Par Julio César Guanche
Le président Miguel Díaz-Canel vient de lancer un appel «à l’unité entre les Cubains», «au respect entre les Cubains, nous dépouillant de tout sentiment de haine…» [1]. Dans les circonstances spécifiques du dimanche 11 juillet, c’est une déclaration qui pourrait être très importante.
Dans le même temps, il existe déjà une histoire de trois jours, documentée par des vidéos confirmées, qui ne sera jamais effacée de la mémoire nationale. Tous les efforts civiques et patriotiques doivent être faits pour traiter la situation de manière à améliorer les solutions, et non à aggraver la crise que traverse la nation.
Qui est le peuple de Cuba?
L’article 3 de la Constitution stipule que la souveraineté réside dans le peuple: «de qui découle tout le pouvoir de l’Etat». Ce texte – approuvé par 86% des voix [en février 2019] – impose le respect de la souveraineté populaire et des droits fondamentaux.
Le droit de résistance est réglementé contre «quiconque tente de renverser l’ordre politique, social et économique établi par cette Constitution», et inclut tous les moyens. En tant que sa qualité de mesure extrême, ce droit nécessite l’utilisation préalable d’autres ressources.
La première est de chercher des solutions politiques à la protestation. Ensuite, de déclarer l’état d’urgence avec des garanties pour les droits fondamentaux. Contourner tout cela, et simplement revendiquer le «droit de résistance» serait un usage illégitime de ce droit et déboucherait sur un scénario complètement tragique pour la nation.
Le nationalisme démocratique (inclusif, anti-impérialiste, anti-xénophobe) est l’un des contenus les plus forts de l’histoire cubaine à ce jour. Son contenu populaire en est la substance. Dans les rues de Cuba aujourd’hui, il n’y a pas les propriétaires d’esclaves du XIXe siècle, les oligarques de 1912 ou la grande bourgeoisie de 1952.
Il y a les Cubains, ou une partie d’entre eux, qui sont autant un peuple que les autres, que l’on aime ou non leur façon de parler, d’agir ou de penser. Le peuple cubain, dans son ensemble, est le souverain. L’Etat cubain est tenu de les écouter, de les respecter et de les protéger.
Les appels de Cubains à l’intervention et à la violence dans le chaos
Un appel à l’intervention étatsunienne est lancé par le secteur extrémiste de la communauté cubaine en exil. Ils paient pour des actions violentes, produisent consciemment des fake news, encouragent les incendies criminels, les pillages, les meurtres de policiers et ne sont présents que depuis les tranchées de leurs téléphones. Quelle que soit l’issue de cette situation, et quoi qu’il arrive à Cuba, ils resteront en place.
Les tenants de cette orientation – qui ne représente en aucun cas l’ensemble de la communauté des exilés, sans parler de la diaspora cubaine – feront tout ce qu’il faut pour obtenir leur version du «c’est fini». Il est impératif, à mon avis, que l’éventail patriotique cubain prenne ses distances et s’oppose à cet agenda, quelle que soit la radicalité des défis posés à l’Etat et à la situation de l’île.
En aucun cas les initiatives de ce secteur n’expliquent toutes les protestations, ni ne transfèrent automatiquement son agenda politique à tous ceux qui protestent. Il est essentiel de distinguer et de séparer l’utilisation instrumentale de ces appels à la violence civile des revendications et des acteurs populaires qui font partie de la conjoncture socio-politique, et de reconnaître l’éventail des demandes en lice.
Le fait de l’intervention en soi est absolument inacceptable. Mais au-delà de sa possibilité réelle, la simple perception de la menace d’une intervention encourage la fermeture de tout le champ possible de la critique interne, et déplace cette critique vers la défense resserrée de la nation, avec de justes motifs.
Cuba a un sérieux problème avec la politique des Etats-Unis, mais elle a aussi des problèmes avec elle-même. Il est donc essentiel d’ouvrir l’espace pour les aborder.
Les Etats-Unis et le «coup d’Etat mou»
Le président Joe Biden a poursuivi la politique de sanctions et ne l’a pas modifiée, même au milieu de la phase la plus grave de la pandémie. La politique de blocus est un affront à la nation cubaine, car elle est de nature strictement coloniale, et constitue un crime contre le peuple cubain. L’attitude de Joe Biden est en contradiction avec la politique même qu’il a défendue pendant l’administration Obama, qui assurait que de nouveaux objectifs ne pouvaient être atteints par des moyens qui avaient échoué.
Quiconque pense que cette situation commence et s’arrête ici, ou qu’elle ne peut s’expliquer que par le «coup d’Etat mou», comprend mal le cœur du problème.
Le projet de «coup d’Etat mou» a été une réalité dans divers processus à travers le monde. Celui qui est un agent avéré de ce projet doit en répondre, car il s’est mis au service d’une puissance étrangère, mais on ne peut pas couvrir toute la contestation sociale comme si elle était une création complète d’une telle entreprise.
L’utilisation excessive d’une telle approche comporte un grand danger politique: elle ne laisse aucune place à la légitimité de toute revendication sociale exprimée sous forme de protestation. Une telle compréhension ne peut que conduire à la répression de toute contestation. Reconnaître la légitimité des revendications qui sont en jeu aujourd’hui est un coup fort contre toute prétention à un coup d’Etat mou.
Ce qui peut être fait
Un certain nombre de choses peuvent et doivent être faites dès maintenant. Je diffuse ce qui suit avec le sentiment d’urgence et le besoin d’être utile; c’est sûrement insuffisant, mais ce n’est pas non pertinent.
Arrêter immédiatement toute répression policière contre des personnes non armées qui s’expriment pacifiquement. Contenir avec des règles de proportionnalité, et des règles claires de responsabilité, les actions civiles violentes contre les personnes et les biens. Interdire l’utilisation d’armes létales sauf en cas de danger imminent pour la vie et l’intégrité physique de toute personne. Pas de militaires en civil dans les rues. Pas de mobilisation sur les lieux de travail, ou dans unités du service militaire, etc., pour participer à des réponses violentes aux protestations.
De même, ne poursuivre que les personnes qui ont commis des crimes graves contre d’autres personnes ou des biens, en tenant compte de la gravité des conséquences et du contexte dans lequel ils se sont produits. Promesse, assortie de garanties, de soumettre à examen les actions de la police avec à la clé des sanctions fermes pour les excès, assurer des informations précises sur les détenus, retirer des accusations contre tous les manifestants pacifiques, et assurer un procès en bonne et due forme pour les auteurs civils de violences avec des dommages-intérêts qualifiés de manière conforme à la loi. Assurer le service internet. Fourniture de services de vérification des fake news. Appel à la paix sociale, au sens fort, avec l’expansion et l’application des droits de participation et d’expression, tels que le droit de manifester pacifiquement.
S’y ajoutent les points suivants. La mise en œuvre urgente de toutes les lois en suspens relatives aux droits civils et politiques. L’accélération et la mise en œuvre immédiate, avec des informations précises sur leurs calendriers, de mesures d’intérêt populaire, telles qu’une relance importante des projets de production alimentaire au niveau national, impliquant une suspension temporaire des investissements à long terme et leur réinsertion dans des plans sociaux d’urgence (de telles mesures ont déjà été annoncées, mais il en faut beaucoup plus). Le renouvellement des mesures spéciales de protection sociale pour les secteurs les plus défavorisés tels que les personnes âgées, les ménages monoparentaux à faible revenu, les mères célibataires et les quartiers les plus pauvres. Des avantages de tarifs douaniers pour les produits de première nécessité. L’accélération de l’examen et de l’acceptation des revendications des émigrants cubains pour leurs droits dans et sur le pays.
Nous savons déjà que Diubis Laurencio Tejeda est mort [information donnée officiellement par les autorités]. Or, on répète depuis des années que les «premiers morts» seraient un avantage pour le programme officiel d’agression des Etats-Unis contre Cuba, mais il y a quelque chose de supérieur, de premier: c’est l’éthique révolutionnaire de la vie, pour laquelle un seul mort est intolérable, quels que soient son «camp» et «celui qui bénéficie» de sa mort.
Une partie de cette éthique consiste à s’interroger en profondeur sur les causes de la rage politique et de la haine radicale que nous avons constatées dans le pays, au-delà des étiquettes telles que «les détracteurs de longue date» ou «les mercenaires habituels», formules qui ne font que stigmatiser, cacher le problème et le reproduire.
La protestation pacifique est un droit, attaquer des personnes et des biens sociaux ne l’est pas. Tous les révolutionnaires ont le droit de défendre leurs convictions, également de manière pacifique. Pas de «coup d’Etat mou», pas de blocus, mais la démocratisation, comme disait José Martí: le pain et la liberté, qui, comme le couplet, sont sauvés ensemble ou condamnés tous les deux. (Article publié sur le site On Cuba News, le 14 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
Julio César Guanche a fait ses études à Cuba. A enseigné la théorie de l’Etat et du droit à l’Université de La Havane. Actif dans l’édition de publications. Il coordonne la collection Biblioteca Marxista, publiée par la maison d’édition cubaine Ocean Sur.
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[1] La citation complète est la suivante [utile pour en saisir le contenu politique effectif]: Díaz-Canel a lancé un appel «à l’unité des Cubains, et un appel au respect entre les Cubains, en nous dépouillant de tout sentiment de haine, en nous dépouillant de toute vulgarité, de tout comportement indécent, mais en exigeant bien sûr les règles de discipline, les règles qui garantissent dans notre société cette tranquillité sociale. Et nous verrons, lorsqu’à un autre moment nous évaluerons ce que ce moment a signifié et ce qu’ils voulaient faire à Cuba et à notre peuple, […] combien de mensonges, combien de haine, combien de méchanceté, combien de mal a été calculé pour tout cela.»
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