Alors que les Etats-Unis sont durement frappés par le coronavirus, avec 165’000 cas identifiés et 3500 morts, le président américain girouette. Un œil sur la Bourse, un œil sur les audiences de son briefing quotidien à la Maison Blanche, il a tout de même fini par loucher sur les projections établies par sa coronavirus taskforce dimanche, anticipant entre 100’000 et 200’000 morts dans le pays. Après avoir annoncé sa volonté de «rouvrir le pays» pour Pâques, promettant des «églises pleines» et répétant, au nom de la protection de la première économie du monde, que le «remède ne [devait] pas être pire que le problème lui-même», le président américain a finalement prolongé jusqu’à fin avril les mesures de distanciation sociale.
Mais pas question pour Trump de perdre la face. Oubliées, ses prédictions d’il y a un mois, selon lesquelles le nombre de cas allait bientôt être «proche de zéro», et le coronavirus, «disparaître comme par miracle». Désormais, et alors que les pires scénarios évoquent 2,2 millions de morts sans aucune mesure d’adaptation, il juge que «si on a entre 100 et 200 000 morts, on aura fait du très bon boulot», semblant préparer le pays à un bilan plus lourd. Cette fourchette tient uniquement «si 100% des Américains font précisément ce qui est requis» en termes de distanciation sociale, a précisé à NBC Deborah Birx, coordinatrice du groupe de travail sur le coronavirus de la Maison Blanche.
«Hors-bord»
Avec une Bourse erratique, plus de trois millions d’Américains inscrits au chômage en une semaine et le spectre d’une récession, Donald Trump, qui joue sa réélection en novembre sur la santé de l’économie américaine, a dû s’adapter. Il a signé un colossal plan de relance de 2200 milliards de dollars, résultat d’un intense travail bipartisan au Congrès. Mais Trump n’omet pas de tirer la couverture à lui: selon le Wall Street Journal, il souhaite que sa signature apparaisse sur les chèques qui seront envoyés aux Américains. Sa cote de popularité est en augmentation, avec 48% d’entre eux qui approuvent son action, deux points de plus que ceux qui la critiquent. Mais la popularité des présidents s’envole traditionnellement en temps de crise: quand Lyndon Johnson s’installe à la Maison Blanche après l’assassinat de Kennedy, sa cote est à 78%.
Donald Trump aura cependant du mal à faire oublier les errements de son administration dans la gestion de la crise sanitaire. L’absence, puis la défaillance des tests de dépistage ont rendu impossible une cartographie de la propagation de l’épidémie pendant des semaines. Le Dr Anthony Fauci, membre du groupe de travail de la Maison Blanche, a reconnu «l’échec» des dépistages, et «un système qui n’est pas au niveau des besoins».
Devant le discours volontiers rassurant des autorités jusqu’à la semaine dernière, plusieurs élus ont maintenu certains rassemblements, des jeunes spring breakers de tout le pays convergeant vers les plages de Floride aux célébrations de Mardi gras à La Nouvelle-Orléans, catalyseurs de la propagation de l’épidémie à travers les Etats-Unis. Aujourd’hui, plus de 20 Etats américains comptent des foyers de plus de 1000 cas. «En retard pour les dépistages, en retard dans l’acceptation et la communication de ce qu’il se passait, en retard pour mettre en place la distanciation sociale…» résume à Libération Andy Slavitt, ancien conseiller santé de Barack Obama et l’un des initiateurs d’une campagne de sensibilisation à la distanciation sociale. «Avec un virus qui se propage de manière exponentielle, le paramètre du temps est essentiel, et il est impossible de le rattraper: c’est comme nager derrière un hors-bord. L’histoire jugera que nous avons été trop en retard, et que ce retard a coûté des vies humaines.»
Bible
Trump a également renâclé à se servir du Defense Production Act, une ordonnance datant de la guerre de Corée permettant de contraindre les entreprises à produire certains équipements, malgré l’insistance de nombreux gouverneurs. Il l’a finalement utilisé vendredi pour pousser General Motors à fabriquer des respirateurs. Tout en continuant à nier les besoins criants de certains Etats, prédisant même que le pays allait bientôt exporter des respirateurs en Europe. Quant à la pénurie de matériel de protection, dénoncée par médecins et infirmières de nombreux hôpitaux, il a sous-entendu dimanche qu’elle s’expliquait par le fait que les soignants volaient masques et gants…
Voilà le lot d’une campagne électorale à l’ère Trump et au temps du coronavirus. Alors que le Président fuyait la salle de presse de la Maison Blanche depuis son élection, il apparaît désormais tous les jours aux briefings sur le coronavirus, palliatifs à ses meetings de campagne annulés à cause de la pandémie. Refusant de répondre aux questions des journalistes qu’il juge «méchantes» ou «ricanantes», il se sert de cette plateforme pour des considérations purement électorales, parler à sa base ou faire mousser ses soutiens. Lundi, il a donné le micro à son grand ami et fréquent visiteur de Mar-a-Lago (sa résidence et golf) Michael Lindell, fondateur d’une entreprise de fabrication d’oreillers du Minnesota, qui a salué «le plus grand président de l’histoire» et exhorté les Américains à utiliser leur confinement pour lire la Bible.
Alors qu’un navire-hôpital de l’US Navy a dû être envoyé à New York, que des hôpitaux temporaires sont construits à la hâte pour soulager les établissements déjà saturés à trois semaines du pic de l’épidémie, le président américain, lui, se félicite du nombre de téléspectateurs suivant ses briefings sur le coronavirus. «Les audiences de mes conférences de presse sont si bonnes […] que les médias deviennent FOUS», a-t-il tweeté dimanche, les comparant à celles d’une finale du Bachelor.
«Depuis qu’il est au pouvoir, Trump a perfectionné l’art du mensonge, tout en purgeant au fil du temps son administration des personnes avec une vraie expertise», écrit Stephen Walt, professeur en relations internationales à Harvard, dans la revue Foreign Policy. «La mauvaise gestion de Trump, comme son refus de prendre ses responsabilités, étaient inévitables. Cette direction défaillante est sans précédent dans l’histoire américaine, et elle arrive au pire moment.» (Article publié dans Libération en date du 1er avril 2020)
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