Le déploiement des bases militaires des Etats-Unis en Colombie

Alvaro Uribe et Hillary Clinton

Par Atilio Boron

Il fallait justifier l’escalade de l’offensive militaire de l’empire étasunien dans le but d’inverser les changements qui ont remanié la physionomie sociopolitique de la région [Amérique du sud]. Devant cette déconcertante réalité, la tactique de la Maison-Blanche a été d’abandonner la rhétorique belliqueuse de Bush et de s’essayer à un discours égalitariste et respectueux de la souveraineté des pays de la région, tout en déployant de nouvelles bases militaires, en maintenant la Quatrième Flotte et en renforçant sans cesse le Commandement Sud de l’armée états-unienne [1].

En ce sens, Barack Obama – que des «progressistes» européens et latino-américains continuent à confondre avec Malcolm X – est en train de suivre à la lettre les conseils de Théodore Roosevelt, le père de la grande expansion impérialiste nord-américaine dans les Caraïbes et en Amérique Centrale, lorsqu’il conseillait «speak softly and carry a big stick», autrement dit, «parle avec une voix douce, mais porte un gros bâton ». Roosevelt s’est montré maître dans l’art d’appliquer cette maxime au moment de construire le Canal de Panama [il s’est ouvert à la navigation en 1914] et de réussir, à l’aide de l’infâme amendement Platt [2], qui entraînait pratiquement une annexion de Cuba par les Etats-Unis. Avec sa politique de remilitarisation forcée de la politique extérieure vers l’Amérique Latine et les Caraïbes, Obama suit le chemin tracé par son prédécesseur [G.W Bush].

Pour justifier sa décision de concéder aux forces armées des Etats-Unis sept bases militaires, Alavaro Uribe – le président de Colombie – invoque l’élargissement de la coopération avec le pays du Nord pour pouvoir livrer un combat efficace contre le narcotrafic et le terrorisme. Cette excuse ne tient pas à la lumière de l’expérience: d’après une agence spécialisée des Nations Unies, les deux pays dont la production et l’exportation de pavot et de coca ont le plus augmenté sont l’Afghanistan et la Colombie. Or, ces deux pays sont sous une occupation militaire nord-américaine. Si l’histoire de la Colombie au cours du dernier demi-siècle nous quelque chose, c’est bien l’incapacité à résoudre le défi posé par les FARC par la voie militaire.

Malgré cela, le général colombien Freddy Padilla de Leon – qui aime à répéter que mourir au combat est « un honneur sublime » – a annoncé dernièrement à Bogota que les sept bases seraient situées à Larandia et Apiay (dans l’Est de la Colombie); à Tolemaida et Palanquero (au centre); à Malambo (sur l’Atlantique, sur la côte nord); à Cartagena, dans les Caraïbes colombiennes. La septième se situerait dans un lieu non encore déterminé sur la côte du Pacifique. Le Congrès des Etats-Unis a déjà approuvé la somme de 46 millions de dollars pour installer son personnel et ses équipements guerriers et de surveillance dans ces nouvelles bases pour remplacer les installations qu’il avait à la base militaire de Manta, en Equateur. Actuellement il y a déjà en Colombie 800 hommes des forces armées des Etats-Unis ainsi que 600 «civils sous contrat» (en réalité des mercenaires), mais les analystes s’accordent pour signaler que le chiffre réel est beaucoup plus élevé que celui qui est officiellement reconnu.

Il n’est pas besoin d’être un expert militaire pour se rendre compte que la cession de ces bases par la Colombie aboutit à ce que le Venezuela soit complètement encerclé, soumis à un harcèlement permanent des troupes de l’empire stationnées en Colombie, sans compter les bases colombiennes et celles des «paramilitaires» colombiens. Il faut ajouter à cela l’appui qu’apportent dans cette offensive contre la Révolution Bolivarienne les bases américaines à Aruba, à Curazao et à Guantanamo, ainsi que celle de Palmerolas, au Honduras, et la Quatrième Flotte étasunienne, qui dispose de suffisamment de ressources pour patrouiller efficacement tout le littoral vénézuélien.

Mais Chavez n’est pas le seul à être menacé: Rafael Correa (Equateur) et Evo Morales (Bolivie) aussi restent dans la mire de l’empire, d’autant que Alan Garcia au Pérou brûle d’envie d’offrir une «preuve d’amour» à l’occupant de la Maison-Blanche en lui offrant des possibilités pour le déploiement de ses troupes. Au Paraguay, les Etats-Unis se sont assuré le contrôle de la base stratégique de Mariscal Estigarribia, située à moins de cent kilomètres de la frontière avec la Bolivie. Elle est dotée d’une des pistes d’aviation les plus étendues et les plus résistantes d’Amérique du Sud, capable d’accueillir les gigantesques avions utilisés pour transporter les chars, les avions et les divers armements lourds qu’utilise le Pentagone. Au Paraguay, les Etats-Unis disposent encore de l’énorme base de Pedro Juan Caballero, localisée à 200 mètres de la frontière avec le Brésil!. Mais d’après Washington, elle appartient à la DEA [Drug Enforcement Administration – agence fédérale chargée de la lutte contre la drogue] et n’a pour objectif que de lutter contre le narcotrafic !

La menace que présente cette expansion sans précédent de la puissance militaire nord-américaine en Amérique du Sud n’est pas passée inaperçue notamment pour le Brésil. Ce pays connaît en effet les convoitises états-uniennes en ce qui concerne l’Amazonie, région que, entre eux, les stratèges impériaux considèrent comme un territoire vide, en libre accès, et qui sera occupé par celui qui aura les capacités technologiques de le faire [les ressources de l’Amazonie sont énormes et multiples pour le capital].

Devant ces menaces les pays sud-américains doivent réagir avec beaucoup de fermeté et exiger des Etats-Unis qu’ils envoient aux oubliettes leurs plans belliqueux en Colombie, qu’ils démilitarisent l’Amérique latine et les Caraïbes et qu’ils désactivent la Quatrième Flotte. La rhétorique «dialoguiste» d’Obama n’est pas compatible avec l’existence de ces menaces. Et si Obama veut avoir un minimum de crédibilité internationale, il devrait immédiatement donner des instructions pour faire marche arrière avec ces initiatives.

Les gouvernements de la région, regroupés dans l’Unasur (Union des nations sud-américaines) et le Conseil sud-américain de la défense, devraient pour leur part faire la sourde oreille à la supercherie de Uribe et passer du plan de la rhétorique et de l’indignation morale au plan plus concret de la politique, en impulsant quelques gestes efficaces. Ils devraient, par exemple,  ordonner le retrait immédiat des missions militaires et des autres officiels représentants les forces armées étatsuniennes, stationnés dans nos pays, tant que ces options de Washington ne sont pas changées. C’est ainsi que le message de refus et de répudiation du «militarisme pentagoniste» – comme l’a baptisé précocement un grand homme latino-américain, Juan Bosch [3] – pourrait parvenir clairement et puissamment aux ouïes de leurs destinataires à Washington. Les suppliques et les exhortations, par contre, ne feront qu’exacerber les ambitions de l’impérialisme. (Traduction A l’Encontre)

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Atilio Boron est l’animateur du CLASCO (Consejo Latinoamericano de Ciencias sociales)

1. Le domaine de compétence du Commandement Sud s’étend sur près de 41 millions de kilomètres carrés et sur quasi la totalité des pays du continent. Il dirige également 16 programmes de formation de militaires latino-américains dans différentes spécialités. Depuis l’an 2000, avec G. W. Bush et D. Cheney le déploiement militaire du Commandement Sud s’est étendu. Il a des bases à Guantánamo (île de Cuba), Soto Cano (Honduras), Comalapa (Salvador), Roosevelt Roads et Fort Buchanan (Puerto Rico), Reina Beatrix (île d’Aruba, au large du Venezuela). Sa base de Manta en Equateur est remise en question, ce qui explique le renforcement du déploiement en Colombie. Le Commandement sud dispose d’un contrôle sur un vaste réseau de radars consacré à la «lutte contre le narcotrafic»: trois radars fixes au Pérou et en Colombie et 11 radars mobiles dans six pays des Andes et des Caraïbes. (Réd)

2. Amendement voté par le Congrès des Etats-Unis en 1901, suite à la brève «guerre hispano-américaine» de 1898. Il définissait les termes des relations américano-cubaines et officialisait le droit d’ingérence des Etats-Unis sur le territoire de la République de Cuba. Il resta en vigueur jusqu’en 1934. Il fut alors remplacé par un traité qui perpétua, de fait, la présence politique américaine dans l’ensemble de l’île et, physiquement, assura aux Etats-Unis le territoire de Guantanamo. (Réd.)

3. Pour échapper au dictateur Trujillo, Juan Bosch – écrivain, historien, auteur d’une biographie de Bolivar – s’est réfugié en 1938 à Porto Rico. Il se rendra à Cuba par la suite. Il revient en République dominicaine en 1961, suite à l’exécution de Trujillo. Elu président en 1962, il prend des mesures progressistes. Elles suscitent des réactions vives dans l’armée, l’Eglise réactionnaire et aux Etats-Unis. Il ne faut pas oublier qu’en 1959, la révolution cubaine avait triomphé. Et la distance physique entre la République dominicaine et  Cuba était petite. Ainsi, les Etats organisent en un coup d’État militaire en septembre 1963. J. Bosch doit s’exiler à nouveau. En 1973, il fonde le Parti de la libération dominicaine. Il sera battu lors des élections de 1978. On peut discuter son rôle à Saint-Domingue où sa figure, présente politiquement jusqu’en 1994, ne favorisa pas nécessairement l’émergence d’une gauche classiste. Mais ce fut «un grand homme». (Réd.)

 

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