Etats-Unis. «C’est quelque chose pour lequel nous devons tous agir.» Une journée sans immigré·e·s

Reportage de Jaisal Noor

Un appel à fermer les commerces, restaurants, etc., en signe de protestation aux politiques anti-immigration de Donald Trump, a été lancé via les réseaux sociaux. Les immigrés, naturalisés ou illégaux, voulaient montrer, le jeudi 16 février, au président américain qu’ils ont un poids dans l’économie américaine. Dans le quartier de Staten Island, à New York, sur la devanture d’un restaurant, une simple note: «On aime les Etats-Unis, mais le gouvernement lui ne nous aime pas. Réouverture demain.» Une «journée sans immigrés» avec un air de dimanche un peu triste: des rues entières vides, avec des commerces aux rideaux de fer tirés.

Dans la soirée, comme le décrit l’envoyé de RFI, «les immigrés ont fait entendre leur voix aux cris de «Nous sommes là, on reste». Parmi eux, Juanesa, Mexicaine et mère de trois enfants américains. «Il faut que les Américains se rendent comptent que les immigrants viennent nettoyer les hôtels, faire la cuisine, le ménage, s’occuper des enfants, explique-t-elle. On fait tout ce qu’ils ne veulent pas faire».

Femme de chambre depuis 30 ans à New York, elle n’est pas allée travailler vendredi pour montrer que les immigrés sont indispensables à la bonne marche du pays. «Le pays s’effondrerait, l’économie s’effondrerait», selon elle. «Nous gagnons notre argent avec dignité, rappelle-t-elle encore. Ces lois, ce mur sont indignes de notre contribution au pays.»

«Sans-papiers, résidents, citoyens, immigrés du monde entier. Unissons-nous.» C’est le genre de slogan qui tournait sur les réseaux sociaux pour une journée de mobilisation nationale aux Etats-Unis, intitulée «une journée sans immigrés».

Lancée par des groupes de défense des droits des immigrés, l’initiative invite les immigrés américains – légaux ou pas – à ne pas travailler et à ne pas consommer. Selon les médias états-uniens, des portes closes de commerces et d’écoles ont été recensées à Philadelphie, New York, Austin, Boston ou encore Washington. Près d’un quart des travailleurs de la restauration étaient immigrés en 2016, contre 18,5% dans tous les secteurs confondus, selon les données du Bureau of Labor Statistics.

Le chef étoilé José Andrés a annoncé sur Twitter – il dispose de plus 460’000 abonnés – fermer trois de ses restaurants pour «soutenir notre peuple». Arrivé d’Espagne en 1991, il a désormais la nationalité américaine. «Il apparaît que nous appartenons au rêve américain, mais d’une certaine façon, il semble que l’Amérique ne reconnaît pas ce que nous faisons», a-t-il déclaré.

«C’est une bonne idée. Cette question des immigrés et de l’hospitalité des Etats-Unis est terriblement importante, pour eux comme pour nous. Il faut défendre leurs droits», confie ce médecin américain à la retraite, âgé de 84 ans, au quotidien canadien La Presse.

«Nous avons tous peur d’être expulsés, nous les sans-papiers», explique Marvin Gomez, arrivé du Honduras il y a dix ans et venu participer à une petite manifestation à Mount Pleasant, quartier hispanique du nord-ouest de Washington. A 28 ans, il travaille dans la construction, paye ses impôts aux Etats-Unis malgré son statut clandestin et aide financièrement sa mère restée au Honduras. «On s’est mis d’accord avec mes collègues pour ne pas aller travailler aujourd’hui. Les patrons peuvent nous licencier, mais tant pis. C’est quelque chose pour lequel nous devons tous agir», confie-t-il.

Dans le cortège qui descendait vers la Maison-Blanche se trouvait aussi Iris Mata, employée d’une école du quartier hispanique de Columbia Heights, qui faisait également grève. «Nous voulons être entendus et qu’on ressente le poids d’une journée sans immigrés», témoigne cette citoyenne américaine de 38 ans, arrivée du Salvador quand elle était enfant. «Nous avons peur des conséquences des décisions du président.»

Nous publions ci-dessous des extraits de l’émission de REAL News Network, reportage effectué par Jaisal Noor. (Rédaction A l’Encontre)

*****

On l’appelle «Un jour sans immigré·e·s». Dans tout le pays, les travailleurs et travailleuses immigrés et leurs partisans s’absentent de leur travail, ne vont pas à l’école, ne font pas de shopping ou ne mangent pas à l’extérieur, mais plutôt se réunissent et manifestent contre les politiques d’immigration de Donald Trump.

Des centaines ont été arrêtés ou déportés la semaine dernière. Des manifestations ont eu lieu dans des villes comme, Los Angeles, Washington D.C., New York, Detroit, entre autres. Nous avons parlé à quelques-unes des centaines de personnes qui ont défilé à Baltimore.

FEMME 1: Aujourd’hui, nous l’avons fait, comme une journée nationale sans immigrants. Ainsi, en tant que solidarité, toutes les communautés latinos, pas seulement les Latinos, mais tout le monde nous montre aujourd’hui leur appui, afin de soutenir sur tout ce qui à trait à la politique raciste.

C’est la même chose que nous faisons le dimanche, mais cette fois il s’agit plus d’une journée sans immigrants. Et nous demandons à toute la communauté de se joindre à nous aujourd’hui, pour nous soutenir.

JAISAL NOOR: Donc, vous demandez aux gens de ne pas aller à l’école, de ne pas faire de shopping.

FEMME 1: Oui. Ouais. C’est pourquoi aujourd’hui, à l’échelle nationale, c’est une journée sans immigrants. Ainsi, vous verrez beaucoup de magasins, restaurants fermés, et les gamins sont impliqués dans l’action. De même, je n’ai pas envoyé mon fils à l’école.

JAISAL NOOR: Et quel message voulez-vous envoyer aujourd’hui à Donald Trump?

FEMME 1: Que nous sommes… Que la communauté hispanique et la communauté latino sont plus unies que jamais.

JAISAL NOOR: Donc, nous voyons des dizaines de personnes réunies à Baltimore.

FEMME 2: Et je pense que nous apportons beaucoup à ce pays. Je pense que nos frères et sœurs américains doivent le savoir. Ceux qui ont connaissance du rôle de immigré·e·s savent ce que nous avons apporté à ce pays. Nous faisons beaucoup pour ce pays. Nous pouvons aussi rendre plus grand ce pays.

JAISAL NOOR: Et comment réagissez-vous aux raids de déportation de Donald Trump? Il dit qu’il enferme les criminels. Comment réagissez-vous à cela?

FEMME 2: Nous ne sommes pas des criminels. Nous sommes des gens qui contribuent à ce pays. Nous faisons beaucoup. Si vous avez de la nourriture sur votre table, c’est parce qu’il y a beaucoup de gens qui travaillent dur dans les fermes. Si vous avez un service dans un hôtel, c’est parce qu’il y a beaucoup d’immigrant·e·s qui y travaillent. Si vous avez vos maisons propres, nettoyées, c’est parce que beaucoup d’immigrés le font…

Qui d’autre va faire cela? Qui d’autre va travailler pour un salaire minimum, ici? Mais, ils/elles le font. Et ils le font avec amour, ils le font avec effort, et ils veulent rester ici, et soutenir leurs enfants et leurs familles. Il ne faut pas séparer les familles [renvoyer des «illégaux» et garder des personnes nées ici].

UN HOMME: Ah… Nous allons montrer que nous sommes en faveur de notre communauté d’origine. Et étant hispanique moi-même, je suis extrêmement honoré et humble de montrer les chiffres et de faire la marche ensemble, et pour une bonne cause.

JAISAL NOOR: Et quel genre d’impact économique pensez-vous que cela va faire aujourd’hui?

Un homme: Je pense que c’est une façon de démontrer qu’avec le nombre – vous savez, c’est vraiment ce volume qui compte – et qu’au plan économique les gens contribuent à cet impact, en payant les impôts et tout cela. Donc, nous ne voulons pas d’injustice, nous ne voulons pas le profilage (enquête pour recueillir des données concernant l’attitude, l’allure, etc.), nous voulons que les agents de ICE (Immigration and Customs Enforcement, agence fédérale) puissent faire leur travail et traiter les gens de manière humaine.

Nous ne voulons pas que les gens soient profilés à partir de la façon dont ils apparaissent, et qu’on leur demande des papiers. Ouais, il y a des lois ici pour protéger même les sans-papiers, croyez-le ou non. Donc, vous savez, c’est ce qu’on appelle la procédure régulière et l’égalité. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui.

JAISAL NOOR: Donald Trump a fait campagne en promettant d’expulser des millions d’immigrants sans papiers. Sa première ordonnance a accéléré le processus de déportation en cours que le président Obama avait déjà commencé. Obama a déporté un nombre record d’immigrants, et beaucoup craignent que Trump va exploiter ces programmes qui sont déjà en place.

Daniel Ramirez Medina

Pendant ce temps (16 février), les services de l’immigration et de la douane de Donald Trump ont arrêté «leur» premier bénéficiaire de la DACA – Deffered Action for Chiladhood Arrival, mesure à caractéristique humanitaire devant assurer la non-expulsion et la remise d’un permis de travail pour deux ans, susceptible d’être renouvelé –, Daniel Ramirez Medina (23 ans, né au Mexique), qui est arrivé aux Etats-Unis en tant qu’enfant (âgé de 7 ans et vivant à Des Moines, Etat de Washington, dans le comté de King). Il avait reçu un permis de travail pendant l’administration Obama. Quelque 750’000 personnes ont obtenu un statut similaire (DACA) sous Obama.

Pendant ce temps, une mère de deux enfants, vivant à Phoenix dans l’Arizona, Guadalupe Garcia De Rayoa, a été récemment déportée, en 24 heures, après un check-in de routine par l’ICE, le mercredi 8 février. Son crime était de travailler dans le pays – depuis quelque vingt ans – tout en étant sans papiers. Cela a incité certains, comme Jeanette Visgurerra, à prendre un abri dans un sanctuaire, au sein de la première église unitaire de Denver, défiant les ordres d’expulsion.

JEANETTE VISGURERRA: Ce n’est pas seulement une attaque contre moi. C’est une attaque contre toute la communauté des immigrants. La seule chose que j’ai faite, c’est d’utiliser de faux documents [carte de sécurité sociale] pour mettre de la nourriture sur la table de ma famille.

JAISAL NOOR: Craignant la déportation, elle a choisi de ne pas aller à sa réunion prévue avec les agents fédéraux chargés de l’application des lois sur l’immigration. Au lieu de cela, elle se réfugie dans une église, où le révérend dit qu’elle peut rester aussi longtemps que nécessaire. (Extraits transcrits d’une émission audio sur REAL News Network, diffusé le 16 février 2016; traduction et édition A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*