Brésil. L’union sacrée derrière Lula… et après?

Lula en meeting à Pernambuco

Par Patrick Piro

«C’est l’élection la plus cruciale de l’histoire du Brésil, la lutte de la démocratie contre le fascisme», martèle Paulo Mansan, coordinateur dans l’Etat du Pernambouc du Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre (MST). Les Brésiliens votent le 2 octobre pour élire les gouverneurs d’Etat, un tiers du Sénat, les chambres législatives fédérales et des Etats, et surtout le président [1]. Jair Bolsonaro postule à sa réélection, et la perspective qu’il y parvienne tétanise une large part de la population.

«Impensable! C’est une question de vie ou de mort», s’exclame Geraldo Santos, du Mouvement des travailleurs chrétiens de la ville de Recife. Cette organisation évangélique est apolitique. Mais, en 2022, elle a basculé, déclarant son appui à Luis Inácio da Silva, dit Lula, unanimement considéré comme le seul candidat capable de chasser Bolsonaro. Les sondages le confirment depuis des mois. Mi-septembre, l’ex-président, qui avait quitté le pouvoir en 2010 avec le taux stratosphérique de 85% d’opinions positives, dominait la compétition, avec 44% d’intentions de vote contre 33% à Bolsonaro.

Un vote de la haine, d’un camp contre l’autre

«Le contexte politique est tellement polarisé qu’il n’y aura d’espace pour aucun autre candidat, analyse Willian Fernandes, défenseur des droits humains dans des ONG et des structures publiques à São Paulo. C’est une élection plébiscitaire.» Un vote de la haine, d’un camp contre l’autre, précisent même régulièrement les commentaires. La responsabilité en incombe aux bolsonaristes, dont la doctrine repose sur la détestation du Parti des travailleurs (PT) de Lula, qui serait le plus corrompu de l’histoire du Brésil, responsable de la perversion des mœurs et de la dégradation économique…

«Quatre ans supplémentaires de Bolsonaro signifient concrètement la consolidation de l’extrême droite, la légitimation d’un pouvoir très libéral et très excluant, militarisé [2], laudateur de la torture, compulsivement admiratif du modèle états-unien, énumère Willian Fernandes. Ainsi qu’une régression prolongée pour les mouvements sociaux: Bolsonaro a soigneusement démantelé ou affaibli tous les conseils participatifs et instances similaires mis en place par les gouvernements Lula pour permettre à la société civile de participer à la construction des politiques publiques dans de nombreux domaines – environnement, intégration, droits humains, etc.»

Devant l’enjeu, toute la gauche ou presque s’est ralliée à la candidature de Lula pour la présidentielle. Le paysage est bien plus diversifié pour les autres scrutins. «Le contexte a changé depuis 2002, date de la première élection de Lula, prévient Verena Glass, chercheuse à la Fondation Rosa-Luxemburg Brésil. Les perspectives d’alliance se sont bien rétrécies, s’il l’emporte. Quelle sera sa marge de manœuvre pour réparer les dégâts de Bolsonaro, comme il l’a promis?»

Pour la vice-présidence, choix toujours très stratégique, Lula a ainsi opté pour Geraldo Alckmin. Un cacique conservateur de centre droit et adversaire historique du PT, mais à même d’amadouer le milieu des affaires, que Bolsonaro s’est en partie mis à dos par sa gestion catastrophique de la crise du covid et ses attaques contre les institutions. «Lula doit jouer avec finesse pour l’emporter, puis gouverner», observe Willian Fernandes.

«Par ailleurs, les parlementaires du PT ont été peu performants pendant ce mandat, constate Jorge Pereira, analyste à la Fondation Rosa-Luxemburg Brésil. Aussi, une des nouveautés des scrutins législatifs, cette année, c’est la multiplication des candidatures issues de la société civile, concourant la plupart du temps sous la bannière du Parti socialisme et liberté (PSOL). Et elles apportent de nouveaux thèmes dans la campagne, tels les droits des minorités, systématiquement violés par le gouvernement Bolsonaro, et auxquels le PT s’est montré peu sensibilisé.»

Faire élire Lula… puis peser sur lui

Et si Douglas Belchior, candidat pour être député fédéral à São Paulo, fait campagne sous l’étiquette de ce dernier parti (PT), c’est en représentant de la Coalition noire pour les droits. «Les Noirs représentent 56% de la population brésilienne, et nous n’avons jamais été reconnus comme une force politique à ce jour. Cette élection est une bataille pour sauver la démocratie, mais aussi pour donner à la politique brésilienne d’autres visages, qui ressemblent plus à ceux de son peuple.»

En renard de la politique, Lula a formulé juste ce qu’il faut de promesses de gauche – social, économie, démocratie, minorités, etc. – pour éviter d’effrayer les voix du centre droit, là où Bolsonaro a perdu du crédit. «Nous sommes sans illusions, avertit Paulo Mansan. Nous ferons tout pour élire Lula, mais également un maximum de nos candidats afin de peser sur son gouvernement, et dès le lendemain de sa prise de pouvoir, le cas échéant.» (Article publié dans l’hebdomadaire Politis, le 13 septembre 2022)

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[1] Un second tour est prévu si besoin, le 30 octobre, pour la présidence et les gouvernorats, scrutins majoritaires. Pour les autres, les candidat·es qui recueillent le plus de voix le 2 octobre sont élu·es.

[2] On dénombre 6?000 militaires dans les arcanes du gouvernement, notamment aux plus hauts échelons, plus encore que pendant la dictature militaire (1964-1985).

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