Par David Schulz
Si quelqu’un est perplexe ou surpris de savoir pourquoi les Américains sont si mécontents de la situation économique [malgré les chiffres «positifs» exhibés par l’administration Biden], il ne devrait pas chercher plus loin que le récent rapport de la Réserve fédérale de Minneapolis intitulé «Income Distribution and Dynamics in America» (IDDA) ainsi que les données sur son site qui illustrent la stagnation du revenu et la mobilité économique aux Etats-Unis. Ce rapport confirme malheureusement ce que nous savions déjà: l’Etat néolibéral profite de manière inégale aux habitants et cela selon des modalités qui empêchent la capacité étatique potentielle à remettre en question l’inégalité distributive.
Les Etats-Unis reposent sur deux mythes: le mythe de l’égalité et le mythe du «rêve américain». Le mythe de l’égalité est l’idée que nous avons tous et toutes les mêmes chances de réussir. Le «rêve américain», c’est l’idée qu’à force de travail, de persévérance et d’un peu de chance, n’importe qui peut sortir de la pauvreté et potentiellement devenir riche. Pourtant, nous savions déjà, grâce à des études antérieures, que les politiques économiques néolibérales ont creusé un fossé entre les riches et les pauvres aux Etats-Unis, des années 1970 à aujourd’hui, qui a largement profité aux niveaux de revenus supérieurs. Nous savions également que la mobilité économique avait largement stagné.
En s’appuyant sur les données de l’IRS (Internal Revenue Service – Agence fédérale qui collecte les impôts sur le revenu et diverses taxes) et du Census Bureau (Bureau de recensement), la Réserve fédérale de Minneapolis a pu dresser un portrait de la situation des revenus et de la mobilité aux Etats-Unis entre 2005 et 2019. Ce portrait tient compte du sexe, de la race et de la géographie (Etat). L’importance de cette intersectionnalité est de souligner que l’inégalité et la mobilité ne sont pas seulement liées à la race ou à la classe, mais aussi à l’Etat où l’on vit, ce qui permet peut-être de voir comment les politiques spécifiques d’un Etat peuvent avoir un impact sur les perspectives de vie d’une personne.
D’une manière générale, l’étude IDDA confirme d’autres rapports sur l’écart croissant entre les revenus. Entre 2005 et 2019, les 10% les plus pauvres ont vu leur revenu brut déflaté augmenter de 5%, tandis que les 2% les plus riches ont vu leur revenu augmenter de 23%. L’une des conclusions les plus surprenantes du rapport, selon la Réserve fédérale de Minneapolis, est qu’un «ménage situé dans les 20% inférieurs de la distribution gagne aujourd’hui exactement la même chose qu’il y a 50 ans, en termes réels». Indépendamment de la race et du sexe, à moins d’être à un niveau de revenu supérieur, ces revenus ont stagné. Cela peut expliquer à la fois la colère des électeurs de Trump qui ont le sentiment d’avoir été laissés pour compte sur le plan économique, et la déception à l’égard des politiques d’Obama-Biden qui ont laissé la plupart des Américains sur le carreau. Au fil des présidences, du deuxième Bush à Biden, la politique économique néolibérale n’a profité qu’à un petit nombre de personnes, mais même d’une classe à l’autre, il y a des clivages.
Par exemple, dans l’ensemble, les femmes continuent d’être à la traîne en termes de revenus par rapport aux hommes. En 2005, les femmes gagnaient généralement 69% de ce que gagnaient les hommes, contre 74% en 2019. Mais l’écart varie selon les niveaux de revenus. Pour ce qui est du 10e centile (niveau de revenu le plus bas), les femmes gagnaient 61% en 2005, contre 70,8% en 2019. Pour le 50e centile (50%), en 2005, les femmes gagnaient 68% de ce que gagnaient les hommes, en 2019, c’était 74%. Au fil du temps, en fonction de leur niveau de revenu, les femmes ont, au mieux, réalisé des progrès modestes en comblant l’écart entre leurs revenus et ceux des hommes.
Mais lorsque nous examinons différents Etats, par exemple, et que nous les répartissons par sexe et par race, nous constatons, par exemple, qu’au Texas [républicain], les femmes hispaniques gagnent l’équivalent de 43% du revenu des hommes blancs, les femmes blanches 63% par rapport aux hommes blancs, et les hommes hispaniques 67%. En Californie [démocrate], les femmes hispaniques gagnent 46%, les femmes blanches 69% et les hommes hispaniques 62%. Malgré deux cultures politiques différentes et la domination de partis politiques différents, la différence de revenus entre la Californie et le Texas est au mieux modeste.
En ce qui concerne la mobilité, les statistiques du rapport IDDA la ventilent par Etat et par revenu en général entre 2005 et 2018, mais une illustration de la stagnation apparaît également. Pour les hommes en général, il y a 62% de chances de passer du quartile [25%] de revenu le plus bas au quartile suivant, pour les femmes 57%, et respectivement 63% pour les Hispaniques, 59% pour les Blanches, 54% pour les Noires. Au mieux, les chances de passer du quartile de revenu le plus bas au quartile suivant sont légèrement supérieures à la moyenne, les probabilités de passer à un niveau supérieur étant encore plus réduites.
Le rapport IDDA fournit peut-être les meilleurs détails dont nous disposons à ce jour sur les conséquences économiques et sociales des politiques économiques néolibérales aux Etats-Unis. Il démontre une répartition inégale des revenus, de telle sorte que presque tout le monde peut prétendre être perdant, tout en indiquant les gagnants relatifs, ce qui contrecarre les efforts visant à former une solidarité pour lutter contre ces politiques.
Pourtant, malgré ces nouvelles socio-économiques, les électeurs et électrices seront confrontés en novembre 2024 à un nouveau match entre deux candidats présidentiels néolibéraux, avec peu d’espoir que le modèle d’inégalité et de mobilité figée change. (Article publié par Counterpunch le 30 mai 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
David Schultz est professeur de sciences politiques à la Hamline University (université méthodiste basée à Saint Paul dans le Minnesota).
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