Plus de deux semaines après l’élection présidentielle du 3 novembre, Donald Trump continue de répéter au pays et au monde: «J’ai gagné l’élection». Il insiste, le résultat n’était même pas serré: «J’ai gagné avec des millions de voix d’avance.»
Ses troupes, de son cabinet jusqu’au bas de l’échelle, font allégeance à leur «chef». Ils disent que le système est truqué et que les démocrates ont «volé» les élections.
L’indignation des partisans de Trump a même atteint la Californie, où Trump a perdu de plus de cinq millions de voix.
L’objectif de Trump est de saper le système constitutionnel et de créer le maximum de difficultés pour la passation des pouvoirs (la dite transition). Pour l’heure, Trump contrôle l’appareil d’État, y compris les forces armées. Jusqu’à présent, toutes ses gesticulations ont échoué à empêcher la transition vers une nouvelle administration, démocrate, celle de Joe Biden dans deux mois.
Défaites juridiques
Les avocats de Trump ont intenté 37 actions en justice, ils ont subi 35 défaites et engrangé 2 victoires, mineures. Trump, pourtant, prétend n’avoir pas connu de défaites.
Le 19 novembre, Rudy Giuliani, son avocat, a tenu une conférence de presse étrange au cours de laquelle il a assuré disposer des «preuves» des fraudes du Parti démocrate, tout en refusant de les montrer.
Sidney Powell, une autre de ses avocates, s’est répandue elle aussi en déclarations absurdes et dénuées de fondements, sur les interférences dans le processus électoral «du Venezuela communiste et de George Soros»; ce dernier, selon elle et Giuliani: «finance les antifa, Black Lives Matter et le parti démocrate». De même, ces deux avocats, ont également prétendu que le supercalculateur Hammer a piraté des votes; que Trump a gagné «avec des millions de voix d’avance»; que la société de logiciels «Dominion Voting Systems» a truqué les résultats.
Ensuite, Trump a sollicité des élus républicains du Michigan qu’ils annulent le résultat des élections dans cet État où il a perdu l’État par plus de 157 000 voix.
Le Parti républicain, au niveau national et au niveau du Michigan, exigeait que les résultats ne soient pas certifiés avant qu’il ait été procédé à un audit complet du comté de Wayne qui comporte la ville de Detroit, habitée à 80% par une population afro-américaine.
Mais Trump a subi ici un nouveau coup dur. Comme rapporté par le New York Times, le conseil électoral de l’État du Michigan a approuvé, le 23 novembre, le résultat de l’élection. Il a donc résisté aux pressions exercées par Trump afin de retarder le processus. Il a ouvert la voie à Biden pour la réception des votes des 16 grands électeurs de l’État.
L’équipe de campagne de Trump s’efforce de priver les électeurs noirs de leurs droits. Il est choquant de relever que la plupart des comtés blancs du Michigan, de Pennsylvanie et d’autres États ayant voté démocrate ne sont pas contraints à effectuer des audits et à «exclure» (potentiellement) des électeurs.
Le 21 novembre, une ordonnance cinglante du juge Matthew W. Brann – juge à la US District Court in the Middle District of Pennsylvania – a écrit à l’équipe de campagne de Trump, qui lui avait demandé de priver effectivement près de sept millions d’électeurs de leur droit de vote, qu’elle aurait dû se présenter au tribunal «armée d’arguments juridiques convaincants et de preuves factuelles de corruption rampante» afin d’étayer ses efforts revenant pratiquement à annuler les résultats de l’élection en Pennsylvanie.
L’équipe de campagne de Trump, a-t-il écrit, n’a fourni que «des arguments juridiques tirés par les cheveux et dépourvus de fondement, et des accusations reposant sur de pures spéculations» qu’«aucune preuve ne venait étayer». Il a classé sans suite la procédure. Le lendemain, l’équipe de campagne de Trump a fait appel. Le 24 novembre, la Pennsylvanie et le Nevada ont certifié la victoire de Biden, ce qui constitue une défaite de plus pour Trump.
Une apparence de démocratie
La «démocratie», dans le pays le plus puissant du monde, repose sur un château de cartes. La plupart des gens supposent probablement que, lors d’élections, si une majorité d’électeurs et d’électrices vote pour un candidat, ce dernier gagne. Le système «le gagnant emporte toute la mise» ne s’applique pas à l’élection du président des Etats-Unis.
Voilà pourquoi Trump peut se conduire ainsi. Chaque État doit approuver les grands électeurs du parti gagnant; un mois plus tard, ces grands électeurs désignent le vainqueur. En cours de route, du 3 novembre au 14 décembre (lorsque les grands électeurs se réunissent pour ratifier les résultats), puis jusqu’au 20 janvier, tout peut arriver. Depuis la fin des années 1800, le transfert de pouvoir s’est effectué en douceur.
Trump a perçu les contradictions du système. Avec son recours au «gros mensonge», il les exploite. Lorsqu’il s’affiche en répétant frauduleusement «j’ai gagné», ses partisans le croient. Il mine le système électoral et le régime démocratique.
Les juristes et les experts de l’establishment croient que Trump quittera sans problème ses fonctions, le 20 janvier. Mais ce dernier ne fonctionne comme cela. C’est une question de pouvoir pas de loi, et il le sait,
Pendant quatre ans Trump a ébranlé toutes les certitudes ayant trait à ce que les présidents sont censés faire. Ainsi, le président a juré défendre le pays contre ses ennemis extérieurs et intérieurs. Or Trump traite les démocrates d’«ennemis» et exige régulièrement leur arrestation, y compris celles de Biden, de l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton ou de l’ancien président Barack Obama. Les «experts» ne prennent pas au sérieux ses demandes.
Que répond Biden
Et pendant ce temps, Biden et les démocrates agissent officiellement comme si l’entrée en fonction du président élu, le 20 janvier, est absolument certaine.
Joue Biden, un libéral pro-business, a clairement indiqué qu’il défendrait les intérêts de Wall Street, même s’il soutient du bout des lèvres les intérêts du mouvement ouvrier et de la classe laborieuse.
A ce jour, ses premières nominations en vue de former son futur gouvernement sont des politiciens et politiciennes de centre droit – Janet Yellen, reconnue par les milieux d’affaires suite à son passage à la Fed entre 2014 et 2018, sera la secrétaire au Trésor – et elles respectent une diversité de genres et d’origine « raciale » (aux Etats-Unis la référence à l’origine «raciale» appartient au discours officiel).
L’aile la plus militante et progressiste du Parti démocrate a été exclue des cercles gouvernementaux à venir. Des activistes amérindiens, des défenseurs de la justice raciale et du climat ont organisé, le 19 novembre, une occupation devant le siège du parti démocrate – à Washington-DC – à l’occasion du Comité national démocrate. Ils enjoignaient Joe Biden à prendre des mesures immédiates contre le changement climatique et à approuver le Green New Deal. Ils réclamaient également un Cabinet gouvernemental exempt de lobbyistes et de personnalités étroitement liées à l’industrie.
Un certain nombre de députés ont pris la parole à l’occasion de la manifestation, notamment Cori Bush, élue démocrate du Missouri au Congrès, première femme noire de cet État élue au Congrès, et Alexandria Ocasio-Cortez, de New York, également membre du Congrès depuis 2016.
Les dirigeants du mouvement Black Lives Matter, qui avaient peu ou pas d’illusions avant les élections, exhortent leurs partisans à maintenir la pression sur les gouvernements des villes et des États comme du pouvoir fédéral (qu’ils soient républicains ou démocrates) pour continuer à protéger la vie des Noirs.
Les manifestations conduites par les Noir.e.s se sont poursuivies pendant la campagne électorale contre les violences policières et le meurtre de nouvelles victimes. Le soulèvement a commencé sous Trump, il se poursuivra sous Biden.
Restent inconnues, les réactions d’une fraction de la classe dirigeante face à un éventuel coup d’État constitutionnel de Trump; quand bien même des représentants significatifs des milieux d’affaires sont intervenus pour que «les choses rentrent dans l’ordre».
Trump et William Barr, son procureur général, soutiennent que la Constitution institue une «présidence impériale». Selon cette interprétation, en raison du serment qu’a prononcé le président de combattre tout ennemi par tous les moyens de son choix, aucune de ses actions ne peut être jugée illégale.
Toutefois, le 23 novembre, suite à la décision prise par le Michigan et aux réactions de personnalités républicaines, Emily Murphy, la responsable de l’Administration des services généraux de la Maison Blanche, a signé une lettre autorisant la mise à disposition du président élu – jamais nommé comme tel par elle – d’une somme de 6,3 millions de dollars pour faciliter la préparation de la passation de pouvoirs. Dès lors, les conseillers de Biden peuvent commencer à se coordonner avec des responsables de l’administration Trump.
Les syndicats ont les moyens de réagir
Un signe que la résistance face aux actuelles manœuvres de Trump est possible est illustré par la décision qu’a prise, le 21 novembre, la fédération des syndicats de l’État du Vermont, à l’occasion de la convention de la Fédération américaine du travail et du Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO).
Les délégué·e·s ont adopté la ferme résolution de défendre la démocratie en cas de «coup d’État politique». Elle déclare notamment: «L’AFL-CIO du Vermont est mandatée par les délégué·e·s prenant part à la convention d’État de 2020 à appeler à la grève générale toutes les travailleuses et tous les travailleurs de notre État dans l’hypothèse où Donald Trump refuserait de céder le poste de président des États-Unis.
«L’AFL-CIO du Vermont s’associera à tous ses alliés antiracistes, pour la justice environnementale, féministes, LGBTQ+, pour les droits des immigrant·e·s et les droits des personnes handicapées en vue de protéger notre démocratie, la Constitution, la loi et les traditions démocratiques de notre nation.
«L’AFL-CIO du Vermont demandera aux gouvernements des villes et des comtés de s’engager à protéger les manifestant·e·s qui défendent la démocratie, de s’engager à ne pas recourir à l’action policière ou aux couvre-feux pour restreindre leurs activités, et à utiliser toutes les ressources disponibles pour s’opposer à tout effort de l’administration Trump visant à voler l’élection présidentielle.
«L’AFL-CIO du Vermont s’engage pour l’objectif à long terme qu’est la conquête d’une véritable démocratie en abolissant le collège électoral et le système bipartite par l’action collective de nos adhérentes et adhérents, et de nos organisations alliées.» (Texte reçu le 23 et mis à jour le 24 novembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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