Sans atténuation, la nouvelle pandémie de coronavirus pourrait tuer jusqu’à 2,2 millions de personnes aux Etats-Unis, selon un rapport [rendu public le 16 mars] de l’équipe d’intervention Covid-19 de l’Imperial College of London [Imperial College of London Covid-19 Response Team]. Même en prenant des mesures critiques telles que l’éloignement social par toute la population, le confinement des malades chez eux et la mise en quarantaine des membres de leur famille, l’épidémie risque de dépasser bientôt les capacités de soins intensifs des hôpitaux états-uniens, selon ce rapport. Les chercheurs britanniques ont déclaré au New York Times qu’ils avaient partagé leurs conclusions avec le groupe de travail de la Maison-Blanche sur le virus «il y a environ une semaine».
Un nombre disproportionné de ceux qui tombent malades et meurent seront presque certainement pauvres. Outre le manque de congés maladie payés et de soins médicaux, les Etats-Uniens à faible revenu présentent souvent un autre facteur de risque qui pourrait rendre le virus plus mortel: l’exposition à la pollution atmosphérique sur le long terme.
Ironiquement, alors que les économies s’arrêtent (ou freinent) en réaction à la propagation mondiale du virus, la qualité de l’air, elle, s’améliore en fait pendant la pandémie. Les satellites ont déjà mesuré les changements en Chine, où le suivi de la NASA (National Aeronautics and Space Administration) a montré que les émissions de dioxyde d’azote ont diminué de 30% en février 2020, lorsque le virus a balayé le pays; de même en Italie, où les niveaux de gaz et d’autres polluants atmosphériques ont baissé de la même manière, puisque les gens restent à l’intérieur pour éviter l’infection.
Le dioxyde d’azote (NO2), qui est libéré lors de la combustion du charbon, du pétrole, du gaz et du diesel, est terrible pour les poumons. En plus d’être un polluant climatique, ce produit chimique entraîne une réduction de la fonction pulmonaire et augmente: la respiration sifflante [cette dernière traduit une inflammation des voies respiratoires, avec une difficulté de passage de l’air lors de la respiration – expiration et/ou inspiration], les crises d’asthme, l’inflammation des voies respiratoires et les hospitalisations. Le dioxyde d’azote est également nocif pour le cœur, car il augmente le nombre de crises cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux, d’insuffisances cardiaques aiguës et de décès dus à des maladies cardiaques en général.
Mais les récentes baisses des niveaux de pollution atmosphérique arrivent trop tard pour aider ceux qui sont déjà atteints par le Covid-19.
«L’air s’est peut-être assaini en Italie, mais les dommages ont déjà été causés à la santé humaine et à la capacité des gens à lutter contre l’infection», a écrit Sascha Marschang, secrétaire général par intérim de l’Alliance européenne pour la santé publique (European Public Health Alliance), dans une déclaration. En Italie – comme aux États-Unis – les communautés qui subissent habituellement des niveaux élevés de pollution atmosphérique ont également des niveaux élevés de problèmes de santé qui les mettent particulièrement en danger de mourir du virus.
«Les patients souffrant de problèmes pulmonaires et cardiaques chroniques causés ou aggravés par une exposition à long terme à la pollution atmosphérique sont moins à même de lutter contre les infections pulmonaires et risquent davantage de mourir», a déclaré Sara De Matteis, professeur associé en médecine du travail et de l’environnement à l’université italienne de Cagliari, dans un communiqué. «C’est probablement aussi le cas pour le Covid-19.»
La précédente épidémie [en 2002] virale connue sous le nom de SRAS [Syndrome respiratoire aigu sévère] a montré que les patients vivant dans des régions où la pollution atmosphérique était de qualité moyenne avaient 84% plus de chances de mourir de ce virus que les patients des régions où la pollution était faible, selon une étude de 2003 [Environnetal Health 2, Article number: 15 (2003)].
Aux États-Unis, quelque 141 millions d’Américains, soit plus de 43% de la population, vivent aujourd’hui dans un comté [circonscription administrative intermédiaire entre un Etat et une municipalité] qui a échoué à appliquer au moins une mesure de base concernant la qualité de l’air, selon un rapport de 2019 de l’Association pulmonaire américaine. Les pauvres sont les plus susceptibles d’être confrontés à un air dangereux – et d’en mourir. Et les taux de mortalité dus à l’asthme, qui est également lié à la pollution, sont trois fois plus élevés chez les Afro-Américains.
L’affaiblissement de la réaction due à l’exposition sur une période prolongée à la pollution atmosphérique n’est qu’une des nombreuses raisons pour lesquelles les pauvres meurent déjà, en général, plus tôt aux Etats-Unis. L’écart d’espérance de vie entre le 1% d’Américains les plus riches et le 1% d’Américains les plus pauvres est de près de 15 ans [étude sur la période de 2001 à 2014]. Cette disparité profonde en matière de santé, ainsi que l’incapacité à maintenir les systèmes de santé publique: en finançant suffisamment d’équipements d’urgence, en développant une planification et en assurant plus de médecins de premier recours, tout cela fait que les pauvres sont particulièrement exposés au coronavirus.
«Les personnes qui risquent de subir les pires conséquences du coronavirus sont celles qui souffrent déjà le plus de la pollution atmosphérique», a déclaré Elena Craft, directrice principale pour le climat et la santé au Fonds de défense de l’environnement (Environmental Defense Fund) . «Des endroits comme Seattle, New York et Houston – ces grandes zones métropolitaines – sont très gravement touchées par la pollution de l’air. Beaucoup d’entre elles ne respectent pas les directives relatives aux particules et à l’ozone. Il y a donc là l’effet d’un double problème: elles ont déjà des conditions chroniques mauvaises qui les prédisposent aux effets néfastes du virus.»
Il n’est pas surprenant qu’une grande partie de ceux qui sont particulièrement vulnérables – que ce soit parce qu’ils ont vécu avec la pollution ou des maladies chroniques – soient les plus pauvres d’entre nous, a déclaré Richard Cooper, épidémiologiste, cardiologue et professeur de sciences de la santé publique à la Faculté de médecine de l’Université Loyola. «Comme toujours, cela va encore se dégrader», a déclaré R. Cooper. Et comme le virus se propage sans discrimination, «la vulnérabilité de certains d’entre eux expose le pays tout entier à des conséquences catastrophiques», a-t-il ajouté.
Un manque de capacités médicales, notamment une pénurie de ventilateurs et de spécialistes qui font fonctionner ces appareils, devrait rendre l’épidémie particulièrement dangereuse. Dans leur rapport, les chercheurs de l’Imperial College de Londres ont prédit qu’en cas d’épidémie non contrôlée, le besoin de lits dans les unités de soins intensifs et de réanimation dans des hôpitaux serait supérieur dès la deuxième semaine d’avril aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, avec un pic éventuel «qui sera plus de 30 fois supérieur à l’offre maximale dans les deux pays».
Richard Cooper est catégorique: en ce moment de la crise, la réduction des interactions sociales est le moyen le plus important pour protéger tout le monde. «Un confinement est la seule chose qui compte maintenant», a-t-il déclaré, notant que les gouvernements et les individus doivent prendre des mesures pour restreindre immédiatement les activités. Mais, tout en reconnaissant que les Etats-Uniens commencent à comprendre qu’ils doivent maintenir une distance sociale pour ralentir la propagation de l’épidémie actuelle, et cela à long terme, a-t-il dit, nous devons nous attaquer à l’inégalité dramatique qui laisse déjà certains Etats-Uniens si vulnérables.
«Nous tous, sur le bon navire de la civilisation, nous nous dirigeons sur un iceberg. Nous venons de faire un virage à 15 degrés», a déclaré Richard Cooper. «Mais ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un virage à 180 degrés». (Article publié sur le site The Intercept en date du 17 mars 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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