Etats-Unis-uberisation: «Doordash, Uber, Postmates et d’autres ont versé 224 millions pour faire aboutir leur référendum»

Par Eve Batey

La Proposition 22 [1], l’initiative populaire californienne soutenue par les entreprises de livraison de nourriture comme Postmates, Instacart et Doordash, a été approuvée par les électeurs et les électrices de Californie, le 3 novembre 2020, jour des élections. Cette victoire signifie que les entreprises de livraison de nourriture et les services de transport par applications, contrairement à la plupart des autres secteurs d’activité de Californie n’auront pas à fournir à leurs chauffeurs les protections standards des salarié·e·s comme le salaire minimum pour les heures travaillées, les prestations de soins de santé ou l’assurance chômage.

Selon les résultats des élections disponibles le 4 novembre, 58,4% (contre 41,6%) des plus de 14 millions d’électeurs californiens ont soutenu la Proposition 22, un résultat bien supérieur aux 50% plus un dont elle avait besoin pour l’emporter. Son succès permettra aux entreprises qui utilisent des chauffeurs comme main-d’œuvre – comme Uber le fait à la fois avec Uber Eats et son offre Uber ride hail [demande par un consommateur d’une voiture et d’un chauffeur], par exemple – n’auront pas à obéir à la loi Assembly Bill 5 (AB5), une loi entrée en vigueur le 1er janvier 2020. Elle stipule que les travailleurs réguliers dont les tâches font partie du fonctionnement normal d’une entreprise doivent être définis comme des salarié·e·s, et non comme des entrepreneurs indépendants.

Comme les entreprises de livraison et de taxis dépendant de plateformes d’appel dépendent du travail de ces travailleurs, la mise en œuvre de l’AB5 aurait nécessité une révision importante de la façon dont les entreprises conduisent leurs affaires en Californie. Cette loi les aurait obligées à fonctionner comme les autres entreprises sont légalement tenues de le faire: en fournissant des indemnités de maladie, en payant les heures supplémentaires et en effectuant des versements au système de chômage et à la caisse d’assurance invalidité de l’État.

Au lieu de cela, ces entreprises ont déposé la Proposition 22 destinée à garantir que l’AB5 ne s’applique pas à elles. Au final, l’ensemble de ces sociétés ont dépensé plus de 224 millions de dollars pour s’assurer qu’elles n’avaient pas à se conformer à la loi, ce qui en fait la proposition référendaire la plus coûteuse de l’histoire de la Californie. En comparaison, les organisations de travailleurs qui se sont opposés à la Proposition 22 ont réuni 20 millions de dollars.

«La somme obscène que ces sociétés multimilliardaires ont dépensée pour tromper le public ne les dispense pas de leur devoir de payer aux conducteurs un salaire décent», a déclaré Art Pulaski, porte-parole de la California Labor Federation, un opposant à la Proposition 22. «La fin de cette campagne n’est que le début de la lutte pour que les travailleurs du secteur des plateformes reçoivent un salaire équitable, des indemnités de maladie et des soins lorsqu’ils sont blessés au travail.»

Geoff Vetter, porte-parole de «Yes on 22», a célébré la victoire de la campagne par une déclaration. «La Californie a parlé. Des millions d’électeurs ont joint leurs voix à celles des centaines de milliers de conducteurs qui veulent l’indépendance et plus d’avantages», a-t-il déclaré. «Avec l’adoption de la Proposition 22, les chauffeurs liés à des plateformes et ceux chargé de livraisons pourront conserver, en Californie, leur indépendance et avoir accès à de nouveaux avantages historiques, comme un salaire minimum garanti et des soins de santé.»

Cependant, alors que la Proposition 22 exigera effectivement des entreprises qu’elles paient aux chauffeurs un salaire horaire égal à 120% du salaire minimum local ou à l’échelle de l’Etat [en Californie, il est fixé à 13 dollars, depuis janvier 2020, pour les entreprises employant plus de 26 salarié·e·s et à 12 dollars pour celles employant moins de 25 salarié·e·s]. Selon la Proposition 22, ce salaire ne s’applique toutefois qu’au temps que le livreur passe à ramasser et à transporter de la nourriture ou des passagers. Elle ne couvrira pas le temps passé entre deux voyages ou livraisons, ce qui signifie que la plupart des conducteurs gagneront probablement beaucoup moins que le salaire minimum local ou à l’échelle de l’État. Et ils ne recevront pas non plus un taux de rémunération garanti.

Le triomphe de la Proposition 22 suggère également que d’autres secteurs du monde des affaires de l’État de Californie se tourneront vers les électeurs, avec des initiatives référendaires, pour «trancher» des questions liées au droit du travail, a déclaré à la chaîne KPIX (CBSN Bay Aerea) le professeur de sciences politiques David McCuan de l’université d’État de Sonoma (nord de la Californie): «La Proposition 22, élève le type d’investissement financier pour faire passer un tel objet soumis au vote», explique M. McCuan. «Elle établit des records en termes d’argent dépensé. Ils vont être battus en brèche la prochaine fois… Elle fait de la voie de la démocratie directe un terrain de jeu qui nécessitera des milliards dans de futurs cycles de votations.» (Article publié par le site Eater San Francisco, le 4 novembre 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Les électeurs et électrices de Californie se sont prononcés – le 3 novembre, jour des élections – sur l’initiative populaire dite Proposition 22. Cette dernière visait à qualifier les conducteurs des services de transport et de livraison par applications comme des entrepreneurs indépendants et à les doter, ainsi que les entreprises les employant, de certains droits et obligations ainsi que d’une rémunération qualifiée de minimale. (Réd.)

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