Venezuela. L’effondrement

Jorge Rodriguez, de la direction du PSUV, et sa soeur Delcy Rodriguez (à sa gauche), présidente de l’Assemblée constituante, deux piliers du gouvernement Maduro, en négociation à Saint-Domingue.

Par Rafael Noboa

Mon ami José Vicente est préoccupé. Ils sont cinq chez lui. Tous possèdent le «carnet de la patria», une sorte de carte d’identité qui permet non seulement d’accéder aux programmes d’assistance du gouvernement mais également de voter. Lors des dernières élections de gouverneurs, qu’il fallait valider dans le carnet de la patria, quatre de ses proches ont voté pour l’opposition et un seul, son neveu, a voté pour le chavisme. Or, seul le neveu a reçu le bon de Noël de 500’000 bolivares distribué par le gouvernement. Est-ce que ce carnet permet donc de savoir pour qui nous votons?

Les Vénézuéliens du «15 et du dernier», comme on appelle les salarié·e·s qui sont payés le 15 et le dernier jour du mois, ont besoin de l’aide du gouvernement pour se nourrir et le bon permet d’adoucir un peu la dureté des fêtes de fin d’année. En novembre 2017 le gouvernement a annoncé que ceux qui possédaient le carnet recevraient un bon de Noël de 500’000 bolivares, et qu’on ajouterait, pour ceux inscrits pour l’aide alimentaire, un jambon, l’ingrédient traditionnel des repas de Noël.

José Vicente est âgé de 45 ans, il est noir, il est divorcé et a deux filles. J’ai fait sa connaissance à l’époque où j’étais correspondant à Caracas, entre 2005 et 2008 [pour rappel Chavez est élu président de la République en 1999], l’année où le baril de pétrole avait atteint pour la première fois la barre des 100 dollars. Il travaille dans un bureau où il fait des démarches et il gagne 630’000 bolivares par mois (dont 350’000 de salaire et 280’000 de bons pour le panier de base). Cela équivaut exactement à 8,63 dollars au change parallèle.

Neuf ans après être parti de Caracas, j’y suis retourné pour visiter mes amis. A mon arrivée, le 11 novembre, le dollar parallèle valait 53’000 bolivares, et à mon départ le 19 novembre, il se situait à 73’000.

Le salaire minimum est de 456’507 bolivares (y compris les bons du panier de base), soit 6,26 dollars au change parallèle. Un Big Mac coûtait 48’900 bolivares à mon arrivée, et une semaine plus tard il était à 73’000. Une boîte de 30 œufs coûtait 60’000 bolivares à mon arrivée et 75’000 quand je suis reparti.

D’après des données préliminaires de Ecoanalitica, le Venezuela a terminé l’année 2017 avec une inflation de 2’735% (D’autres sources mentionnent plutôt 652%) et un dollar parallèle à 111’413 bolivares.) Les jambons ne sont pas arrivés pour Noël, ce qui a entraîné des troubles dans les quartiers populaires.)

Le carnet est une carte plastifiée avec les couleurs vénézuéliennes, la photo et les données personnelles du citoyen ainsi qu’une puce informatique qui intrigue – les gens se demandent quelles informations elle peut enregistrer. Ces documents sont gérés par le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV) et sert également à voter. D’après Nicolas Maduro, ses fonctions seront progressivement élargies.

Un autre instrument de contrôle utilisé par le gouvernement est celui des carnets des Comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP), d’une valeur de 15’500 bolivares. Les habitants doivent s’inscrire pour recevoir le carton qui, selon les importations – contrôlées par des entreprises gérées par les militaires – peut contenir du riz, des pâtes, de la sauce tomate, des sardines, de la farine… Ces entreprises obtiennent le dollar au change officiel de dix bolivares par dollar! [Il y a là une source de corruption et de détournement]. Le Venezuela ne produit que 30% des aliments consommés par la population.

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Luz Mely Reyes, une journaliste qui est devenue célèbre dans les années de la présidence de Hugo Chavez à cause des enquêtes qu’elle publiait dans le journal populaire Ultimas Noticias, dont le tirage était le plus important, m’a raconté que dans son bâtiment, au centre de Caracas, des membres du Conseil communal ont passé dans son appartement pour lui demander qu’elle s’enregistre pour le CLAP. Comme elle a dit qu’elle n’en avait pas besoin, ils lui ont demandé des explications

Le Conseil communal utilise la distribution de ce carnet pour discipliner les habitants du quartier. Lorsque José Vicente s’est opposé, au cours d’une réunion du Conseil de son quartier, dans le quartier populaire de Antimano, à ce que les habitants payent des camions-citernes pour soulager les coupures quotidiennes dans la distribution de l’eau, ils lui ont suspendu son inscription au CLAP pendant trois mois.

Quartier d’Antimano

Ils reçoivent l’eau courante entre 5 et 9 heures du matin. Ensuite l’eau est coupée jusqu’à 18 heures, avant d’être à nouveau connectée jusqu’à 23 heures.

Il y a neuf ans, José Vicente était un gaillard solide, maintenant, grâce à la «diète Maduro», comme les Vénézuéliens appellent l’amaigrissement entraîné par la pénurie, il est maigre et décharné. Mais il n’hésite pas à protester, au risque d’affronter de nouvelles difficultés. Il n’est pas d’accord que ce soient les habitants du quartier qui doivent payer les camions pour enlever la montagne d’ordures qui s’accumulent dans son quartier. Devant chez lui, l’odeur est nauséabonde. Les ordures ne sont plus ramassées depuis un mois.

Le sujet de conversation quotidien de ses voisins tourne autour de quels aliments on peut trouver et où cela est possible. Depuis deux mois on ne trouve plus de viande de bœuf ni de poulet. Plusieurs produits sont réapparus dans les supermarchés, mais à des prix prohibitifs. On ne trouve pas encore de la pâte dentifrice, des produits de lessive, du sucre…

Il n’y a pas non plus des billets. des bolivares. On ne peut pas retirer plus de 10’000 bolivares (13 centimes de dollar au taux de change parallèle) à un distributeur. Il faut errer d’un distributeur à l’autre et patienter dans de très longues queues. Le gouvernement a bien imprimé un nouveau billet de 100’000 bolivares, mais comme on ne peut pas faire de la monnaie presque personne ne l’accepte.

Par conséquent, les cartes de crédit et les «points» (système Point of Sale ou POS) pour les utiliser se sont généralisés. Au centre de Caracas, les vendeuses de rue de hallacas, ces sortes de crêpes typiques de la période des Fêtes, qui coûtent 20’000 bolivares, ont des points pour les cartes. Le problème est que cela ne fonctionne pas toujours. Il y a des magasins avec des affiches qui indiquent «Aujourd’hui le point ne fonctionne pas». Comme cette situation est tellement aléatoire, les queues pour payer sont très longues dans les marchés populaires. Beaucoup d’habitants finissent par abandonner les sacs avec leurs achats parce qu’ils en ont assez d’attendre. Et ceux qui n’ont pas de carte, les plus pauvres des villes et de la campagne, sont ceux qui souffrent le plus.

Dans une étude publiée pendant mon séjour, Datanalisis a indiqué que 70% des consommateurs souffrent de carences alimentaires et sanitaires: parce qu’ils sont salariés ils n’ont pas accès aux dollars et dépendent de l’assistance du gouvernement. La moitié d’entre eux reçoivent le carnet des CLAP.

Les 30% restants sont composés par ceux qui tirent les ficelles de l’économie, qui ont accès aux dollars ou à l’argent émis par le gouvernement: l’élite civique militaire, les sous-traitants du gouvernement, les fonctionnaires corrompus, les spéculateurs grands et petits, ceux qui ont de la fortune à l’étranger, des professionnels qui travaillent à l’extérieur ou ceux qui reçoivent des transferts de leur famille. Les grands bénéficiaires de la crise ont augmenté leur consommation de produits premium, en particulier les voitures et les téléphones haut de gamme, les whiskies.

La dénutrition a augmenté, surtout chez les enfants. Selon Caritas International, 8% des enfants de moins de 5 ans souffrent de dénutrition aiguë modérée et 3% de dénutrition aiguë sévère. La mortalité post-natale a été multipliée par trois.

Caritas signale également qu’au Venezuela on ne trouve que 38% des médicaments essentiels de la liste de l’OMS, et que les hôpitaux publics ne disposent à peine que de 30% des médicaments nécessaires pour combattre des maladies infectieuses de base; 114’000 personnes porteuses du VIH n’ont pas accès à des médicaments essentiels. Le diabète a augmenté de 95% et l’hypertension de 92%.

Les Vénézuéliens désespèrent d’obtenir des médicaments. Lorsqu’ils voyagent ils rentrent avec des valises pleines de médicaments, ou alors des proches ou des amis à l’étranger se chargent de les obtenir et de le leur envoyer. Les gens meurent de maladies curables.

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Johann Starchevich, journaliste de El Estimulo, a un fils de 6 ans. L’épidémie de dysenterie atteint Caracas et le pédiatre lui a ordonné d’administrer à l’enfant le triple vaccin. Les médecins lui réclament 120 dollars pour cette vaccination. Johann prévoyait donc de se rendre à Cucuta avec son épouse et son fils. Cucuta est une ville frontalière colombienne à 850 km de l’ouest de Caracas, où il peut faire vacciner son fils pour un prix plus bas, mais cela implique les dangers d’un voyage de 14 heures en bus et l’insécurité de la frontière.

La débâcle a encore augmenté la violence, en particulier à la campagne, où elle entraîne depuis plusieurs années un exode rural catastrophique.

Une source qui m’a demandé de ne pas l’identifier par crainte de représailles a expliqué: «Les gens qui ne peuvent pas se payer une sécurité privée abandonnent la campagne pour sauver leur vie». Il raconte qu’un de ses voisins et ses deux fils ont été attaqués par des délinquants dans leur propriété de l’Etat de Guarico, au sud de Caracas et qu’ils avaient été jetés dans un ravin avec leur véhicule. Ils n’ont eu la vie sauve que parce que la voiture a heurté un tronc au lieu de tomber dans le vide. Une autre voisine a vendu pour 4’000 dollars une ferme de 120 hectares avec toutes les installations pour élever des cochons afin d’échapper à la violence. Ils me disent qu’à la campagne la police ne capture plus les délinquants, elle les tue et les enterre sur place.

D’après l’Observatoire de violence, le taux d’homicide en 2017 était de 89 pour mille habitants, avec un total de 26’616 assassinats, ce qui met le pays en deuxième place après El Salvador.

En ce qui concerne les enlèvements il n’existe pas de chiffres. Mais au centre de la capitale on voit des affiches portant l’avertissement suivant: «Ne paie pas, dénonce l’enlèvement», avec un numéro de téléphone et l’image d’un policier.

Le chemin de croix des Vénézuéliens est complété avec l’insuffisance des transports. 60% du parc automobile, y compris bus et taxis, est hors service faute de pièces de rechange. Il existe une application permettant de payer les taxis par transfert bancaire.

Alors qu’il y a neuf ans le métro de Caracas n’avait rien à envier à ceux des capitales européennes, il est maintenant dégradé et toujours bondé. Les habitants de Caracas, autrefois si bien habillés, pimpants et coquets, apparaissent maintenant amaigris, mal vêtus et surtout portant des chaussures en loques. Une fausse paire de baskets de qualité moyenne coûte plus d’un million de bolivares, soit le salaire de deux mois d’une secrétaire ou d’un médecin d’un hôpital public.

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Pour mes amis journalistes, le pire a été de se voir coupés de leur public.

Après la fermeture en 2007 de Radio Caracas Television (RCTV), la chaîne ayant la plus grande audience du pays et qui donnait une grande place à l’opposition, le gouvernement a commencé à harceler les médias indépendants, en les épuisant. Après la mort de Hugo Chavez, entre 2013 et 2015, le gouvernement a stimulé le rachat des médias les plus importants les uns après les autres.

Tous ont succombé, le vénérable El Universal, Ultimas Noticias, populaire et ayant le tirage le plus important, l’économique El Mundo, la chaîne d’opposition Globovision. Il ne reste que El Nacional, qui, d’après un ami écrivain, a perdu son prestige suite à la mégalomanie de son propriétaire, obsédé par la présidence et par les conspirations.

Les journalistes indépendants se sont réfugiés dans les médias digitaux, auxquels le Vénézuélien moyen n’a pas accès. Omar Lugo dirige El Estimulo; Luy Mely Reyes le Efecto Cocuyo, d’autres travaillent dans arcominero.com, armando.info, Prodavinci, Runrunes, Tal Cual… La principale préoccupation de Luz Mely est l’autocensure:«Elle est en train d’entrer dans la tête des journalistes».

Quant à Venevision de Gustavo Cisneros – le puissant chef d’entreprise de Direct TV – il cohabite confortablement avec le régime et évite de le déranger

Sur les écrans des canaux officiels, le Venezuela apparaît comme un paradis, où les habitants passent les journées et les nuits à chanter, à danser et à produire. Le président a fermé à la mi-novembre le Congreso Nacional de los Consejos Productivos de los Trabajadores en esquissant des pas de danse devant un groupe de pom-pom girls. Il a célébré l’anniversaire du lancement du satellite Miranda [depuis la Chine]: «Un pas de plus vers le Venezuela puissant» a-t-il déclaré sans trace d’ironie. Il a lui même lancé le slogan en vogue: «Nicolas Maduro, conducteur de victoires» et il a réitéré: «Je suis le protecteur du peuple vénézuélien». Il dénonce la crise due aux sanctions adoptées par Donald Trump au début de l’année, une prétendue «guerre économique». Il parle comme Chavez, il bouge comme Chavez, mais les chavistes continuent à l’abandonner.

L’enquête de Datanalisis de novembre situe la popularité de Maduro à 21%, une augmentation de dix points depuis les élections de gouverneurs et la fin des protestations. C’est Chavez qui continue à être la figure la plus populaire, avec 55%, cela quatre ans après sa mort. L’opposition se situe à 46% et la globalité du chavisme à 16%.

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Beaucoup de journalistes font comme des centaines de milliers de Vénézuéliens: ils émigrent. D’autres résistent encore. Ils gagnent l’équivalent de 30 dollars pour un reporter et 90 dollars pour un directeur, au taux de change parallèle.

Mon ami, Juan Sara, dont j’ai pris congé avant qu’il ne quitte Caracas, travaillait dans un journal local de Carupano, et son épouse, Tamara, avait monté une radio communautaire à Rio Caribe, deux villes orientales du pays. Ils ont tous les deux émigré au sud-est asiatique avec un projet gastronomique, les deux étant d’excellents cuisiniers. La radio est passée aux mains du chavisme. Ils ont un fils en Australie, un autre en Espagne et leur fille se prépare à émigrer au Chili. Juan devait voyager à Caracas depuis Cumana (région de Sucre) dans un vol de Estelar, une des nouvelles compagnies fondées pour maintenir les liaisons aériennes du pays, depuis l’arrêt des activités de la majorité des lignes aériennes étrangères. On l’a logé deux nuits dans un hôtel parce que l’avion ne venait pas. Finalement ils ont mis tous les passagers dans une caravane de taxis pour les conduire à Caracas.

Les passagers de cette compagnie qui se rendent à Santiago de Chile et Buenos Aires connaissent régulièrement de tels problèmes. Ils doivent souvent passer une ou plusieurs nuits dans des hôtels de la capitale ou de La Guaira en attendant les avions. Les autres compagnies vénézuéliennes ont des problèmes similaires.

Emigration en direction de la Colombie

Des Vénézuéliens de toutes les classes sociales partent, en masse. La fille de José Vicente, âgée de 23 ans et qui vient de terminer sa formation d’ingénieure, va s’installer au Chili.

De plus en plus de Vénézuéliens partent en bus vers le Pérou – le pays qui les reçoit le mieux –, au Chili – une des destinations préférées des jeunes – et partout ailleurs en Amérique latine. Des «réfugiés sur roues». Cette hémorragie vise le régime.

Juan me raconte que depuis janvier il n’a plus d’eau courante dans sa maison dans la localité de Rio Caribe. Il doit acheter deux citernes par semaine de 40’000 bolivares chacune. Alors qu’une citerne de 30’000 litres d’essence coûte 30’000 bolivares. Les coupures d’électricité sont fréquentes et durent plusieurs jours, comme dans les autres villes de l’intérieur du pays. C’est là que sont restées une sœur handicapée de Tamara et les dames qui s’occupent d’elle.

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Un analyste qui a travaillé à Miraflores [dans les instances gouvernementales] à l’époque de Chavez m’assure que l’officialisme a gagné les élections aux postes gouverneurs non seulement à cause de l’abstention d’une partie de l’opposition – un patchwork de rivaux qui s’affrontent – mais aussi à cause de manipulations, d’irrégularités et, dans certains cas, de fraude. Il dit qu’il y a eu fraude dans les Etats où l’opposition n’avait pas de témoins dans tous les bureaux de vote. Néanmoins l’opposition n’a pas présenté des preuves de fraude, sauf dans l’Etat de Bolivar. Le candidat d’opposition et leader syndical historique Andrés Velazquez a contesté l’élection de son adversaire et a dénoncé la fraude dans plusieurs bureaux de vote, preuves à l’appui. L’Etat de Bolivar a une valeur stratégique à cause de l’Arc minier de l’Orénoque, de 111’000 km², riche en or, diamants, coltane, fer, bauxite et autres minerais. Maduro veut ouvrir l’Arc à l’exploitation [à des firmes transnationales, entre autres chinoises] pour compenser la chute de l’extraction pétrolière.

Cette même source explique que le pouvoir présent au Venezuela est partagé entre trois forces. D’une part il y a les anciens militants de gauche comme le président Maduro et son ministre de l’Education, Elias Jaua et les actuels idéologues, le psychiatre Jorge Rodriguez, ministre de la Communication et sa sœur Delcy, présidente de l’Assemblée nationale constituante.

Puis il y a les militaires en activité ou à la retraite, dirigés par l’ex-capitaine golpiste Diosdado Cabello et le ministre de la Défense, le général Vladimiro Padrino.

Et enfin il y aurait les Cubains, qui seraient un élément fondamental dans la structure du pouvoir.

Cette source met en cause les Cubains et les militaires. On a distribué à ces derniers l’administration d’entreprises clé, surtout dans l’importation des aliments et des médicaments. De toute manière, la police politique, le SEBIN [Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional], les surveille de près. Il dit que si plus de trois officiers se réunissent, ils sont détenus.

Depuis les années de la présidence de Chavez la présence cubaine dans l’appareil d’Etat vénézuélien est entourée du plus grand secret. Chavez disait que 46’000 Cubains travaillaient au Venezuela, mais il se référait surtout aux coopérants, aux médecins et aux entraîneurs sportifs… La presse indépendante ne mentionne presque pas cette question.

Luz Mely se justifie: «Il n’y a pas de données». Il n’y a pas de sources.

Le cas du vice-amiral Pedro Miguel Pérez Rodriguez illustre ce qui se passe avec ceux qui osent parler. Dans une interview publiée dans El Estimulo le 6 juillet 2016, le vice-amiral a reconnu:«il existe une marge d’ingérence cubaine dans nos forces armées. On a voulu reproduire ce que sont les Forces armées révolutionnaires de Cuba, ce qui est un concept de régionalisation des forces armées. (…) Il y a des conseillers dans le Commandement stratégique opérationnel». Lorsqu’on lui a demandé combien ils étaient, il a répondu: …c’est là la question la plus délicate, sur laquelle on peut en temps voulu, demander des éclaircissements supplémentaires à l’instance compétente».

Le vice-amiral a demandé de passer à la retraite, et en avril passé il a été arrêté et accusé de diriger un complot contre Maduro. Pérez Rodriguez, qui avait commandé l’infanterie de la marine avait également dénoncé la participation des collectifs chavistes armés, en coordination avec la Garde nationale, dans la répression du mouvement étudiant.

Le directeur de El Estimulo, Omar Lugo, se demande maintenant s’il valait la peine publier cette interview qui a coûté la liberté d’un homme et détruit sa famille.

Cuba dépend du pétrole vénézuélien. Antonio Lopez Levy, l’ex-analyste du ministère de l’Intérieur cubain et actuellement professeur aux Etats-Unis, soutient que si Maduro tombait, le PIB cubain se contracterait de entre 20 et 25%.

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«Ils sont en train de monter un Etat policier. Ils arrêtent les gens pour n’importe quoi. Chavez était beaucoup plus prudent» explique mon informateur. Mais lorsque Chavez avait l’impression qu’un personnage de prestige pouvait menacer son pouvoir, il n’hésitait pas. C’est ce qui est arrivé au général Raul Isaias Baduel, qui l’avait sauvé du coup d’Etat de 2002, mais qui a été emprisonné pendant des années pour s’être opposé à son projet.

Chavez n’a jamais reconnu la moindre légitimité à l’opposition et il ne croyait pas en l’alternance. Il était en cela un élève appliqué de Fidel Castro. Lorsqu’il est sorti de prison, amnistié, en 1994, après son coup militaire manqué de 1992, il était désorienté, se laissait conseiller par le nationaliste de droite argentin Norberto Ceresole et rendait visite aux «carapintadas» (militaires nationalistes de droite argentins).

Le génie politique de Fidel a pressenti le potentiel de Chavez: il l’a invité à Cuba alors qu’aucun autre dirigeant latino-américain n’acceptait de le recevoir, a déployé pour lui le tapis rouge et l’a adopté. Chavez cherchait un mentor, un père à sa taille; or, le pétrole vénézuélien avait toujours été l’obsession de Fidel. Au début des années 1970 cela a été l’un des motifs de sa rupture avec Romulo Betancourt [ président du Venezuela de 59 à 1964], après quoi il avait envoyé des armes et des cadres pour soutenir la guérilla de Douglas Bravo [dans les années 1960 et début 1970 ; après avoir appuyé Chavez, il renvoie dos à dos Maduro et la MUD, le rassemblement hétéroclite de l’opposition].

Fidel a vendu son modèle à Chavez au prix de l’or noir. Le socialisme dépendant (dans ce cas du pétrole), non soutenable, mais avec un pouvoir autoritaire et vertical quasi indestructible.

Le Venezuela a rempli le vide laissé à Cuba – suite au retrait de l’Union soviétique dans les années 1990 – en lui envoyant plus de 100’000 barils de pétroles par jour. Et cette livraison se poursuit, même si on estime qu’elle a été réduite de 40%. Cuba vend une partie du pétrole que lui alloue le Venezuela. Maduro se trouve devant le dilemme: doit-il augmenter son assistentialisme avant les élections présidentielles de 2018, dans lesquelles il est candidat à l’élection, ou doit-il payer ses créanciers pour éviter le défaut?

Selon des sources secondaires de l’OPEP, la production de pétrole du Venezuela (97% des exportations) était tombée à 1’890’000 barils par jour en septembre. Avant la grève pétrolière de 2002-2003 et de l’administration chaviste de PDVSA, elle atteignait 3.4 millions de barils par jour.

Mais les devises proviennent surtout des exportations de pétrole vers les Etats-Unis, actuellement elles se situent à un peu moins de 800’000 barils par jour. Selon l’analyse publiée dans El Universal, plus de 600’000 barils quotidiens de la production pétrolière vénézuélienne vont à des accords énergétiques avec la Chine – qui se fait payer ses crédits en pétrole –, à Cuba et à Petrocaribe, qui accorde des conditions préférentielles. Le reste de la production est consommée par les Vénézuéliens et part dans la contrebande avec la Colombie.

La dette extérieure se monte à 140’000 millions de dollars. Avant la fin 2018, le Venezuela doit payer 10’000 millions de dollars en capital et en intérêts, alors que ses réserves en devises n’atteignent pas les 10’000 millions de dollars.

Francisco Rodriguez, l’économiste de Torino Capitales affirme: «Un défaut désordonné pourrait entraîner la perte d’actifs vitaux et l’effondrement des revenus pétroliers vénézuéliens, provoquant un approfondissement de la contraction économique et une réduction des importations du pays encore plus importante que celle subie jusqu’à maintenant».

On m’a dit que Torino Capitales est une entreprise qui détient une part importante de la dette vénézuélienne. Elle appartient à Diego Salazar, qui est associé et parent de Rafael Ramirez, l’ex-président tout-puissant du PDVSA, tombé en disgrâce et actuellement fugitif de la justice vénézuélienne. Salazar a été arrêté après mon départ du Venezuela, accusé de corruption.

Mes amis pensent que les élections présidentielles seront avancées à mars 2018 et que jusque-là on augmentera l’importation d’aliments et de médicaments et on retardera les paiements aux créanciers dans le cadre du défaut partiel actuel.

Le chavisme a réalisé l’exploit de faire fondre le Venezuela, le pays ayant les plus importantes réserves pétrolières de l’OPEP. La chute du prix du baril de pétrole en 2015 a encore renforcé la crise. En moyenne, le prix a chuté de 100 dollars le baril en 2014 à moins de 50 dollars. Le PIB s’est contracté de 36% au cours des quatre dernières années. Faute d’investissements, la production de pétrole s’est effondrée depuis 2015.

Mes amis sont partagés: certains pensent qu’il y aura une nouvelle explosion sociale, cette fois en descendant des collines [des quartiers pauvres de Caracas], comme lors du caracazo; les autres pensent que les gens sont tellement dépendants du gouvernement pour se nourrir qu’ils ne peuvent se rebeller et défier la Garde nationale et les groupes armés qui tirent pour tuer. (Article publié dans l’hebdomadaire de gauche uruguayen Brecha le 5 janvier 2018 ; traduction A l’Encontre)

Rafael Noboa est un journaliste uruguayen de renom, ex-chef de rédaction pour l’Amérique latine de l’Agence France-Presse.

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