Brésil. Quels sont les principaux crimes de Bolsonaro?

Par Pedro Ravasio

Lors des élections de 2018, Jair Bolsonaro s’est présenté comme le candidat «hors système», promettant de mettre fin à la corruption à Brasilia et de faire un gouvernement différent «de tout ce qui vient de là». Bien sûr, Bolsonaro n’y est pas arrivé tout seul, il a été aidé par le coup d’Etat de 2016 [aboutissant à la destitution de Dilma Rousseff], la farce de l’opération Lava-Jato et à l’impossibilité de la candidature de Lula alors que l’ancien président était en tête des sondages.

Cependant, il n’a pas fallu longtemps pour que le discours générique de l’ancien capitaine contre la corruption se dégonfle complètement. Après plus de deux ans aux commandes du gouvernement, chaque jour apporte de nouveaux indices de la relation de promiscuité que Bolsonaro et sa famille établissent et ont toujours établi avec le pouvoir public.

Examinons ci-dessous un résumé des principaux scandales de corruption qui impliquent, directement ou indirectement, le président Bolsonaro et les membres de sa famille.

a) Affaire Covaxin

Le député fédéral Luís Claudio Miranda (Démocrate, District fédéral) a déclaré, lors de son témoignage, le 26 mars, devant le Commission d’enquête parlementaire (CPI) sur le covid, qu’il avait informé le président Jair Bolsonaro en mars d’une prétendue combine illégale ayant trait à l’achat, pour un milliard de dollars, du vaccin indien Covaxin par le ministère de la Santé.

Selon Luís Claudio Miranda, Bolsonaro a déclaré qu’il était au courant de la combine, gérée par un député de la base liée au gouvernement, et qu’il porterait plainte auprès du délégué général de la police fédérale, ce qui ne s’est jamais produit, impliquant ainsi un crime de prévarication. Luís Claudio Miranda confie à la CPI que le député cité par Bolsonaro est Ricardo Barros (Progressistes, anciennement PPB), leader de la fraction gouvernementale à la Chambre.

b) L’affaire AstraZeneca et Janssen

Le représentant de Davati [firme ayant son siège au Texas] au Brésil, Cristiano Carvalho, a déclaré à la CPI covid, jeudi 15 juillet, que la société a proposé au ministère de la Santé des vaccins Covid-19 provenant de deux fabricants.

Selon lui, l’entreprise a tenté de vendre 400 millions de doses d’AstraZeneca par l’intermédiaire de l’ancien directeur de la logistique du ministère de la Santé, Roberto Dias, accusé d’avoir réclamé un pot-de-vin, et 200 millions d’unités supplémentaires du vaccin Janssen par l’intermédiaire du colonel Marcelo Blanco, ex-directeur de la logistique du ministère de la Santé, également visé par la CPI.

Marcelo Blanco est mentionné parmi les participants d’un dîner organisé le 25 février, au cours duquel il aurait présenté à Roberto Dias le policier Luiz Dominguetti, représentant de la société Davati Medical Supply.

Selon la déclaration de Luiz Dominguetti à la CPI la semaine précédente, Roberto Dias avait demandé un pot-de-vin d’un dollar par dose de vaccin anti-covid.

Avec ces déclarations, la direction de la CPI covid pointe du doigt un système de corruption présumé impliquant du personnel militaire au ministère de la Santé, plaçant sous les projecteurs l’ancien secrétaire exécutif du portefeuille, le colonel Elcio Franco.

c) Rachadinha

Le 5 mai dernier, dans un reportage de Juliana Dal Piva, de la chaîne d’information UOL, l’ancienne belle-sœur de Bolsonaro, Andrea Siqueira Valle, a révélé que son frère a été licencié lorsqu’il a refusé de transmettre de l’argent au député fédéral de l’époque [Bolsonaro]. Andrea serait la première des 18 parents de la deuxième épouse du président qui ont été nommés, entre 1998 et 2018, dans l’un des trois cabinets d’élus des membres de la famille Bolsonaro; Jair, Carlos, conseiller municipal de Rio de Janeiro, et Flávio, actuellement membre du Sénat pour l’Etat de Rio.

Depuis l’année dernière, le Ministère public de Rio de Janeiro (MP-RJ) enquête sur des détournements de fonds et des irrégularités financières dans le cabinet de Flávio Bolsonaro, lorsqu’il était député d’Etat.

Tout au long des enquêtes sur la rachadinha [détournement du salaire d’un conseiller] dans le cas du sénateur Flávio, MP-RJ a constaté que le noyau de 10 proches d’Ana Cristina Valle [deuxième femme de Jair Bolsonaro], qui figuraient sur la liste des conseillers de Flávio, percevaient en espèces, en moyenne, 83% du salaire. Le montant a atteint 4 millions de reais au cours de la période. Toutes les fois où elle a été interrogée précédemment sur ce sujet, Ana Cristina Valle a nié les irrégularités.

Fabrício Queiroz, l’organisateur du système, a été arrêté en juin dernier, après avoir été retrouvé sur le site d’Atibaia, dans une propriété appartenant à Frederick Wassef, avocat du président Jair Bolsonaro et de son fils Flavio. En mars de cette année, le Tribunal supérieur de justice (STJ-Cour suprême) a statué en faveur de la liberté de Fabrício Queiroz et de son épouse Marcia.

Relations avec les milices et implication présumée dans l’assassinat de Marielle Franco

L’ancien officier de la police militaire, Adriano Magalhães da Nóbrega, accusé d’être l’un des principaux chefs de la milice «Escritório do Crime» et qui a été de manière suspecte tué par la police de Bahia au début de l’année alors qu’il était en fuite dans l’Etat, était un ami personnel de Fabrício Queiroz [policier à la retraite, assistant parlementaire de Flavio Bolsonaro].

Le STJ a annulé, en février 2021, la décision qui autorisait la suspension des investigations dans le cas du sénateur Flávio en raison d’une juridiction spéciale ayant trait à son statut de sénateur. Le Ministère public fédéral et le MP-RJ font appel de cette décision. Le capitaine Adriano [Magalhães da Nóbrega], comme on l’appelait, a été honoré par Flávio Bolsonaro dans l’affaire ALERJ [distribution par l’Assemblée législative de l’Etat de Rio de Janeiro de paiement de dépenses diverses à des hommes de paille], alors qu’il était déjà accusé d’un meurtre. Sa mère et sa femme ont été pendant des années des employées du bureau de Flávio. Les conversations entre Queiroz et la femme d’Adriano sur l’application WhatsApp prouvent le lien entre les choix du cabinet de Flávio et le milicien mort.

Selon un article paru dans le magazine Veja vendredi 16 juillet, la veuve du milicien Adriano da Nóbrega, Julia Mello Lotufo, négocie un accord avec le Ministère public de Rio de Janeiro et a indiqué aux procureurs qu’elle sait qui est derrière l’exécution de la conseillère municipale Marielle Franco [le 14 mars 2018] et de son chauffeur Anderson Silva.

Julia Mello Lotufo, qui est assignée à résidence, a proposé de coopérer avec les procureurs pour tenter d’obtenir un accord concernant ses témoignages avec le Ministère public de Rio de Janeiro. Celui-ci n’a pas encore pris position sur l’acceptation ou non de la dénonciation. Selon Veja, Julia Mello Lotufo a détaillé la participation d’Adriano à une douzaine d’homicides commandés par le gang, citant notamment des fonctionnaires qui ont reçu des pots-de-vin pour couvrir les crimes.

La veuve affirme qu’Adriano n’a pas participé au meurtre du conseiller, cependant elle a révélé qu’elle savait que des miliciens du quartier paupérisé Gardênia Azul étaient derrière le crime, et qu’ils étaient même allés voir Adriano da Nóbrega pour organiser le crime. Celui-ci, selon Julia, a considéré l’idée trop risquée et a refusé de participer. Selon sa veuve, le motif de l’assassinat était les activités parlementaires de Marielle Franco, qui mettraient en danger les opérations de la milice à Gardênia Azul et Rio das Pedras. Et l’ancien conseiller municipal Cristiano Girão aurait une relation avec le crime.

 «Génocide»: omissions et erreurs délibérées dans la lutte contre la pandémie

Ces crimes impliquent les erreurs et omissions répétées du gouvernement Bolsonaro dans la réaction face à la pandémie au Brésil, ainsi que les déclarations irresponsables de Bolsonaro contre la vaccination de la population et pour la défense de traitements inefficaces prouvés contre le Covid-19, comme l’utilisation de la chloroquine, de l’ivermectine et d’autres médicaments. Cette position a été cruciale pour la tragédie brésilienne pendant la pandémie qui, à ce jour, a tué plus de 525 000 personnes dans le pays. Les actions de Bolsonaro pendant la pandémie ont consisté à saboter systématiquement les mesures de protection qui auraient pu sauver des centaines de milliers de vies.

Comme si cela ne suffisait pas, le président Jair Bolsonaro a sanctionné par un veto la loi qui prévoit des mesures de protection pour les communautés indigènes pendant la pandémie de coronavirus. Le pouvoir exécutif a fait obstacle à 16 dispositions de la loi. Parmi elles, les points qui prévoyaient l’accès des villages à l’eau potable, au matériel d’hygiène, aux lits d’hôpitaux et aux respirateurs mécaniques, et la non-présentation d’un plan de protection des populations amérindiennes face à la pandémie.

Démocratie et institutions menacées

La prise de position publique de mesures antidémocratiques par le président de la République lui-même, comme la suspension du Congrès national et de la Cour suprême (Tribunal supérieur), en plus de la réédition de l’Acte institutionnel n° 5, un instrument d’exception emblématique de la dictature militaire instaurée en 1964 [les actes institutionnels servaient à légaliser les interventions militaires, la «guerre sale» au Brésil]. La participation à des manifestations antidémocratiques qui visaient à s’opposer aux mesures sanitaires prises par les gouverneurs et les maires prouve également le mépris du gouvernement Bolsonaro pour la démocratie.

La semaine dernière, Bolsonaro a mobilisé le gouvernement face à un nouvel affront à la démocratie avec ses déclarations sur le bulletin de vote imprimé [mettant en question le vote électronique, se préparant ainsi à mettre en cause les résultats des futures élections]. C’est l’une des bannières du bolsonarisme et elle est utilisée comme un moyen de jeter la méfiance sur le régime politique dans son ensemble, de préparer des actions possibles en cas de défaite électorale (comme Donald Trump l’a fait aux Etats-Unis en encourageant l’invasion du Capitole) ou même des menaces de coup d’Etat. Ce discours a été repris avec force depuis le début de la procédure de la CPI avec des menaces sur le processus électoral de 2022 et contre le Tribunal supérieur électoral (TSE).

Il a déclaré: «Puis viennent les instituts de sondage, également truqués, en levant les neuf doigts. Pour quoi faire? Pour que le vote truqué puisse être confirmé par le TSE. Il est déjà certain qui sera président l’année prochaine. Est-ce qu’on va laisser faire ça?»

Bolsonaro ne cache pas ses projets. Il n’accepte pas de se soumettre au processus démocratique et accuse des institutions telles que les instituts de sondage, le TSE et surtout la Cour suprême de conspirer contre lui, alors qu’il n’existe aucune preuve de cette «conspiration». Il s’agit d’un discours visant à intimider les opposants et à enflammer sa base électorale, à un moment où le président organise des «virées en moto» dans tout le pays, cherchant à démontrer sa force et son rang contre son déclin.

La demande d’impeachment

Durant les trente derniers jours, la demande imposante de destitution de Jair Bolsonaro a été présentée à la Chambre des représentants, réunissant les auteurs de plus de 120 réclamations présentées pendant la gestion de Bolsonaro. Il s’agit de partis, de mouvements et de parlementaires issus de l’éventail politique le plus varié, unis dans un même objectif: la destitution maintenant!

Voici quelques éléments de la liste des crimes mentionnés dans cette demande de destitution.

  • Crime contre l’existence politique de l’Union. Acte: fomenter un conflit avec d’autres nations;
  • Hostilité contre une nation étrangère. Acte: déclarations xénophobes contre des médecins cubains;
  • Crime contre le libre exercice d’institutions gouvernementales. Acte: menaces contre le Congrès et la Cour suprême, et ingérence dans la police fédérale;
  • Tenter de dissoudre ou d’entraver le fonctionnement du Congrès. Acte: déclarations du Président et participation à des manifestations anti-démocratiques;
  • Menace contre un représentant de la nation pour l’intimider. Acte: dit qu’il devra «se battre» contre le sénateur Randolfe Rodrigues (Rede-AP), membre de la CPI covid;
  • S’opposer au libre exercice du pouvoir judiciaire. Acte: immixtion dans l’activité de la police fédérale;
  • Menace contre un juge. Agir: attaques contre la Cour suprême;
  • Crime contre le libre exercice des droits politiques, individuels et sociaux. Acte: erreurs et omissions dans la lutte contre la pandémie;
  • Utiliser les autorités sous sa subordination immédiate pour pratiquer l’abus de pouvoir. Acte: remplacements dans les forces armées et ingérence dans la police fédérale;
  • Subvertir ou tenter de subvertir l’ordre politique et social. Acte: menacer les institutions;
  • Inciter le personnel militaire à la désobéissance à la loi ou à l’infraction à la discipline. Acte: se rendre à une manifestation en faveur d’une intervention militaire;
  • Provoquer l’animosité des forces armées. Acte: les alliés de Bolsonaro ont incité à l’émeute dans le cas d’un policier tué par d’autres policiers à Salvador;
  • Violer les droits sociaux garantis par la Constitution. Acte: omissions et erreurs dans la lutte contre la pandémie;
  • Crime contre la sécurité intérieure du pays. Acte: omissions et erreurs dans la lutte contre la pandémie;
  • Décréter l’état de siège alors qu’il n’y a pas de troubles intérieurs graves. Acte: comparer les mesures des gouverneurs à un état de siège;
  • Permettre l’infraction à la loi fédérale sur l’ordre public. Acte: promouvoir la révolte contre la distanciation sociale et le confinement dans la pandémie;
  • Crime contre la probité dans l’administration. Acte: gestion de la pandémie et attaques contre le processus électoral;
  • Emettre des ordres contraires à la Constitution. Acte: changements de responsables dans les forces armées;
  • Agir d’une manière incompatible avec le décorum de la fonction. Acte: mentir pour obtenir un avantage politique;
  • Négliger la conservation du patrimoine national. Acte: la gestion financière dans la pandémie et les retards dans la réponse aux demandes des Etats et des municipalités dans la crise sanitaire;
  • Crime contre le respect des décisions judiciaires. Acte: ne pas créer de plan de protection des populations amérindiennes en cas de pandémie. (Article publié sur le site Esquerda Online, le 17 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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