Etats-Unis. Est-ce sa couleur de peau qui a tué Philando Castile? Ou comment ne pas parler de racisme

imagePar Barbara J. Fields et Karen E. Fields

C’est le président Barack Obama qui a utilisé cette fois-ci la formule «en raison de leur peau» après qu’un agent de police a tué Philando Castile lors d’un contrôle routier suite à un feu arrière cassé: «Lorsque se déroulent des incidents de ce type, une grande partie de nos concitoyens ont la sensation qu’en raison de la couleur de leur peau, ils ne sont pas traités de la même manière.»

Ce n’est pas le seul et il ne sera pas le dernier à décrire les choses en les plaçant cul-par-dessus-tête. La référence à «la couleur de leur peau» dans son discours Je fais un rêve [août 1963] a normalisé la formule aux oreilles des Américains, bien que King l’ait sans doute considérée comme étant une réduction ad absurdum plutôt qu’une explication.

Parce que cette formule est habituelle dans le discours états-unien commun, peu nombreux sont ceux qui raisonnent sur l’étrange inversion cause-effet qu’elle comporte. Racecraft est le terme que nous avons façonné pour décrire cela. La couleur de peau ne peut pas, en fait, être à l’origine d’un coup de matraque, d’un tir ou d’une électrocution par un Taser, tout comme la couleur de la peau ne peut produire un refus d’emploi ou d’un crédit bancaire ou encore la présence d’une autoroute ou d’une déchetterie à proximité d’une zone résidentielle. Le «pourquoi» dans chaque cas ne réside pas dans la couleur de peau de la victime, mais dans l’action délibérée d’un ou de plusieurs agresseurs humains.

Il n’est pas nécessaire que les agresseurs soient motivés par la malveillance, bien qu’ils le soient souvent. Il ne faut pas non plus qu’ils soient les auteurs ou les personnes à l’origine de ce double standard – en d’autres termes, le racisme – qui fait que porter un pull à capuche [comme Trayvon Martin], vendre des cigarettes à l’unité [comme Eric Garner] (ou l’avoir fait dans le passé), répondre à un agent de police, jouer de la musique trop fort, fuir à un stop, avoir le phare arrière de sa voiture cassé [Philando Castile] pour que certains, mais pas d’autres, aient une peine capitale immédiate.

En effet, lorsque le double standard du racisme produit une erreur manifeste et irréversible – comme, par exemple, lorsque des agents de police afro ou latino-américains sont tués en dehors du service par des policiers blancs qui les ont confondus avec des criminels –, les policiers qui les ont tués sont fortement et probablement toute leur vie émotionnellement éprouvés.

La question est la suivante: pour le meilleur ou pour le pire, la couleur de peau n’a pas en elle-même une capacité d’action. Dans le cas des assassinats policiers par balle, le préjudice n’est pas provoqué par la couleur des victimes, mais par la formation, les décisions et les actions des personnes qui agitent les matraques, les armes ou les Tasers tout comme par leurs supérieurs (qui échappent généralement à toute conséquence). La formule «en raison de la couleur de leur peau» transfert la responsabilité de l’agresseur vers sa cible.

Les tags ironiques «conduisant alors qu’il était Noir» et «marchant alors qu’elle était Noire» soulignent avec originalité l’absurdité des incidents qu’ils caractérisent. Ces tags perdent toutefois rapidement leur tranchant ironique devant un public immunisé par la conviction que la couleur de peau d’un marcheur ou d’un conducteur est ce qui détermine l’action de l’agent de police et non sa formation, son jugement, sa stabilité mentale ou les instructions qu’il reçoit de la hiérarchie.

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Au-delà de ce transfert de responsabilité loin de l’agresseur réel, la formule «en raison de la couleur de leur peau» masque une réalité qui devrait inquiéter même ceux qui s’imaginent que la couleur blanche de leur peau les préserve d’une blessure ou de la mort en raison d’un comportement policier inadapté.

Zachary Hammond, un adolescent sans arme, est mort en août 2015, tué par un agent de police à Seneca (Caroline du Sud) pour avoir commis, semble-t-il, comme seule infraction d’avoir de la marijuana dans sa voiture, il se pourrait même que cela n’ait pas été la sienne. Ce n’est que par les activités des activistes de Black Lives Matter que cet épisode a obtenu l’attention médiatique. Pas même les voisins de la famille Hammond n’ont été touchés au point de la soutenir publiquement.

A Frederick (Maryland), en 2011, un Blanc de 26 ans atteint du syndrome de Down [trisomie 21], Robert Ethan Saylor, est mort étranglé en un acte qui anticipait étrangement la mort d’Eric Garner (à l’instar de Garner, Saylor était fort). Les adjoints du sheriff, travaillant au noir comme videurs de boîte, l’ont attaché avec trois paires de menottes, l’ont retourné face contre terre et se sont assis sur lui. Ils tentaient de l’arrêter parce qu’il ne voulait pas quitter une salle de cinéma après la fin du film.

Les défenseurs des personnes handicapés se sont exprimés au nom de Monsieur Saylor et de sa famille, mais seulement sur la base restreinte selon laquelle la police devrait être mieux formée pour faire face à des personnes mentalement handicapées. La véritable question est de savoir si les adjoints travaillant au noir avaient décidé de s’en occuper, sans même parler de le malmener, d’une façon aussi anodine. Dans un monde de décence humaine ordinaire, ne pourrait-on pas imaginer une personne – les gérants du cinéma, les policiers ou un membre du public – offrir de payer le coût insignifiant d’un ticket et le laisser regarder une nouvelle fois le film pendant qu’il attendait que sa mère arrive avec l’argent?

La couleur de la peau de Zachary Hammond ou de Robert Ethan Saylor ne leur a pas sauvé la vie. Pas plus que celle de Philando Castile la lui a enlevée. Le double standard du racisme ne désignait pas Hammond et Saylor comme des cibles.

Le fait est qu’une police militarisée habituée à une mentalité où l’on tire en premier, où l’on impose sa présence semblable à une armée d’occupation ne peut être confinée aux quartiers, zones et personnes où de tels comportements ont été déployés impunément.

Il est temps de cesser de nous leurrer avec ce racecraft du «en raison de la couleur de leur peau» et de reconnaître l’instabilité émotionnelle, l’absence de jugement, la formation inadéquate et les politiques mal conçues qui transforment des êtres humains, et non la couleur de la peau des victimes, en tueurs. (Article publié le 12 juillet 2016 sur le site JacobinMag.com. Traduction A l’Encontre)

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