Brésil: une corruption systémique et impunie, révélatrice du système PT

Par Marcos Sassatelli

Dans mon article «A máscara rachou e a corrupção vazou» [«Le masque s’est lézardé et la corruption a jailli»], datant de la fin du mois d’avril, j’ai essayé de montrer, après avoir parlé du scandale Carlinhos Cachoeira ­ [entrepreneur, accusé d’être lié au «crime organisé», qui a été filmé, en 2004, lorsque le conseiller – Waldomiro Diniz – représentant le bras droit de la présidence, José Dirceu, lui demandait de l’argent pour la campagne électorale du Parti des travailleurs (PT) à Rio, en échange de quoi il serait aidé pour l’obtention de marchés publics à Rio] –, que les cas de corruption n’étaient que des «vidanges» d’un système économiquement, politiquement, écologiquement et culturellement corrompu.

La corruption n’est pas seulement ponctuelle, mais elle est surtout systémique et structurelle. Pour cela, il nous faut combattre les cas de corruption en même temps qu’ouvrir des chemins nouveaux conduisant au dépassement de ce système corrompu, inique, déshumanisant et antithétique.

Dans le présent article, je désire reprendre l’affaire du «mensalão», qui est une manifestation très ancienne du système corrompu dans lequel nous vivons et qui, semble-t-il, est tombée dans l’oubli. Nous assistons aujourd’hui au cumul de l’opportunisme et de l’hypocrisie: diverses personnalités politiques donnent leur appui à la clarification du cas de corruption Carlinhos Cachoeira afin de masquer ou même d’oublier l’affaire de corruption du «mensalão» [néologisme brésilien qualifiant un important versement mensuel d’argent; ce système a surgi au grand jour en 2005, lorsque la nouvelle est apparue au grand jour, suite à des révélations du député Roberto Jefferson, que le PT versait l’équivalant de 12’000 dollars, chaque mois, pour s’assurer les votes en faveur de ses propositions d’un certain nombre d’élus]. Mais nous devons combattre toute pratique de corruption, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne et quelles que soient les personnes affectées.

Le scandale du «mensalão» ou le «système d’achat de votes de parlementaires» constitue la plus grande crise politique du gouvernement du président Luiz Inácio Lula da Silva en 2005-2006. En quoi ce scandale consiste-t-il? «Le 14 mai 2005, un enregistrement vidéo a été divulgué par la presse, dans lequel l’ex-chef du Département des investissements et de l’administration du matériel de la Poste (DECAM/ECT), Maurício Marinho, sollicitait et également recevait un avantage indu pour en faire bénéficier illicitement un faux entrepreneur. Cette personne était en réalité l’avocat de Curitiba Joel Santos Filho, celui qui a dénoncé la corruption et qui, pour recueillir une preuve matérielle du crime, s’est fait passer pour un entrepreneur intéressé à négocier avec ‘Correios’ [l’équivalent de La Poste]. Dans la négociation établie avec le faux entrepreneur, Maurício Marinho a exposé, avec moult détails, le système de corruption d’agents publics existant dans cette entreprise publique».

Voici une déclaration d’Antonio Fernando Barros e Silva de Souza, à l’époque Procureur général de la République: «Dans la plainte qu’il a déposée et qui a été reçue par le Tribunal Fédéral Suprême, l’ex-député Roberto Jefferson a révélé des détails du système de corruption de parlementaires duquel il faisait lui-même partie. En effet, cet homme qui était à l’époque le président du Parti travailliste brésilien (PTB) [à ne pas confondre avec le PT] a été, à un moment donné, acculé, puisque le système de corruption et de détournement d’argent public a mis en lumière des dirigeants de la Poste désignés par le PTB. On a pu alors clairement voir que des parlementaires qui composaient la dite ‘base alliée du gouvernement’ [donc, entre autres, le PTB] recevaient, périodiquement, de l’argent de la part du Parti des Travailleurs (PT) en remerciement de leur appui au gouvernement fédéral, constituant ainsi ce que l’on allait appeler le ‘mensalão’.»

Le néologisme «mensalão» fut popularisé par le député fédéral d’alors, Roberto Jefferson, dans une interview sur le scandale, qui a eu une répercussion aussi bien nationale qu’internationale. Ce mot est une variante du mot «mensualité», utilisé pour faire référence à un supposé pot-de-vin payé aux députés afin qu’ils votent en faveur de projets intéressant le Pouvoir exécutif. Selon le député, le terme était déjà commun dans les coulisses de la politique pour désigner, entre parlementaires, une pratique illégale.

José Dirceu

Entre le 22 et le 27 août 2007, le Tribunal Suprême Fédéral (STF) a commencé l’audition des 38 personnes dénoncées par le procureur général de la République le 11 avril 2006. «Le tribunal a jugé recevables pratiquement toutes les plaintes déposées contre chacun des accusés, ce qui a fait passer ceux-ci de la condition de prévenus à la condition d’accusés dans un procès criminel, les obligeant à se défendre contre des accusations d’abord portées devant la Justice puis jugées par un tribunal.»

Dans le cadre d’une enquête sur le banquier Daniel Dantas, en juillet 2008, il a été découvert que la Banque Opportunity avait été l’une des principales sources de financement du «mensalão». «A travers la Banque Opportunity, Daniel Dantas était le gestionnaire de la Société Brasil Telecom, contrôlée par Telemig et Amazônia Telecom. Les investigations ont mis le doigt sur le fait que ces entreprises de téléphonie avaient injecté 127 millions de reais sur les comptes de la DNA Propaganda [une importante agence de publicité], administrée par Marcos Valério, ce qui, selon la Police Fédérale, alimentait le Valeiroduto [sur le nom de Márcio Lacerda Valerioduto], un système de paiement illégal à des parlementaires. La police fédérale arrive à cette conclusion après que la Justice a autorisé la violation des secrets de l’ordinateur central de la Banque Opportunity.»

Dans les allégations finales du procès, le Ministère public de la République affirme que dans le cas du «mensalão», «il s’agit de la plus grave agression contre les valeurs démocratiques qui se puisse concevoir. Du moment où la conscience du représentant élu par le peuple est corrompue (…), alors la base du régime démocratique est irrémédiablement menacée».

Le «mensalão» est considéré par beaucoup de gens comme le plus grand scandale de l’histoire du Brésil. Restent les questions: pourquoi après sept ans le scandale du «mensalão» n’a-t-il pas encore été jugé? Pourquoi les choses tardent-elles tant? Quels sont les intérêts qui se cachent derrière ces lenteurs? Tout cela éveille en nous beaucoup de soupçons.

Selon ce qu’a annoncé la presse, l’accusation de complot criminel est, dans tout ce processus du «mensalão», prescrit depuis août 2011. Maintenant, dans la plainte du Ministère Public, acceptée par le STF, le crime de complot est cité plus de 50 fois et est considéré comme une espèce d’action centrale du système de corruption. Malheureusement, parmi les 38 accusés du procès, 22 répondent de complot criminel, mais en raison de la prescription du crime, aucun de ces «mensaleiros» ne pourra être condamné. Le Tribunal Fédéral Suprême (STF) doit prendre conscience que le fait de proroger le jugement d’une pratique de corruption constitue une autre corruption.

Enfin, après avoir tellement traîné les pieds, ce qui à mon avis dénote (peut-être par lâcheté) omission et connivence, le STF a commencé, ce 9 mai 2012, à organiser officiellement le jugement du procès du «mensalão», mais aucune date n’a pour l’heure été fixée (voir la Folha de S. Paulo du 10 mai).

Une autre pratique politique est possible et nécessaire. Luttons pour que celle-ci se produise dans notre société. (Traduction de A l’Encontre)

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Le Père Marcos Sassatelli, frère dominicain, est docteur en Philosophie et en Théologie morale. Il est professeur retraité de Philosophie de l’Université Fédérale de Goias.

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