Dossier Russie-Ukraine «négociations»

«Vladimir Poutine a commis une terrible erreur, et ses concessions sur l’Ukraine sont le signe de son affaiblissement»

Par Patrick Cockburn

Pour la première fois, les négociations entre la Russie et l’Ukraine semblent pouvoir déboucher sur un accord de paix. En effet, un haut responsable de la défense russe a déclaré que la Russie allait réduire «considérablement» ses activités militaires autour de Kiev et de la ville septentrionale de Tchernihiv.

Cette mesure vise à «créer les conditions nécessaires à de futures négociations», selon Alexander Fomin, vice-ministre russe de la Défense, qui participe aux pourparlers de paix à Istanbul.

Pour la première fois depuis l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février, un accord semble possible. Alexander Fomin a déclaré que le retrait avait lieu parce que l’Ukraine avait accepté la neutralité et un statut non-nucléaire.

Ces derniers jours, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a déclaré à de hauts responsables militaires que la Russie avait largement achevé la première phase de son opération et qu’elle passait à «l’objectif principal – la libération de Donbass».

Le fait que ces déclarations sur un accord de paix et un retrait russe émanent de hauts responsables russes rend moins probable qu’il s’agisse d’une manœuvre de propagande ou d’une tactique dilatoire, donnant le temps aux forces russes de se réorganiser après une série de revers.

D’autres responsables russes affirment qu’un accord de paix est encore loin et qu’il est possible que le Kremlin ait décidé de combattre et de négocier en même temps.

Quelle que soit l’issue des négociations de paix à Istanbul, les déclarations russes sont très différentes de l’exigence initiale du président Poutine, il y a cinq semaines, de renverser le président Volodymyr Zelensky et de faire que l’armée ukrainienne dépose les armes.

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Depuis lors, les rapports de forces militaires – ainsi qu’internationaux – entre la Russie et l’Ukraine ont fortement évolué, et probablement de façon permanente, en défaveur de la première et en faveur de la seconde. Poutine a mal évalué la force de la résistance ukrainienne, la puissance de sa propre armée et la réaction de l’OTAN.

Mais bien que la Russie ait échoué dans ses objectifs stratégiques et n’ait capturé que quelques centres urbains ukrainiens, elle dispose toujours d’une puissante force militaire en Ukraine.

Les images des bâtiments en ruines et des ponts détruits ont horrifié le monde entier, mais elles masquent la triste vérité: le niveau de dévastation est encore inférieur à la destruction totale observée dans les villes assiégées du Moyen-Orient, comme Alep-Est, la vieille ville de Mossoul et Raqqa.

Il n’y a aucune raison pour que l’Ukraine ne partage pas le sort de la Syrie, de l’Irak et de l’Afghanistan si les combats se poursuivent pendant des mois ou des années.

Une grande partie de ce que la Russie dit avoir gagné pouvait être obtenue sans invasion. Il était peu probable que l’Ukraine rejoigne l’OTAN et les puissances de l’OTAN ont déclaré qu’aucun de leurs soldats ne combattrait en Ukraine. Les demandes russes de «dé-nazification» et de fin du génocide des russophones seront faciles à satisfaire, car aucune des deux allégations n’était vraie, mais Poutine pourra prétendre les avoir évitées.

Les Etats-Unis ont été ambivalents quant à la manière de ne pas jouer un rôle direct dans la guerre, mais en même temps de fournir suffisamment d’armes et d’autres formes d’assistance pour que l’Ukraine continue de se battre.

«Tel est l’équilibre précaire que l’administration Biden a tenté de maintenir pour aider l’Ukraine à enfermer la Russie dans un bourbier sans provoquer un conflit plus large avec un adversaire doté de l’arme nucléaire ni couper les voies potentielles de désescalade», explique le New York Times dans une analyse de la politique américaine.

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Bien sûr, la guerre n’est pas encore terminée. Toutes les parties au conflit ont une raison de faire la paix, mais aussi une raison de continuer à se battre pour améliorer leurs positions.

La désescalade autour de Kiev pourrait être motivée par le fait que les opérations menées par les Russes dans le nord de l’Ukraine ont échoué autour de la capitale et de Tchernihiv, et qu’ils cherchent à présenter cet échec comme une concession pour stimuler les pourparlers de paix. Etant donné que presque toutes les informations sur les victoires ukrainiennes et les défaites russes proviennent du côté ukrainien, la situation sur le champ de bataille n’est peut-être pas aussi claire que ce que présentent les médias occidentaux.

Le Kremlin peut également avoir le sentiment d’avoir été dépassé par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a proposé des compromis, donné une impression de modération et souligné son souhait de mettre fin à la guerre. Mais ses propositions risquent d’être une pilule amère à accepter pour les Russes, car elles comprennent des garanties de sécurité pour l’Ukraine, qui seraient plus efficaces qu’une adhésion à l’OTAN [1].

Poutine ne peut s’en prendre qu’à lui-même, car l’Ukraine est plus forte qu’avant la guerre et la Russie considérablement plus faible. Le succès des négociations de paix reflétera en fin de compte ce nouvel équilibre des forces entre l’Ukraine et la Russie et entre la Russie et le monde.

Même maintenant, il est difficile de voir comment Poutine, malgré son contrôle absolu des médias russes, minimisera sa défaite alors que son armée meurtrie rentrera chez elle avec une réputation en lambeaux. Par son orgueil démesuré (hubris) et son imagination, Poutine a créé une Ukraine pro-occidentale bien armée, ce qui est précisément ce qu’il voulait éviter en partant en guerre.

Poutine a fait une gaffe en imaginant que les Ukrainiens accueilleraient ses forces à bras ouverts et il a été incapable de concevoir une nouvelle stratégie. Le Kremlin semble avoir été tout aussi incapable d’organiser les vastes ressources en hommes de la Russie pour renforcer une armée trop petite pour sa tâche. (Article publié sur le site iNews, le 29 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Sur le site du quotidien Le Monde du 30 mars, il est indiqué à ce propos: «Les négociateurs ukrainiens sont arrivés sur les rives du Bosphore avec un projet d’accord dont le point central est que leur pays opterait pour un statut de neutralité, renonçant à rejoindre l’OTAN et à abriter des bases étrangères sur son sol, en échange de garanties de sécurité. Selon David Arakhamia, le chef de la délégation ukrainienne, ces assurances devront être aussi solides que celles offertes par l’article 5 du traité de l’Alliance atlantique qui stipule qu’une attaque contre un membre de l’organisation entraînera une réponse des autres membres. Trois pays membres de l’OTAN – la Turquie, la Pologne et le Canada – ont été cités comme possibles Etats garants. Par ailleurs, Kiev entend recevoir des garanties quant à son intégration dans l’Union européenne (UE).» (Réd.)

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L’Ukraine demande des garanties de sécurité «plus fortes que celles de l’OTAN» et définit d’autres conditions pour un accord de paix

Par Oleg Sukhov

L’Ukraine cherche des garanties de sécurité plus fortes que l’article 5 de l’OTAN, a déclaré, le 29 mars, David Arakhamia, chef du groupe politique [Serviteur du peuple-Sluha Narodu, parti libéral centriste] du président Volodymyr Zelensky au Parlement et chef de la délégation ukrainienne lors des négociations de paix en cours avec la Russie. David Arakhamia s’exprimait à l’issue d’un cycle de négociations de paix avec la Russie qui s’est tenu à Istanbul plus tôt dans la journée.

L’article 5 de l’OTAN engage chaque Etat membre à considérer une attaque armée contre un Etat membre comme une attaque armée contre tous.

«Nous insistons pour qu’il s’agisse d’un accord sur les garanties de sécurité signé et ratifié (par les parlements) afin d’éviter de répéter l’erreur du Mémorandum de Budapest», a déclaré David Arakhamia.

En vertu du mémorandum de Budapest de 1994, non contraignant, la Russie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni s’étaient engagés à ne pas recourir à la force militaire contre l’Ukraine en échange de son renoncement aux armes nucléaires qu’elle avait obtenues de l’Union soviétique. La Russie a violé le mémorandum en envahissant l’Ukraine en 2014 et en 2022 et les autres pays garants n’ont pas protégé l’Ukraine.

Selon les garanties proposées par l’Ukraine le 29 mars 2022, les pays garants doivent se consulter dans les trois jours suivant le début d’une agression militaire ou d’une guerre hybride, a déclaré David Arakhamia. Après les consultations, ces pays doivent apporter leur aide à l’Ukraine en envoyant des troupes, en fournissant des armes et en protégeant le ciel ukrainien, a-t-il ajouté.

Ces pays garants pourraient inclure les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, la Russie, la France, la Turquie, l’Allemagne, le Canada, l’Italie, la Pologne et Israël. D’autres pays pourraient également s’y joindre, a précisé David Arakhamia. Ces garanties devraient également aider l’Ukraine à rejoindre l’Union européenne.

Mykhailo Podolyak, conseiller du chef de cabinet de Volodymyr Zelensky et membre de la délégation ukrainienne, a déclaré que le gouvernement ukrainien ne signera un accord sur les garanties de sécurité que s’il est ratifié par un référendum national. Un référendum ne peut être organisé qu’après le retrait des troupes russes du pays, a déclaré Fedir Venislavsky, représentant de Volodymyr Zelensky à la Cour constitutionnelle.

Selon Mykhailo Podolyak, l’Ukraine a également proposé de tenir des négociations avec la Russie dans un délai de 15 ans sur le statut de la Crimée, qui est occupée par la Russie depuis 2014. Il est proposé que le statut des territoires occupés par la Russie dans les oblasts de Louhansk et de Donetsk soit déterminé lors de négociations directes entre Zelensky et le dictateur russe Vladimir Poutine, a ajouté Mykhailo Podolyak.

Pendant ce temps, Vladimir Medinsky, chef de la délégation russe et collaborateur du dictateur russe Vladimir Poutine, a qualifié les négociations avec l’Ukraine de «constructives». Il a déclaré que la Russie avait décidé de réduire ses activités militaires en direction de Kiev et de Cherhnihiv, dans le nord de l’Ukraine, à la suite des discussions. Toutefois, cette déclaration est intervenue alors que les forces ukrainiennes continuent de repousser avec succès les troupes russes dans le nord.

La date du prochain cycle de négociations n’est pas encore connue. Mykhailo Podolyak a déclaré que la date sera fixée après la réaction de la Russie aux propositions de l’Ukraine. (Article publié sur le site de Kyiv Independent, le 29 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

Oleg Sukhov est journaliste politique au Kyiv Independent. Il a été rédacteur et reporter au Moscow Times [journal en anglais appartenant à un entrepreneur hollandais, Derk Sauer, qui possède de nombreuses publications et qui a acquis entre autres le NRC Handelsblad].

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Zelensky appelle à la vigilance après que la Russie s’est engagée à réduire l’assaut sur Kiev

Par Andres Schipani (Lviv), Max Seddon (Riga) et Polina Ivanova (Londres)

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a averti le pays qu’il ne devait pas «baisser sa vigilance» après l’annonce de la Russie de réduire considérablement ses activités militaires près de Kiev.

Les commentaires de la Russie, qui ont suivi une série de pourparlers de paix avec les responsables ukrainiens à Istanbul mardi 29 mars, ont fait grimper le cours des actions à l’échelle mondiale, les investisseurs étant optimistes quant à la possibilité de voir les négociations progresser [tout en assurant les investissements à la hausse dans le vaste complexe militaro-industriel – réd.].

«Vous avez pris connaissance aujourd’hui des nouvelles selon lesquelles le commandement militaire russe aurait décidé de “réduire les affrontements en direction de Kiev et de Tchernihiv”», a déclaré Volodymyr Zelensky dans un discours prononcé tard dans la nuit du mardi 29 au mercredi 30 mars.

«Nous ne devons pas abaisser notre vigilance. La situation n’est pas devenue plus facile. L’ampleur des défis n’a pas diminué. L’armée russe dispose toujours d’un potentiel important pour poursuivre les attaques contre notre Etat.»

Le retrait apparent de la Russie, annoncé par le vice-ministre de la Défense Alexander Fomin, est le premier faible signe de progrès vers la fin de la guerre qui dure depuis un mois, bien que le Kremlin ait déclaré mercredi qu’il ne voyait pas d’avancée majeure dans le dernier cycle de négociations.

L’Ukraine et ses alliés occidentaux restent profondément sceptiques quant aux intentions du président Vladimir Poutine, tandis que la Russie se prépare à un assaut plus important sur la région frontalière orientale de Donbass et à la poursuite de ses frappes dans le sud.

«Oui, nous pouvons qualifier de positifs les signaux issus de la réunion de négociation. Mais ces signaux ne font pas taire l’explosion des obus russes», a déclaré Volodymyr Zelensky, qui a ensuite fait référence à une frappe dans la ville méridionale de Mykolaïv [sur le bâtiment de l’administration] qui a tué au moins huit personnes mardi.

Mercredi, les autorités du Donbass ont déclaré que des zones résidentielles de Lysychansk, une ville de la région, avaient été bombardées par de «l’artillerie lourde».

Si le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré qu’il n’y avait pas eu de grandes percées à Istanbul, il a qualifié de «facteur positif» le fait que Moscou ait reçu des propositions écrites de Kiev pour un accord.

«Nous ne pouvons pas affirmer, pour l’instant, qu’il y a eu quelque chose de très prometteur ou des percées», a déclaré Dmitri Peskov, lors d’un entretien téléphonique avec des journalistes. «Il y a encore beaucoup de travail à faire.» Il a ajouté que la délégation russe rencontrerait Vladimir Poutine pour discuter des progrès réalisés à ce jour dans les pourparlers de paix.

Bien que la Russie ait présenté son retrait de Kiev et de Tchernihiv comme une action visant à renforcer la confiance, elle a semblé justifier les reculs que les forces russes avaient déjà effectués suite aux contre-attaques ukrainiennes.

Le ministère britannique de la Défense a déclaré mercredi que des unités avaient été contraintes de retourner en Russie et en Biélorussie pour se réorganiser et se réapprovisionner après avoir subi de lourdes pertes. Il a ajouté que le changement d’orientation de la Russie vers le Donbass était «probablement un aveu tacite qu’elle a du mal à maintenir plus d’un axe de progression» et a averti que la Russie était «susceptible de compenser sa capacité réduite de manœuvre terrestre par des frappes massives d’artillerie et de missiles».

Les responsables britanniques de la Défense ont ajouté que les forces ukrainiennes avaient riposté contre les forces russes au nord-ouest de Kiev, notamment à Irpin, et que «les Russes ont été repoussés d’un certain nombre de positions».

Joe Biden s’est fait l’écho de son homologue ukrainien en déclarant qu’il ne voulait pas «lire quoi que ce soit dans» la décision de la Russie de réduire ses activités militaires près de Kiev. «Nous verrons s’ils donnent suite à ce qu’ils suggèrent», a déclaré Joe Biden, s’exprimant à la Maison Blanche. Le président des Etats-Unis a ajouté qu’il s’était entretenu mardi avec les dirigeants de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de l’Italie, qui ont tous convenu qu’ils étaient ouverts à l’idée d’écouter complètement la Russie. «Il semble y avoir un consensus sur le fait qu’il faut voir ce qu’ils ont à offrir», a déclaré Joe Biden. Tout en évaluant les actions de la Russie, les Etats-Unis et leurs alliés continueront à appliquer des sanctions, à fournir à l’Ukraine une aide militaire et à surveiller les discussions diplomatiques, a-t-il ajouté.

Volodymyr Zelensky a déclaré que «les sanctions doivent être renforcées. Intensifiées chaque semaine. Et elles doivent être efficaces» pour que la paix soit instaurée. Son chef d’état-major, Andriy Ermak, a déclaré mercredi que l’Ukraine avait besoin «d’armes efficaces, d’armes lourdes, d’artillerie, de missiles anti-aériens et antinavires», mais «dans le même temps, nous ne cessons pas les efforts diplomatiques pour arrêter la guerre».

Les pourparlers doivent reprendre en ligne après que l’Ukraine a officiellement remis des projets de propositions à la Russie mardi. Alexander Fomin a déclaré que les discussions «entraient dans une phase pratique» sur les questions de la neutralité et du statut non-nucléaire de l’Ukraine – deux exigences critiques de la Russie – en échange de garanties de sécurité pour l’Ukraine.

Oleksandr Chaly, membre de la délégation ukrainienne, a déclaré que l’Ukraine et la Russie poursuivraient les négociations au cours des deux prochaines semaines et qu’ensuite, les «pays garants» – les Etats censés garantir la sécurité de l’Ukraine dans le cadre d’un accord – pourraient se joindre à eux. (Article publié par le Financial Times, le 30 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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«En Ukraine, les leurres de l’accalmie»

Par Nelly Didelot et Stéphane Siohan (Lviv)

Dans les faubourgs de Kyiv et de Tchernihiv, le bruit des frappes et des sirènes a résonné toute la nuit. Dans la capitale ukrainienne, les bombardements et tirs d’artillerie se sont concentrés, comme souvent, sur les abords nord-ouest, où plus de 30 frappes ont été recensées en vingt-quatre heures. Dans la grande ville du nord, ils ont frappé à l’aveugle, là aussi comme à leur habitude. Le marché, une bibliothèque et des immeubles d’habitation ont été touchés. Mardi, pourtant, lors des négociations d’Istanbul, le secrétaire d’Etat russe à la Défense avait annoncé «une réduction drastique de l’activité militaire en direction de Kyiv et Tchernihiv», censée accroître la «confiance mutuelle» pour créer les conditions d’un cessez-le-feu.

Dans le langage des positions avancées et des tranchées, en Ukraine, on appelle un arrêt des opérations militaires le «régime du silence». Mais dans les heures qui ont suivi l’annonce par la délégation russe à Istanbul, le centre de Kyiv a connu un concert ininterrompu de tirs d’artillerie, d’abord une grande partie de la nuit, avant de reprendre de plus belle mercredi après-midi. «On a connu quasiment la pire nuit de bombardements [autour de] Kyiv, je n’ai pas dormi. Voilà ce qui se passe lorsque les Russes affirment retirer leurs troupes», a ainsi tweeté la députée réformiste [europhile] Kira Rudyk, du parti Holos [«Voix», parti créé en 2019, europhile].

En réalité, la défense antiaérienne ukrainienne a été mise à rude épreuve, devant intercepter plusieurs missiles projetés sur l’agglomération, a indiqué mercredi matin Vadim Denisenko, conseiller du ministre de l’Intérieur. Selon des sources de Libération, les artilleurs ukrainiens ont fait feu de tout bois sur les positions les plus extérieures de la ville, afin de desserrer plus encore l’étau russe. Néanmoins, l’armée russe ne s’est guère astreinte à l’inactivité puisque, mardi vers 18 heures, elle a détruit à Brovary un entrepôt de nourriture et de produits chimiques ménagers, qui a brûlé durant plusieurs heures, selon le Service ukrainien des situations d’urgence.

Irpin repris

L’annonce du secrétaire d’Etat russe à la Défense était loin d’être synonyme de retrait total, mais elle pouvait laisser espérer quelques jours de calme relatif, qui n’auraient pas coûté grand-chose à Moscou. Autour de ces deux villes, l’offensive russe est bloquée depuis des semaines. Tchernihiv et le nord-ouest de Kyiv ont été atteints par les combats dès le premier jour de la guerre. Depuis, l’attaque s’est enlisée et l’armée ukrainienne a même réussi à regagner du terrain dernièrement autour de la capitale. A l’est, l’offensive est au point mort, perturbée par le harcèlement de ses lignes logistiques par les Ukrainiens.

A l’ouest de la capitale, Irpin a été repris en fin de semaine dernière, même si la situation reste trop instable pour permettre le retour des habitants. «La ville est encore bombardée par l’ennemi [depuis les villes limitrophes de Boutcha et Vorzel], il y a beaucoup de mines et d’obus non explosés», expliquait le maire mercredi matin, qui confirme toutefois «à 100%» qu’Irpin a été libéré par les forces armées ukrainiennes. Oleksandr Markushyn [le maire d’Irpin] a estimé que dans le mois à venir un retour à la normale ne sera pas possible, «pas avant que Boutcha et Vorzel soient libérés». Selon lui, «entre 200 et 300 [civils] sont morts» dans la bataille d’Irpin, et 50 soldats ukrainiens ont péri dans les combats. De nombreux corps sont probablement encore ensevelis dans les décombres de la ville, détruite à 50%. «Au moment le plus fort des hostilités, les gens ont simplement été enterrés dans les jardins ou encore dans les parcs», dit-il, craignant un bilan plus lourd.

«Unités affaiblies»

«Le commandement russe a probablement conclu qu’il ne pouvait pas prendre Kyiv et qu’il ne pourrait rapprocher son artillerie du centre de la ville. Il se peut qu’il ait décidé d’arrêter de forcer des unités affaiblies par des pertes dévastatrices à poursuivre des offensives sans espoir», note l’Institute for the Study of War, qui précise aussi que les forces russes continuent de se battre pour tenir leurs positions retranchées. Selon l’état-major ukrainien, des «mouvements de troupes partiels» ont lieu, probablement annonciateurs d’une rotation plus que d’un retrait. «L’ennemi a retiré les unités qui ont subi les plus grosses pertes afin de les reconstituer», estime son porte-parole.

La situation est plus compliquée à Tchernihiv, à 140 kilomètres au nord de Kyiv. La ville est cernée au nord et à l’ouest par les forces russes, mais reste protégée en partie à l’est par la rivière Desna, difficile à franchir. Comme autour de la capitale, les Russes adoptent désormais une posture plus défensive, après avoir détruit ces derniers jours de nombreux ponts pour empêcher les raids ukrainiens de cibler les convois logistiques qui les ravitaillent depuis le Bélarus. Mais contrairement à Kyiv, les frappes touchent tous les quartiers, et elles n’ont pas cessé mercredi. «La nuit s’est déroulée comme nous l’attendions, avec de sérieux bombardements», a expliqué le maire, en parlant d’une «attaque colossale, qui a envoyé plus de 25 civils à l’hôpital. Toutes les promesses russes sont un mensonge, du début à la fin». Moscou l’a d’ailleurs admis à demi-mot mercredi, en affirmant par la voix du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, que les pourparlers de la veille n’avaient donné lieu à rien de «très prometteur» ni à aucune «percée».

Stade et obus

Avec ces bombardements, l’armée russe maintient une pression psychologique sur les habitants, en particulier à Tchernihiv, où la situation humanitaire est tendue. La ville a des problèmes de chauffage, d’électricité et surtout d’eau. Des distributions sont organisées par la mairie et les quantités limitées à dix litres par personne. Les frappes indiscriminées obligent les habitants à se terrer chez eux. Le cinéma a été touché, il n’en reste plus que la façade. Un obus est tombé au milieu du stade et un centre commercial a été complètement rasé. Le 23 mars, un pont avait été bombardé, fermant la seule route qui menait encore à Kyiv.

Plus au nord, les soldats russes continuent à se rassembler. Selon l’armée ukrainienne, des troupes seraient massées dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Au Bélarus, de l’artillerie et des missiles russes, y compris des systèmes balistiques Iskander à moyenne portée, ont été repérés ces derniers jours sur les routes qui descendent vers Kyiv et Tchernihiv. (Article publié sur le site de Libération en date du 30 mars, à 21h19)

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