Etats-Unis. La Cour suprême et le déni des droits démocratiques

Par Barry Sheppard

Amy Coney Barrett, nommée par Trump pour siéger à la Cour suprême, et dont l’acceptation sera enregistrée, le 26 octobre, avec une hâte sans précédent par le Sénat contrôlé par les républicains.

Amy Coney Barrett est à l’extrême droite parmi les juges. Elle est membre d’un groupe religieux marginal qui croit que le mari est le chef de famille et le «chef» spirituel de leurs épouses. Il n’est pas surprenant qu’elle se prononce contre le droit des femmes à l’avortement et rejette la science du changement climatique.

Elle occupera le poste laissé disponible à la Cour suprême suite au décès de la juge Ruth Bader Ginsberg le 18 septembre. Le choix de Trump et la course folle pour la faire confirmer avant l’élection – jamais auparavant un juge n’avait été approuvé si près d’une élection (3 novembre), soit seulement neuf jours avant – ont été calculés afin d’augmenter la majorité de droite à la Cour à six juges sur neuf.

Cela a été fait pour plusieurs raisons. La première est que si Trump perd, les républicains prévoient de contester le vote devant les tribunaux, ce qui pourrait entraîner des recours devant la Cour suprême, qui décidera qui est président. Avec une majorité de 6 à 3, il est plus probable que ce soit Trump.

La seconde réside dans la tentative de l’administration Trump de faire annuler la loi sur les soins abordables (Affordable Care Act: Obamacare) qui est à l’ordre du jour de la Cour. Les audiences d’ouverture auront lieu une semaine après l’élection.

La troisième concerne une décision à 5 contre 3 que la Cour a prise alors que les auditions d’Amy Coney Barrett devant de la commission judiciaire du Sénat étaient en cours. Il s’agissait de permettre à l’administration d’écourter le recensement national (effectué une fois tous les dix ans) de la population étatsunienne, qui a dû être prolongé en raison des perturbations causées par la pandémie.

Le recensement étendu, rendu nécessaire par la pandémie, impliquait que les chiffres du recensement devaient être terminés après que le vainqueur de l’élection ait prêté serment en tant que président le 20 janvier 2021.

Le New York Times a noté que «la plupart des experts ont déclaré qu’un recensement raccourci ne ferait qu’aggraver les sous-estimations existantes des personnes qui ont toujours été les plus difficiles à atteindre pour les recenseurs», notamment les Noirs et les Latinos.

Ces sous-dénombrements accrus seront aggravés par la décision de Trump selon laquelle tous les immigrants sans papiers ne seront pas inclus dans les chiffres du recensement. La plupart des sans-papiers sont des Latinos qui vivent généralement parmi les membres de leur famille en situation régulière.

Les chiffres du recensement sont utilisés de plusieurs façons. L’une d’entre elles consiste à allouer des fonds fédéraux aux régions en fonction de leur population, telle que déterminée par le recensement. C’est dans les zones urbaines que vivent la plupart des minorités raciales, qui seront donc gravement affectées.

Une autre façon est d’utiliser les chiffres du recensement pour répartir les sièges de la Chambre des représentants. La répartition est le processus qui consiste à répartir les 435 membres entre les 50 États.

Le sous-dénombrement des Noirs et des Latinos, et le fait de ne pas compter du tout les sans-papiers, augmentera la représentation républicaine.

La Cour suprême vient d’annoncer qu’elle avancera l’examen de la décision de Trump au 30 novembre, à temps pour que le Bureau de recensement puisse communiquer ses chiffres à Trump. Il dispose alors du contrôle sur ce qui est envoyé au Congrès.

La décision de la Cour d’agir rapidement rend probable un jugement en faveur de Donald Trump, probablement à 6 contre 3.

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La Cour suprême a beaucoup de pouvoir. Elle peut annuler n’importe quelle loi, quelle que soit l’importance du vote du Congrès en sa faveur ou ce que pense la population dans sa majorité. Elle peut le faire par un vote majoritaire en prétendant que la loi viole la constitution.

Un exemple en est l’arrêt de la Cour suprême de 2013, avant l’élection de Trump, qui a invalidé le cœur de la loi de 1965 sur le droit de vote, qui prévoyait une surveillance fédérale de toute loi concernant le droit de vote dans les États qui avaient l’habitude de supprimer le droit de vote des Afro-Américains, principalement dans le sud du pays de Jim Crow. [Les lois Jim Crow étaient des lois nationales et locales issues des Black Codes, promulguées par les législatures des États du Sud à partir de 1877 jusqu’en 1964, lois qui ont été mises en place pour entraver l’effectivité des droits constitutionnels acquis des Afro-américains au lendemain de la Guerre de sécession.] La raison invoquée en 2013 était que le racisme n’était plus un problème.

Par conséquent, dans les années qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui, ces États ont introduit de nouvelles lois limitant le droit de vote des Afro-Américains. Les contestations de ces lois ont été rejetées par la Cour, confirmant ainsi les restrictions.

Le Parti républicain est devenu non seulement d’extrême droite sur le plan politique, mais sous Trump, il est maintenant un partisan de son autoritarisme croissant.

La prise de contrôle de la Cour par le Parti républicain a été renforcée par la nomination par Trump de nombreux juges d’extrême droite dans les tribunaux fédéraux inférieurs, qui ont été ratifiés par le Sénat républicain. Cette évolution se poursuivra au moins jusqu’au début du mois de janvier, lorsque les sénateurs élus en novembre prendront leurs fonctions. Comme les juges de la Cour suprême sont nommés à vie, cette prise de pouvoir est blindée pour des années, voire des décennies, quel que soit le vainqueur de cette élection et des suivantes.

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Cette situation a soulevé la question du pouvoir antidémocratique de la Cour suprême. Des propositions visant à limiter ce pouvoir sont discutées dans les médias, en supposant que les démocrates remportent le contrôle de la Maison Blanche et du Congrès lors des prochaines élections.

La plupart des Etatsuniens ignorent que la Constitution ne stipule pas le nombre de juges de la Cour, ni leur durée de mandat. Ces dispositions ont été adoptées par le Congrès. La Constitution ne stipule pas non plus si les décisions de la Cour suprême sont prises à la majorité, à l’unanimité ou à un autre niveau.

Les propositions visant à repousser la prise de contrôle de la Cour suprême par les républicains comprennent l’augmentation du nombre de juges de la Cour et la nomination de juges démocrates approuvés aux nouveaux postes.

Une autre proposition consiste à exiger que les décisions soient prises par au moins sept voix, ou par un vote unanime. La durée de vie des juges pourrait également être remplacée par une durée déterminée.

Cependant, il est peu probable qu’une administration démocrate fasse une telle chose. Cela bouleverserait des décennies et des décennies de règles établies, adoptées et approuvées par les deux partis, et serait considéré comme radical, et comme une trop grande rupture avec la «tradition» mettant en danger la stabilité du pouvoir capitaliste.

Un président et un Congrès démocrates espéreraient très probablement que la Cour contrôlée par les républicains se plierait à l’opinion publique, et n’annulerait pas les lois adoptées par le Congrès, ou pas toutes.

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Un autre aspect antidémocratique qui a été remis en question est l’élection du président non pas par un vote populaire mais par le Collège électoral, une disposition de la Constitution. En 2000, Bush a perdu le vote populaire mais a gagné le vote du Collège électoral. Il en a été de même pour l’élection de Trump en 2016.

Le Collège électoral a été inscrit dans la Constitution pour «empêcher la loi de la foule», ce qui fait partie de ce que James Madison, qui a été le principal «rédacteur» de la Constitution, a déclaré que celle-ci devait «protéger la minorité des opulents contre la majorité».

Le Collège électoral est composé d’électeurs choisis par les législatifs des États en fonction du nombre de membres du Congrès dont dispose chaque État. La pratique actuelle a évolué et les électeurs se sont engagés à soutenir l’un des candidats présidentiels élus par vote populaire dans chaque État, et ratifiés par le corps législatif.

Tous les États sauf deux déterminent quels électeurs sont envoyés au Collège électoral par le système du «gagnant prend tout». Si les résultats sont serrés, les voix promises au candidat qui perd de justesse ne sont pas comptabilisées. Ainsi, un candidat qui perd le vote populaire peut toujours gagner au Collège électoral.

Nombreux sont ceux qui commencent à comprendre que cette façon de procéder est grossièrement antidémocratique. Mais pour changer cela, il faudrait un amendement constitutionnel. Un amendement peut être proposé par un vote des deux tiers des deux chambres du Congrès ou par les deux tiers des États qui le demandent.

Ensuite, les trois quarts des assemblées législatives des États ou des conventions des États doivent ratifier l’amendement proposé pour qu’il soit adopté. Cela ne se produira pas dans les conditions actuelles.

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D’autres aspects non démocratiques de la Constitution sont remis en question. La manière dont les États-Unis ont été fondés est à l’origine de ces dispositions antidémocratiques. C’est le fait que l’esclavage des Africains était le fondement de l’économie dans de nombreux États qui a fait que la Constitution originale a dû prévoir des dispositions pour approuver l’esclavage.

Cela signifiait que les États esclavagistes devaient avoir le contrôle de leur politique et de leur économie. Ce fut l’origine des «droits des États» qui se sont poursuivis dans le système Jim Crow d’oppression raciale après que l’esclavage ait été renversé par la guerre civile,

La Constitution ne dit pas que tous les citoyens ont le droit de vote. Le contrôle des personnes ayant le droit de vote, et de tous les aspects du vote, a été explicitement donné aux États, et non au gouvernement fédéral, dès le début.

Dans la période qui a suivi la guerre civile, connue sous le nom de Reconstruction, avant que la contre-révolution n’installe le système Jim Crow, trois amendements importants à la Constitution ont été adoptés.

• Le treizième amendement a aboli l’esclavage – sauf pour les prisonniers. Cette exception est maintenant devenue un problème en cette période d’incarcération massive. Le film Le Treizième [1] est centré sur cette forme d’esclavage, qui fait partie de l’oppression des Noirs.

• Le quatorzième amendement stipule que toutes les personnes nées ou naturalisées aux États-Unis sont des citoyens (à l’exception des Amérindiens qui n’ont obtenu la citoyenneté qu’en 1924), ce qui signifie que les anciens esclaves sont des citoyens. Cela aussi fait partie de la discussion nationale actuelle, car les racistes blancs, dont Trump, veulent se débarrasser de ce droit car il fait, automatiquement, des enfants de migrants sans papiers, en grande partie des Latinos, des citoyens.

• Le quinzième amendement stipule que «le droit de vote des citoyens des États-Unis ne peut être refusé ou restreint par les États-Unis ou par tout autre État pour des raisons de race, de couleur ou de condition de servitude antérieure». Cela n’a pas répondu à la demande du plus radical des abolitionnistes anti-esclavagistes, à savoir que tous les citoyens aient le droit de vote.

En disant que les États ne peuvent pas faire obstacle au droit de vote en raison de la race, les États de Jim Crow ont contourné l’amendement par le subterfuge consistant à ne pas supprimer le droit de vote explicitement en raison de la race, mais par les taxes électorales, et de nombreuses autres dispositions, ainsi que par la terreur du Ku Klux Klan, qui a effectivement écrasé le droit de vote des Noirs dans ces États.

Le droit de vote des Noirs est à nouveau attaqué et cela aussi fait maintenant partie du débat national.

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L’explosion de Black Lives Matter (BLM) cette année a explicitement fait entrer dans le débat national non seulement les meurtres de Noirs par la police, mais aussi le fait que toute l’histoire des colonies britanniques puis des États-Unis, de 1619, lorsque le premier Africain a été «transporté» en Amérique du Nord pour y être esclave, jusqu’à aujourd’hui, est une histoire d’oppression des Afro-Américains sous différentes formes. Le racisme contre les Noirs s’est également étendu à toutes les personnes de couleur.

Le suprémacisme blanc est l’idéologie qui justifie l’oppression raciale. Elle est à l’origine de l’identification de nombreux travailleurs blancs avec la classe dirigeante contre leurs intérêts en tant que travailleurs.

Le suprémacisme blanc est maintenant ouvertement reconnu et discuté grâce au mouvement BLM. Un des résultats du BLM a été une série dans le New York Times appelée «1619» qui a fait la chronique de cette histoire de 400 ans d’oppression des Noirs. Trump dit maintenant que cette série «donne une mauvaise image des Etats-Unis». Il a proposé de retenir les fonds des districts scolaires qui ont commencé à utiliser la série du NYT dans les cours d’histoire. L’oppression nationale des Noirs a été un déni majeur des droits démocratiques dès le début du pays.

Un autre était le génocide des Amérindiens et les formes ultérieures de leur oppression jusqu’à nos jours. La prise de conscience de ce fait a été un autre effet de Black Lives Matter.

Il y a d’autres violations des droits démocratiques codifiés dans la Constitution, du pouvoir de la présidence par rapport à celui des premiers ministres dans un système parlementaire, à la composition du Sénat, chaque État ayant deux sénateurs sans tenir compte de la population, et d’autres qui seront analysés plus tard. (Article envoyé par l’auteur le 22 octobre 2020; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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[1] Le 13e est un documentaire américain réalisé en 2016 par Ava DuVernay. Le film explore les «liens entre la race, la justice et l’incarcération de masse aux Etats-Unis». (Réd.)

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