Chronique depuis San José (Costa Rica)
1.- Nous vivons dans un «monde» effrayant aux caractéristiques de «républiques bananières», avec des éléments modernes présumés; un monde absolument en rupture avec les éléments de base d’une démocratie effective (y compris dans un sens formel minimal), avec une vague de féminicides et ses victimes de la traite des êtres humains («le marché internationalisé» de femmes condamnées à la prostitution) et d’activités illicites; avec une corruption immense et protégée par des immunités diverses; et avec des inégalités sociales insupportables et inhumaines, créées par l’alliance du régime Ortega-Murillo avec des politiciens traditionnels.
2.- Le système économico-politique actuel a engendré la corruption, la déprédation de l’environnement (Réserves biologiques de Bosawás puis d’Indio Maíz), l’insécurité juridique et la livraison des ressources naturelles qui constituent au patrimoine national (lac Cocibolca avec le traité Ortega-Wang Jing ayant trait au canal transocéanique, certes non concrétisé, mais le traité reste avec sa force juridique qui plans sur le futur). Ortega-Murillo sont «celui et celle» qui ont cette attitude haineuse, fondée matériellement, de conserver le pouvoir à tout prix.
3.- Il y a la possibilité d’une relance des mouvements sociaux en raison de la corruption et de la mauvaise administration par ladite élite. La plupart des manifestations sociales ont été pacifiques, mais elles peuvent devenir violentes si la frustration de secteurs politiques et économiques s’accroît ou si le gouvernement Ortega-Murillo continue de recourir à une répression généralisée contre les manifestations pacifiques.
4.– Si, dans certaines régions du Nicaragua, le développement économique a connu une petite relance, principalement lié à la reprise du transport routier (camions) dans l’Amérique centrale, dans la plupart des régions, le mécontentement face à la corruption, la pauvreté, les inégalités et l’impunité persistent. Ce sont des facteurs qui alimentent des niveaux élevés de tension sociale.
5.- Le mécontentement, l’inégalité, la corruption, les élites prédatrices, suscitent un «climat dangereux», comme celui que nous connaissons actuellement, la somme de tous ces facteurs met en danger la stabilité et la gouvernance du régime Ortega-Murillo.
6.- Pour la grande majorité de la population, l’impunité dont jouissent la police et les paramilitaires qui ont réprimé, torturé et assassiné des citoyens est inacceptable, d’autant plus qu’ils sont protégés par une impunité complète.
7.- La perception générale de l’impunité au cours des dix derniers mois est corroborée par le rapport du GEI (Groupe des experts internationaux) et les déclarations de l’ancien juge Solis [Rafael Solis, membre de la Cour suprême du Nicargua a accusé Ortega-Murriilo d’avoir transformé le Nicaragua «en un Etat de terreur»; dans sa lettre ouverte de trois pages, publiée le 10 janvier, il se qualifie «d’ex-militant sandiniste». Il fut longtemps un proche de Ortega. Il dénonce de même, avec force de rôle de Rosario Murillo, la vice-présidente. Il affirme avoir voulu proposer une négociation en 2018 au binôme Ortega-Murillo, mais ses propositions furent rejetées, sans discussions.]. L’impunité est l’un des principaux obstacles à l’Etat de droit et au développement économique au Nicaragua.
8.- Si les causes des troubles sociaux et de la répression aveugle persistent, de nombreux citoyens frustrés de divers secteurs peuvent à nouveau descendre dans la rue pour exprimer leur indignation et s’éloigner des «manières traditionnelles de faire de la politique».
9.– Le lien entre les mobilisations sociales et les luttes pour les droits démocratiques est stratégique. Ce n’est qu’avec cette convergence que les droits des êtres humains seront consolidés et que des liens indispensables seront créés avec les nouvelles résistances en faveur des droits politiques et sociaux.
10.- Le «monde du travail» est bouleversé par la perte de plus de 400’000 emplois. Dans d’autres secteurs sociaux, il y a un état d’ébullition et un rejet du régime (professionnels – soit médecins, ingénieurs, enseignants, journalistes… – propriétaires de petites et moyennes entreprises). La crise bancaire s’accélère: 37 agences ferment, le nombre de faillites ou de risques a triplé, 364 salarié·e·s ont été licenciés dans le secteur bancaire et la fuite massive des capitaux a atteint des niveaux records.
11.- Le même tourbillon est observé au sein du parti au pouvoir (le FSLN), étant donné l’incertitude sur les perspectives du régime Ortega-Murillo. Les dilemmes qui se présentent aux sommets de l’armée sont tout aussi critiques pour l’avenir de l’institution militaire. La capitulation des partis «comparsas» («fantômes» contrôlés par le FSLN) provoque une répudiation croissante de la population de ce «milieu de politiciens».
12.– Ce qui s’est passé ces derniers mois modifie radicalement le contexte politique national. Le régime d’Ortega-Murillo s’affronte une crise sociopolitique profonde qui ne lui laisse qu’une marge d’action insignifiante. Les déclarations de Rafael Solis montrent que la cohésion commence à se perdre au sommet, que l’homogénéité des critères commence à s’effriter et se profile dans les opinions de certains membres des grandes entreprises.
13.- La dénonciation de Rafael Solís est un coup dur pour le gouvernement Ortega-Murillo. À mon avis, la démission de ce dernier était un acte prémédité et réfléchi, et non une décision prise du jour au lendemain. Par conséquent, il a été arrangé avec le temps et préparé peu à peu. Cela signifie qu’il doit avoir conservé des dossiers confidentiels et des dossiers, numérisés ou photocopiés, afin de négocier son asile et son immunité dans tout pays.
14.- Il faut donc s’attendre à deux choses: a) la découverte d’actes de corruption ou d’actions illicites qui permettent de justifier l’application de la loi Magnitsky Nicaragua à certaines personnes; b) la démission ou la démission de certains fonctionnaires de l’une des institutions publiques.
15.– Ces deux éléments affaiblissent encore davantage le gouvernement Ortega-Murillo en créant de l’angoisse, de l’anxiété et du malaise parmi les principaux cadres du gouvernement car ils ne connaissent pas exactement les secrets que Solis peut révéler et les conséquences qu’ils peuvent avoir sur le plan personnel.
16.- Le gouvernement Ortega-Murillo peut, en théorie, réagir de deux façons: 1° ouvrir une négociation avec de nouveaux garants et facilitateurs (le Mexique d’AMLO et le Vatican avec l’Episcopat di Nicaragua, par exemple) avant une prochaine réunion de l’OEA pour éviter l’application de la Charte démocratique de l’OEA (ave les sanctions qui en découlent); 2° conserver le pouvoir et ne pas négocier, poursuivant la logique du pouvoir et/ou de la mort, une hypothèse qui ne devrait pas être écartée, car le binôme Ortega-Murillo est au courant que toute négociation ne peut se faire que pour déterminer la forme ou les modalités de son éloignement du pouvoir.
17.- Les secteurs progressistes sont confrontés à de sérieux défis: défendre les espaces politiques contre le barrage répressif déclenché par le régime; trouver des moyens pratiques de confluence avec d’autres forces sociales qui résistent pour former un front commun; renforcer la construction d’une alternative de pouvoir et voir comment participer à de futures négociations, ainsi que les revendications présentées sans introduire, au nom d’une alliance,une rupture avec le mouvement social initié en avril et dont les braises rouges sont là.
18.- L’engagement initial du régime Ortega-Murillo visant à la démoralisation des mouvements sociaux n’a pas abouti avec l’ampleur anticipée. La carte de la répression dure et sélective est jouée contre lesdits «acteurs» la rébellion populaire afin de la neutraliser (forçant un certain nombre d’activistes à l’exil, en plus de ceux et celles qui quittent le pays étant donné le «chaos socio-politique».) L’image d’un gouvernement qui écrase les citoyens et citoyennes, qui veut négocier une issue sans perdre le pouvoir est consolidée.
Si le gouvernement ne parvient pas à proposer une solution satisfaisante au mouvement social dans la nouvelle conjoncture, l’érosion par le haut éclatera avec la même intensité que la rébellion venue d’en bas. (Traduction par la rédaction de A l’Encontre; article envoyé de San José/Costa Rica, le 16 janvier 2019)
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