Le futur gouvernement de Jair Bolsonaro, du Parti social libéral (PSL), est critiqué pour sa pression qui a abouti au départ des professionnels cubains du secteur de la santé qui ont travaillé dans le programme «Plus de médecins». Le retrait des médecins a été annoncé par Cuba le mercredi 14 novembre, après que le gouvernement du pays des Caraïbes a considéré la décision de Bolsonaro de modifier les termes et les conditions de la coopération dans cette initiative comme «menaçante et méprisante». Cependant, une question peu abordée est celle du profil des personnes qui seront laissées sans soins en raison du vide produit par le départ de 8469 médecins qui agissent principalement dans les régions périphériques du pays.
Pour Ana Marta da Silva Santos, ancienne superviseuse du Programme plus de médecins (PMM) à Rio de Janeiro, l’action du gouvernement Bolsonaro peut être considérée comme une action raciste, car elle aura un impact majeur sur la vie de la population noire du pays: 70% des usagers du service de santé sont des Noir·e·s.
«Qui sont les plus vulnérables et qui, sans aucun doute, ne bénéficieront d’aucune aide? Ce sera la majorité noire, la mère de dix enfants dans une communauté, la mère qui vit avec le trafic de drogue d’un côté et le paramilitarisme de l’autre, la grand-mère qui s’occupe de ses petits-enfants et ne pouvait pas garantir qu’ils disposent d’une voie pour la formation et de dépassement de la situation présente, et/ou qui en a déjà perdu certains à cause des massacres, à cause de la mort de tant de Noirs et de pauvres, de ceux et celles relégués à la périphérie. On peut voir qu’il y a une construction pour réduire l’assistance à ceux qui ont toujours été désavantagés dans la population brésilienne: la communauté noire, les gens du Brésil colonial qui se sont retrouvés avec les seules miettes (du festin de certains). Dans le domaine de la santé, la même chose se produit», a déclaré dans l’entretien avec Brasil do Fato Ana Marta da Silva Santos,
Pour Santos, la tentative de remplacer les médecins cubains par des médecins brésiliens, solution recherchée par le ministère de la Santé, est irréalisable. Selon l’organisme officiel, un appel sera lancé pour combler les postes de médecins cubains ce mardi 20 novembre.
«Je ne dirai jamais que ça ne marchera pas, parce que j’aimerais que ça marche. Pour la vie des frères et sœurs noirs qui y vivent et qui ont besoin d’aide, pour soulager leur douleur physique et émotionnelle. Mais malheureusement, le nombre de [médecins] brésiliens ne sera pas suffisant. Car même si tous les médecins brésiliens remplissaient les postes vacants, nous serions malades, car nous devrions travailler dans deux ou trois villes, sans dormir ni manger, 24 heures sur 24», se lamentait-elle.
Née à Bahia, dans le nord-est du Brésil, Ana Marta a vécu sept ans à Cuba, où elle a étudié la médecine. Après avoir obtenu son diplôme, elle est retournée au Brésil, où elle a travaillé en gestion de la santé à Bahia et s’est spécialisée en médecine familiale. Elle a revalidé son diplôme à l’Université de Paraíba (UFPB), où elle a fait son stage médical. Elle a travaillé à la supervision du programme PMM à Rio de Janeiro entre 2015 et 2017, où elle a reçu les médecins cubains qui sont venus au Brésil et ont encadré le programme. Chercheuse sur la santé de la population et sur les professionnels brésiliens d’ascendance africaine, elle souligne que l’accueil des Cubains, pendant leurs années au Brésil, représente aussi une facette du racisme institutionnel.
«La structure sociale à Cuba est très différente. Les Blancs et les Noirs à l’école de médecine est une chose très naturelle. Ici nous savons qui sont les privilégiés, qui sont dans les universités, où les facultés de médecine forment les enfants des élites. Puis, lorsqu’ils ont rencontré un grand nombre de médecins noirs, ils les ont traités comme le premier groupe [à arriver dans le pays] les a traités. A Fortaleza [la capitale du Ceará], ils traitaient de «singe» une médecin qui ressemblait à une travailleuse domestique. Tout cela parce que les médecins cubains ressemblent au peuple cubain, tout comme les médecins brésiliens noirs ressemblent au peuple brésilien», a-t-elle dit.
Un rapport publié en 2014 par le Laboratoire d’analyse économique, historique, sociale et statistique de l’Université de Rio de Janeiro (UFRJ) a montré que seulement 17,6% des médecins du pays se déclarent noirs. De leur côté, les données du Secrétariat spécial pour la promotion de l’égalité raciale de la Présidence de la République, rattaché au Ministère des droits de l’homme – menacé d’extinction dans le gouvernement de Bolsonaro – montrent que 70% des utilisateurs du Système unifié de santé (SUS), le système de santé publique du Brésil, se déclarent noirs. (Article publié dans Brésil do Fato, 20 novembre 2018; traduction A l’Encontre)
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