C’était avec une discrétion trompeuse qu’un homme âgé en costume sombre, au Capitole, intervenait devant une caméra de télévision à propos d’un rapport sur l’énergie. Selon cette analyse de 362 pages, présentée par son entreprise, la voie la plus rapide pour atteindre les objectifs climatiques de la Californie consistait à continuer à dépendre des combustibles fossiles. L’analyse avait été financée par les compagnies de gaz et les firmes qui leur sont liées, mais l’orateur n’était ni lobbyiste ni consultant industriel. Bien au contraire, il était le très respecté secrétaire à l’énergie de l’administration Obama [depuis 2013 à 2017]: Ernest Moniz [1].
«Nous devons certainement dépasser… les négationnistes du climat», a-t-il déclaré dans un entretien, en avril 2019, sur C-SPAN [Cable-Satellite Public Affairs Network, réseau de trois chaînes câblées américaines centré sur les affaires publiques]: «Mais nous devons également aller au-delà de ce que nous pensons être des propositions souvent complètement irréalistes quant au rythme auquel nous pouvons décarboniser». La lutte contre le changement climatique à un rythme nécessaire exigerait une «large coalition», a-t-il souligné – une coalition qui inclurait l’industrie du pétrole et du gaz.
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Ernest Moniz est impliqué dans un débat qui va définir la manière dont la nouvelle administration Biden va aborder la crise climatique: les compagnies pétrolières et gazières peuvent-elles faire partie de la solution? Ou bien ont-elles prouvé, avec des années de campagnes de désinformation et d’efforts pour ralentir l’action sur le climat, qu’elles feront toujours obstacle?
Alors que l’équipe de transition de Biden se démène avec cette question, elle doit déjà faire face à des pressions de la part d’activistes qui ne veulent pas que plus de personnes ayant des liens avec le secteur des combustibles fossiles, comme le membre du Congrès de Louisiane Cedric Richmond, qui rejoindra la Maison Blanche de Biden en tant que conseiller de haut niveau.
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Pour ce qui a trait à Ernest Moniz:
- Ernest Moniz est membre du conseil d’administration de l’une des compagnies d’électricité les plus polluantes d’Amérique, la Southern Company, basée en Géorgie.
- Son entreprise, Energy Futures Initiative (EFI), a mené des recherches financées par Southern California Gas (SoCalGas), que le défenseur des consommateurs de l’État a depuis soutenu qu’elle devrait être condamnée à une amende pour avoir utilisé l’argent des contribuables et des clients pour s’opposer aux progrès climatiques.
- Ernest Moniz a présenté les résultats de ces recherches lors d’un événement sponsorisé par la Natural Gas Initiative de l’université de Stanford. SoCalGas et d’autres entreprises du secteur des combustibles fossiles aident à financer la Natural Gas Initiative en tant que membres affiliés. L’Initiative offre aux entreprises membres l’accès à la recherche «du début à la fin».
- L’EFI s’est également associée à des chercheurs de Stanford pour un rapport qui explore les possibilités de capturer les émissions de gaz à effet de serre liées aux combustibles fossiles. L’un des bailleurs de fonds était le groupe industriel Oil and Gas Climate Initiative.
- Le conseil consultatif de l’EFI est présidé par l’ancien directeur général de la compagnie pétrolière britannique BP [Lord Browne of Madingley], bien qu’il comprenne également d’éminents experts du climat et des environnementalistes.
L’analyse de l’EFI en Californie s’aligne parfaitement sur les arguments de SoCalGas, l’État ayant resserré ses objectifs climatiques. Elle a révélé que les centrales électriques au gaz dotées de technologies permettant de capturer leurs émissions réduiraient la pollution climatique plus que toute autre option, y compris les énergies renouvelables. Elle a suggéré une «approche globale».
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Si le gaz a aidé les États-Unis à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre en remplaçant le charbon plus sale, il reste un important pollueur climatique, lié à d’importants problèmes de santé.
Collin Rees, un responsable de Oil Change International, a déclaré que les liens d’Ernest Moniz avec les combustibles fossiles ne sont pas «une petite tache dans son CV». «C’est toute sa carrière professionnelle, lors des deux dernières décennies, qui est profondément préoccupante», affirme Collin Rees.
Les commanditaires de l’industrie gazière qui ont financé l’analyse de Moniz n’ont jamais été un mystère. Les contributeurs financiers étaient bien visibles sur la troisième page du rapport de l’EFI. Ernest Moniz a déclaré, lorsqu’il a publié les résultats en 2019, que même si les compagnies gazières avaient commandé la recherche, celle-ci avait toujours été indépendante. Un porte-parole de Moniz a refusé de commenter cette histoire.
Ernest Moniz a publié le rapport californien lors d’un événement sponsorisé par l’Initiative pour le gaz naturel de l’Université de Stanford qui offre aux entreprises l’accès à la recherche «du début à la fin», des rencontres avec des professeurs et des possibilités de recrutement d’étudiants. Par an le prix varie entre 35 000 et 250 000 dollars.
Un courriel interne de l’Initiative pour le gaz naturel, transmis au Guardian, montre la relation étroite de l’initiative avec SoCalGas, un membre affilié.
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En avril 2019, le Sierra Club [organisation environnementale] avait critiqué une analyse séparée que SoCalGas avait commandée à la société de conseil Navigant [société rachetée par l’importante firme Guidhouse qui, en novembre 2020, s’intéresse de près, pour les industriels du secteur énergétique, à la politique future dans ce domaine de l’administration Biden]. Ce rapport étayait la thèse de la société en faveur du «gaz renouvelable», un biogaz collecté dans les décharges de déchets en décomposition et les stations d’épuration des eaux usées. SoCalGas a vanté les mérites du biogaz alors que les villes de l’État avaient pris des mesures pour réduire les émissions de gaz à effets de serre des bâtiments, en abandonnant les équipements à gaz.
Contactée par SoCalGas, la directrice générale de l’Initiative de Stanford, Naomi Boness, est intervenue pour apporter son aide. Elle a envoyé un courrier électronique à ses collègues en indiquant l’objet du message: «SoCalGas cherche un consultant sur la décarbonisation en Californie.» L’entreprise cherchait un «scientifique ou un économiste très réputé dans le domaine des ressources énergétiques» afin de répondre aux critiques du Sierra Club. «Cela pourrait se faire sous la forme d’une lettre ou d’une tribune libre, éventuellement suivie de recherches supplémentaires, si nécessaire, et d’un document examiné par des pairs sur ce sujet dans un avenir pas trop lointain», soulignait Naomi Boness. «Veuillez me faire savoir si l’un d’entre vous serait intéressé par ce problème, et n’hésitez pas à le faire savoir au sein de la communauté de Stanford.»
Le porte-parole de Stanford, E J Miranda, a déclaré: «Les chercheurs en énergie de Stanford s’engagent avec un large éventail de parties intéressées dans des forums ouverts. Nos professeurs et chercheurs s’acquittent de leurs responsabilités universitaires avec indépendance, éthique professionnelle et intégrité personnelle». Un porte-parole de SoCalGas n’a pas répondu aux questions du Guardian dans les délais impartis.
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Sous l’administration Obama, SoCalGas s’est opposé aux efforts de l’Agence en matière de climat, notamment à une règle qui encouragerait les appareils électroménagers électriques plutôt que les appareils à gaz, selon les notes d’une réunion de l’American Gas Association obtenues par le Guardian. Le propriétaire de SoCalGas, Sempra Energy, mise beaucoup sur l’avenir du gaz – en investissant dans les infrastructures d’exportation aux États-Unis et au Mexique.
Malgré ce bilan, SoCalGas a utilisé les recherches d’Ernest Moniz pour tenter de renforcer sa réputation en matière de climat. SolCalGaz a publié le rapport de Moniz sur Facebook sans indiquer qu’elle finançait les travaux. Elle a cité l’analyse dans une lettre d’août 2020 adressée aux régulateurs californiens, dans laquelle elle affirme que «le gaz naturel et le gaz renouvelable… sont des sources d’énergie propres, fiables, abordables et résistantes qui jouent un rôle essentiel dans la solution aux problèmes énergétiques de la Californie».
Le réseau des liens d’Ernest Moniz
Cela a attiré l’attention de la sénatrice californienne Diane Feinstein (Parti démocrate) et de Nanette Barragán (Parti démocrate), élue à la Chambre des représentants, qui ont écrit le mois dernier à propos de ces rapports que la société
SoCalGas «s’est efforcée de saper la transition de la Californie vers l’abandon des combustibles fossiles». La commission de surveillance interne de la California Public Utilities Commission, qui contrôle l’entreprise, a demandé à la commission d’infliger une amende de 255 millions de dollars à SoCalGas pour avoir abusé des fonds des clients et contribuables afin de compromettre l’action en faveur du climat.
«Beaucoup de gens pourraient penser que c’est une simple compagnie de gaz, qui fait pression pour l’utilisation du gaz, ce qui la rend semblable à toutes les autres compagnies de gaz», a déclaré Sara Gersen, avocate spécialisée dans les énergies propres chez Earthjustice, un groupe environnemental qui s’est joint à la plainte du défenseur des consommateurs. «Mais sa machine de lobbying est en fait assez unique parmi les compagnies de gaz à l’échelle nationale, car la plupart des compagnies de gaz s’en remettent simplement à l’association professionnelle.»
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Charlie Spatz, un chercheur du Climate Investigations Center, a déclaré qu’Ernest Moniz a renforcé cette machine de lobbying. «Le rapport n’est pas nécessairement très prescriptif, mais en y adjoignant son nom, SoCalGas a pu faire des communiqués de presse, diffusé des médias sociaux et envoyé des lettres à diverses commissions et autres organismes de régulation», a déclaré Charlie Spatz.
L’EFI s’est également associée au groupe de travail AFL-CIO (fédération syndicale) pour soutenir une stratégie énergétique qui préserve les emplois.
Ernest Moniz n’a pas cogné trop fort le Green New Deal progressiste qui combattrait simultanément le changement climatique et l’inégalité sociale, mais il a plutôt proposé un «Green Real Deal», qui fonctionnerait «dans les limites des contraintes techniques, des coûts et des réalités sociales». Ernest Moniz pense que le gaz fossile fera partie de la solution, utilisé pour soutenir les panneaux solaires et les éoliennes qui ne produisent pas d’électricité en permanence.
Déjà, Biden a choisi quelqu’un de l’orbite de Stanford pour diriger la transition de son futur département de l’énergie. Le chef d’équipe, Arun Majumdar [2], a été le premier responsable de l’Agence des projets de recherche avancée sur l’énergie, l’ARPA-E, qui est un incubateur de technologies énergétiques. Il a ensuite mis en place à Stanford un programme appelé Strategic Energy Alliance qui a été financé par les compagnies pétrolières Shell, Exxon et Total, ainsi que par la Bank of America. Shell a contribué à hauteur de 20 millions de dollars sur cinq ans. Arun Majumdar a félicité cette firme pour avoir soutenu Stanford pendant 40 ans. «Ce soutien arrive à un moment critique pour notre avenir énergétique», a-t-il déclaré.
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Jesse Jenkins, professeur assistant à l’université de Princeton qui a travaillé sous Ernest Moniz, a déclaré que certaines critiques étaient «déplacées».
«Il existe des théories de changement très différentes sur la façon dont nous allons progresser en matière d’énergie propre dans ce pays. Certains progressistes pensent que l’objectif est de vaincre le secteur du pétrole et du gaz». «Il y a d’autres personnes tout aussi engagées dans la lutte contre le changement climatique qui pensent que l’un des moyens les plus efficaces pour y parvenir est de convaincre les industries opérant dans le secteur qu’il y a de l’argent à gagner et un rôle à jouer pour soutenir une transition vers l’énergie propre plutôt que de la combattre à mort.» (Article publié par le Guardian en date du 23 novembre 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Sous l’administration Obama Ernest Moniz a joué un rôle essentiel pour le soutien à la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz naturel, présenté comme un «combustible de transition» et pour l’exportation de gaz naturel liquéfié. Selon Rob Galbraith et Derek Seideman, dans un article publié sur le site Eyes on the Ties (18 novembre 2020), Ernest Moniz «est actuellement directeur de la Southern Company, la deuxième compagnie d’énergie la plus polluante en carbone aux États-Unis.» Les deux auteurs rappellent que : «durant les dernières semaines précédant le jour des élections, Joe Biden a rejeté sans équivoque les appels à l’interdiction de la fracturation hydraulique et a déclaré que l’investissement dans les technologies de capture et de stockage du carbone émis par la combustion des combustibles fossiles était un élément clé de son programme.» (Réd.)
[2] Arun Majumdar occupe le poste influent dans l’équipe de transition de Joe Biden. Il est pressenti comme candidat au poste de secrétaire à l’Energie dans la prochaine administration Biden. Selon Rob Galbraith et Derek Seideman : «Arun Majumdar a travaillé à l’intersection de l’industrie énergétique, de la réglementation fédérale de l’énergie et des groupes de réflexion universitaires tout au long de sa carrière, au cours de laquelle il a développé des liens étroits avec Ernest Moniz». (Réd.)
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