Prise de position collective
Il existe de nombreuses raisons de ne pas souhaiter la réélection de Jair Bolsonaro [en octobre 2022]. Les démocrates, eux, s’inquiètent pour la démocratie. Les financiers, pour le plafonnement des dépenses [depuis 2021 seules les dépenses non récurrentes – à l’occasion de la crise du Covid – peuvent dépasser le plafond des dépenses budgétaires imposé par Michel Temer et repris par le ministre de l’Economie Paulo Guedes]. Les travailleurs et travailleuses s’inquiètent des effets de l’inflation et le chômage. Certains déplorent Marielle Franco [assassinée à Rio le 14 mars 2018 par un gang politique de droite radicale] et Moïse [un jeune homme de 24 ans, d’origine congolaise, assassiné à coups de batte de baseball le 24 janvier 2022 dans un quartier de Rio]. D’autres veulent simplement des vaccins et du bon sens.
Le retour de Luiz Inacio Lula da Silva (PT) s’est révélé être l’alternative la plus concurrentielle [voir les articles sur le ticket Lula-Alckmin http://alencontre.org/ameriques/amelat/bresil/bresil-le-ticket-lula-alckmin-est-officiel.html]. Mais ceux qui ne soutiennent pas l’actuel Parti des travailleurs (PT) rêvent d’une troisième voie. Quelqu’un de fiable du monde des affaires, mais discret en politique. Les candidats ne manquent pas pour ce rôle. Mais ils manquent d’attrait électoral.
Nous pensons qu’une quatrième voie est nécessaire. Parce que ces candidatures peuvent vaincre Bolsonaro, mais pas le bolsonarisme. Après tout, le bolsonarisme n’est pas la cause de nos problèmes: il en est une des expressions.
Les causes sont liées à la forme de la reproduction sociale dans le monde d’aujourd’hui. En un mot, au néolibéralisme. Plus qu’un programme économique, le néolibéralisme est un mode de vie, marqué par des dynamiques de sélection et d’exclusion. C’est le monde de l’autodidacte, qui doit se surpasser et surpasser ses concurrents, chaque jour. Un monde calqué sur Big Brother: sans élimination, pas de spectacle!
L’autre facette de l’esprit d’entreprise est le dénuement. Tout comme l’autre facette de la pression à la performance est la dépression. Personne n’est à l’abri de ce mécanisme social qui distille la peur, la haine et l’indifférence.
Le bolsonarisme alimente et accélère cette dynamique sociale: si la vie est une lutte, il vaut mieux s’armer [référence à la campagne politique de Bolsonaro en faveur de l’armement personnel].
Le lulisme [de facto, le ticket Lula-Alckmin] entend contenir cette dynamique, mais ne la change pas. Il peut inclure socialement davantage de personnes par le biais de la consommation. Mais comme ce type de «néolibéralisme inclusif» est une impossibilité logique (puisque le néolibéralisme continue à produire de l’exclusion), la frustration est inévitable. Entre-temps, d’autres Belo Monte viendront [référence au barrage de Belo Monte qui a abouti à un désastre écologique, humain, à la destruction de petits agriculteurs et de communautés indigènes].
Une autre candidature présidentielle est nécessaire, car le monde a besoin d’une autre voie.
Changer les termes du débat public est urgent, donner une valeur au dialogue politique relève d’une nécessité. Coincé entre le bolsonarisme, le lulisme et la troisième voie, le marché électoral tend à rendre invisibles les alternatives sociétales autres que celles déjà expérimentées.
Des candidats de gauche peuvent mettre en avant ces alternatives. Il est certain que nous ne vaincrons pas le bolsonarisme uniquement avec des élections, tout comme nous n’éviterons pas les futures pandémies uniquement avec la science. Le monde a besoin d’autres formes de vie. Il faut une politique qui l’affirme.
L’écosocialisme est l’une de ces politiques. Si un monde écologique et socialiste n’est pas à portée de main, plusieurs mesures le sont: la suppression de la misère par une imposition progressive des plus riches (agroindustrie, banques, entrepreneurs), un audit des dettes, la stimulation de l’économie populaire et de la consommation durable, l’inversion de la déforestation, la déprivatisation de l’Etat au profit des besoins sociaux des plus pauvres [une majorité évidente au Brésil].
Nous savons que ces mesures et d’autres encore ne seraient pas soutenues par un gouvernement qui se contente de gérer ou d’apaiser les conflits. La réoxygénation de la participation politique, la radicalisation de la démocratie, le protagonisme [rôle de sujets actifs] des travailleurs et travailleuses ainsi que des mouvements populaires, comme le renouvellement critique que les universités commencent à entreprendre, sont des conditions culturelles préalables à une transformation sociale majeure dans notre pays.
D’où l’importance des luttes difficiles et des réalisations de l’opposition de gauche au lulisme, dans la période antérieure, et au bolsonarisme, actuellement. C’est-à-dire une gauche socialiste représentée par des partis (PSOL, PCB, PSTU, UP-Unidade Popular), par le front politique Povo na Rua et par la centrale syndicale CSP-Conlutas. Une gauche qui reconnaît la nécessité d’approfondir le dialogue avec tous ceux et celles qui vivent du travail.
Le rôle de la gauche est de favoriser la transformation. Peut-être que l’écosocialisme n’apportera pas assez de suffrages, maintenant. Mais cela offrira un avenir à tout le monde.
Car si cette dynamique sociale n’est pas modifiée, d’autres Bolsonaro surgiront. Mais si l’on ne s’occupe pas de cette planète, les autres planètes n’apparaîtront pas. Nous avons besoin d’un monde auquel les gens peuvent s’adapter. Et nous avons besoin de la nature, pour qu’il y ait un monde.
Nous devons aller au-delà des symptômes. Aller au-delà de Lula, pour désarmer les Bolsonaro. Proposer des alternatives à ce modèle de vie n’implique pas une garantie que nous en sortirons. Mais si nous ne le faisons pas, il est certain que nous n’en sortirons pas.
Ont signé cet article-déclaration qui a été publié dans le quotidien Folha de São Paulo, le 11 avril 2022 et repris par Correio da Cidadania le 27 avril:
Fabio Luis Barbosa dos Santos (Professor de História e Relações Internacionais – UNIFESP)
Isabel Loureiro (Professora aposentada de Filosofia – UNESP)
José dos Santos Souza (Professor de Economia Política da Educação – UFRRJ)
José Paulo Guedes Pinto (Professor de Economia – UFABC)
Leandro Machado (Professor de Sociologia da Educação – UFRRJ)
Luciano Coutinho (Professor de Biblioteconomia – UFRJ)
Marco Antonio Perruso (Professor de Sociologia – UFRRJ)
Marcos de Oliveira Soares (Professor de Geografia – UFSCAR)
Marinalva Silva Oliveira (Professora da Faculdade de Educação – UFRJ)
Plínio de Arruda Sampaio Jr. (Professor aposentado de Economia – UNICAMP)
Ruy Braga (Professor titular de Sociologia – USP)
Viviane Becker Narvaes (Professora de Artes Cênicas – UNIRIO)
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