Etats-Unis. Le clash Musk-Trump, révélateur du «mariage bâclé» entre factions de l’administration Trump

Le 30 mai 2025, Elon Musk reçoit de Trump une clé en or. Pour quelle porte?

Par Lance Selfa

La fin de la «bromance» [1] entre Trump et Musk était aussi prévisible que le lever du soleil à l’est.

Mais la rapidité de l’effondrement et la virulence des propos tenus ont été impressionnantes. L’homme le plus riche du monde et l’homme le plus puissant du monde, tous deux milliardaires narcissiques et égocentriques, se sont attaqués comme des scorpions dans une bouteille.

Au début des guerres de mots en ligne, la «loi de Godwin» [2] mesurait la toxicité des échanges en fonction du temps qu’il fallait à l’un des protagonistes pour traiter l’autre d’«Hitler» ou le comparer à un nazi. Dans le camp des partisans de Trump, ces insultes n’ont pas le même poids. Certains pourraient même les considérer comme des compliments! Musk a donc choisi une autre voie en accusant Trump de dissimuler sa relation avec Jeffrey Epstein, le trafiquant de mineures à des fins sexuelles destinées aux célébrités et aux riches.

Tout au long de la journée du 5 juin, Washington a observé avec stupéfaction l’escalade de la dispute en ligne et l’effondrement du cours de l’action Tesla. A la fin de la journée, Tesla avait perdu 150 milliards de dollars en capitalisation boursière et Musk avait perdu environ un dixième de sa fortune.

Pour les opposants à Trump et Musk, il est satisfaisant de voir les deux clowns en chef du cirque MAGA se déchirer. Mais nous devons prendre du recul et nous demander ce que cela peut signifier.

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La première question est de savoir si la rupture entre Trump et Musk est réelle ou s’il s’agit simplement d’un nouvel épisode de la téléréalité White House. Lorsque Musk appelle à la destitution de Trump et que Trump menace de mettre fin aux contrats de Musk avec le gouvernement fédéral, cela semble sérieux. Mais Musk n’a pas encore dépensé un centime de sa fortune pour faire campagne contre Trump, et Trump n’a pas encore pris de mesures pour résilier les contrats de Musk.

Il est donc toujours possible que ce combat en cage prenne fin et que Musk revienne dans le giron. Si les anciens opposants à Trump sont prêts à ramper et à s’humilier, Trump peut les accueillir à nouveau dans son équipe. Demandez à «Little Marco» Rubio [il est actuellement à la tête du Département d’Etat], qui a traité Trump d’«escroc», ou à JD Vance, qui a un jour qualifié Trump d’«Hitler américain». En tant que secrétaire d’Etat et vice-président, Rubio et Vance sont les principaux soutiens du régime Trump.

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Quel que soit l’avenir de Musk, la question clé est de savoir comment et pourquoi la situation actuelle s’est développée.

Du côté de Trump, Musk «avait fait son temps», comme l’a dit Trump dans l’un de ses messages sur Truth. Au début du mandat, lorsque Musk et son équipe d’acolytes fort jeunes faisaient rage dans les agences fédérales, Musk apparaissait comme co-président. Cela a provoqué des frictions avec Trump et avec des membres du cabinet tels que Rubio et le secrétaire au Trésor Scott Bessent. Il n’y avait aucune affection entre les personnes nommées par Trump et Musk [3].

Musk est entré dans l’orbite de Trump en promettant que son «Département de l’efficacité gouvernementale» (DOGE) allait supprimer 2000 milliards de dollars de «gaspillage, fraude et abus» au sein du gouvernement. Au lieu de cela, après avoir saccagé les agences les unes après les autres, volé leurs données, ordonné la liquidation de certaines d’entre elles et le licenciement de milliers de fonctionnaires, le DOGE n’a pu faire état que d’économies s’élevant tout au plus à 160 milliards de dollars. La plupart de ces économies disparaîtront, car les coupes budgétaires du DOGE finiront par coûter plus cher au gouvernement pour corriger les erreurs du DOGE.

Par conséquent, le DOGE a été un échec en soi, mais il a réussi (ou est en train de réussir) à servir les intérêts de Trump d’autres manières: en mettant fin illégalement à des programmes et en terrorisant des milliers de fonctionnaires. Et le fait de mettre l’Agence américaine pour le développement international (USAID) dans le «broyeur» (selon les termes de Musk) était à la fois une concession à la base xénophobe du MAGA et la fin de l’enquête de l’agence sur la corruption de Musk dans la recherche d’accords pour son entreprise de satellites Starlink. (Economic Policy Institue, 8 mai 2025).

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Il y a certes beaucoup à critiquer dans le rôle de l’USAID au service de l’impérialisme américain [article de Ron Jacobs sur Counterpunch, le 26 février 2025], mais Musk et Trump ne s’en soucient guère. Pendant ce temps, la destruction de ses programmes d’aide alimentaire et de vaccination coûtera la vie à des milliers d’enfants et d’adultes. Comme l’a dit Bill Gates, autre milliardaire et ami de Musk, «l’image de l’homme le plus riche du monde tuant les enfants les plus pauvres du monde n’est pas très reluisante».

En très peu de temps, et en grande partie grâce aux protestations populaires «Tesla takedown» qui ont débuté en février, Musk est devenu un handicap politique majeur pour Trump. Le «démantèlement» par Musk des effectifs fédéraux et des services essentiels, ainsi que son adhésion à la politique d’extrême droite, l’ont transformé en l’une des figures les plus détestées de la politique internationale. Même Trump savait qu’il était temps de se débarrasser de lui.

De plus, l’association de Musk avec Trump et ses agissements sous le nom de DOGE ont ruiné l’image de marque de Tesla auprès de sa principale clientèle, les libéraux aisés. Lorsque des centaines de manifestants ont régulièrement envahi les rues de banlieues aisées comme Walnut Creek, en Californie, et Golden Valley, dans le Minnesota, pour protester contre Tesla, le conseil d’administration de Tesla en a pris bonne note. Le déclin des ventes de Tesla en Europe et aux Etats-Unis a même conduit le conseil d’administration de Tesla à envisager de remplacer Musk.

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Toutes ces raisons, et bien d’autres encore, pourraient expliquer pourquoi Trump et Musk allaient se séparer. Mais la conférence de presse amicale du 30 mai, au cours de laquelle Trump a remis à Musk une clé en or, a laissé place à des menaces et des insultes après que Musk a dénoncé sur Twitter le «gros et beau projet de loi» de Trump, en cours d’examen au Congrès, comme «dégoûtant» et «rempli de porc» [dépenses gouvernementales qui profitent à un certain groupe ou région au détriment du dit intérêt national] et «abominable».

Bien sûr, Musk ne s’est pas opposé à ce paquet de réductions d’impôts de plusieurs milliers de milliards de dollars parce qu’il menace de priver des dizaines de millions de personnes de leur assurance maladie ou de leur aide alimentaire [voir sur ce site l’article «Projet de loi budgétaire et guerre sociale»]. Il prétend, comme d’autres membres de la droite au Congrès, s’inquiéter de ce que ce projet de budget ajoute plus de 2000 milliards de dollars à la dette nationale à long terme. Comme tous les conservateurs qui dénoncent la dette et les déficits, Musk serait ravi de voir davantage de coupes dans le filet de sécurité sociale s’il pouvait obtenir ses avantages fiscaux et si l’armée pouvait engloutir des milliers de milliards.

Il est possible que les préoccupations de Musk concernant le déficit ne servent à masquer des objections plus prosaïques – et purement égoïstes – à l’unique programme de politique intérieure de Trump (et du Parti républicain), comme le résume Kelly Hayes sur son site: «Le projet de budget supprime les crédits d’impôt pour les véhicules électriques et pourrait priver Tesla d’une importante source de revenus: la possibilité de vendre des crédits d’émission aux constructeurs de voitures qui ne respectent pas les réglementations environnementales dans certains Etats. Actuellement, les entreprises qui ne respectent pas ces normes peuvent acheter des crédits auprès d’entreprises comme Tesla, qui produisent des voitures zéro émission. En 2024, Tesla a gagné près de 2,8 milliards de dollars grâce à ces ventes de crédits, ce qui représente une part importante de ses bénéfices. Le projet de loi budgétaire empêcherait les Etats d’appliquer leurs propres normes strictes en matière d’émissions, coupant ainsi une source de revenus essentielle pour Tesla à un moment où les ventes de l’entreprise sont déjà en chute libre, en raison de la réaction politique à la posture nazie [de Musk] et aux pitreries à la tronçonneuse de Musk à Washington [avec Javier Milei], ainsi que de la concurrence croissante sur le marché des véhicules électriques.» (6 juin 2025)

Trump a retiré la nomination d’un allié de Musk au poste d’administrateur de la National Aeronautics and Space Administration (NASA). Musk s’attendait à ce que son copain à la NASA favorise ses entreprises SpaceX et Starlink. Trump a écarté Musk lorsque d’autres oligarques de la technologie l’ont accompagné lors de son récent voyage dans les monarchies du Golfe.

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Dans l’un de ses tweets, Musk a rappelé qu’il avait dépensé plus de 250 millions de dollars pour aider Trump à se faire élire et que celui-ci faisait preuve d’«ingratitude». Il est douteux que l’argent de Musk ait été l’élément clé qui a fait basculer l’élection en faveur de Trump en 2024. Mais le «donnant-donnant» qu’il a implicitement évoqué montre à quel point la corruption du gouvernement est flagrante sous l’ère Trump. C’est comme si Musk disait à Trump: «Hé, mon pote, j’ai dépensé un quart de milliard de dollars pour toi, et j’attends un retour sur mon investissement.»

Musk a beaucoup tiré profit de son séjour à la Maison Blanche, notamment la neutralisation des enquêtes fédérales sur sa corruption, et même la pression ouverte exercée par le département d’État sur les gouvernements étrangers pour qu’ils signent des contrats avec lui. Mais en tant que grand entrepreneur sous contrat avec le gouvernement fédéral, Musk pourrait se retrouver dans une situation similaire à celle des universités de Harvard et de Columbia si Trump décidait de réduire de plusieurs milliards de dollars les contrats avec Starlink ou SpaceX.

Musk a certainement des cartes à jouer. Il a menacé de mettre hors service l’une de ses fusées SpaceX, ce qui pourrait empêcher le gouvernement états-unien de lancer des satellites et d’autres charges utiles dans l’espace. Mais lorsque l’on évalue des menaces de ce type, il convient de se rappeler deux idées de Karl Marx: premièrement, que la classe capitaliste est une bande de «frères ennemis» et, deuxièmement, que «l’exécutif de l’Etat capitaliste» n’est qu’un «comité chargé de gérer les affaires communes de la bourgeoisie». Cela signifie que Musk n’a peut-être pas autant de marge de manœuvre qu’il le pense.

Premièrement, ses confrères du secteur technologique, tels que Jeff Bezos d’Amazon/Blue Origin, Sam Altman d’Open AI ou Peter Thiel de Palantir, se feront un plaisir de nuire à Elon Musk si Trump décide d’investir dans Blue Origin comme alternative à SpaceX ou dans Open AI ou Palantir comme alternative à Grok et xAI de Musk [4]. Deuxièmement, l’Etat (en particulier sous un chef vindicatif comme Trump) dispose encore de nombreux leviers pour mettre Musk au pas. Trump pourrait peut-être s’intéresser aux rapports faisant état de la consommation de drogue de Musk, car la loi fédérale l’interdit strictement aux employés des entreprises sous contrat avec le gouvernement fédéral.

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L’alliance Trump-Musk était la manifestation la plus publique du «mariage forcé/bâclé» qu’est le régime Trump: une alliance entre les nativistes «America First» du MAGA, les réactionnaires nationalistes chrétiens et les oligarques de la technologie, qui ne sont pas toujours d’accord entre eux. Rappelons que le monde de Trump a été secoué par des controverses avant même que Trump n’entre en fonction. A l’époque, la faction technologique, dont faisaient partie Musk et son acolyte Vivek Ramaswamy [5], alors fan de DOGE, s’était opposée aux nativistes MAGA au sujet des restrictions sur les visas de travail temporaire H1B pour les immigrants hautement qualifiés. Contre les racistes MAGA qui veulent empêcher les personnes de couleur d’entrer aux Etats-Unis, les oligarques de la Silicon Valley sont heureux de favoriser les visas temporaires pour les ingénieurs en informatique asiatiques, qui les lient ainsi à leurs employeurs.

Il existe de nombreux intérêts croisés entre ces principales factions du régime Trump. Par exemple, les oligarques de Wall Street et de la Silicon Valley détestent les droits de douane imposés par Trump. Mais ceux-ci sont un véritable évangile pour les partisans de l’America First. Pour l’instant, cependant, ces factions restent globalement unies. Et cela tient principalement au fait qu’elles détestent les mêmes personnes: les forces syndicales militantes, le mouvement pro-palestinien, les personnes transgenres, les fonctionnaires, et y compris les «élites» libérales dites «woke», etc. Et tandis qu’ils «avancent vite et cassent tout», pour reprendre l’argot de la Silicon Valley, ils semblent être une force imparable.

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Si la lutte entre Trump et Musk devait avoir des répercussions sur le projet Trump dans son ensemble, le projet de loi budgétaire en cours actuellement examiné au Congrès pourrait en ressentir les effets. C’est un projet de loi monstrueux en termes d’impact sur les citoyens ordinaires, mais c’est un monstre de Frankenstein assemblé pour maintenir à bord tous ceux qui soutiennent Trump sur le plan législatif. Les réactionnaires chrétiens obtiennent l’interdiction de Medicaid pour les soins relatifs à l’affirmation du genre. Les oligarques de la technologie obtiennent l’interdiction de toute réglementation de l’intelligence artificielle au niveau des Etats. Et les nativistes MAGA obtiennent une expansion considérable du complexe industriel de l’expulsion d’immigrés, dont la dimension répressive ressort actuellement à Los Angeles.

Mais la majorité dont Trump a besoin au Congrès pour faire passer ce projet de loi est très fragile, et toute défection d’une partie de sa base électorale pourrait le faire échouer. Conscients de cela, Trump et ses acolytes au Congrès ont concentré tout leur programme dans ce seul projet de loi. Ils veulent que ce soutien se traduise par un vote unique sur l’ensemble du programme de Trump. Pour cette raison, il est encore probable qu’il soit adopté avec la plupart de ses dispositions les plus néfastes.

Mais Musk et son argent pourraient-ils causer des maux de tête aux républicains alors qu’ils tentent de faire adopter ce méga-projet de loi? C’est possible, s’il décide de mener une campagne. Mais s’il est fidèle à ses déclarations, Musk pourrait approuver le projet de loi s’il devenait encore plus favorable aux riches et pénalisant pour les pauvres. C’est pourquoi il est plus que pathétique qu’un leader démocrate de Californie, Ro Khanna (qui a soutenu Bernie Sanders lors des primaires démocrates de 2016 et 2020) envisage de rallier un soutien de Musk et de son chéquier pour les «midterms» de 2026. S’allier avec l’oligarque le plus détesté au monde, est-ce la voie pour redorer le blason démocrate!

La querelle Trump-Musk est la preuve numéro un de la pourriture qui ronge le cœur de la politique américaine. (Article reçu le 7 juin 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Anglicisme: relation proche entre deux hommes sans caractère sexuel. (Réd.)

[2] Selon l’avocat américain et figure des réseaux sociaux Mike Godwin, «plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler s’approche de 1». Autrement dit, il y a remplacement des arguments par des analogies extrêmes. (Réd.)

[3] Le New York Times du 17 mars rapporte entre autres les heurts, dans le bureau ovale, entre Musk et Rubio, portant sur la réorganisation du Département d’Etat et les «licenciements» organisés par le DOGE-Département de l’efficacité gouvernementale. (Réd.)

[4] Grok est un chatbot d’intelligence artificielle générative développé par xAI, basé sur un grand modèle de langage. Il est développé à l’initiative d’Elon Musk en réponse à la montée en puissance de ChatGPT d’OpenAI, co-fondé à l’origine par Musk qui est entré en conflit avec Sam Altman. (Réd.)

[5] Vivek Ramaswamy, républicain, auteur de Woke, Inc. (2021) et de Nation of Victims (2022), il est à la tête d’une société d’investissement Strive Asset Management, soutenue financièrement par Peter Thiel et J.D. Vance, et d’une firme pharmaceutique, Roivant Sciences. (Réd.)

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