Etats-Unis. Sanders et Ocasio-Cortez mobilisent au Kansas pour un agenda politique en faveur de la classe laborieuse à même de tenir tête aux frères Koch

Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders

Par John Nichols

Le sénateur du Vermont Bernie Sanders et la candidate de New York pour le Parti démocrate, Alexandria Ocasio-Cortez [1], se sont rendus au Kansas pour démontrer quelque chose. Ce n’était toutefois pas ce que les élites médiatiques et politiques imaginaient.

Menant campagne pour les candidats au Congrès James Thompson, un avocat des droits civiques de Wichita [plus grande ville du Kansas], et Brent Welder, un avocat en droit du travail de Bonner Springs [petite ville de moins de 10’000 habitants], Sanders et Ocasio-Cortez ne se sont pas exprimés sur la manière de déborder des rivaux idéologiques ou sur le déplacement de pièces sur un jeu d’échec politique. Ils se sont exprimés sur des questions qui comptent pour les travailleurs américains.

De quoi s’agissait-il? Du type de questions autour desquelles Thompson et Welder ont construit leurs campagnes: soutien à la réforme du système de soins Medicare for All, engagement prononcé sur les droits civiques et les droits des femmes, en faveur d’une politique d’immigration humaine ainsi que pour une vision d’une «justice économique» enracinée dans un engagement favorisant la prise d’initiative par la classe laborieuse.

Défendre les syndicats et leurs membres au Kansas – un Etat considéré comme «défendant la liberté du travail» [antisyndical] où les gouverneurs Républicains ont broyé les protections des travailleurs et travailleuses sur leur lieu de travail et embrassé le programme anti-travailleurs de la famille Koch, venant de Wichita – peut sembler une politique risquée pour certains Démocrates.

Ce n’est simplement pas le cas. Il s’agit d’une politique intelligente à un moment où les habitants du Kansas, comme les travailleurs et travailleuses dans le reste du pays, sont à juste titre en colère contre les inégalités sociales criantes que les politiciens favoris des milliardaires conservateurs Charles et David Koch ont partout stimulées.

«Je doute que les gens du Kansas, ou du Vermont ou de n’importe quel endroit de ce pays pensent qu’il soit approprié qu’une poignée de milliardaires comme les frères Koch puissent dépenser environ 400 millions de dollars durant le cycle électoral de 2018 [les élections de mi-mandat ont lieu au milieu du mandat présidentiel : 435 sièges de la Chambre des représentants sont renouvelés et 100 du Sénat, en novembre 2018] afin de favoriser l’élection de candidats qui représentent les riches et les puissants» a déclaré Sanders parlant de la candidature de Thompson, «je pense donc qu’une défaite des frères Koch serait en quelque sorte une victoire symbolique.»

Sous les acclamations de milliers de personnes à Wichita, Sanders a proclamé «je suis convaincu que tout Etat de ce pays où des gens luttent pour une vie décente est un Etat qui se battra pour la justice.»  

Ocasio-Cortez a prêché le même évangile, affirmant avant son arrivée au Kansas qu’un «un mouvement honnête, de la base, sans interférence des lobbies, pour les Américains de la classe laborieuse peut fonctionner partout».

La conviction d’Ocasio-Cortez s’est vue confirmée à Wichita, où elle a salué une foule exceptionnellement enthousiaste pour lui avoir montré que «les filles du Bronx sont partout les bienvenues»The New Yorker a encensé Thompson comme étant «un candidat qui se préoccupe des besoins des gens de la classe laborieuse» et a fait se lever des milliers d’habitants du Kansas par cette déclaration: «là où il y a des travailleurs, existe l’espoir d’un mouvement progressiste.» 

Les objectifs avancés par Sanders et Ocasio-Cortez à Wichita et Kansas City constituent un renversement de l’équation mise en place par les frères Koch et les autres riches contributeurs suite à la «vague» électorale républicaine de 2010. Les gouverneurs et les députés alignés sur le programme des firmes, élus grâce à l’appui énergique des Koch, ont immédiatement attaqué les syndicats du secteur public et mis en place des législations contre les salarié·e·s; et cela pas uniquement dans des Etats dominés par les Républicains, tels que le Kansas, mais aussi dans des Etats historiquement progressistes, comme le Wisconsin.

Les luttes des dernières décennies ont créé une situation marquée par: «dans quel camp êtes-vous?». Une nouvelle génération de candidats – se présentant dans des Etats rouges [Républicains] et bleus [Démocrates] – a répondu à cette question en défendant ardemment une politique favorable aux travailleurs et aux syndicats.

La visite, vendredi 20 juillet, de figures progressistes jouissant d’une visibilité nationale à Wichita et Kansas City a concentré l’attention sur les candidats «insurgés» du Kansas – dont les deux se présentent pour des primaires qui se tiendront le 7 août. Et s’ils l’emportent [dans les primaires], ils devront affronter une bataille difficile contre leurs adversaires Républicains. Thompson et Welder se sont battus autour de thèmes liés aux classes laborieuses bien avant de se présenter devant des milliers de partisans enthousiastes lors des meetings de masse de vendredi.

A l’instar de Sanders et d’Ocasio-Cortez, il s’agit des questions principales qui ont conduit les candidats du Kansas à s’engager en politique. Thompson a conclu ses propos à Wichita en encourageant les travailleuses et les travailleurs à être convaincu de fait que: «Vous êtes les gens qui pouvez disposer du pouvoir dans ce pays. Ce ne sont pas les frères Koch. Ce ne sont pas les grandes firmes.» 

Le message de Brent Welder est le même. «Je me présente pour des élections au Congrès car les milliardaires et les firmes géantes jouissent d’un contrôle bien trop important sur notre gouvernement», a-t-il déclaré, ajoutant crûment qu’en «tant qu’avocat du travail et des droits civiques, j’ai passé ma carrière à me battre contre les firmes géantes qui sapent l’économie, qui sont contre les travailleurs et nos communautés.»     

Il ne s’agit pas d’un slogan. C’est une passion, ainsi que l’explique le site de campagne de Welder:

«Tout au long de sa vie, Brent s’est battu aux côtés des travailleurs dans tout le pays pour des salaires plus élevés, des places de travail mieux protégées ainsi que pour de meilleures prestations sociales. En tant que directeur national du syndicat des camionneurs [Teamsters], Brent a organisé plus d’un million de membres du syndicat afin de contribuer à l’élection de candidats favorables aux travailleurs à l’échelle nationale, de l’Etat et localement. Après ses études de droit, plutôt que de rejoindre un grand cabinet d’avocats défendant les entreprises, il est devenu un avocat du travail pour un syndicat national et il a continué à lutter les entreprises les plus grandes et les plus cupides au nom de travailleurs de la classe moyenne. Brent s’oppose fortement à la récente décision de la Cour suprême Janus versus AFSCME ainsi que contre toutes les lois de la «liberté du travail» [antisyndicales]; il se battra pour renforcer les capacités à l’organisation des syndicalistes.»    

James Thompson, qui estime que c’est grâce à l’éducation publique et aux programmes publics qu’il a pu sortir d’un cycle de pauvreté et d’itinérance [homelessness], est tout aussi clair sur son agenda.  

Dans la ville d’origine des frères Koch, Thompson affirme que les habitants du Kansas font face à un ensemble de défis très différents de ceux qu’imagine la classe locale des milliardaires. «Le mode de vie des familles de la classe laborieuse est attaqué», peut-on lire sur son site de campagne. «James agira de façon à ce que le salaire minimum atteigne un niveau décent au Kansas. Les travailleurs à plein temps ne devraient pas être forcés de vivre dans la pauvreté. James est convaincu que personne qui travaille à plein temps ne devrait multiplier les emplois afin de nourrir sa famille. Il est temps de mettre un frein à une fiscalité injuste, favorable aux très riches et laissant sur le côté les travailleurs.»   

Thompson rejoint donc Welder dans sa condamnation de la propagande anti-syndicale des frères Koch: «James est pleinement convaincu de la nécessité de défendre le droit des travailleurs de s’organiser sur leur lieu de travail», ajoute son site de campagne. «Il se battra pour protéger et renforcer les syndicats ainsi que les droits de négociation de tous les travailleurs.»

Il s’agit là d’un langage plus fort et plus précis que ce qu’ont avancé de nombreux Démocrates au cours des dernières années, en particulier dans les débats sur la meilleure manière de faire face aux inégalités économiques. Thompson pense toutefois que ce langage n’est pas trop audacieux pour le Kansas. Les anciens députés du district qu’il envisage de représenter – Mike Pompeo, actuellement secrétaire d’Etat de l’administration Trump – étaient qualifiés de «député des Koch».

Thompson – comme Welder, Sanders et Ocasio-Cortez – pense que le moment est venu de remplir le Capitole de représentants de la classe laborieuse négligée depuis bien trop longtemps.

«Les firmes achètent les politiciens, de gauche et de droite. Nous avons vu cela de nombreuses fois au Kansas, et je pense que cela a affecté les travailleurs», déclare Thompson. «Je pense donc qu’il faut que certains d’entre nous qui ne peuvent être achetés soient élus à Washington, des gens qui seront du côté des syndicats.» (Article publié le 20 juillet 2018 sur le site de The Nation; traduction A L’Encontre)

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[1] Le système des primaires – dans les deux partis bourgeois des Etats-Unis : démocrates et républicains – sert à sélectionner des candidats qui, pour l’essentiel, assurent la gestion gouvernementale. Depuis 2016, sous les effets de la crise socio-économique de 2007-2008 et de ses suites, ainsi que d’une série de mobilisations sociales, une certaine brèche s’est ouverte dans le mécanisme des primaires. Ainsi, Alexandria Ocasio-Cortez – âgée de 28 ans, latino-américaine, originaire du Bronx, ancienne serveuse dans un bar – a battu dans les primaires démocrates (dans la 14e circonscription de New-York) une institution: Josesph Crowley, 56 ans, élu depuis 1999 à la Chambre des représentants. Il était considéré comme «progressiste», ce qui donne plus d’éclat politique à la victoire d’Alexandria Ocasio-Cortez qui est membre des Socialistes démocrates américains (DSA), une formation qui a connu une croissance importante en termes de membres au cours des deux dernières années.. Cette victoire dans les primaires prolonge la polarisation entre Bernie Sanders et Hillary Clinton (soutenue par l’appareil syndical de l’AFL-CIO) à l’occasion des primaires pour l’élection présidentielle de 2016. Une sœur jumelle politique d’Alexandria Ocasio-Cortez, Julia Salazar, va se présenter lors des primaires démocrates pour le Sénat dans la 18e circonscription de New York,. Un autre test. Cet épisode politique renvoie à une question historique d’envergure: comment peut émerger aux Etats-Unis un parti politique représentant les intérêts des salariés, un parti indépendant des deux formations bourgeoises. Faut-il «envahir» les primaires démocrates pour «redresser» le parti démocrate? Est-ce un biais, dans le contexte présent et dans certaines circonscriptions, pour préparer l’émergence d’un tel parti des travailleurs? Le débat est ouvert parmi les socialistes aux Etats-Unis. Nous traduirons un certain nombre d’articles à ce propos. (Réd. A l’Encontre)  

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