Par Khury Petersen-Smith
En réponse à une série de meurtres racistes, de nombreuses mobilisations ont lieu actuellement aux Etats-Unis. Voici ce qu’en dit Sharon Smith, animatrices de l’ISO (International Socialist Organization) des Etats-Unis: «Cela devient un enjeu majeur, avec des protestations répétées à travers tout le pays.» Khury Petersen-Smith revient sur ces événements et souligne l’origine de ces crimes: un racisme institutionnel qui s’est amplifié à la suite du 11 septembre 2001 et en réaction à l’élection de Barack Obama (en novembre 2008, entré en fonction le 20 janvier 2009) et qu’il s’agit de combattre sans relâche. (Rédaction A l’Encontre)
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Suivre l’actualité de ces derniers jours est un peu comme assister à une parade d’horreurs. Dès que l’on se remet d’un incident préoccupant de violence raciste, un autre arrive.
Chaque jour apporte de nouveaux détails sur le meurtre de Trayvon Martin, l’adolescent noir tué par le milicien raciste George Zimmerman [1]. Après avoir vérifié si son corps contenait des traces de drogue, la police de Sanford, Floride, a classé son corps comme «John Doe»[2] pendant que ses parents recherchaient désespérément leur fils disparu. C’est ce même département de police qui a permis à Zimmerman de continuer ses petites affaires sans être arrêté [3].
Le 14 mars, une semaine après le meurtre de Trayvon, la police de Del City, Oklahoma, a tué Dane Scott J.-R., un homme noir de 18 ans, après l’avoir arrêté pour le non-respect d’un signal stop sur la route. Scott – que les flics ont dit être armés lorsqu’ils l’ont abattu bien qu’aucune arme n’ait été retrouvée – a été tué dans le dos par la police. Il fait partie des derniers Afro-américains tués par la police cette année, une liste longue qui inclut Ramarley Graham à New York City et Stephon Watts et Rekia Boyd à Chicago.
Puis est arrivé le meurtre de Shaima Alawadi le 21 mars, une semaine après la mort de Dane Scott J.-R.
Cette mère de cinq enfants a été battue vicieusement jusqu’à l’évanouissement avec un démonte-pneu chez elle, à El Cajon, Californie. Elle est morte cinq jours après avoir été débranchée des appareils médicaux qui la maintenaient en vie. Selon la fille de Shaima, qui a découvert le corps de sa mère, le tueur a laissé une note près de Shaima, une musulmane irakienne qui portait le voile, sur laquelle était entre autre inscrit: «Rentre dans ton pays, terroriste.»
Pourtant, la police a déclaré dans un communiqué: «Les preuves nous conduisent à croire que ceci est un incident isolé.».
En évoquant le meurtre de Trayvon Martin, le Président Barack Obama a dit que nous devrions tous et toutes faire un travail d’introspection pour chercher à savoir comment un tel meurtre a pu arriver. Mais en regardant honnêtement le racisme aux Etats-Unis, il est clair que ces assassinats ne sont ni isolés, ni compliqués, ni surprenants.
Trayvon, Shaima et les autres sont les dernières victimes d’une société profondément intolérante. Leurs meurtres sont les fruits amers des tendances les plus récentes du racisme institutionnel.
La violence raciste est une composante de la société états-unienne depuis la fondation du pays. Avant et bien après 1776[4], l’édification des Etats-Unis a impliqué la colonisation d’une terre qui avait déjà des habitants: les indigènes d’Amérique ont été la proie d’un génocide raciste. La population noire rendue esclave a enduré une violence colossale. Et l’une après l’autre, les vagues d’immigration vers les Etats-Unis ont été accueillies avec une brutalité raciste.
En d’autres termes, la violence raciste aux Etats-Unis est aussi vieille que le pays lui-même.
Une forme particulière qu’a prise le racisme récemment est la criminalisation des Noirs et des Musulmans.
Les 40 dernières années ont vu l’incarcération massive des Noirs à un niveau inouï, tant aux Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde. Selon Michelle Alexander, universitaire spécialiste du droit et auteure de The New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness, il y a plus de Noirs incarcérés aujourd’hui aux Etats-Unis qu’il n’y en a jamais eus dans les prisons sud-africaines au pic de l’apartheid.
Une part centrale de l’effort pour enfermer tant de Noirs est de nature idéologique. A travers les politiques gouvernementales, le travail de la police et les médias, «Noir» est devenu synonyme de «racaille».
Les mêmes institutions sont responsables, en particulier depuis les attaques terroristes du 11 septembre et le déclenchement de la «guerre contre le terrorisme» («Global War on Terror» par l’administration de G.W. Bush), d’avoir rendu «Musulman» synonyme de «terroriste». Un grand nombre – mais dont le chiffre exact est inconnu [5] – de Musulmans et d’Arabes ont été détenus, interrogés et déportés depuis 2001.
Les médias dominants et l’élite politique ont été et sont toujours des partenaires enthousiastes pour faire monter une frénésie raciste à propos de la supposée menace terroriste musulmane. Ce sont eux qui devraient suivre les mots d’Obama à propos de l’introspection – les faiseurs de politique de l’administration Obama (et celle de W. Bush et de toutes les administrations l’ayant précédée) et les dirigeants des médias dont les chaînes télévisées d’actualité dressent le portrait chaque soir des Noirs comme des criminels et dont les journaux propagent la peur des Arabes et des Musulmans et célèbrent les invasions de leurs pays d’origine.
Un autre facteur qui contribue à ce climat de racisme actuel est le comportement de la droite durant la campagne de l’élection de 2008 et après.
Quand il est devenu clair que leur proposition de présidence allait perdre, le ticket Républicain John McCain et Sarah Palin a de plus en plus invoqué le racisme pour attaquer Barack Obama et mobiliser le noyau dur de la droite du parti.
Les rassemblements pour McCain sont devenus des places notoires où les nazis étaient les bienvenus et les appels au meurtre d’Obama tolérés. En même temps, des personnalités médiatiques de la droite comme Glenn Beck [commentateur, entre autres, sur la chaîne Fox News, conservateur libertarien] et Sean Hannity [animateur d’un show radiophonique et commentateur sur la chaîne Fox News] ont prédit un scénario apocalyptique si un homme Noir devenait effectivement président. La nuit de l’élection d’Obama, des racistes ont rasé par le feu une église Noire à Springfield, Massachusetts – l’une des nombreux crimes de haine qui ont coïncidé avec l’élection d’Obama.
Pourtant, l’administration Obama est restée pratiquement silencieuse à propos de l’augmentation des crimes de haine et du climat ouvertement raciste toléré dans la politique états-unienne. Toutes ces choses forment la scène sur laquelle se sont déroulés les derniers meurtres racistes.
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Quelle ironie de voir que les Afro-Américains d’un côté et les Arabes et les Musulmans de l’autre jouent le rôle de menaces violentes contre une société états-unienne qui, autrement, serait pacifique. Il est évident pour quiconque portant un minimum d’attention que ces groupes sont soumis à la violence.
Parmi les aspects tragiques du meurtre de Shaima, ce mois-ci, il y a le fait qu’elle et sa famille ont émigré aux Etats-Unis depuis l’Irak, un pays rendu à peine vivable suite à deux – comptez bien, deux – invasions par les Etats-Unis au cours du dernier quart de siècle et une occupation qui entre dans la liste des crimes contre l’humanité dans l’histoire mondiale.
Ensemble, ces meurtres révèlent une société de cauchemar, avec une violence raciste comme une composante de la vie quotidienne.
Ce racisme doit être extirpé. Malgré l’actualité préoccupante de ces dernières semaines, la solidarité antiraciste, en réponse à ces crimes, est en train de grandir et cela fait drôlement chaud au cœur. Il y a eu des rassemblements et des marches à travers le pays qui demandent la justice pour Trayvon Martin. Partout, les gens utilisent les médias sociaux pour communiquer à propos des meurtres et montrer une solidarité avec les victimes du racisme.
Il n’y a rien de neuf à propos des meurtres de Noirs perpétrés par la police ou les crimes de haine contre les Noirs, les Arabes ou les Musulmans. Ce qui est encourageant aujourd’hui c’est que beaucoup de monde en ont assez de ces incidents récents. Ils décident que ça suffit, qu’il faut réagir.
La justice pour Trayvon et Shaima demande beaucoup plus que l’arrestation et la poursuite de leurs assassins. Nous avons un ensemble complet d’institutions racistes à prendre d’assaut et à détruire. En tant qu’antiracistes, nous avons besoin de considérer ces meurtres comme des appels à l’action et cette conjoncture comme une possibilité pour faire revivre une tradition de combat sans relâche contre les oppressions et discriminations.
Si le racisme est une composante centrale de l’histoire états-unienne, la lutte antiraciste en est également une autre. Nous devons reconstruire, approfondir et renforcer cette lutte. (Traduction A l’Encontre)
Cet article a été publié le 27 mars 2012 sur le site socialistworker.org.
[1] En Floride, il existe des comités de vigilance ou milices civiles qui patrouillent dans certains quartiers. Georges Zimmerman est le «capitaine» d’un de ces comités.
[2] John Doe est une expression employée dans les administrations anglo-saxonnes pour désigner une personne non identifiée.
[3] Zimmerman utilise pour sa défense une loi en vigueur en Floride intitulée “Stand Your Ground Law” et qui autorise l’utilisation d’une arme en cas de légitime défense. Cette loi, en vigueur dans d’autres états, fait désormais l’objet de beaucoup de critiques.
[4] Le 4 Juillet 1776, les Etats-Unis proclamaient leur indépendance de la Grande-Bretagne.
[5] L’auteur pointe du doigt l’absence de chiffre suite aux dispositions législatives prises après le 11 septembre, en particulier le Patriot Act.
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