Par Carlos Noriega (Lima)
Un jour après que le Congrès a clôturé, le 17 février, la session de la législature sans approuver la tenue d’élections anticipées en 2023, de nouvelles manifestations ont occupé les rues de Lima et d’autres villes. Au moment de mettre sous presse [le 18 février], la répression contre les manifestant·e·s, qui se comptaient par milliers dans le centre de la capitale, commençait. «Dina [Boluarte, présidente], assassine, combien de morts encore avant que tu ne démissionnes?», scandaient-ils. De lourds cordons de police avaient bloqué les rues et les places du centre pour empêcher une manifestation pacifique.
Une récente ordonnance du maire de Lima, Rafael López Aliaga, chef du parti fasciste Renovación Popular (RP), interdit les manifestations dans le centre, qui est depuis des semaines le théâtre de protestations massives contre le gouvernement et le Congrès. Malgré cette interdiction, qui s’oppose au droit constitutionnel de manifester, des milliers de personnes l’ont fait samedi 18 février. La loi offre une «couverture légale» à la répression policière des manifestations pacifiques. C’est une constante depuis le début des mobilisations. Il y a quelques jours, Rafael López Aliaga a rencontré la présidente Dina Boluarte.
Le maire – également issu du parti RP – du quartier historique de Miraflores [un des 43 districts de la province de Lima, un district résidentiel créé au milieu du XIXe siècle], autre point de ralliement des manifestant·e·s, a suivi la même voie autoritaire que le maire de Lima. Mais ce samedi encore, un groupe de manifestant·e·s est arrivé dans ce quartier, où il y avait une forte présence policière. L’objectif de ces règlements interdisant les manifestations pacifiques est de démobiliser les contestataires, ce qui n’a pas été réussi. Au cours des deux derniers mois, la réponse répressive a été permanente, y compris les tirs sur les manifestant·e·s, qui ont tué 48 personnes, la plupart dans les régions andines.
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La droite commence à manœuvrer pour assurer l’impunité face aux accusations de violations des droits de l’homme – assassinats, détentions arbitraires, torture – commises pendant la répression. Le parti ultraconservateur Avanza País a proposé une amnistie pour les policiers et les militaires accusés d’avoir tiré sur la population. Le parti d’extrême droite Renovación Popular (RP) demande que le Pérou se retire de la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour éviter les poursuites et les sanctions. Cette offensive en faveur de l’instauration d’une impunité a été déclenchée alors que des organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme ont condamné la répression en la qualifiant de «crimes contre le droit international» et de «crimes contre l’humanité», et qu’elles ont exigé que les responsables des tirs et les donneurs d’ordre soient traduits en justice.
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La rue réclame une élection présidentielle et parlementaire anticipée, prévue pour 2026. Or, une majorité populaire – 73% selon un récent sondage – exige qu’elles aient lieu cette année. Au Congrès, un secteur de droite a bloqué cette possibilité. Après que quatre propositions visant à avancer les élections ces dernières semaines n’ont pas réussi à obtenir les votes nécessaires, vendredi 17 février – le dernier jour de la session de la législature – une proposition a été présentée pour relancer le débat [voir les articles précédents sur http://alencontre.org/ en date du 26, 27, 29 et 30 janvier, 2 et 6 février].
La gauche dans son ensemble et certains secteurs de droite ont soutenu la relance du débat au Congrès et le vote sur l’anticipation des élections. Le député d’extrême droite et amiral à la retraite Jorge Montoya a appelé à réexaminer le vote qui a approuvé la proposition. Le président du Congrès, le général à la retraite José Williams, un autre militaire d’extrême droite, au lieu d’organiser un second vote qui aurait confirmé ce qui avait déjà été approuvé, a repris la demande de Montoya, gelant ainsi la question de l’anticipation des élections. Le général José Williams a bouclé la boucle en ajournant de manière surprenante la session, sans annoncer sa prolongation jusqu’au 28 février – la prochaine session commence le 1er mars – pour laisser le temps au débat.
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En tant que changement constitutionnel, les élections anticipées doivent être approuvées par les deux tiers de la chambre – 87 voix – lors de deux votes dans la même chambre. Si le nombre de votes (87) n’est pas atteint, le vote d’un minimum de 66 députés impliquera que la décision devra être ratifiée par un référendum. Afin d’avoir le temps d’organiser des élections cette année, il était nécessaire que le référendum soit approuvé ce mois-ci et ratifié lors d’un second vote durant la prochaine session en mars. Cela ne sera actuellement plus possible. Lors de la prochaine session, si la proposition d’anticipation des élections obtient 87 voix, il faudra attendre la session qui commence fin juillet pour que ce vote soit ratifié. L’affaire étant reportée, il n’y a pas de temps pour des élections cette année. Il n’en serait pas de même si la ratification par référendum avait été retenue. Au mieux, des élections pourraient avoir lieu en 2024. L’alternative offerte par l’extrême droite, qui s’oppose à des élections anticipées, est une répression accrue pour maintenir ce gouvernement.
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Le jour même où les élections ont été bloquées pour cette année, le Congrès au complet a déclaré le président colombien Gustavo Petro «persona non grata», ratifiant une décision de la Commission des relations extérieures. Cette décision a été approuvée par 72 voix pour, 29 contre et 7 abstentions. Le Congrès a demandé qu’il soit interdit d’entrer dans le pays. Les différents groupes de droite ont serré les rangs contre Gustavo Petro, que certains législateurs ont qualifié de «terroriste» en raison de son passé de guérillero [dans le M19, issu en 1974 de l’aile gauche de l’Alliance démocratique]. Il y a quelques semaines, dans le cadre de ses attaques contre les gouvernements et les dirigeants progressistes de la région, le Congrès a déclaré de même l’ancien président bolivien Evo Morales «persona non grata».
Il y a quelques jours, le 10 février, Gustavo Petro avait comparé à une parade nazie la mise en rangs de milliers de policiers dans le centre de Lima, en vue de se mettre en marche pour la répression. C’était en effet une mise en scène policière menaçante qui semblait avoir été organisée par un admirateur du fascisme.
«Je dis à Monsieur Petro de retourner gouverner la Colombie, et que ses rues se remplissent aussi de manifestants», a déclaré Dina Boluarte, samedi 18 février. Elle a également porté plainte contre le président mexicain Manuel López Obrador, à qui elle a reproché de ne pas avoir cédé [le 17 février] au Pérou la présidence pro tempore de l’Alliance du Pacifique (Colombie, Chili, Mexique et Pérou). AMLO a déclaré qu’il ne le ferait pas afin de ne pas légitimer le gouvernement de Dina Boluarte. Le ministère péruvien des Affaires étrangères a exigé la passation de pouvoir et a accusé le président mexicain d’«ingérence». Le gouvernement de Dina Boluarte, également en conflit avec d’autres pays de la région comme l’Argentine, la Bolivie, le Chili et le Honduras, est de plus en plus isolée. A l’intérieur et à l’extérieur du pays. (Article publié par l’hebdomadaire argentin Pagina/12, le 19 février 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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