Par rédaction Oakland Socialist
En 1923, à Munich, en Allemagne, Adolf Hitler organise le « Putsch de la brasserie». Cette tentative de coup d’État fut un échec total en ce qui concerne la prise du pouvoir et elle aboutit à l’arrestation d’Hitler. Après un procès de 24 jours, qu’il a utilisé comme un forum de propagande, il a été condamné à cinq ans de prison. Il ne purgea que neuf mois. À court terme, ce fut un revers pour les nazis, mais nous savons tous comment cela a fini par se passer.
Bien sûr, il existe d’importantes différences entre l’Allemagne des années 1920 et les États-Unis d’aujourd’hui et une dictature fasciste n’est pas à l’horizon pour les États-Unis à l’heure actuelle. Cependant, nous devons prendre très au sérieux ce qui s’est passé hier [6 janvier] et comprendre les forces en jeu.
Le rapport de Bellingcat [site d’information, article du journaliste Robert Evans qui, entre autres, a étudié les mouvements d’extrême droite aux Etats-Unis] montre clairement que les fascistes violents s’agitaient et s’organisaient ouvertement bien avant le 6 janvier. Ils appelaient ouvertement à la violence, notamment en demandant l’arrestation et l’«exécution» de politiciens. Il y avait toutes les raisons de prendre ces appels au sérieux. En fait, même le directeur du FBI a annoncé publiquement que l’extrême droite raciste est la plus grande menace de violence terroriste aux États-Unis. Il y avait également toutes les raisons de croire que la police aurait la main légère avec eux. Nous connaissons, par exemple, la collaboration entre la police et les Proud Boys à Portland lors d’un de leurs rassemblements en février 2019. Il y a aussi l’affinité politique que la police ressent en général pour l’extrême droite, notamment dans le soutien mutuel qu’ils apportent à Trump.
Cela ne se limite pas non plus aux forces de police municipales. Nous avons l’exemple de Michael Reinoehl, qui avait été accusé d’avoir tué un voyou du Proud Boy à Portland [du nom de Aaron Danielson, connu pour être un sympathisant du groupe d’extrême droite Patriot Prayer, actif dans la région de Portland]. Michael Reinoehl a déclaré que c’était de la légitime défense et est ensuite entré dans la clandestinité. Une force policière composée de la police locale, des U.S. Marshals [agence de police du gouvernement fédéral] et du FBI a pourchassé Reinoehl et l’a abattu de sang-froid dans la rue. (Reinoehl n’était pas armé. Les protestations contre cet assassinat ont été rares.)
C’est la raison pour laquelle la police du Capitole et d’autres forces n’ont pas été sérieusement mobilisées à l’avance. C’est pourquoi elles ont été si douces avec les trumpistes. Elles auraient pu facilement repousser la foule avec des gaz lacrymogènes et du gaz poivré. En fait, au moins l’un de ces policiers s’est fait prendre en selfie avec un des terroristes qui s’était introduit dans le Capitole! Après l’émeute, tous les élus se sont mis à remercier les courageux policiers qui les ont protégés. Ce n’est rien d’autre qu’une déformation de la réalité, et même les médias ont dû reconnaître l’exact rôle des policiers après l’émeute. De Van Jones [avocat, défenseur des droits civiques, conseiller sous l’administration Obama, Afro-Américain] à Chris Cuomo [animateur de CNN, frère du gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo], et même à quelques démocrates comme Mondaire Jones (démocrate, Afro-Américain, élu en 2020 à la Chambre des représentants pour l’Etat de New York): ils ont commenté le lendemain sur NPR [National Public Radio] à quel point la police a traité différemment cette foule presque entièrement blanche et la façon dont elle traite les manifestants noirs ou bruns.
C’est vrai, mais nous ne devons pas oublier qu’il y a aussi un élément purement politique: Il ne s’agit pas seulement de racisme, mais aussi d’orientation politique. La police frappe, fait usage des gaz lacrymogènes et fait tout son possible pour arrêter les manifestants de gauche en général. Le lendemain de l’émeute, le FBI a demandé de l’aide pour identifier les terroristes qui avaient pénétré par effraction dans le Capitole. CNN a indiqué que cela ne devrait pas être trop difficile et a publié des photos de plusieurs des terroristes, en donnant notamment leurs noms. Nous verrons à quelle vitesse ils seront appréhendés. (On peut supposer qu’ils retournent d’où ils viennent, ce qui signifie qu’il ne devrait pas y avoir de problème pour les arrêter à l’aéroport.)
Après la reprise de la séance du Congrès, de nombreux discours ont dénoncé ce qui s’était passé, les orateurs des deux côtés de la chambre accusant Trump. Cela aussi était une dissimulation; aucun individu – pas même un président – ne peut être responsable d’une telle émeute à lui seul. Depuis son entrée en fonction, Trump n’a cessé d’encourager l’extrême droite, y compris les fascistes. (En fait, même avant, comme avec son soutien au birtherisme [1].) Mais il n’a pu survivre que grâce à la complicité de presque tout le Parti républicain, et plus particulièrement des législateurs républicains de Washington. À commencer par le leader républicain au Sénat Mitch McConnell.
Un détail qui n’est pas un détail. Selon le Washington Post, un parlementaire du Sénat a pensé à prendre les certificats de vote des électeurs lorsqu’ils ont fui la salle. Si cette personne n’y avait pas pensé et que les certificats avaient été laissés dans le hall, les émeutiers les auraient certainement détruits. Le Congrès se serait retrouvé sans les documents officiels, ce qui aurait pu jeter un doute légal sur le comptage des votes. Dans ce cas, l’extrême droite aurait joué là-dessus – «en fait [ce président n’a] jamais [été] reconnu constitutionnellement» – contre l’administration Biden.
Lors de la procédure de mise en accusation de Trump [en décembre 2019], l’un des sénateurs républicains soi-disant «indépendants» – Susan Collins du Maine – a voté contre la condamnation (c’est-à-dire contre sa révocation). Elle a justifié ce vote en affirmant qu’elle avait appris sa leçon, ce à quoi Adam Schiff (démocrate, Californie) a répondu «il est clair que Trump n’a rien appris, sauf qu’il peut s’en tirer à bon compte». Un sénateur républicain [de l’Utah], Mitt Romney, a lui voté en faveur de la condamnation de Trump. Mais il est lui aussi complice. Si vous restez membre d’un gang criminel, sachant que ce gang est criminel, alors vous êtes coupable des crimes que ce gang commet. Ici, c’est Romney qui reste membre de cette bande criminelle. Lui aussi est complice.
Biden: «travailler avec les républicains», au lieu de les dénoncer
Mais est-ce seulement les républicains? Et les démocrates? Lequel d’entre eux a souligné le rôle criminel de toute la bande républicaine? Adam Schiff a-t-il rappelé à Susan Collins sa déclaration? J’ai parlé avec une militante du Parti démocrate à ce sujet. Elle m’a dit que les démocrates savent qu’ils devront «travailler avec» leurs collègues républicains dans les quatre années à venir.
Cela devrait servir d’avertissement quant à ce qu’il faut attendre de l’administration Biden qui dispose maintenant d’une majorité démocrate dans les deux chambres. Ils essaieront de travailler avec les républicains au lieu de les dénoncer. Biden n’a pas non plus changé d’avis hier. Examinons ses commentaires. Tout d’abord, dans l’après-midi, il a exhorté Trump à demander à ses partisans de se retirer. «Le travail du moment et le travail des quatre prochaines années doivent être la restauration de la démocratie, de la décence, de l’honneur, du respect de l’État de droit, de la simple décence, du renouvellement d’une politique», a-t-il déclaré. En d’autres termes, un autre appel à l’unité nationale et à la «décence». C’est comme demander à un loup de devenir végane! Une heure plus tard, il recommençait: «L’Amérique, c’est l’honneur, la décence, le respect, la tolérance. C’est ce que nous sommes. C’est ce que nous avons toujours été.» C’est vrai, sauf pour le génocide contre les Indiens, l’esclavage et le racisme, la guerre du Vietnam, le licenciement des travailleurs… tout ce que vous voulez. Il a conclu sa sottise par ce commentaire plus tard dans la soirée: «Ce sont les États-Unis d’Amérique. Il n’y a jamais, jamais, jamais, jamais, jamais eu une chose que nous avons essayé de faire, que nous avons fait ensemble, et que nous n’avons pas pu faire.» Heureusement pour les Vietnamiens (entre autres), cela n’a pas toujours été vrai.
Des boucs émissaires au lieu d’une véritable enquête
Dans l’immédiat, il faut trouver des boucs émissaires. Les têtes de certains sont déjà sur le billot, comme Steven Sund, le chef de la police du Capitole, qui a annoncé sa démission. D’autres suivront probablement. Mais la présence des fascistes et des racistes d’extrême droite dans les forces de police au niveau national et local continuera à être ignorée. De même que les liens entre le conseiller de Trump, Steve Miller [en fonction depuis le 20 janvier 2017, sur Fox News, il a déclaré en juillet 2020 que l’intervention de l’armée à Portland était «nécessaire à la survie du pays», afin de combattre les manifestations faisant suite au meurtre de George Floyd], et Donald Jr. et les fascistes.
Républicains
Et le Parti républicain dans son ensemble? Même après l’émeute terroriste, 147 sénateurs et représentants républicains ont voté contre l’acceptation des résultats du collège électoral. Parmi eux, le plus important était peut-être le sénateur américain Josh Hawley du Missouri [en fonction depuis janvier 2019, ancien procureur général du Missouri]. Contrairement à certains autres sénateurs républicains, Hawley n’a pas renoncé à ses déclarations mensongères, même après l’émeute fasciste. Comme Oaklandsocialist l’a fait remarquer hier, Hawley a lancé des appels à l’antisémitisme, tout en reprenant d’autres thèmes fascistes classiques. En d’autres termes, il fait le calcul que les fascistes et autres racistes ainsi que les négationnistes hystériques ne disparaîtront pas, et il est lié à leur influence dans son gang – le Parti républicain.
Josh Hawley a également tenté de relier la violence de cette foule fasciste aux manifestations de Black Lives Matter «En ce qui concerne la violence, l’année dernière a été terrible pour ce pays», a-t-il déclaré après la reprise des débats au Capitole. En d’autres termes, les manifestations du BLM auraient préparé le terrain pour ces fascistes.
D’autres, dont la plupart des têtes d’affiche de Fox News (Tucker Carlson, Laura Ingraham, Sean Hannity), le groupe de diffusion Sinclair [Sinclair Broadcast Group: groupe de télévision qui a multiplié les acquisitions et est coté sur le Nasdaq] se sont montrés plus clairs: Ils ont soit directement laissé entendre, soit ouvertement déclaré que la gauche (antifa) était derrière l’émeute.
Fascistes
Quant aux Proud boys et autres gangs fascistes, ils vont probablement subir un revers. La majeure partie de l’«Amérique centriste» sera horrifiée par ce qu’ils ont fait, mais beaucoup de ces fascistes vont considérer cet événement comme une victoire. Cela signifie une division encore plus grande au sein de la population américaine, bien que ce ne soit pas sur une base de classe. Un certain nombre de leurs dirigeants pourraient être arrêtés sur la base de graves accusations. Si certains d’entre eux ont un peu de courage, ils feront comme Hitler et utiliseront leurs procès comme un forum pour répandre leurs mensonges, le racisme et la xénophobie. S’ils purgent leur peine, ils auront de nombreuses recrues potentielles parmi les gangs racistes blancs des prisons. Mais cela peut être aussi un revers pour eux et pour le Parti républicain dans son ensemble. Mais ce qui déterminera réellement leur avenir sera la poursuite des conditions objectives qui ont créé leur développement.
Situation objective
Ces conditions étaient la crise économique du capitalisme américain et mondial, pour laquelle la classe ouvrière américaine a dû payer; le déclin continu du capitalisme américain en tant que puissance mondiale, que des millions d’Américains considèrent comme un défi à leur fierté («Make America Great Again» – à la fois dans le pays et à l’étranger), et enfin et surtout le rôle désastreux de la direction des syndicats.
Trumka et les dirigeants syndicaux
Dans la soirée, après l’émeute, le président de l’AFL-CIO, Rich Trumka, a publié une déclaration. «Nous assistons à l’une des plus grandes attaques contre notre démocratie depuis la guerre civile. La tentative de coup d’État d’aujourd’hui a pris des années pour se préparer, Donald Trump ne cessant de répandre venin, conspirations, haine et mensonges parmi ses partisans», a-t-il écrit. «C’est une tentative de violer les droits constitutionnels de tout Américain respectueux des lois et le mouvement ouvrier ne la soutiendra pas. Pas aujourd’hui. Jamais», a-t-il conclu. Des mots audacieux mais vides de sens.
Qu’est-ce que Trumka et le reste de la direction du syndicat, de haut en bas, vont faire à ce sujet? Au moins, Sara Nelson, du syndicat des agents de bord (Association of Flight Attendants), a demandé qu’il soit interdit à ces voyous de prendre leur vol de retour.
Ce serait une bonne mesure, mais cela ne règle pas vraiment le problème principal, qui est la guerre, qui dure depuis plus de 75 ans, que toute la direction du syndicat mène contre ceux qui luttent pour maintenir et faire revivre les meilleures traditions du mouvement ouvrier américain, une guerre contre la conscience de classe elle-même. Ces dirigeants syndicaux ont rabaissé, menacé et même évincé ces syndicalistes. Ils ont mené une campagne de propagande contre l’idée même que les travailleurs et les employeurs ont des intérêts opposés. À maintes reprises, ils ont même fait entrer des représentants des employeurs dans les syndicats pour faire comprendre aux salarié·e·s qu’ils devaient travailler plus dur et plus vite. Et dans l’ensemble, ils ont fait tout leur possible pour décourager leurs membres de se battre contre les employeurs. Ils les ont notamment forcés à accepter des contrats à salaire réduit et ont refusé de les soutenir lorsqu’un problème surgit au travail.
Faut-il dès lors s’étonner que les membres les plus réfléchis et les plus courageux aient été mis de côté, qu’ils aient moins d’influence sur l’ensemble des syndicalistes? Faut-il s’étonner qu’à la réflexion sérieuse et à la conscience de classe se soient substitués le déni de réalité et l’égoïsme – les caractéristiques mêmes que la direction du syndicat incarne? Faut-il s’étonner que cette situation se soit étendue bien au-delà des membres du syndicat lui-même? Faut-il s’étonner qu’environ 40% des électeurs syndiqués aient voté pour Trump?
Ce qu’il faut, c’est une campagne visant à aider les membres de la base à former des groupes d’opposition pour lutter contre ces politiques et contre ceux qui les pratiquent.
La Géorgie et le rôle des femmes noires
En résumé: les républicains verront leur base diminuer. Cependant, cette perte reviendra aux démocrates qui sont inutiles pour combattre l’extrême droite, y compris les fascistes. Comment une nouvelle force peut-elle se développer?
Il y a un point positif: c’est la défaite électorale des deux candidats républicains [Kelly Loeffler et David Perdue face à Raphael Warnock et Jon Ossoff] au Sénat lors du second tour des élections en Géorgie, une élection qui s’est terminée juste la veille de l’émeute à Washington. Bien que la défaite de deux trumpistes soit utile, le plus important est la manière dont ils ont été battus. Dirigée par Stacey Abrams [ex-cheffe de la minorité démocrate à la Chambre des représentants en Géorgie, première femme candidate afro-américaine au poste de gouverneur de Géorgie, battue mais avec 48,8% des voix, animatrice de la campagne électorale, après avoir soutenu Bernie Sanders], il semble que la communauté noire ait été réellement mobilisée d’une manière qui ne s’était pas produite depuis de nombreuses années. Et à la tête de cette communauté, il y avait des femmes noires. Il semble inévitable qu’elles se sentent renforcées par le résultat de cette élection. «Eh bien, nous avons accompli cela; et maintenant que pouvons-nous accomplir d’autre?» aura tendance à être le sentiment général. Dans cette situation volatile, et étant donné que les démocrates ne feront pas ce qui est nécessaire, un tel état d’esprit dans le secteur le plus avancé de la société américaine est dangereux pour la classe dirigeante. (Publié sur le site de Oakland Socialist, le 8 janvier 2021, traduction de Patrick Le Tréhondat, édition par rédaction A l’Encontre)
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[1] Un mouvement aux États-Unis d’Amérique qui doutait ou niait que le 44e président, Barack Obama soit un citoyen américain de naissance , ce qui implique qu’il n’est pas éligible à la présidence. NdT.
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