encontre, la suite sera publiée en date du vendredi 15 août)

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