Brésil. Les forces armées occupent dans le système de pouvoir une position «comme un parti de plus»

Par Gustavo Veiga

Jair Messiah Bolsonaro a toujours aimé se vanter de sa vocation militaire précoce. Il raconte habituellement une anecdote pour le prouver. Au début des années 1970, il a vécu à El Dorado, une ville du sud de l’Etat de São Paulo, dans la vallée de Ribeira. Or, Carlos Lamarca [1937-1971] s’y trouvait. Il s’agissait d’un capitaine de l’armée qui quitta son uniforme et devint un célèbre guérillero. Persécuté par la dictature qui le considérait comme un traître, il fut assassiné en 1971. L’actuel candidat à la présidence, Bolsonaro, se souvient d’avoir aidé une patrouille à rechercher le chef de la Vanguarda Popular Revolucionária (VPR)

[Avant-garde populaire révolutionnaire, organisation créée en 1966 et qui a cherché à articuler la guérilla urbaine et rurale]. Bolsonaro avait à peine 16 ans [il est né en 1955] et n’était même pas entré à l’académie militaire pour initier la carrière de son choix.

Il y a ceux qui ne le croient pas et infirment ce qu’il dit. Mais lui insiste sur sa version. Aujourd’hui, quarante-sept ans après les événements, l’homme politique qui tient en haleine la moitié du Brésil occupe une place de référence pour les officiers et soldats qu’il admirait dans sa jeunesse. Plusieurs centaines de militaires se sont présentés au premier tour des élections (7 octobre) sur des listes du Parti social-libéral [PSL-parti de Bolsonaro auquel il a adhéré en janviers 2018, après avoir passé par de nombreux partis], un parti d’extrême droite qui cherche à occuper le poste présidentiel, dans le bâtiment nommé Planalto à Brasilia. D’autres l’ont soutenu inscrits sur des listes d’autres formations comme celle du candidat à la vice-présidence, Hamilton Mourão, le Parti rénovateur travailliste brésilien.

Au total, près de 8% des candidats militaires ont été élus à des postes au plan fédéral, des Etats et des municipalités. D’autres attendent le deuxième tour (28 octobre) pour savoir s’ils seront gouverneurs à Rio de Janeiro, à Santa Catarina [Comandante Moisés, PSL, arrivé en deuxième position au premier tour avec 29,72% des suffrages face à Gelson Merisio du PSD] et à Rondônia [colonel Marcos Rocha, PSL, ayant réuni 23,99% des suffrages face à Expedito Junior du PSDB, qui a capté 31,59%]. Dans tous les cas, les forces armées sont un facteur de pouvoir. Et elles se sont transformées dans le paysage politique comme si elles n’étaient qu’un parti de plus.

L’imaginaire militarisé de l’adolescent Bolsonaro

Bolsonaro atteint le grade de capitaine comme Lamarca, le combattant militaire de la guérilla qui mourut au combat. Le même qui prétend avoir contribué à son arrestation, bien que le chef de la VPR se soit trouvé, en septembre 1971 [date de son assassinat] à Bahia. Soit à plus de 2000 kilomètres d’El Dorado, où le candidat présidentiel du PSL a été éduqué. Ce vaste Brésil, qui dépasse de loin cette distance de 2000 km, est maintenant surpeuplé politiquement par des militaires qui se présentent sur des listes électorales. Au total, 961 militaires se sont présentés et environ 70 ont réussi à être élus dans les différents corps législatifs et exécutifs.

Il n’y a pas d’autre pays d’Amérique latine avec un tel record. Sauf dans les dictatures où ils ont colonisé tous les pouvoirs de l’Etat. Aux côtés du candidat à la présidence se trouve son colistier, le général à la retraite Antonio Hamilton Mourão, un troglodyte qui, en 2014, a été relevé du commandement du Sud pour ses déclarations politiques et a menacé de coup d’Etat l’année dernière. Ce général mis à la retraite par Michel Temer est habituellement présent dans les meetings du PSL avec un T-shirt sur lequel est imprimé: «Dieu, la Patrie et la Famille» et il préside le club militaire de Rio de Janeiro. Comme Bolsonaro, il a publiquement défendu Carlos Bilhante Ustra, le tortionnaire le plus connu de la dictature militaire qui a gouverné le Brésil entre 1964 et 1985. Il l’a traité de héros lors de son dernier discours en tant que général en fonction [avant sa mise à la retraite en février 2018].

Les forces de la coalition qui accompagnent le ticket présidentiel, qui revendique l’imposition d’une main de fer, ont d’autres représentants qui affirment de solides aspirations électorales, mais au niveau des Etats. L’un des gouvernorats les plus importants du pays, celui de Rio de Janeiro, sera contesté au second tour par un ancien de la marine militaire et ex-juge fédéral Wilson Witzel du Parti chrétien-social (PSC), parti auquel Bolsonaro avait été membre par le passé. Selon Folha de S. Paulo,il a financé sa campagne avec un compte bancaire non déclaré. Les 41,28% des votes qu’il a obtenus ont été un succès. Il a même doublé le pourcentage du candidat qu’il rencontrera au deuxième tour, l’ancien maire de Rio, Eduardo Paes, qui a obtenu 19,52 points. Witzel a menacé son rival de droite DEM (Démocrates) de le faire arrêter pendant le débat électoral s’il l’insultait [1].

A Santa Catarina, dans le sud du Brésil, Bolsonaro a concentré 65% des voix et a favorisé les attentes électorales de son candidat au poste de gouverneur: le colonel de réserve et pompier militaire Carlos Moisés da Silva, mieux connu comme le commandant Moisés. Contrairement à Witzel, il devra augmenter les 29% qu’il a obtenus contre Gerlson Merisio, du PSDB (Parti social-démocrate brésilien), qui a obtenu 31%. Un autre homme en uniforme qui aspire à devenir gouverneur de Rondônia, dans l’ouest du pays, est le colonel retraité Marcos Rocha. Il disputera le deuxième tour face à Expedito Júnior du PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne) et comme le commandant Moisés il est en deuxième position: il a obtenu 23,99 % contre 31,59 % pour son rival.

Les forces armées et le système parlementaire brésilien

Selon une enquête électorale, c’est à la Chambre des députés que l’avance des candidats militaires s’est le mieux exprimée. Vingt-deux ont été élus pour le prochain mandat. La figure la plus célèbre du PSL derrière Bolsonaro et son fils Eduardo – député de l’Etat de São Paulo le député le plus voté de l’histoire du Brésil, avec 1,843 million de voix – s’est révélée être un tout nouveau sénateur, Sergio Olimpio Gomes, mieux connu comme le major Olimpio. Un policier militaire qui a de l’expérience parlementaire depuis qu’il a été député fédéral de l’Etat de São Paulo pendant deux mandats. Il est sorti premier dans l’Etat de São Paulo avec 25,81% des suffrages, l’Etat le plus riche et le plus peuplé du pays. Il est l’un des deux sénateurs que le PSL a fait élire.

Le système électoral brésilien permet aux membres des forces armées de se présenter lors des élections tout en étant militaire d’active. A une condition près. Comme la Constitution leur interdit d’être affiliés à un parti politique, ils ne peuvent se présenter sur une liste que durant la période durant laquelle se tiennent les congrès des différentes forces politiques. S’ils sont élus, ils quittent la carrière militaire. Si ce n’est pas le cas, ils peuvent retourner à la caserne tant qu’ils ont dix ans d’ancienneté dans leur corps d’armée respectif. Beaucoup ont rejoint la PSL dans ce qui a semblé être une manœuvre induite par le général Mourão en février 2018. Le candidat à la vice-présidence qui accompagne Bolsonaro a déclaré à la Revista Piauí: «Nous aurons de nombreux candidats des milieux militaires, sinon dans tous, du moins dans un grand nombre d’Etats. Bien que se présentant sur des listes différentes, ils auront des orientations directrices pour l’action et un discours proche des intérêts de la nation et de l’armée. Je vais coordonner tout cela.»

Le ticket présidentiel est appuyé par d’autres généraux à la retraite nostalgiques de la dictature qui officient comme conseillers. Il s’agit de Sebastiao Roberto Peternelli, Giarao Monteiro, Marco Felício et Paulo Chagas. Ce dernier s’est fait connaître pour ses attaques contre la Commission nationale de la vérité qui enquêtait sur les crimes du régime militaire [mais qui n’a débouché sur aucune sanction et n’a produit qu’un simple rapport]. Lorsque le commandant en chef de l’armée Eduardo Villas Boas a publiquement insisté pour que Lula soit emprisonné en avril dernier, Chagas a envoyé sur Twitter un message à tonalité médiévale: «J’ai l’épée sur mon flanc, la selle équipée, le cheval prêt et j’attends vos ordres!» Une peinture martiale de l’époque que vit le Brésil. (Article publié dans Pagina 12, en date du 15 octobre 2018; traduction A l’Encontre)

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[1] Un des fils de Bolsonaro, Flavio, a été élu sénateur de l’Etat de Rio au premier tour. Au poste de gouverneur est arrivé en deuxième position au premier tour Eduardo Paes sur la liste Democratas (DEM). Il a présenté sa candidature le 29 juillet 2018, après une rencontre avec le général Walter Souza Braga Netto, responsable de la «sécurité publique» pour l’Etat fédéral dans l’Etat de Rio de Janeiro. Cette candidature a été annoncée par lui dans le bâtiment du Comando Militar do Leste, une des quatre régions militaires du Brésil ayant son siège à Rio. Dès lors, les deux candidats au gouvernorat ont des liens avec les militaires. (Réd. A l’Encontre)

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