Par notre correspondant à Managua
1.- Dans le gouvernement Ortega-Murillo règne la corruption, bien sûr. Ortega et Murillo veulent la dissimuler en la niant. Une fois au pouvoir, ils sont devenus corrompus et donc riches, de manière «inexpliquée». La censure et l’autocensure – issue de la menace et de la complicité – ont facilité l’enrichissement mystérieux de nombreuses personnes. Il y a une peur de la critique, de montrer du doigt les fonctionnaires corrompus, mais en privé cela change et la parole, parfois, se libère.
2.- La corruption a conduit à un délitement de la confiance envers les institutions et le personnel de ces dernières, à l’érosion d’éléments démocratiques élémentaires et à une mauvaise gestion, sans transparence. Plus de sept citoyens sur dix considèrent que la moitié au moins des politiciens traditionnels sont corrompus. La corruption et la mauvaise «gouvernance» vont donc de pair avec la méfiance face aux institutions.
3.- Selon certaines estimations, le «coût» annuel de la corruption au Nicaragua équivaudrait à environ 10 % du PIB en 2017, soit 13’857,3 millions de dollars, montant qui pourrait être plus élevé si l’on tient compte de l’administration irrégulière de l’argent dans certaines entreprises publiques et entités décentralisées.
4.- Les estimations de l’ampleur de la corruption ne sont que la pointe de l’iceberg, car il s’agit d’un montant total que personne n’a jamais été en mesure d’estimer avec précision. Par exemple, la plupart des petites et moyennes entreprises admettent qu’elles ont déjà dû verser un pot-de-vin pour gérer leur entreprise.
5.- De nombreux membres du parti orteguiste expriment une grande crainte face à la possibilité de perdre le contrôle du budget national, avec ses éléments de corruption. Ce sera la fin des privilèges généralisés placés sous la protection du pouvoir étatique. L’avènement de la démocratie doit signifier précisément la fin de ces privilèges.
6.- Le département du Trésor des États-Unis, par l’intermédiaire du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), a alerté les institutions financières américaines sur le risque croissant de transit ou d’entrée de «fonds provenant de la corruption politique au Nicaragua».
7.- Le FinCEN a averti qu’il y a de bonnes chances que «des personnalités étrangères de haut rang, liées au président nicaraguayen Daniel Ortega, puissent réagir en percevant la possibilité d’un conflit social plus grave, de sanctions éventuelles ou d’autres facteurs, transférant dès lors des actifs de leurs comptes au Nicaragua ou situés ailleurs.»
8.- L’avis émis par le département du Trésor américain, par l’intermédiaire du FinCEN, indiquait également que ces actifs pouvaient être le résultat de «stratagèmes liés de corruption et que ces actifs pouvaient être envoyés sur des comptes aux États-Unis ou intégrés dans des mécanismes de blanchiment d’argent utilisant le système financier américain.»
9.- Les institutions financières ont été invitées à présenter des Suspicious Activity Reports (SARS – Déclaration d’activités suspectes) lorsqu’elles ont identifié un abus possible de fonds publics nicaraguayens ou de fonds qui pourraient provenir de la corruption politique associés à des personnalités politiques de haut rang liées au régime de Daniel Ortega et de Rosario Murillo.
10.- «Pendant des années, le président nicaraguayen Daniel Ortega et son gouvernement ont organisé des élections frauduleuses, réprimé la société civile et les médias indépendants et puisé de l’argent dans les coffres publics», a déclaré Sigal P. Mandelker, la sous-secrétaire au Trésor américain chargé du Terrorisme et du Renseignement en matière financière.
11.- «Le régime d’Ortega au Nicaragua est répressif et corrompu; il a illégalement enrichi ses membres et ses collaborateurs, volant et privant les citoyens nicaraguayens des ressources et de l’argent qui leur appartiennent. En retour, ce régime commet des violations des droits de la personne huamine en réponse aux protestations des citoyens», a déclaré Kenneth A. Blanco, directeur du FinCEN (depuis août 2017).
12.- Cette mise en garde contient un message politique clair et aura des conséquences financières locales et régionales, car les banques devront renforcer encore davantage leurs contrôles pour qu’elles ne soient pas utilisées à des fins illicites par la nomenclature orteguiste. Cela s’ajoute à un ensemble de mesures juridiques qui est actuellement mis en œuvre au Congrès américain.
13.- C’est aussi une menace politique très forte pour le gouvernement Ortega-Murillo, car corruption massive il y a, et tout le monde le sait. L’arrivée des fonds divers (matériels et financiers) du Venezuela a permis l’enrichissement inexplicable des secteurs sociaux liés au gouvernement.
14.- Les membres du Congrès et les sénateurs étatsuniens continuent de travailler sur deux projets de loi: 1°le Nicaragua Investment Conditionality Act (loi nicaraguayenne sur la conditionnalité des investissements), connue sous le nom de «loi Nica»; 2° la loi nicaraguayenne sur les droits humains et la lutte contre la corruption de 2018, connue sous le nom de «Magnitsky-Nica». Cette dernière, si elle était adoptée, exercerait une pression économique sur le régime Ortega et punirait tous ceux qui se sont rendus (et se rendent) coupables de corruption et de violations des droits humains.
15.- Tout indique qu’Ortega va devoir renoncer au pouvoir, parce qu’il n’a pas d’autre choix face au rejet de ladite communauté internationale, au maintien de la contestation sociale et à la crise économique. Dans cette situation Ortega a deux options: soit il s’assoit autour d’une table pour chercher une solution négociée [1] à la crise actuelle, ce que revendique la récente Unité nationale bleue et blanche (Unidad Nacional Azul y Blanco, constituée par 43 organisations); soit l’Organisation des États américains (OEA) cesse de reconnaître son gouvernement comme légitime et légal.
16.- Face à ces deux possibilités, des éléments clés du conglomérat économique construit ces dernières années autour du pouvoir du gouvernement Ortega-Murillo ont commencé à préparer une sortie pour protéger l’argent accumulé entre 2007-2018. Dans l’intervalle, le gouvernement Ortega-Murillo tentera de maintenir son contrôle gouvernemental, allant jusqu’à la limite maximale afin de chercher à gagner du temps pour transférer les actions des sociétés et transférer l’argent à l’étranger, hors de portée du système financier américain.
17.- Il existe un groupe d’avocats orteguistes qui ont formé une «Commission Spéciale» travaillant depuis trois mois pour établir des plans de restructuration et de changement des sociétés appartenant au groupe ALBANISA (Alba Petróleos de Nicaragua, S.A. qui est une société privée mixte, créée en 2007, dont 51% du capital appartient à PVDSA du Venezuela et 49% à Petronic : Empresa Nicaragüense de Petróleo S.A), de transfert d’actions, de changement de raison sociale [la dénomination sous laquelle est enregistrée une société auprès d’un registre du commerce], afin de dissimuler de nombreuses sociétés appartenant à l’Holding PDVSA et ALBANISA et de tenter d’éviter ainsi les effets de la Loi Magnitsky-Nica.
18.- Les «mouvements» ont été intenses, ces temps-ci, dans le Registre public du commerce du Nicaragua, ainsi que dans le Registre de la propriété, afin de rechercher la façon de placer de nombreuses propriétés et entreprises au nom d’hommes de paille. Il est important de noter que depuis août 2018 la Banque centrale du Nicaragua ne publie plus de données et que, depuis le 6 septembre, les statistiques sur les retraits de dollars des citoyens nicaraguayens ne sont plus publiées.
19.- Beaucoup d’argent est acheminé via le Panama vers l’Espagne et, de là, vers certains pays du Golfe persique, où des sommes importantes sont transférées dans différentes devises comme le rouble, le yuan, la roupie et autres. (Managua, le 5 octobre 2018; traduction A l’Encontre)
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[1] Trois partis des Pays-Bas, ayant une représentation parlementaire, soit le Parti social-démocrate, les Verts et le Parti socialiste, ont envoyé une missive, le 28 septembre 2018 Gustavo Porras, le président de l’Assemblée du Nicaragua et le dirigeant de la fraction parlementaire du FSLN. Ils y déclarent: «Nous espérons que vous (les députés sandinistes) êtes conscients du grand intérêt international pour votre action. A presque quarante ans de votre révolution, qui fut une source d’inspiration pour des millions de personnes dans le monde, elle risque de devenir une grande source d’embarras…S’il vous plaît, agissez et prenez vos responsabilités au sérieux et défendez le droit (inter)national comme vos collègues l’ont fait dans les années quatre-vingt et 90 du XXe siècle». Le 28 septembre était le jour même où le régime a déclaré illégales les manifestations civiques et a menacé d’emprisonner les personnes et les organisations qui les organisaient. (Réd. A l’Encontre)
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