Etats-Unis. Le PIB du 1er trimestre: reprise ou simple rebond?

Par Jack Rasmus

La semaine dernière, le Département américain du commerce a publié ses premières estimations du PIB américain pour le premier trimestre 2021, de janvier à mars. Si l’on en croit les chiffres, l’économie des Etats-Unis a connu une croissance respectable de 6,4% au cours de cette période. Mais est-ce vraiment le cas? Et cela représente-t-il une forte reprise en cours? Ou simplement un rebond, alors que l’économie rouvre dans le secteur des services? Et une fois la réouverture terminée, l’économie va-t-elle se stabiliser à nouveau, comme ce fut le cas lors de la réouverture partielle de l’été dernier, qui s’est effondrée à la fin de 2020?

La première chose que les lecteurs doivent comprendre est que les 6,4% ne sont pas vraiment 6,4% pour les trois premiers mois de 2021. Les États-Unis sont l’un des rares pays à communiquer les chiffres de leur PIB en «taux annuel» (TA). La plupart des autres économies avancées ne le font pas. Le taux annuel prend la croissance réelle de la période et la multiplie par quatre. En d’autres termes, un PIB à taux annuel de 6,4% signifie que si l’économie continue de croître comme elle l’a fait au premier trimestre 2021, cela équivaudra à 6,4% pour les douze prochains mois! Cela signifie que la croissance réelle du PIB pour le premier trimestre était d’environ un quart de 6,4%. Cette croissance réelle était de 1,6% par rapport au précédent, le quatrième trimestre de 2020.

Un autre brouillage dans les chiffres officiels est que les États-Unis rapportent parfois le gain du trimestre par rapport au même trimestre de l’année précédente, et donc pas le trimestre civil précédent. Ce qui importe, c’est la croissance de l’économie au cours du trimestre par rapport au trimestre précédent, et non par rapport à un trimestre antérieur.

En outre, il est important de comprendre que le «PIB réel» (surestimation du taux annuel de 6,4%) est obtenu en réduisant ce que l’on appelle le «PIB monétaire» du taux d’inflation. Ainsi, si le taux d’inflation est sous-estimé, le PIB réel semble plus élevé qu’il ne l’est en réalité. Et les États-Unis sous-estiment toujours l’inflation afin d’obtenir un PIB réel plus élevé. Ils le font de plusieurs façons.

Par exemple, ils n’utilisent pas l’indice des prix à la consommation (IPC) pour estimer l’inflation. Il utilise un autre indice des prix, appelé «déflateur du PIB». Son chiffre pour le niveau global de l’inflation est toujours beaucoup moins élevé que l’IPC. Il existe de nombreuses façons pour les États-Unis de sous-estimer davantage l’inflation. Sans entrer dans des détails statistiques ennuyeux, une autre méthode est appelée «prix chaînés» [1]. Une autre consiste à réduire les prix en se basant sur des hypothèses absurdes selon lesquelles l’amélioration de la qualité de divers produits soustrait l’augmentation réelle de leur prix. Par exemple, la hausse des prix des ordinateurs et des téléphones intelligents se traduit en réalité par une baisse des prix. Apple peut demander 800 dollars pour une nouvelle édition de son téléphone intelligent, soit une augmentation de 100 à 200 dollars, mais le département du commerce l’inclura dans son estimation de l’inflation comme une baisse de prix!

La croissance réelle du PIB américain au 1er trimestre 2021 n’est donc que de 1,6%, si l’on ne tient pas compte du «taux annuel». Et cela ne tient pas compte de la manipulation de l’inflation afin de gonfler encore plus le PIB réel.

Alors, ce 1,6% représente-t-il une croissance robuste? Et quelle en est la cause? Et cette cause va-t-elle perdurer? Il est important de faire la distinction entre un rebond économique qui est temporaire et une véritable reprise économique qui est durable. Les rebonds se dissipent. Les vraies reprises continuent à montrer une augmentation du PIB sur plusieurs trimestres, dans le futur.

Le PIB effectif lors du 1er trimestre 2021

Lors de l’été 2020, l’économie des Etats-Unis s’est partiellement rouverte. Surtout dans les États rouges (républicains) qui ont ignoré le confinement. L’économie des Etats-Unis a connu un rebond suite à cette réouverture, de la mi-juin 2020 à la mi-août environ. Ce rebond s’est ensuite estompé et en septembre, l’économie a commencé à s’affaiblir à nouveau. Cet affaiblissement s’est poursuivi au cours des trois derniers mois de 2020, alors que l’économie stagnait presque totalement. Voici les chiffres réels du PIB d’un trimestre à l’autre (sans tenir compte de la poudre aux yeux du «taux annuel»).

• Au cours du premier semestre de 2020, l’économie des Etats-Unis a connu un effondrement historique de -10,5%. Ce chiffre inclut le déclin qui s’est produit en février, lorsque le virus Covid a commencé à toucher l’économie. Les mois d’avril et de mai ont été les plus durement touchés, suivis par le début du mois de juin. À la mi-juin, l’économie a rouvert ses portes (prématurément, il s’est avéré). Cette réouverture s’est traduite par un rebond de la mi-juin au mois d’août. Cela a donné lieu à une hausse du PIB d’environ 7,4% au troisième trimestre (sans tenir compte de l’absurdité du «taux annuel»). L’économie des Etats-Unis a donc récupéré environ deux tiers de son effondrement historique au cours du premier semestre, principalement grâce à la réouverture.

• Ledit «Cares Act» (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act) de 2,2 billions de dollars adopté en mars 2020 a contribué au rebond de l’été, mais pas tant que ça. C’était surtout dû à la réouverture. La loi Cares, telle que rapportée par les médias, représentait un stimulus de 2,2 billions de dollars. Mais ce chiffre a été déformé de moitié! Elle n’a fourni que 1,3 billion de dollars, et non 2,2 billions. Voici pourquoi: 500 milliards de dollars ont été fournis par les chèques de 1200 dollars que les ménages ont reçus, plus les allocations de chômage étendues dans la durée. Un autre montant de 525 milliards de dollars a été fourni par le programme PPP (The Paycheck Protection Program) de prêts/subventions aux petites entreprises (principalement ces dernières, pour garder leurs salariés).

Un montant initial de 350 milliards de dollars a été fourni en mars, mais un autre supplément d’urgence a été ajouté pour porter les dépenses totales du PPP à 525 milliards de dollars en août. Cela représente donc un peu plus de 1000 milliards de dollars. Un autre 1,1 billion de dollars (109) a été affecté aux prêts aux moyennes et grandes entreprises, à distribuer par la banque centrale américaine, la Federal Reserve. Mais à la fin de l’année, seuls 175 milliards de dollars avaient été effectivement prêtés dans le cadre du programme «Main Street» de la Fed. (La Fed s’est assise sur 455 milliards de dollars et les a ensuite rendus au Trésor américain en décembre 2020).

• Ainsi, le premier plan de relance, le Cares Act, n’a injecté que 1300 milliards de dollars dans l’économie américaine (1025 milliards de dollars en chèques, prestations et PPP), plus 175 milliards de dollars de la part de la Fed. Une bonne partie de cette somme n’a pas été injectée dans l’économie, mais a été «thésaurisée» par les ménages et les entreprises les plus aisés et n’a pas été dépensée ou utilisée pour racheter leurs dettes. Il est probable que pas plus de 800 milliards de dollars n’ont réellement été injectés dans l’économie. En bref, la croissance de 7,4% du PIB au troisième trimestre est donc principalement due à la réouverture et non au stimulus budgétaire inadéquat appelé Cares Act.

• Les politiciens savaient, d’ailleurs, que la loi Cares n’était pas une mesure de relance. C’était une loi d’«atténuation» et c’est ainsi qu’ils l’ont appelée. Atténuer signifie fixer un plancher sous l’effondrement économique pendant 2 ou 3 mois. Cela ne signifie pas une augmentation des dépenses qui entraînerait une reprise économique durable. Les projets de loi d’atténuation produisent des rebonds, au mieux, et non des reprises durables. Et c’est ce que la loi Cares a fait. Elle a permis de gagner un peu de temps pendant l’été, alors que l’économie se rouvrait partiellement.

• Mais les dépenses de la loi Cares (1,3 billion de dollars moins la thésaurisation et le remboursement de la dette) se sont dissipées à la fin de l’été 2020. Et seule une partie de l’économie a rouvert à la fin de l’été 2020. Par conséquent, l’économie des Etats-Unis a vacillé et stagné au cours des derniers mois de 2020.

• La croissance du PIB américain au 4e trimestre 2020 n’a ainsi enregistré qu’une croissance réelle de 1,1%, soit une croissance probablement nulle en raison de la sous-estimation de l’inflation. Les chiffres initiaux du PIB du 1er trimestre 2021, publiés la semaine dernière, ont ensuite montré une croissance de seulement 1,6% pour 2021. Cela aussi était dû en grande partie à la réouverture de l’économie américaine, et non à la mesure de relance budgétaire d’urgence de 866 milliards de dollars supplémentaires adoptée fin décembre 2020, qui a permis de maintenir les allocations de chômage et de verser un petit chèque de 600 dollars aux ménages. La mesure d’urgence de décembre était également une mesure d’«atténuation», et non un stimulus. Elle s’est dissipée à la fin du mois de février 2021, ce qu’indique clairement un nouvel effondrement des dépenses d’achat des consommateurs, après un bref coup de pouce en janvier.

En un mot, la croissance du PIB de seulement 1,6% au 1er trimestre 2021 est due à la deuxième réouverture de l’économie américaine en 2021, au moment où les vaccins contre le virus ont été largement distribués.

Voici donc un résumé de la croissance réelle de l’économie des Etats-Unis de février 2020 à mars 2021:

– Janvier-juin 2020: -10,5%
– Juillet-septembre 2020: 7,4 %.
– Octobre-décembre 2020: 1,1%
– Janvier-mars 2021: 1,6%

Le taux de croissance historique moyen du PIB au cours des dernières décennies se situe entre 1,8% et 2,2%. Le taux actuel de 1,6% n’est donc même pas moyen! En outre, il ralentira à mesure que la réouverture des secteurs de services de l’économie, les plus durement touchés par le virus, sera plus ou moins achevée. La question qui se pose alors est la suivante: la récente mesure de dépenses budgétaires de 1900 milliards de dollars supplémentaires, adoptée par le Congrès le mois dernier et annoncée par Biden dans le cadre du «plan de sauvetage américain» (aide Covid), sera-t-elle suffisante pour stimuler les dépenses et permettre à l’économie d’aller au-delà d’un simple rebond et de connaître une véritable reprise durable au second semestre 2021?

Les composantes du PIB des Etats-Unis

Cela reste à déterminer. Mais il convient de noter que le montant de 1900 milliards de dollars annoncé par les médias n’est en fait que de 1800 milliards de dollars, le Sénat l’ayant réduit de 100 milliards de dollars. De plus, selon le Congressional Budget Office, l’organe de recherche du Congrès, les dépenses réelles sur le 1,8 billion de dollars pour cette année 2021 ne seront que de 1 billion de dollars, et non de 1,8 billion de dollars! Et il faut supposer qu’une bonne partie de ces 1000 milliards de dollars sera thésaurisée et non dépensée par les ménages les plus riches lorsqu’ils recevront leurs chèques de 1400 dollars. Et parmi ceux qui ont reçu ces 1400 dollars ainsi que de nombreuses petites entreprises, ils utiliseront ces chèques sans aucun doute pour rembourser leurs dettes. Ni l’argent thésaurisé ni l’argent destiné au désendettement n’entreront dans l’économie américaine réelle pour stimuler le PIB au cours du second semestre de l’année 2021. En réalité, il est probable que l’économie des Etats-Unis ne recevra pas plus de 800 milliards de dollars de fonds de relance en 2021. Et c’est à peu près le même montant par rapport aux 866 milliards de dollars votés en décembre dernier; et moins que la loi Cares votée en mars 2020!

Si la loi Cares et le plan de relance d’urgence de décembre se sont avérés être de simples dépenses budgétaires d’«atténuation», les 800 milliards de dollars de l’actuel «plan de sauvetage» de Biden ne seront-ils pas également une autre mesure d’atténuation?

Le plan de relance de Biden d’environ 800 milliards de dollars est-il donc suffisant pour générer une reprise durable et pas seulement un autre rebond après cet été et les effets de la réouverture de l’économie en 2021?

Une autre façon de considérer l’évolution du PIB des Etats-Unis pour le reste de l’année est de décomposer le PIB du 1er trimestre par ses composantes. La majeure partie de la croissance de 1,6% est due à la poursuite de l’essor de l’industrie manufacturière. Les trois quarts environ de la croissance sont dus au secteur manufacturier. Ce secteur peut-il continuer à se développer? Et il ne représente qu’environ 12% du PIB américain total.

Les services – 80% de l’économie – ont commencé à se redresser au premier trimestre, mais ne le font toujours que modérément. Les investissements des entreprises ne sont pas en hausse et les stocks, qui font partie des investissements, ont continué à s’effondrer au cours du trimestre. Le déficit commercial a été un autre facteur négatif du PIB des Etats-Unis. La situation va-t-elle s’inverser? La croissance de l’immobilier résidentiel est plombée par la pénurie de logements; elle ne contribuera pas beaucoup (et ne représente que 4% du PIB de toute façon). Les propriétés commerciales (usines, hôtels, parcs, centres commerciaux, immeubles de bureaux, etc.) sont en panne. Ne vous attendez pas à une croissance ici non plus.

Les dépenses publiques au 1er trimestre n’ont pas vraiment contribué au PIB, car l’impact de la loi Biden ne commencera pas à se faire sentir avant l’été. Mais encore une fois, est-ce que 800 milliards de dollars seront suffisants?

Probablement pas. Des dépenses publiques beaucoup plus importantes seront nécessaires. Mais n’est-ce pas ce qui s’annonce avec les propositions de «dépenses d’infrastructure» de Biden (c’est-à-dire l’«American Jobs Act»), qui s’élèveraient à 2 200 milliards de dollars supplémentaires? Ainsi que son «Plan pour les familles américaines» (American Families Plan), annoncé récemment, de 1000 milliards de dollars supplémentaires? Ne retenez pas votre souffle. Ces deux projets de loi ne seront pas adoptés avant 2022 (pour autant qu’ils le soient sous cette forme). Et s’ils sont adoptés, ils le seront sans aucun doute pour des montants bien inférieurs et sur des périodes plus longues afin d’avoir beaucoup d’effets sur l’économie américaine – et aucun effet pour l’an 2021.

Pour conclure: il reste à déterminer si l’économie américaine, sur la base des chiffres récents du PIB et de la législation, sera fondamentalement différente de ce qui s’est passé en 2020. Il y a une réouverture de l’économie en cours qui va certainement stimuler un peu le PIB. Et il y a encore 800 milliards de dollars de dépenses d’atténuation. Mais les mesures de relance budgétaire en 2020, d’un montant à peu près équivalent, montrent que leurs effets se dissipent après quelques mois. La réouverture sera-t-elle suffisante pour générer autre chose qu’un nouveau rebond 2.0 et une véritable reprise économique durable d’ici la fin de l’année 2021?

Cela reste à voir. Toutefois, à bien des égards, la trajectoire économique ressemble beaucoup à celle de 2020, en termes de rebondissement et non de reprise durable.

Et puis il y a le «joker» économique du Covid. Le refus de 40% de la population des Etats-Unis de profiter des vaccins indique qu’il n’y aura pas d’immunité collective installée. Le virus sera présent pendant un certain temps. Et le risque est croissant que de nouvelles mutations se révèlent résistantes aux vaccins. Que se passera-t-il alors? Un autre arrêt l’hiver prochain? Si c’est le cas, attendez-vous à un nouvel effondrement de la croissance du PIB des Etats-Unis au quatrième trimestre 2021, tout comme à l’hiver 2020.

Quels que soient les scénarios, les lecteurs ne doivent pas se laisser prendre au piège du battage statistique à partir des absurdes déformations du «taux annuel» et de l’inflation du PIB réel américain et de la croissance économique réelle. (Article publié sur le blog de Jack Rasmus, le 3 mai 2021; traduction rédaction de A l’Encontre)

Jack Rasmus est l’auteur de The Scourge of Neoliberalism: US Economic Policy from Reagan to Trump, Clarity Press, janvier 2020. Il tient un blog sur jackrasmus.com et anime l’émission de radio hebdomadaire Alternative Visions sur le Progressive Radio Network le vendredi à 14 heures.

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[1] Le chaînage permet de prendre en compte la déformation de structure de l’économie (prix relatifs, poids des différents produits dans la consommation, etc.), ce qui est souvent utilisé en particulier dans le cas de séries longues ou de composantes connaissant une évolution rapide (matériel électronique par exemple). (Réd.)

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